| PERSPECTIVE, subst. fém. A. − 1. Phénomène affectant la vision de loin des objets ou des différentes apparences (ou représentations) des objets suivant les changements de position de l'oeil qui les regarde. La notion de perspective a été assez rapidement acquise par les hommes dès qu'ils ont analysé les apparences variables de la vision d'un même objet (E. Borel,Paradoxes de l'infini, 1946, p.45). 2. GÉOM. ARCHITECTURALE, DESSIN a) Projection d'un objet sur un plan telle que sa représentation sur ce plan coïncide avec la perception visuelle qu'en aurait un observateur en un point donné: 1. ... il ne faut pas dire seulement que j'ai réduit la perspective perçue à la perspective géométrique, que j'ai changé les proportions du spectacle, que j'ai rapetissé l'objet s'il est éloigné, que je l'ai grossi s'il est proche...
Merleau-Ponty,Phénoménol. perception, 1945, p.301.
α) Perspective linéaire. ,,Ces trois perspectives naturelle, parallèle et curviligne sont toutes linéaires`` (Bég.Dessin1978). − Perspective naturelle, centrale, conique. ,,On appelle encore cette perspective réelle ou d'aspect ou d'observation bien que ce dernier terme spécifie plus particulièrement une perspective réalisée d'après nature, par opposition à perspective d'imagination ou rationnelle exécutée sans modèle`` (Bég. Dessin 1978). − Perspective parallèle, cylindrique. Perspective conventionnelle qui ne cherche pas à reproduire exactement l'objet tel qu'il est, à partir d'un point fixe, mais en donne une projection simplifiée, aisée et rapide à tracer (d'apr. Bég. Dessin 1978). ♦ Perspective cavalière. V. cavalier2.Perspective isométrique*. − Perspective curviligne. Perspective qui ,,agrandit artificiellement mais considérablement le champ oculaire de l'observateur et la représentation, dont la plupart des droites s'incurvent`` (Bég. Dessin 1978).
β) Perspective aérienne. Perspective ,,qui situe dans l'espace les différents plans de la représentation, à l'aide de valeurs, de couleurs, de nuances`` (Bég. Dessin 1978). Quelquefois, on croit voir des édifices gothiques, des colonnades placées d'après les principes d'une perspective aérienne (Crèvecoeur,Voyage, t.2, 1801, p.160).
γ) Perspective de sentiment, sentimentale. Perspective des objets qui ne présentent ni ligne droite, ni courbe définie. La perspective de sentiments ne découle pas d'un raisonnement constructif; c'est elle qui permet de dessiner ce qui ne peut s'intégrer dans l'appareil perspectif qu'au prix de difficiles artifices (Bég.Dessin1978).
δ) Perspective spéculative. ,,Optique des différentes apparences des objets suivant les positions de l'oeil qui les regarde`` (Jossier 1881).
ε) Loc. adv. ou adj. En perspective. Selon les règles de la perspective. Mettre un cube en perspective. V. fuyant II A 2 a ex. de Ch. Blanc.En perspective + adj. Selon les règles d'une perspective donnée. Ils pourrissaient à l'alignement, les défenseurs d'Orsenna. (...) j'avais là sous les yeux en perspective cavalière trois siècles des fondements de la patrie (Gracq,Syrtes, 1951, p.70). b) P. méton. Partie de la géométrie, du dessin qui consiste à représenter un objet sur un plan placé entre l'objet et l'oeil de l'observateur. Traité de perspective. Il enseigne, il apprend la perspective. Un cours de perspective (Ac.1935).L'objet apparaît alors en profondeur: il doit être représenté selon les lois de la perspective: ce sera la vue perspective (P. Lavedan,Urban., 1926, p.107).V. fuite A 3 b ex. de Huyghe. 3. PEINT., ARCHIT. Tableau de peinture en trompe-l'oeil disposé au fond d'un couloir, portique disposé au fond d'une galerie ou d'une allée de jardin pour masquer le mur et donner une impression de profondeur. La décoration est complétée par une belle perspective (Ac.1935). 