| PIGEON, subst. masc. A. − ORNITHOLOGIE 1. Oiseau domestique granivore de la famille des Colombidés (s.v. colombe1dér.), au bec grêle, renflé et courbé, aux ailes courtes, au vol rapide et facile, au plumage abondant et varié selon les espèces et dont la chair est savoureuse. Pigeon mâle, femelle; pigeon domestique, sauvage; pigeon de volière, de colombier; femelle, petit du pigeon. Tout pelotonné sur le toit Que l'atmosphère mouille et plombe, Le pigeon transi par le froid Grelotte auprès de sa colombe (Rollinat,Névroses, 1883, p.244): 1. ... nous commencions à jouer sur la pelouse, faisant envoler les pigeons dont les beaux corps irisés qui ont la forme d'un coeur et sont comme les lilas du règne des oiseaux, venaient se réfugier comme en des lieux d'asile...
Proust,Swann, 1913, p.408. SYNT. Roucoulement, sautillement du pigeon; oeuf de pigeon; fiente de pigeon; chasse du pigeon; tir au(x) pigeon(s); envol, lâcher de pigeons; une volée de pigeons; une compagnie de pigeons; gros comme un oeuf/des oeufs de pigeon; de la grosseur, de la forme d'un oeuf de pigeon. − P. méton. Chair comestible, viande de cet animal. Pigeon tout plumé; pigeon piqué, bardé. Des pigeons de volière gras, bardés et cuits à propos (Brillat-Sav.,Physiol. goût, 1825, p.167).Ce jour-là, la belle Lisa trouva Marjolin au milieu de la volaille (...). Sur la table d'étalage (...) des pigeons, serrés sur des claies d'osier, avaient des peaux nues et tendres d'innocents (Zola,Ventre Paris, 1873, p.789). ♦ ART CULIN. La chair de cet animal cuit et accommodée d'une certaine façon. Pigeon à la crapaudine, au gratin; manger une couple de pigeons, des pigeons aux olives, cuits en pâté; pigeons farcis, rôtis; terrine de pigeons. Dites-moi si la petite demoiselle aime les pigeons aux petits pois et la crème à la vanille (A. France,Bonnard, 1881, p.442). Rem. Lav. Diffic. 1846 note: ,,Quand on parle de pigeons vivants et qui sont appariés, on dit une paire de pigeons: quand on parle de pigeons pour manger, on dit une couple de pigeons``. − Pigeon colombin (v. colombin1); pigeon de roche ou pigeon sauvage. Synon. de pigeon biset*: 2. −Quels sont donc ces oiseaux? demanda Pencroff. (...) −(...) ce sont des pigeons sauvages, ou pigeons de roche, répondit Harbert. Je les reconnais à la double bande noire de leur aile, à leur croupion blanc, à leur plumage bleu-cendré.
Verne,Île myst., 1874, p.34. − Pigeon(-)paon. Pigeon blanc avec la queue en éventail. Des pigeons-paons blancs se posent et volent çà et là (Claudel,Violaine, 1892, i, p.493).Le pigeon paon ou trembleur doit son nom de paon à la propriété qu'il possède d'étaler les plumes de sa queue à la façon de celles du paon (Coupin,Animaux de nos pays, 1909, p.62). − Pigeon(-)ramier (v. ramier). Synon. de palombe. − Pigeon(-)voyageur, pigeon(-)messager. Pigeon à vol très rapide, dressé pour porter des messages étant donné son remarquable sens de l'orientation et sa grande résistance (surtout pour ceux de la race belge). Service régulier de dépêches par pigeon(s)-voyageur(s); (succursales) reliées par pigeons voyageurs; l'élevage des pigeons voyageurs est réglementé. Le pigeon voyageur à qui Dagron confiait pendant le siège de 1870 un petit rouleau de photographies lilliputiennes reproduisant 50000 dépêches, a été remplacé par (...) l'avion (Prinet,Phot., 1945, p.89).Potin (...) bouleversa le commerce si décrié de l'épicerie par la pratique des prix [bas] (...), la multiplication des succursales ravitaillées par des dizaines de voitures légères (...) et même reliées par pigeons voyageurs aux entrepôts de Pantin (Lesourd, Gérard,Hist. écon., 1966, p.384): 3. La première [agence] en date de ces grandes entreprises fut créée par Charles Havas (...) [qui] accrut la vitesse de ces informations en se servant des pigeons voyageurs. Porteurs des nouvelles parues dans les journaux londoniens du matin, ceux-ci quittaient Londres à 8 h et arrivaient à 2 h à Paris.
