| PATRON1, -ONNE, subst. A. − ANTIQ. ROMAINE 1. a) Chef d'une gens patricienne auquel des personnes libres mais de condition inférieure étaient rattachées par les liens de la clientèle. [Les cliens] devaient aider au rachat du patron captif, contribuer pour doter sa fille, etc. (...) Femme, fils, enfans, cliens, esclaves, tous dépendans du père de famille (...). À eux tous ils n'ont qu'un nom, celui de la gens, représentée par son chef (Michelet,Hist. romaine,t.1, 1831, p.99).V. client ex. 1. b) Maître d'un esclave affranchi. Son maître pouvait le faire sortir de la basse servitude et le traiter en homme libre. Mais le serviteur (...) continuait à reconnaître l'autorité du chef ou patron et ne cessait pas d'avoir des obligations envers lui (Michelet,Hist. romaine,t.1, 1831, p.99). 2. P. ext. Personnage influent chargé de représenter à Rome les citoyens d'une cité, d'une ville de province et de défendre leurs intérêts. Patron d'une colonie, d'un municipe. Un riche Romain (...) envahissait-il le champ d'un Samnite (...). Le malheureux dépouillé (...) n'avait d'autre espoir que dans l'appui du Romain, patron de sa cité (Mérimée,Essai guerre soc.,1841, p.12).Marcellus fut (...) le patron des Syracusains, au lendemain de la deuxième guerre punique et Cicéron celui des Siciliens au temps du Procès de Verrès (Pell.1972). B. − 1. RELIG. CATH. Saint, sainte attribué(e) comme protecteur (-trice) à une personne (qui en a reçu le nom au baptême), qu'un pays, une nation, une ville ou une communauté reconnaît pour protecteur (-trice) ou à qui est dédiée une église, une chapelle. Patron d'une confrérie, d'une paroisse; saint patron; fête du saint patron. Elle passa le reste de sa vie dans la pratique de toutes les vertus, rivalisant avec sa sainte patronne en charité et en austérité (Montalembert,Ste Élisabeth,1836, p.341).L'heureuse ambiguïté du mot patron caractérise assez cette double efficacité du culte intime, où chaque ange doit être également invoqué comme protecteur et comme modèle (Comte,Catéch. posit.,1852, p.207).On ne saurait avoir plus grand air et plus haute mine [que le saint Georges de Corrège], et il n'est pas surprenant que plusieurs ordres de chevalerie aient pris le saint guerrier pour patron (Gautier,Guide Louvre,1872, p.242). ♦ Interj. Par mon (saint) patron! par ma (sainte) patronne! Ah! par mon saint patron! de dix ans de bontés, Voilà quels souvenirs dans ton coeur sont restés! (Dumas père, Charles VII,1831, ii, 5, p.260).Par ma patronne! j'enrichirai si bien l'apprenti qu'il pourra festoyer son ancien maître sur une nappe peluchée (Banville,Gringoire,1866, 2, p.17). − P. anal. ou p.métaph. Le chien dont l'instinct, comme celui du pauvre, du bohémien et de l'histrion, est merveilleusement aiguillonné par la nécessité, cette si bonne mère, vraie patronne des intelligences (Baudel.,Poèmes prose,1867, p.223).N'est-il pas [Henri IV] devenu le patron des pères de famille (...)? (Maupass.,Sur l'eau,1888, p.334).Honoré (...) se contentait de faire observer, d'une voix sans éclat, que saint Joseph était le patron des cocus (Aymé,Jument,1933, p.219). 2. P. anal., vieilli. Personne influente qui favorise la carrière de quelqu'un par un appui matériel ou moral. Synon. protecteur, protectrice.Prendre un patron; servir de patron à qqn. [Le président Hénault] continua sa carrière fort avant dans le dix-huitième siècle (...), fut l'ami intime et le familier de tous les gens en place, le patron ou l'amphitryon des gens de lettres (Sainte-Beuve,Caus. lundi,t.11, 1854, p.215).Si j'avais besoin d'un patron littéraire, c'était bien plus comme conseil que comme appui (Sand,Hist. vie,t.4, 1855, p.120). C. − Personne qui en commande d'autres qui sont à son service, qu'elle fait travailler ou qu'elle emploie. 