| PAYSAN, -ANNE, subst. et adj. I. − Empl. subst. Personne de la campagne qui vit de la culture du sol et de l'élevage des animaux (v. laboureur B). Synon. agriculteur, cultivateur, fermier.M. de Balzac a fait, dans les premiers chapitres de ses Paysans, une peinture des paysans comme les a faits la révolution (Goncourt, Journal, 1856, p.247).De nombreux fils de paysans délaissent la charrue pour venir s'embaucher à l'usine (Menon, Lecotté, Vill. Fr., 1, 1954, p.35).V. agriculture ex 3: 1. L'homme d'affaires de la marquise invita pour les premières places les paysannes propriétaires, mères de jeunes écoliers, tandis que les paysannes simples fermières ne furent invitées qu'aux secondes.
Stendhal, Lamiel, 1842, p.37. ♦ Paysan(-)ouvrier, ouvrier(-)paysan. Ouvrier qui consacre son temps libre à l'exploitation d'une petite ferme. L'homme travaille à l'usine −la ville n'est jamais très éloignée −et rentre à la ferme, le soir, sur sa petite Honda. C'est un paysan-ouvrier qui donne un coup de main aux champs au moment des gros travaux (L'Express, 28 juill. 1979, p.77, col. 3). ♦ Écrivain(-)paysan, paysan(-)écrivain. Paysan qui écrit des oeuvres littéraires. Le cachet d'authenticité, seul le labeur quotidiennement vécu peut le donner à l'oeuvre de l'écrivain paysan. Guillaumin demeurera un maître écrivain paysan, parce que paysan il a su rester (L. Gachon, L'Écrivain et le paysands Cahiers bourbonnais, Moulin, 1970, p.39). A. − [L'accent est mis sur la catégorie sociale représentée] Quand l'heure fut venue où les bourgeois et les paysans purent abattre le système féodal, c'est dans le sens d'une simplification de la propriété que s'exerça la révolution (...). Le bourgeois, le paysan devinrent plus nettement, plus absolument propriétaires qu'ils ne l'étaient sous le régime féodal (Jaurès, Ét. soc., 1901, p.156): 2. Mais le paysan n'est pas un héros de roman. On peut écrire sur lui un livre, et non un roman (...). Romancer le paysan, c'est presque faire une insulte à sa misère. Le paysan n'a pas d'histoire, du moins pas d'histoires romanesques.
Renard, Journal, 1906, p.1072. ♦ HIST. Guerre, révolte des paysans. Soulèvement des paysans miséreux de la Souabe, la Thuringe, la Franconie contre les nobles, durant la réforme religieuse (1524-1525). En Allemagne, la grande révolte des paysans de Souabe, puis le soulèvement des anabaptistes de Munster, qui professaient le communisme, avaient coïncidé avec la prédication protestante (Bainville, Hist.Fr., t.1, 1924, p.160). B. − [L'accent est mis sur l'oppos. avec les citadins] Synon. campagnard.Plus de cinq cents personnes: des gens de la ville et des paysans, des hommes et des femmes, serrés les uns contre les autres (Erckm.-Chatr., Conscrit 1813, 1864, p.31).L'urbain n'est souvent urbain que depuis une ou deux générations (...). Le paysan a reçu son milieu avec son hérédité des générations les plus lointaines (Mounier, Traité caract., 1946, p.83). SYNT. Paysan armé, parvenu, pauvre, propriétaire, traditionnel; paysan de son pays, en blouse; gros, jeune, pauvre, petit, simple, vieux paysan; jolie, vieille paysanne; air, fils, foi, habit, loisir, maison, masse, tas, vie de paysan(s); artisans et paysans; ouvriers et paysans; bourgeois et paysans; nous autres paysans. − Péj. [P. réf. à l'allure, au comportement, au langage du paysan] Personne qui ne connaît pas les usages de la vie citadine. Synon. bouseux, cambrousard, cul-terreux, péquenot, plouc.Emma trépignait en répétant: −Ah! quel savoir-vivre! Quelle paysanne! Il courut à sa mère; elle était hors des gonds (Flaub., MmeBovary, t.2, 1857, p.31).Paysans! −Oui, c'est bien ça, je suis un paysan, tandis que vous êtes un monsieur, vous!... (Zola, Débâcle, 1892, p.34): 3. «Paysan»! Il se rappelle qu'à la caserne, c'était une injure dans la bouche des loustics de la ville. Sans doute n'a-t-il pas lu dans le dictionnaire de l'Académie de 1835, à l'article paysan, cet exemple (...): «C'est un paysan, c'est un homme rustre, impoli, grossier dans ses manières»...