Civilis. écr., 1939, p.40-8. ♦ P. ell. Nos renseignements nous arrivent par ballons et par pigeons (Flaub.,Corresp., 1870, p.159). − [P. allus. à la fable de La Fontaine, Les Deux pigeons (IX, 2) et aux héros de Shakespeare, Roméo et Juliette, symbole de l'amitié et surtout de l'amour, représentés particulièrement par le couple de pigeons] Un vivant exemple de la fable des Deux pigeons (Balzac,Cous. Pons, 1847, p.49).Le pigeon est (...) poétiquement un symbole de l'amour (...). Le symbolisme de l'amour s'explicite mieux par le couple de pigeons (...) d'autant que, ici, le mâle couve les oeufs (Symboles1969). ♦ P. métaph. Oh! comme je serai fier de vous revoir, n'ayant plus ces terribles dettes, et ne devant plus qu'une centaine de mille francs, à trois ou quatre personnes, et possédant les Jardins et les arrangeant pour y vivre en pigeons heureux (Balzac,Lettres Étr., t.2, 1844, p.268).Vous allez me trouver bien égoïste, ma pauvre amie, moi qui vous parle ainsi de ma solitude de vieux pigeon roucoulant, alors que vous pleurez (Maupass.,Fort comme la mort, 1889, p.168). − [P. anal. avec le symbole de la colombe, notamment dans l'oppos. faucon/colombe, ici p. oppos. à épervier] Symbole de paix. Le marquis: Et moi qui vous donnais des conseils! C'est le pigeon qui couve un épervier! Vernouillet: Non pas! Sans vous je me laissais étouffer (Augier,Effrontés, 1861, p.294). 2. Pigeon de mer, pigeon plongeur. Nom vulgaire du pétrel* damier. (Dict. xixeet xxes.). B. − P. compar. 1. [Dans le domaine des couleurs] ♦ (Couleur) gorge(-)de(-)pigeon. V. gorge. ♦ MINÉR. Sang de pigeon. Couleur rubis. Mais la principale attraction sont les cadeaux envoyés à Miss Isadora On remarque surtout un rubis «sang de pigeon» dont la grosseur et l'éclat sont incomparables (...). D'habiles détectives mêlés à la foule des invités veillent sur cette gemme et la protègent (Cendrars,Du Monde entier, Documentaires, 1924, p.128): 4. Il n'y a qu'un rubis. Sa teinte chaude et caressante est due à des traces d'oxyde de chrome dans l'oxyde d'aluminium constituant le corindon; la nuance favorite est le «sang de pigeon», un carmin tirant un peu sur le lie-de-vin; la couleur dite «sang de boeuf» rappelle la gelée de groseille.
Metta,Pierres préc., 1960, p.72. 2. [Dans le domaine de la forme] a) HORTIC. Variété de prune ronde et de cerise. (Dict. xixeet xxes.). ♦ Coeur de pigeon. V. coeur I A 1 b spéc. b) COIFFURE. Aile* de pigeon. C. − P. anal. 1. Au sing. a) DANSE. Ailes de pigeon. Sauts en hauteur où les jambes imitent un battement d'ailes. Vairon avait pris Sulphart par la taille et dansait une java, avec des grâces de bal-musette, tandis que Lemoine, se croyant à la fête du pays, exécutait des ailes de pigeon en faisant claquer ses talons cloutés (Dorgelès,Croix bois, 1919, p.14): 5. ... Leclair qui avait appris le violon dans sa jeunesse fut d'abord danseur au théâtre de Rouen, puis maître de ballet à Turin. C'est alors qu'il composa quelques airs de danse que l'on trouva charmants, et qu'il abandonna les entrechats et les ailes de pigeon pour se livrer sérieusement à l'étude du violon...
Grillet,Ancêtres violon, t.2, 1901, p.125. b) JEUX. Pigeon(-)vole! Jeu d'enfants où l'un des participants, le meneur de jeu, placé au centre de ses camarades disposés en cercle, énonce un objet en le faisant suivre de vole; selon que cet objet est susceptible ou non de voler, les autres joueurs doivent, sous peine de gages, lever la main ou se lever si la chose citée vole effectivement. Jouer à pigeon vole. Gontran, plusieurs fois, avait essayé de l'embrasser à la suite de gages donnés dans une partie de pigeon-vole (Maupass.,Mont-Oriol, 1887, p.190): 6. Le jeu de pigeon vole est le premier des jeux de la toute petite enfance (...), consiste à trouver rapidement une série de noms dans lesquels se trouvent placés les éléments les plus divers, tels qu'un oiseau, un poisson, un reptile, etc. Pour donner plus d'attrait à ce jeu, on entremêle à la nomenclature, des choses qui ne volent qu'accidentellement...