1. [Dans le domaine des relations domestiques] a) Maître, maîtresse de maison par rapport aux domestiques qu'il ou qu'elle emploie pour son service personnel. Synon. bourgeois(e) (pop., vieilli).Elle pouvait compatir aux souffrances de sa jeune maîtresse sans manquer à ses devoirs envers son vieux patron (Balzac,E. Grandet,1834, p.186).C'est à lui tout naturellement qu'elle s'adressa pour réclamer son dû. Plus de quinze jours qu'on lui devait, et ses huit jours (...). C'était régulier (...). Pendant qu'il discutait là-haut, on entendait la voix hystérique de la patronne (Aragon,Beaux quart.,1936, p.150): 1. [Il] appartenait à ce prolétariat moderne qui désire effacer dans le langage la trace du régime de la domesticité. Du reste, au bout d'un instant, il m'apprit que dans la «situation» où il allait «rentrer», il aurait une plus jolie «tunique» et un meilleur «traitement»; les mots «livrée» et «gages» lui paraissaient désuets et inconvenants. Et comme, par une contradiction absurde, le vocabulaire a, malgré tout, chez les «patrons», survécu à la conception de l'inégalité, je comprenais toujours mal ce que me disait le lift.
Proust,J. filles en fleurs,1918, p.800. ♦ Pop. surtout au fém. Conjoint. Synon. bourgeois(e).Même quand il n'y avait pas un sou à la maison, il lui fallait des oeufs, des côtelettes, des choses nourrissantes et légères. Depuis qu'il partageait la patronne avec le mari, il se considérait comme tout à fait de moitié dans le ménage (Zola,Assommoir,1877, p.647). b) Fermier, fermière par rapport au personnel agricole, aux journaliers qui sont à leur service. «Tu vas travailler à telle ferme. C'est une bonne place. La patronne couche». Souvent la patronne était une quadragénaire disgracieuse (Ambrière,Gdes vac.,1946, p.203). 2. a) [En parlant d'une pers. qui exécute des travaux, vend des services] Artisan, petit entrepreneur par rapport aux ouvriers qu'il emploie, aux apprentis qu'il forme. Synon. singe (pop.).Patron coiffeur, plombier, teinturier. Ce n'étaient pas les moins bons que ces vétérans qui venaient hiverner chez le patron de leur choix pour reprendre au beau temps ce «trimard» si radieux par les matins d'été... (Fillon,Serrurier,1942, p.36): 2. Aux deux côtés de la vaste table carrée, la patronne, les deux ouvrières et l'apprentie, debout, se penchaient toutes à leur besogne, les épaules arrondies, les bras promenés dans un va-et-vient continu. Chacune, à sa droite, avait son carreau, une brique plate, brûlée par les fers trop chauds.
Zola,op.cit.,p.510. ♦ Patronne (de maison close, de maison de rendez-vous). Synon. de sous-maîtresse.Il s'agit de Dréard et de sa mort. La patronne de la maison de rendez-vous aura bavardé. On recherche la jeune fille venue avec lui et repartie aussitôt? (Bourget,Actes suivent,1926, p.159).Imagine une femme de quarante à cinquante ans (...) maquillée comme une patronne de maison close et l'air avenant d'une marchande à la toilette (Duhamel,Maîtres,1937, p.242). b) [En parlant d'une pers. qui vend des produits] Personne qui dirige un commerce de petite ou moyenne importance, dont il est généralement propriétaire. Anton. garçon, serveur, vendeur.Patron boulanger; patron-cuisinier; patron d'un bar, d'un bistro, d'une auberge, d'un café, d'un restaurant; tournée du patron. «Vous avez là une petite demoiselle qui a l'air intelligent. Qu'est-ce que vous en ferez? Une femme de chambre? Il faut la mettre dans le commerce.» Grand succès dans la charcuterie. Ses patrons lui reconnaissaient une grande «amabilité à couper»: avec elle, point de déchet, point de morceau perdu (Goncourt,Journal,1862, p.1073).Le soir, il faut subir l'auberge de village hantée par les punaises; les hôtes sont rassemblés autour de la cheminée, tandis que la patronne affairée et une servante rubiconde et hilare préparent le dîner (P. Rousseau, Hist. transp.,1961, p.185): 3. ... si elles n'avaient pas été recueillies par le Christ, elles seraient devenues quoi, ces malheureuses? Mariées à des pochards et martelées de coups; ou bien servantes dans des auberges, violées par leurs patrons...