Mauriac, Journal occup., 1944, p.322. C. − [P. allus. littér. à la fable de La Fontaine Le Paysan du Danube] Paysan du Danube. Homme de bon sens à l'allure rustaude, qui étonne par une franchise brutale. Depuis M. G. Planche, un paysan du Danube dont l'éloquence impérative et savante s'est tue (...) la critique des journaux (...) jamais indépendante, a, par ses mensonges et ses camaraderies effrontées, dégoûté le bourgeois de ces utiles guide-ânes (Baudel., Salon, 1845, p.4).Il n'était pas seulement ce paysan du Danube qui heurtait de front les puissances établies (Guéhenno, Jean-Jacques, 1948, p.290). Rem. À la différence de cultivateur, éleveur, agriculteur qui désignent une profession, paysan désigne une condition avec des connotations souvent dépréciatives. II. − Empl. adj. A. − [En parlant d'une pers.] 1. Qui appartient à la catégorie sociale des paysans. Je n'hésite pas à adresser la parole aux électeurs paysans (Stendhal, L. Leuwen, t.3, 1835, p.79).Les propriétaires se différencient d'autre part par leur situation professionnelle et sociale et par leur résidence: propriétaires paysans et propriétaires non paysans (Traité sociol., 1967, p.259). 2. Qui est composé de paysans. Synon. rural.Milieu, monde paysan; parti ouvrier et paysan. Les Baillehache de père en fils s'étaient succédé à Cloyes (...) prenant de leur clientèle paysanne la pesanteur réfléchie, la circonspection sournoise qui noient de longs silences et de paroles inutiles le moindre débat (Zola, Terre, 1887, p.26).À l'arrière de l'armée, dans les campagnes, les communistes commencent à organiser les unions paysannes (Malraux, Cond. hum., 1933, p.260): 4. ... j'essaierai de représenter ce qu'était alors tout cet admirable monde ouvrier et paysan, disons-le d'un mot, tout cet admirable peuple. C'était rigoureusement l'ancienne France et le peuple de l'ancienne France.
Péguy, Argent, 1913, p.1100. B. − [En parlant d'un inanimé] 1. [En parlant d'un inanimé concr.] Qui appartient au(x) paysan(s). Soupe paysanne, soupe faite de légumes divers (Ac.1935).On sentait, là dedans, le lait, la pomme, la fumée, et cette odeur innommable des vieilles maisons paysannes, odeur du sol, des murs, des meubles, odeur des vieilles soupes répandues, des vieux lavages et des vieux habitants, odeurs des bêtes et des gens mêlés (Maupass., Contes et nouv., t.2, Fermier, 1886, p.654). − [En parlant d'un meuble] Rustique. Un bureau vaste, pauvrement meublé de chaises paysannes et d'une table en bois blanc (Daniel-Rops, Mort, 1934, p.411).Les horloges gothiques avaient souvent des pierres taillées, que l'on retrouve dans les horloges paysannes jusqu'au XIXesiècle (Bassermann-Jordan, Montres, horl. et pend., 1964, p.198). − OENOL. Cru paysan. Classe mineure des crus de Bordeaux, de qualité inférieure au Cru Bourgeois et au Cru Artisan (d'apr. Lich. Vins 1984). 2. [En parlant d'un inanimé abstr.] Qui est propre aux paysans, correspond à leurs préoccupations, à leurs intérêts. Conscience paysanne, instinct, malaise paysan; manifestation, revendication paysanne. Il avait, en matière d'amour, ou d'amourette, une bonne grosse philosophie paysanne, une sagesse de matelot toujours pris, jamais enchaîné (Hugo, Travaill. mer, 1866, p.85).Toutes ces diatribes des auteurs laïques contre la grossièreté et le vice paysans (Faral, Vie temps st Louis, 1942, p.119): 5. «L'ordre éternel des champs» fut en général caractérisé par la polyculture-élevage tandis que l'individualisme paysan exprimait alors des nécessités techniques: l'exploitation intensive des terres ne pouvait être réalisée que dans le cadre d'une famille.
