| PIÈGE, subst. masc. A. − Dispositif destiné à prendre, morts ou vifs, les animaux terrestres et les oiseaux, ou à les attirer en vue de la capture. Les jours de passages, en septembre, se voyaient (...) de pauvres petits oiseaux voletant au-dessus du piège où leurs pattes étaient prises (Goncourt,Journal, 1892, p.311).Des histoires de chasse, des histoires d'ours pris au piège, qui se démenaient et grondaient si férocement à la vue du trappeur, que celui-ci tremblait et perdait le courage (Hémon,M. Chapdelaine, 1916, p.176): 1. Il arrive, suit la saignée, et absorbé par les vers, marche dans le piège et s'y prend. Il tire furieusement. Les ramilles mordent de plus en plus dans le sol, il est cloué sur place : on le capture... Prendre un renard (...) demande une longue patience.
Pesquidoux,Chez nous, 1923, p.140. SYNT. Piège d'attraction, de capture; piège à glu; mâchoires, ressorts d'un piège; piège à loups, à panthères, à rats; dresser, tendre un piège. ♦ P. anal. Je m'approche de la fenêtre, j'avise une mouche sous le rideau, je la coince dans un piège de mousseline et dirige vers elle un index meurtrier (Sartre,Mots, 1964, p.206). ♦ P. métaph. [En parlant d'un inanimé] Geneviève songeait aux bibelots de son salon comme à des pièges pour le soleil. Tout ce qui retient la lumière lui plaisait (Saint-Exup.,Courr. Sud, 1928, p.27).Un navire pris au piège des glaces de l'hivernage (Gracq,Beau tén., 1945, p.172). − P. ext. Ruse à laquelle on recourt pour capturer une ou plusieurs personnes. Synon. chausse-trappe, souricière.Piège de guerre; piège tendu par la police; donner tête baissée dans un piège; éviter un piège; se tirer d'un piège. Le groupe des révolutionnaires (...) s'était arrêté pour parlementer... Encore trois, deux minutes peut-être, et ils allaient être entourés... Cernés, pris au piège (G. Leroux,Roul. tsar, 1912, p.146).Ils s'étaient fait pingler [épingler] ensemble sur un portefeuille!... C'était un piège pur et simple!... Et sur le rebord d'une croisée! (Céline,Mort à crédit, 1936, p.608): 2. Obscurément, au fond des plus bornés, montait la colère de l'irréparable faute commise, cette attente imbécile, ce piège dans lequel on était tombé: les éclaireurs de la IVearmée amusant la brigade Bordas, arrêtant, immobilisant un à un tous les corps de l'armée de Châlons, pour permettre au prince royal de Prusse d'accourir avec la IIIearmée.
Zola,Débâcle, 1892, p.125. − P. métaph. Mais à Oran, (...) tout demande la bonne santé. Un malade s'y trouve bien seul. Qu'on pense alors à celui qui va mourir, pris au piège derrière des centaines de murs crépitant de chaleur (Camus,Peste, 1947, p.1219). B. − Au fig. 1. Artifice dont on se sert pour tromper quelqu'un et parvenir à ses fins, pour mettre quelqu'un dans une situation sans issue. Synon. guet-apens, traquenard.Dresser, tendre un piège à qqn; attirer qqn dans un piège; donner, tomber dans un piège, dans le piège du mariage. «Mais, bien entendu», répondit-elle, flairant aussitôt un piège de la police. «Toutes nos dames sont libres, nous ne les retenons jamais» (Martin du G.,Thib., Belle sais., 1923, p.1017).Vous me cherchez querelle, ma fille... Je ne vous donnerai pas le contentement de me voir tomber dans le piège; le piège est grossier, permettez-moi de vous le dire (Bernanos,Joie, 1929, p.609): 3. ... je la demandai en mariage; on me l'accorda. Et je me trouvai pris dans ce piège. −Épouser, ayant un enfant, cette jeune fille que j'adorais −ou bien dire la vérité et renoncer à elle, au bonheur, à l'avenir...