Huysmans,En route,t.1, 1895, p.98. 3. a) Propriétaire de tout ou partie des moyens de travail, de production ou d'échange d'une entreprise industrielle ou commerciale. Synon. employeur.Grand, gros, petit patron; patron social; patron d'une société, d'une usine; patron qui embauche, licencie du personnel; une femme patron; secrétaire, bras droit du patron. Quant aux ouvriers, ils peuvent se plaindre (...) vous n'avez rien fait pour eux que des phrases! le livret demeure aux mains du patron, et le salarié (même devant la justice) reste l'inférieur de son maître puisque sa parole n'est pas crue (Flaub.,Éduc. sent.,t.2, 1869, p.214).L'intérêt du patron, l'intérêt de l'ouvrier sont opposés (...). Le prix fait tout. Et le prix s'obtient en comprimant le salaire. On en vient à cette absurdité que le patron le plus féroce, celui qui «comprime» le plus sera le plus fort, le plus prospère, le plus solide, assurera au moins à ses ouvriers un salaire misérable, mais constant (Van der Meersch,Invas. 14,1935, p.469). b) [Dans une grande entreprise, une multinationale]
α) Chef d'entreprise; membre de la direction, président d'un groupe. Centre des jeunes patrons (C.J.P.), syndicat des patrons, patron des patrons. Un certain nombre de patrons (...) n'hésitent pas à «repenser» aujourd'hui (...) les rapports ouvriers-techniciens-cadres dans le travail (J.-M. Cances, Les Patrons plus anti-Taylor que les Ouvriers?ds Cahiers du communisme, 1981, no12, p.37).
β) Personne qui dirige un service, un organisme, qui commande à d'autres personnes. «Le patron s'est surpassé!» affirmait-il. Il conta que Jaurès, une demi-heure avant la réunion, avait appris, coup sur coup, la capitulation serbe, le refus de l'Autriche, puis la rupture diplomatique, et la mobilisation des deux armées. Il était monté à la tribune, bouleversé (Martin du G.,Thib.,Été 14, 1936, p.331).[Les miliciens] croyaient seulement être tombés dans une embuscade tendue par Ricarda et des communistes espagnols. Mais j'étais, pour partie, le patron de ceux-ci. Je fus interrogé toute la nuit (Abellio,Pacifiques,1946, p.400). 4. a) Professeur de médecine, chef d'un service hospitalier. À la table de midi nous nous retrouvions, c'était l'usage, réunis tous autour de Baryton, notre patron, aliéniste chevronné, barbe en pointe, cuisses brèves et charnues (Céline,Voyage,1932, p.510).L'interne de service, somnolent, et qui croyait qu'on venait l'appeler encore une fois pour un accident (...) resta complètement ahuri en voyant apparaître «le grand patron» en smoking, à près de cinq heures du matin. −Comment va le petit Corvol? demanda Lartois. −Dans le coma depuis neuf heures du soir, patron, répondit l'interne (Druon,Gdes fam.,t.2, 1948, p.82). − En partic. Personne qui dirige des travaux intellectuels, artistiques. Patron de thèse. En citant tous ces noms je m'aperçois (...) que toutes les sections n'ont pas des patrons en Sorbonne, et il est très intéressant de voir quelles sont les sections qui ont des patrons et quelles sont celles qui n'en ont pas (Péguy,Argent,1913, p.1187). b) MAR. Marin qui commande l'équipage d'une embarcation, qui tient la barre, le gouvernail. Synon. nocher (vieilli).Patron d'une barque, d'un bateau, d'une chaloupe, d'une goélette, d'un navire, d'un vaisseau; patron-pêcheur. Au premier port où le bâtiment abordera, (...) les officiers de l'administration de la marine, capitaine, maître ou patron, seront tenus de déposer deux expéditions authentiques des actes de naissance qu'ils auront rédigés (Code Civil1804, art. 60, p.13). REM. 1. Patroniser, verbe trans.a) Conduire (une embarcation) en qualité de patron. (Dict.xixes.). b)
α) Protéger en qualité de saint patron (Dict.xixes.). Saint Maurice et ses compagnons, martyrs, patronisaient les teinturiers (Littré).