D'Allemagne,Récr. et passe-temps, 1904, p.198. c) TECHNOLOGIE − ,,Petite pièce de bois, carton, métal (...) placée dans une rainure, sur les onglets, afin de fermer le jour qui se produit par retrait du bois`` (Barb.-Cad. 1971). − CONSTR. [Dans les ouvrages de plâtre pur: tuyaux, coffres, hottes de cheminées] Poignée (de plâtre pétri). (Dict. xixeet xxes.). ,,Lever le plâtre par pigeons. (...) le lever avec la main et la truelle, et l'employer sans le plaquer ni le jeter, sans pierre, sans lattes ni bois d'aucune sorte`` (Jossier1881).Synon. pigeonner. ♦ ,,Morceau de pierre dans la chaux`` (Jossier 1881). 2. Au plur. a) ÉCON. RURALE. Clous à pigeons. ,,Grands clous à crochet qui servent à attacher, dans les volets et colombiers, les paniers où l'on met pondre et couver les pigeons`` (Chesn. t.2 1858). b) PÊCHE. ,,Anses longues par lesquelles les mailleurs commencent quelquefois leur filets`` (Baudr. Pêches 1827). c) TIR. Pigeons d'argile. On ne se sert aujourd'hui de Pigeons vivants que pour les compétitions organisées par quelques stations touristiques ou thermales de grande classe: Vichy, Deauville (sans oublier Paris). Mais, pour le tir d'entraînement, le ball-trap (...), on n'utilise que les «Pigeons» d'argile, petits disques creux, noirs parfois cerclés de blanc, fragiles au point qu'un seul plomb les brise (Burn.1970). D. − Familier 1. Mon (petit) pigeon; mes pigeons. [Avec une valeur hypocor. comme terme d'affection] ,,Eh bien, mes pigeons``, ricana le bonhomme, «vous avez une fière chance de ne pas être tombés sur le vieux, parce qu'il n'aime pas la rigolade, lui (...)» (Martin du G.,Thib., Cah. gr., 1922, p.635).Et quant à votre fameuse MmeAlfieri, mon... petit pigeon, peut-être qu'elle vaut mieux que toute la maison ensemble (Bernanos,Mauv. rêve, 1948, p.885). 2. Personne crédule qui se laisse facilement duper au jeu ou en amour. Synon. dupe, gogo.La scène était préparée entre eux, comme les joueurs préparent les cartes pour une partie où l'on ruinera quelque pigeon (Balzac,Contrat mariage, 1835, p.260).Ils forment avec lui le trio classique de malfaiteurs qui, lorsqu'ils ne «cassent» pas, attirent les «pigeons» au jeu et les plument à l'aide de faux dés (Carco,Nostalgie Paris, 1941, p.98): 7. Mettez vos faux cheveux, cocottes!
J'apporte à vos blanches quenottes
Toute une fortune à croquer!
Le pigeon vient! Plumez, plumez...
Prenez mes dollars, mes bank-notes...
Meilhac, Halévy,Vie paris., 1867, I, 12, p.18. − Loc. verb. Prendre (qqn) pour un pigeon. Prendre quelqu'un pour un naïf facile à duper, une victime à plumer (d'apr. Sandry-Carr. 1963). REM. Pigeonne, subst. fém.a) Femelle du pigeon. Les couvées réussirent à merveille; mais les pigeons mâles ne tardèrent pas à se montrer jaloux des petits; ils poursuivaient les pigeonnes et tâchaient de les empêcher d'approcher des nids (Gide,Journal, 1914, p.443).Les pigeons ne sont pas des canards! Il vaut mieux rester à la maison comme le pigeon auprès de sa pigeonne (Claudel,Chr. Colomb, 1929, 1repart., p.1152).En appos. La mère pigeonne aime également tous ses petits; mais Darwin prélève les pigeons pattus, et fait les mariages (Alain,Propos, 1933, p.1152).P. compar. Car ça le gênait d'abord (...) l'exaspérait enfin d'avoir une telle créature, (...) à son côté, (...) après ce qui était arrivé, presque en pareille compagnie et parmi tout cet ensorcellement de pigeonne, ce roucoulemement qu'elle avait (Verlaine,OEuvres posth., t.1, Hist. comme ça, 1896, p.332).L'enfant rit, gonfla sa gorge de pigeonne où la croix d'or disparut (La Varende,Nez-de-Cuir, 1936, p.47).P. métaph. [P. allus. à l'image du couple de pigeons amoureux] En ce moment, nous tenons Borie et sa jeune femme, un gros tourtereau avec sa pigeonne fluette et sérieuse (Sand,Corresp., t.4, 1861, p.298).La Sauveterre: −Laisse-moi tendre mes filets et, quand la pigeonne sera prise, tu l'accommoderas, espèce d'ogre, à ta fantaisie (L. Daudet,Entremett., 1921, p.140).b) Région. (Canada).