4. Aspect (surtout du point de vue esthétique) qu'offre à l'oeil un objet plus ou moins éloigné. [Le lac Majeur] a des montagnes raides, mais, en outre, des coteaux adoucis, des draperies de forêts, des perspectives de plaines (Taine,Voy. Ital., t.2, 1866, p.430).En arrivant sur cette petite place sinistre avec, au fond, la perspective de ce parc dépouillé bruissant sous la rafale, (...) je ne pus me défendre d'un sentiment de malaise (Lorrain,Sens. et souv., 1895, p.98). − En partic. ♦ Grande voie ou avenue en ligne droite, considérée dans sa profondeur. Les profondes perspectives du boulevard Sébastopol et du boulevard du Palais (Zola,L'OEuvre, 1886, p.110). ♦ Paysage, site architectural ou urbain considéré dans l'aspect qu'il offre vu de loin ou sous un certain angle. Je regrettai d'être arrivé trop tard pour jouir d'une belle perspective du Danube (Chateaubr.,Mém., t.4, 1848, p.188).Cette esplanade, ouverte de partout sous le ciel, bornée seulement au sud par la perspective lointaine des Invalides, les enchantait (Zola,L'OEuvre, 1886, p.76). − Loc. adv. En perspective. Avec un certain recul mais dans la limite du regard d'un observateur. Je viens d'arriver à Bayonne, et j'ai déjà vu toute la chaîne des Pyrénées, en perspective il est vrai, et à moitié couverte par le brouillard (Flaub.,Corresp., 1840, p.3). B. − Au fig. 1. Manière particulière d'envisager les choses ou d'en interpréter le déroulement; aspect sous lequel les choses se présentent. Synon. angle, optique, point de vue*.Aucune existence dans la perspective biblique n'est monadique (Philos., Relig., 1957, p.40-1): 2. C'est ce journal-là, ou un autre, peu importe, que je lirai là-bas. En tout cas, une édition de Paris. Ce sont des nouvelles arrangées de cette façon-là, dosées comme ça, qui m'arriveront. La perspective du monde qui sera, chaque matin, que je le veuille ou non, la mienne.
Romains,Hommes bonne vol., 1932, p.157. − Loc. adv. En perspective. Avec du recul. Il nous faut voir la vie en perspective. Mais il n'est point de perspective ni d'espace, le jour où l'on enterre (Saint-Exup.,Pilote guerre, 1942, p.276). 2. a) Événement ou succession d'événements que l'on considère comme probable ou possible. Synon. conjecture, éventualité.Nous vendrons nos petites-filles à la vanité de quelques manants enrichis. Cette perspective n'a rien d'alarmant (Sandeau,Mllede La Seiglière, 1848, p.118).Se lever le matin constituait pour lui un effort disproportionné à l'intérêt de la chose, il n'y avait aucune attraction, aucun sujet d'excitation dans la morne perspective de la journée (Triolet,Prem. accroc, 1945, p.113).Demander au gouvernement de définir une politique de l'énergie replaçant le problème dans une perspective économique d'ensemble (Reynaud,Syndic. en Fr., 1963, p.153). − En partic. Domaine qui s'ouvre à la pensée ou à l'activité. Perspective nouvelle; perspective de développement, d'évolution, d'expansion; avoir une perspective d'avancement, de promotion; avoir des perspectives d'avenir. L'évêque, fort ébranlé, ne devait pas résister aux perspectives éblouissantes que j'allais dérouler devant lui, et aux pompes du culte promises à son diocèse (Reybaud,J. Paturot, 1842, p.322).Nous ne voulons pas dire que les travaux américains soient dénués d'intérêt; nous avons au contraire tenté de dégager leurs perspectives originales et singulièrement fécondes (Hist. sc., 1957, p.1537). − DÉMOGR. Perspective de population, perspective démographique. ,,Approche par le calcul des probabilités d'évolution numérique d'une population`` (George 1970). b) Espérance d'un