β) Introduire, patronner dans le monde. On voit M. Langlois saluer cérémonieusement et solennellement en Sorbonne M. Lavisse et l'introniser et le patroniser (Péguy,Argent,1913, p.1148). 2. En compos. patron-minet, patron-jacquet. V. potron-minet.Prononc. et Orth.: [patʀ
ɔ
̃], fém. [-ɔn]. Homon. patron2. Ac. 1694-1740: patron, -one; dep. 1762: -onne. Étymol. et Hist.1. Mil. xiiies. patrun «saint sous l'invocation duquel une église est placée» (Vie d'Edouard le Confesseur, éd. H. Luard, 2424); 1284 subst. fém. patroine (Fév., Cherlieu, A. Haute-Saône ds Gdf. Compl.); d'où av. 1615 (Pasquier, Recherches de la France, 771: Et d'une mesme suite fut bastie l'Église en l'honneur de S. Nicolas ancien patron des Escoles); 1767 (Encyclop. t.14: Saints patrons de certains métiers); 2. fin xiiies. patrun «protecteur» (Grandes chron. de France, éd. J. Viard, t.1, p.70); 3. ca 1265 «maître d'un serf...» (Livres de jostice et de plet, éd. Rapetti, p.115), att. au xiiies., v. Gdf. Compl.; puis 1559 «maître par rapport à son affranchi, à son client» (Amyot, Rom., 19 ds Littré); 1671 «maître d'un esclave» (Pomey); 4. a) 1337 «celui qui commande un bateau» (Doc. ds Chron. norm. du XIVes., éd. A. et É. Molinier, p.210); b) 1611 «maître d'une maison» (Cotgr.), qualifié de «bas et burlesque» par Rich. 1680; c) 1812 «employeur (par rapport à ses subordonnés)» (Jouy, Hermite, t.2, p.372); d) 1832 (Raymond: Patron. Dans certaines maisons de commerce, le maître de la maison); 1848 «capitaliste» (Cabet, Aux électeurs de la Seine, 14 sept.); e) 1901 méd. «responsable d'un service dans un hôpital» ds Esn.; 1923 (Martin du G., Thib., Belle sais., p.756). Empr. au lat. patronus «patron (opposé à client)», «protecteur des plébéiens», au fig. «défenseur, protecteur, appui», «ancien maître d'un affranchi», att. en lat. médiév. au sens de «saint patron» ca 950 ds Latham (déjà «propriétaire d'une église privée» 772 ds Nierm.), dér. de pater «père». Le sens 4 a est empr. à l'ital. padrone «id.» av. 1348 ds Tomm.-Bell., de même orig., cf. le lat. médiév. du domaine ital. patronus «id.» 1313 ds Jal, v. aussi Du Cange. Bbg. Dub. Pol. 1962, p.369. −Kemna 1901, p.127. _ Kolboom (I.). Patron et patronat... MOTS. 1984, no9, pp.89-112. _Quem. DDL t.1 (s.v. patroniser), 16, 22. _ Tournier (M.). Un Vocab. ouvrier en 1848... St Cloud, 1975, p.169, 172. |