Maupass.,Contes et nouv., t.2, Confess., 1884, p.460. ♦ P. métaph. C'était la femme que les magasins se disputaient par la concurrence, la femme qu'ils prenaient au continuel piège de leurs occasions (Zola,Bonh. dames, 1883, p.461).Deux poésies donc (...). La poésie inspiration, et la poésie fabrication. Un même nom désigne par malheur ces deux objets que rien ne rapproche, que tout sépare. C'est là un de ces pièges que tend le dictionnaire aux âmes simples (Bremond,Poés. pure, 1926, p.73). − Expressions a) Être pris, se laisser prendre à son propre piège. Ayant voulu, à l'origine (...) surmonter en lui l'idée de mérite, il y a trop bien réussi, a été pris à son propre piège (Du Bos,Journal, 1927, p.282).C'est curieux comme les écrivains ont besoin de se fourrer dans une trappe où ils ne sont pas à l'aise comme pour mieux se contraindre d'écrire et comme pris à leur propre piège, ce qui prouve que l'écriture n'est pas un don naturel mais une longue discipline qui s'acquiert (Cendrars,Bourlinguer, 1948, p.318). b) Piège à − Piège à + subst. désignant un ensemble de pers.A peu près seul à ce salon, Salvador Dali ose avoir de l'ambition; il ose même se tromper (...). Loin de voir dans des tentatives de ce genre un piège à snobs (...) je préfère y voir une des manifestations les plus aventureuses d'un esprit ennemi de la peinture pour la peinture (Lhote,Peint. d'abord, 1942, p.113). ♦ Vulg. et pop. Piège à cons. Attrape-nigaud. J'en ai marre. C'est un casse-tête, un attrape-nigaud, un piège à cons (Vailland,Drôle de jeu, 1945, p.93). − Piège à + subst. désignant une chose.Cette sincérité prolixe qui fait semblant de tout découvrir devant vous et qui finit par être un piège à confidences (Abellio,Pacifiques, 1946, p.69). c) Spéc. Dispositif destiné à recueillir ou à collecter quelque chose. − ÉLECTRON. Piège à ions. Dispositif magnétique destiné à empêcher les ions négatifs formés dans le voisinage de la cathode d'aller heurter l'écran. Pièges à ions des tubes cathodiques (Électron.1963-64). − TECHNOL. Piège à bulles. Dispositif destiné à éliminer les bulles gazeuses d'un liquide; réservoir dans lequel les bulles peuvent monter en surface et crever. Piège à bulles d'un coeur-poumon artificiel (Rob. Suppl.1970). 2. Souvent au plur. Danger caché, difficultés insidieuses, auxquels on est exposé par ignorance ou par imprudence. Synon. écueil, complications.Les pièges de l'orgueil, des événements, de la vie; les pièges d'une traduction, du langage. Combien l'abbé Bredel avait raison de nous mettre en garde contre les pièges de l'égoïsme qui sait prendre parfois, nous disait-il, le masque du dévouement et de l'amour (Gide,École femmes, 1929, p.1256).Veiller à ne pas se laisser prendre au piège des mots (Green,Journal, 1936, p.67).Eh, parlez donc des astuces de la pensée, de ses pièges, de ses chausse-trappes, et laissons les mots (Paulhan,Fleurs Tarbes, 1941, p.214). − En partic. Question(-)piège. V. question1.«Les romanciers écrivent souvent mieux qu'ils ne parlent! Nous demanderons à des lecteurs pas du tout professionnels de dire s'ils ont aimé leur livre... L'auteur aura le droit de répondre et Jean d'Ormesson le droit à une question-piège...», précise Jacques Paugam. La première émission aura lieu le 26 septembre (Elle, 25 sept. 1978, p.97, col. 3). C. − P. anal., ART MILIT. Dispositif destiné à détruire les engins de combat ou à blesser, tuer un adversaire. Les champs dynamités, infestés de mines et de pièges (Jankél.,Je-ne-sais-quoi, 1957, p.192): 4. Je savais ce qu'était Slop pour Conan, des maisons crevées où ses gars avaient tout pillé, des arbres hachés où il attachait ses pièges à sheddite, un village à embuscade, un terrain de combat à mort, lors des rencontres de patrouilles...
Vercel,Cap. Conan, 1934, p.210. Prononc. et Orth.: [pjε:ʒ]. Ac. 1694 et 1718: piege; 1740-1835: piége; dep. 1878: piège. Sur [e] > [ε] dans la finale -ége, v. abréger et G. Straka ds Trav. Ling. Litt. Strasbourg t.19 no1 1981, p.204. Étymol. et Hist. 1. 1160-74 (Wace, Rou, éd. A. J. Holden, II, 611); 2. 1579 «ruse, artifice pour tromper quelqu'un» (Larivey, La Vefve, éd. Viollet-le-Duc, V, 182); 1653 tomber dans le piége (Vaugelas, Quinte-Curce, X, 8 ds Littré); 1677 donner dans le piége (Quinault, Isis, III, 4, ibid.). Du lat. pedica dér. de pes, pedis, «lien aux pieds», «lacets, lacs, piège» et au fig. «liens, fers, chaînes, pièges». Fréq. abs. littér.: 1456. Fréq. rel. littér.: xixes.: a) 1938, b) 1682; xxes.: a) 1569, b) 2692. Bbg. Berghammer. Un Bonnet tricolore au dict. F-E-D... Leb. Spr. 1979, t.24, no1, p.38. _ Chautard Vie étrange Argot 1931, p.249. _ Quem. DDL t.23. |