| PARADOXE, subst. masc. A. − Affirmation surprenante en son fond et/ou en sa forme, qui contredit les idées reçues, l'opinion courante, les préjugés. 1. Proposition qui, contradictoirement, mettant la lumière sur un point de vue pré-logique ou irrationnel, prend le contrepied des certitudes logiques, de la vraisemblance. Les paradoxes, les sophismes pèsent autant que les vérités et que les généralités dans la conduite des hommes et des choses qui les intéressent (Gambettads Fondateurs 3eRépubl., 1876, p.119).On sait qu'un paradoxe, c'est une vérité trop vieille ou trop jeune (Lemaitre,Contemp.,1885, p.227).Les réalités imaginaires étaient si concrètes pour lui qu'il défendit souvent ce paradoxe: Rien n'est vrai que le faux (Béguin,Âme romant.,1939, p.340): 1. C'est un paradoxe insoutenable (...) que de prétendre mettre sur le même plan la différence entre un fa et un sol, entre un bruit et un son (...), entre un sol joué au piano et un sol joué à l'orgue, et de voir là, indistinctement, des différences de qualités.
Ruyer,Esq. philos. struct.,1930, p.116. SYNT. Paradoxe absurde, admirable, faux, fondamental, ingénieux, ironique, spécieux, vrai; curieux, étrange, profond paradoxe; avancer, réfuter, soutenir un paradoxe. − Loc. verb. ♦ Crier au paradoxe. Dénoncer une opinion comme contraire à l'opinion commune. Cette assertion paraîtra téméraire et déjà j'entends autour de moi crier au paradoxe (Laclos,Éduc. femmes,1803, p.427). ♦ Donner, se lancer dans le paradoxe. Soutenir une proposition paradoxale, en contradiction avec le bon sens. Se lançant à fond dans le paradoxe, il se met à soutenir que peut-être les grands hommes sont ceux qu'on ne connaît pas et qu'il admire profondément dans Port-Royal l'invocation aux Saints Inconnus (Goncourt,Journal,1864, p.43).Pousser le paradoxe jusqu'à l'absurde; jusqu'à (+ inf.). M. de Maistre pousse le paradoxe jusqu'à nier l'existence même de la nature humaine et son unité (Renan,Avenir sc.,1890, p.507). − Péj. Paradoxes d'école normale; dire des paradoxes vieux comme des cathédrales. Ce matin, avant de sortir, relu mon journal d'hier. De pauvres paradoxes d'écolier (Larbaud,Barnabooth,1913, p.32). − Empl. adj., vieilli. Opinion, proposition paradoxe (Ac. 1835, 1878). [Bayle] donne à entendre que c'est se placer hors de l'humanité que d'être chrétien; (...) sitôt qu'on se met à l'être en réalité, on devient alors, selon une autre de ses expressions, un individu paradoxe de l'espèce humaine (Sainte-Beuve,Port-Royal, t.3, 1848, p.299). − Spécialement a) SCIENCES ♦ ASTRON. Paradoxe d'Olbers. ,,Dans un univers fini et statistiquement homogène, la luminance du ciel serait très grande, même de nuit`` (Astron. 1980). ♦ MATHÉMATIQUES Paradoxe de Russell. ,,En 1905, Bertrand Russell montre que la notion d'«ensemble des ensembles qui ne sont pas éléments d'eux-mêmes» est contradictoire`` (Encyclop. univ. t.6 1970, p.265, s.v. ensembles). Paradoxe mathématique. ,,L'existence de contradictions (les «paradoxes») dans la théorie élémentaire des ensembles`` (Encyclop. univ., t.1, 1971, p.57, s.v. logique mathématique). ♦ MÉD. Paradoxe de l'oxygène. Incident convulsif brutal qui peut se produire quand un apport suffisant d'oxygène fait suite à un déficit marqué d'oxygène (d'apr. Méd. Biol. t.3 1972). ♦ PHYSIQUE Paradoxe de d'Alembert. ,,Un obstacle placé dans un courant fluidique ne reçoit pas de résistance au mouvement, mais est soumis à un couple`` (Quillet 1965). Paradoxe de Dubuat. ,,Il semble qu'un corps en mouvement relatif dans un fluide doive éprouver la même résistance au déplacement. Or, on constate le contraire`` (Quillet 1965). Paradoxe de Fergusson. ,,Combinaison de mécanique consistant à transmettre, par engrenage, à trois roues en apparence identiques, des mouvements identiques`` (Lar. Lang. fr.). Paradoxe de Magnan. ,,Pour des vitesses de l'ordre de dix mètres à la seconde, la résistance à l'avancement est proportionnelle au carré de la vitesse cependant pour des corps de certains profils, la résistance n'est pas proportionnelle au carré de la vitesse mais moindre`` (Quillet 1965). Paradoxe hydrostatique. ,,La pression exercée par un liquide est indépendante de la forme du vase`` (Littré Suppl. 