Belorgey, Gouvern. et admin. Fr., 1967, p.367. − Péj. [Corresp. à supra I C] La trop grande jeunesse et «l'air paysan» du «tourlourou» (Hugo, Misér., t.2, 1862, p.176).Il s'était noué sa serviette autour du cou, et mangeait avec son couteau. Kohn-Hamilton était horriblement choqué par sa voracité et ses manières paysannes (Rolland, J.-Chr., Foire, 1908, p.657). 3. Loc. adv. À la paysanne. À la manière des paysans. Elle s'arrêta timidement et lui fit une révérence à la paysanne (Mérimée, Colomba, 1840, p.74).Vous vous brodez un joli bonnet à la paysanne (...) vous mettez une jolie robe à la paysanne (Sue, Myst. Paris, t.1, 1842, p.200 et 202).Gaspard décrocha son fusil, et, à la paysanne, en veste de chasse et pantalon de la même grosse toile écrue que sa chemise, se mit en route (Pourrat, Gaspard, 1925, p.234). REM. 1. Paysannement, adv.,hapax. Synon. de à la paysanne.Il ne la trompait, d'ailleurs, que paysannement (...). Quelque chose est là, de très spécial, que seuls peuvent discerner les ruraux, les manants du sol (La Varende, Centaure de Dieu, 1938, p.15). 2. Paysanner, verbe,hapax. Vivre à la manière des paysans. Voici quinze nuits passées à paysanner, malgré mes douleurs (Balzac, Lettres Étr., t.2, 1844, p.439). Prononc. et Orth.: [peizɑ
̃], fém. [-an]. Ac. 1694: païsan, dep. 1718: paysan. Étymol. et Hist.I. Masc. A. 1. Ca 1140 païsant «celui qui habite la campagne et cultive la terre» (Geoffroi Gaimar, Estoire des Engleis, éd. A. Bell, 2419); 1160-74 (Wace, Rou, éd. A.J. Holden, II, 2679: La terre est plenteïve et li homme manant, La sont li bon villain et li bon païssant); ca 1245 empl. adj. qualifiant un subst. fém. (Philippe Mousket, Chron., 18204 ds T.-L.: De frankes femes päisans Ot li rois Henris ces enfans); 1306 uns homs gentis ou païsant (Guillaume Guiart, Royaux lignages, éd. N. de Wailly et L. Delisle, 10486); 1568 [éd. 1585] paisan (Garnier, Porcie, éd. R. Lebègue, 1044); 1573 id. (A. de Baif, Poèmes, III ds OEuvres, éd. Ch. Marty-Laveaux, t.2, p.129); 2. «nigaud, imbécile; rustre» a) 1remoitié xiiies. empl. adj. tenir por païsant (Durant, Des trois boçus menestrels, 242 ds Fabliaux, éd. A. de Montaiglon et G. Raynaud, t.1, p.21 [ms. Bibl. nat. fr. 837]; fin xiiies. gent rude et päysant (Chastelain de Couci, 33 ds T.-L.); b) 1269-78 subst. «personne rustre» (Jean de Meun, Rose, éd. F. Lecoy, 3653). B. 1155 «celui qui habite le pays, autochtone» (Wace, Brut, 2626 ds T.-L.), cf. av. 1188 nobles païsans (Partonopeus de Blois, éd. M. Gildea, 362) et ca 1280 (Jehan, Merveilles de Rigomer, 14572 ds T.-L.: Li päisant et li lontain). II. Fém. a) 1559 paisante subst. (Marguerite de Navarre, Heptaméron, XXIXenouvelle, éd. M. François, p.229); 1573 une simple païsante (A. de Baif, op.cit. ds OEuvres, t.2, p.230); b) 1580 [date éd.] paysande id. (Bèze, Hist. ecclés., III, 204 ds Gdf.); c)
α) 1666 adj. chanson paysanne (D'Espeisse, Oeuvres, t.2, p.227 ds Littré); 1671 a la païsane «more rustico» (Pomey); 1697 race paysanne (Dancourt, Vacances, scène 2 ds Rép.théâtre second ordre. Comédies en prose, t.3, Paris, 1821, p.67);