α) ,,Femme jalouse`` (Dionne 1909).
β) Mauvais sort. Donner des pigeonnes = jeter un sort, jeter un mauvais sort (Canada1930).Il m'a jeté une pigeonne (Bél.1974).
γ) Au plur. Artifices, tours de passe-passe. Tu ne me prendras pas avec tes pigeonnes (Bél.1974). Prononc. et Orth.: [piʒ
ɔ
̃]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. 1. a) Déb. xiiies. pijon «petit d'un oiseau» (Maurice de Sully, Homélies, éd. C. A. Robson, 54, p.177, ligne 14: e deux tortereles e deus pijons de colons); ca 1330 pigeons (Nicole bozon, Contes moralisés, 69 ds T.-L.), en a. et m. fr.; b) fin xiiies. pijon «oiseau de la famille des Colombidés» (Les Crieries de Paris, 23 ds Fabliaux, éd. Barbazan et Méon, II, 278); 1530 pigeons (Palsgr., p.911); en partic. 1838 pigeon voyageur (Barb. d'Aurev., Memor. 2, p.268); c) 1810 pigeon vole refrain de chanson (Duval et Auguste, Monsieur Mouton, p.8 [Barba] ds Quem. DDL t.21); 1828 terme de jeux jouer à Pigeon-vole (J. B. Sauvage, Proverbes dramatiques, vii [Ponthieu], ibid.); d) 1835 pigeons de mer (Lamart., Voy. Orient, t.1, p.54); 2. a) av. 1488 pigon «homme naïf, facile à duper» (Rec. Trepperel, éd. E. Droz, Sotties, IX, 60); b) 1736 mon pigeon terme affectueux (Marivaux, Télémaque trav., 184); 3. p.compar. a) 1690 coeur de pigeon «sorte de cerise» (La Quintinie, Instruction pour les jardins fruitiers et potagers); b) 1690 gorge de pigeon «couleur changeante» (Fur.); c) 1798 aile de pigeon (Ac.); 4. a) 1694 «poignée de plâtre gâché que l'ouvrier lève à la main ou à la truelle et qu'il dépose sans le plaquer ou le lancer» (Corneille (Th.)); b) 1769 «chacune des demi-mailles par lesquelles on commence un filet de pêche» (Duhamel du Monceau, Traité génér. des pêches); c) 1841 «morceau de pierre dans la chaux» (Ann. chim., 3esérie, II, 431); d) 1842 «petit morceau de bois ou de métal qu'on place dans l'onglet d'un cadre pour le renforcer» (Ac. Compl.). Du b. lat. pīpiōnem, acc. de pīpīo «pigeonneau», ives. (lui-même dér. des verbes pīpĭare «pousser des vagissements», pīpīre «piauler» d'orig. onomat.) par l'intermédiaire d'une forme dissimilée *pīvio (cf. aussi les formes du nord de l'Italie, p. ex. le piémontais pivun v. FEW t.8, p.558a); pigeon, qui signifiait à l'orig. «petit d'un oiseau» (supra) en partic. «pigeonneau» encore att. en ce sens fin xiiie(v. T.-L.), a refoulé l'anc. mot coulomb* «colombe, pigeon» parce qu'on préférait au marché les pigeonneaux aux pigeons; coulomb réputé ,,vieux`` dep. Trév. 1704 n'est usité auj. que dans les parlers excentriques du Nord-Est, de l'Est, du Sud-Est et en cat. (v. FEW t.2, 2, p.930b). Fréq. abs. littér.: 909. Fréq. rel. littér.: xixes.: a) 762, b) 1873; xxes.: a) 1498, b) 1310. Bbg. Quem. DDL t.21. _Sain. Arg. 1972 [1907] p.109. _Salvioni (C.). Opiniâtre, pigeon. Z. fr. Spr. Lit. 1909, t.35, pp.147-148. |