événément agréable, crainte d'un événement désagréable. Synon. expectative, idée.Un Allemand qui se fixerait en France serait bientôt français, par la puissance de la langue, des moeurs, des lieux. Mais la perspective d'une guerre l'arrête et le trouble (Alain,Propos, 1921, p.276).Bien plus que la perspective de la fête, c'était la pensée de ce voyage (...) qui m'avait décidé (Gracq,Syrtes, 1951, p.88). − La perspective de + inf.Il est de retour à Paris depuis trois ans, et c'est la nécessité d'essuyer une injustice et la perspective d'y être pendu, qui l'y a ramené (Guéhenno,Jean-Jacques, 1948, p.258). − À la perspective de + inf.À l'idée de. La veille, à la perspective de rencontrer le mari, il eût reculé d'effroi: en ce moment, il ne tremblait plus que d'une crainte, ne pas le joindre! (Estaunié,Ascension M. Baslèvre, 1919, p.223). c) Loc. adj. En perspective. Possible ou probable; à prévoir; en espérance, dans l'avenir. Encore des embêtements en perspective (Aragon,Beaux quart., 1936, p.367). Prononc. et Orth.: [pε
ʀspεkti:v]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. I. 1. Fin xiiies. «théories sur la réfraction» (Mahieu Le Vilain, Les Méthéores d'Aristote, éd. R. Edgren, p.128, ligne 14: Car nous savons par perspective que la cause pour quoy telles clartés sont apparans...), en m. fr. seulement; 2. 1547 «art de représenter les objets selon les différences que l'éloignement et la position y apportent» (J. Martin, Architecture ... de Vitruve, 1erlivre, chap.4, fo6 ro); 1560 (J. Cousin, Livre de Perspective [Paris chez J. Le Royer] ds Bég. Dessin 1978); a) 1651 perspective aérée (R. Fr[ear] de Chambray, trad. du Traité de peint. de L. de Vinci, p.165 ds Brunot t.6, p.695); 1669 perspective aérienne (Seb. Bourd[on], Conf. ds Jouin, Conférences de l'Acad. royale de peinture..., Paris, 1883, p.135, ibid., p.735, note 7); b) 1691 perspective cavalière (Ozanam, p.472, ligne 45); c) 1842 perspective sentimentale (Ac. Compl.); 3. 1551 «tableau, tissu, portique... en trompe-l'oeil» une perspective peinte (Entrée solennelle de Henri II et de Catherine de Médicis à Rouen ds Havard t.4); 4. ca 1584 «ensemble considéré quant à l'aspect esthétique qu'il offre sous un certain angle» (Brantôme, Des Dames, 2epart. ds OEuvres compl., éd. L. Lalanne, t.9, p.49); 5. 1635 «aspect que divers objets vus de loin ont, par rapport au lieu d'où on les regarde» (Monet); en partic. 1787 «voie considérée dans la dimension de sa profondeur» les perspectives de Saint Petersbourg (Abel Burja ds Brunot, loc. cit., 1240). II. 1. 1676 «manière dont on projette dans l'avenir le développement d'une situation actuelle» (Mmede Sévigné, Lettres, éd. R. Duchêne, t.II, p.379); 2. a) 1688 «attente d'un proche événement» avoir en perspective qqc. «avoir en vue» (Id., ibid., t.III, p.382); b) 1689 «l'avenir prévisible» une perspective agréable (Id., ibid., p.531); 3. a) 1797 «manière propre à un individu, une idéologie, une discipline de concevoir ou d'interpréter le déroulement des événements» (Chateaubr., Essai Révol., t.2, p.65: l'histoire n'offre-t-elle pas sous une perspective nouvelle); b) 1836 «manière dont on se représente un événement ou une série d'événements dans leur déroulement» (Quinet, All. et Ital., p.106). Empr. au lat. médiév. perspectiva fém. subst. de perspectivus (v. perspectif) désignant la perspective en géom. et l'optique chez St Thomas (cf. Blaise Latin. Med. Aev.); l'empl. de perspective comme terme de peint. a été suggéré par l'ital. prospettiva (FEW, t.8, p.275b). Fréq. abs. littér.: 2161. Fréq. rel. littér.: xixes.: a) 2162, b) 2357; xxes.: a) 2000, b) 4879. Bbg. Quem. DDL t.23. _ Sculpt. 1978, p.680, 686. |