β) 1680 subst. païsanne (Rich.). L'a. fr. païsant est une altér. d'une forme ant. *païsenc, dér., à l'aide du suff. -enc (germ. -ing, v. -an), du b. lat. pagensis quand celui-ci prit le sens de «pays», v. ce dernier mot. La substitution de -ant est peut-être due à païsens (nomin.) - païsenc (acc.) devenu païsanz - païsant d'apr. le type fréquent -anz -ant (granz - grant), Pope, § 755, 815; Thomas (A.). Essais, pp.269-74. D'autre part, le -z final (notation du -s de flexion précédé d'une dentale) s'étant au cours du xiiies. réduit à -s, païsans a pu être considéré comme le cas suj. sing. et régime plur. à la fois de païsant ou de païsan, d'où l'apparition de cette dernière forme puis de son fém. paysanne succédant aux formes en -ante et -ande, dér. de païsant. Dans le domaine d'oc, le terme désignant le «paysan» est directement issu de pagensis: a. prov. pagés (1150 Rouergue ds Brunel t.1, no58). V. aussi A. Stefenelli, Geschichte des frz. Kernwortschatzes, 150 et 287. Fréq. abs. littér.: 6166. Fréq. rel. littér.: xixes.: a) 6837, b) 10383; xxes.: a) 12333, b) 7406. DÉR. 1. Paysannat, subst. masc.a) Écon. pol. Classe sociale des paysans. Le pentagone embrasse la majeure partie du paysannat, soit cinquante-sept pour cent de la population (Sartre, Mains sales, 1948, 4etabl., 4, p.151).L'abolition du servage n'a modifié que la structure sociale et juridique du paysannat russe, mais les transformations techniques et économiques furent beaucoup plus lentes et plus tardives (Lesourd, Gérard, Hist. écon., 1966, p.317).b) Condition des paysans. L'évolution séculaire du paysannat européen a longtemps pris appui sur une technologie du bois (Forêt fr., 1955, p.48).− [peizana], [pε-]. Martinet-Walter 1973 [pe-], [pε-] (11/6). − 1resattest. a) 1935 «l'ensemble des paysans, la classe paysanne» (Sachs-Villatte, Enzyklopädisches französisch-deutsches... Wörterbuch, Nachtrag ds Quem. DDL t.4), 1942 (Brunhes, Géogr. hum., p.157), b) 1935 «état de paysan» (Sachs-Villatte, loc. cit.), 1954 «condition paysanne» (R.T.F., 22 nov. ds Gilb. 1980); de paysan, suff. -at*. 2. Paysan(n)esque,(Paysanesque, Paysannesque) adj. vieilli.Qui caractérise le paysan. Tous ceux-là qui, aujourd'hui, [à notre arrivée à la caserne] se moquent de notre tournure paysanesque (...) ont été ridicules, sales, paysans comme nous (Vidal, Delmart, Caserne, 1833, p.25).Une jolie et gaie dose de malice paysannesque (Goncourt, Journal, 1883, p.290).− [peizanεsk], [pε-]. − 1resattest. 1578 vocables rustiques et paisanesques (La Boderie, De l'honn. Am., p.331 ds Gdf.), ex. isolé, 1849 vie paysannesque (Lamart., loc. cit.); de paysan, suff. -esque*. BBG. −D'Oria (D.). La Struct. pol. de la société fr. du xviies. dans les dict. de Richelet (1680)... In: Annali della Facoltă di Lingue e Letterature straniere. n. s. 3. Bari, 1972, pp.207-288. _Dub. Pol. 1962, p.370. _Dauzat Ling. fr. 1946, p.10. _Quem. DDL t.3 (s.v. paysannesque), t.4 (s.v. paysannat). _Vardar Soc. pol. 1973 [1970], p.284. |