1877). b) LITT., PHILOS. Ce qui a un caractère paradoxal. Il y a sans doute dans les théories de Rousseau moins de paradoxe et de folie qu'on ne se plaît à le dire. Le fâcheux c'est ce que fussent des théories et que parfois la passion les lui dictât (Gide,Journal,1937, p.1281). ♦ Le paradoxe du comédien. Paradoxe énoncé par Diderot qui ,,soutient que pour émouvoir autrui, il ne faut pas être ému soi-même`` (Legrand 1972). Comme tous les paradoxes, celui de Diderot est un parti pris de l'esprit. L'encyclopédiste voulait faire un éloge du comédien, une étude psychologique de l'artiste et non point une critique (Arts et litt.,1936, p.64-12). − Souvent au plur. Positions, thèses à caractère paradoxal. Paradoxes chrétiens; paradoxes de Kant, de Pascal, de J.-J. Rousseau, de B. Shaw. Chaque fois que l'esprit s'endort sur des idées reçues (...) le poète, le philosophe et le prophète sont là pour le frapper de paradoxes, lui prouver que les premiers seront les derniers, que qui gagne sa vie en ce monde la perd dans l'autre (Morier1975). ♦ Paradoxe socratique. Le paradoxe socratique −subir l'injustice vaut mieux que de la commettre −découle du premier principe sur la dignité de l'homme (Encyclop. univ.t.71970, pp.1068-69, s.v. Grèce). ♦ Paradoxes stoïciens. ,,Thèses morales absolutistes du Stoïcisme, telles que: le sage est infaillible, il n'est sujet à aucun trouble, il est parfaitement heureux quelles que soient les circonstances`` (Lal. 1968, p.734). 2. Jeu d'esprit et/ou de mots qui a pour but de choquer, de divertir. Paradoxe cocasse, extravagant; paradoxe de salon; amusants, brillants paradoxes. Il faut des paradoxes de style, des expressions monstrueuses, des idées dévergondées, des anecdotes crues (Taine,Nouv. Essais crit. et hist.,1865, p.8).«Victor Hugo était un fou qui se croyait Victor Hugo.» Ce paradoxe, Cocteau le développait hier devant nous de la façon la plus brillante (Green,Journal,1929, p.18): 2. Manneheim, qui s'amusait de ses propres paradoxes, et qui, de riposte en riposte, en arrivait à des cocasseries extravagantes (...) fut mis en joie par la peine que prenait Christophe pour discuter ses bourdes, ou même pour les comprendre...
Rolland,J.-Chr., Révolte, 1907, p.414. − Péj. Usage outré et désordonné de ce jeu. Je m'ennuie ici [à Paris] (...). Tout le monde y est bête à manger de l'herbe, surtout les gens d'esprit, qui redoublent de vide et de paradoxe pour prouver que tout est pour le mieux (Sand, Corresp., t.3, 1853, p.367): 3. Ce fut, durant quelques jours, dans sa cervelle, un grouillement de paradoxes, de subtilités, un vol de poils fendus en quatre, un écheveau de règles aussi compliquées que des articles de codes, prêtant à tous les sens, à tous les jeux de mots...
Huysmans,À rebours,1884, p.108. B. − P. ext. Antinomie, complexité contradictoire inhérente à la réalité de quelque chose ou, plus rare, de quelqu'un. Paradoxe de l'amour, de la guerre, de la liberté, de la mémoire, de la volonté; paradoxe moral, philosophique. Des poissons au milieu du Sahara! Nous restions tous les trois muets devant ce paradoxe de la nature (Benoit,Atlant.,1919, p.65).Comprendre ce paradoxe éternel: de bons chrétiens qui se déchirent entre eux (Bremond,Hist. sent. relig., t.3, 1921, p.198).L'Angleterre offre ce paradoxe d'être à la fois le pays qui possède la plus ancienne constitution en un certain sens et, en un autre sens, un des rares pays qui n'en possède point (Vedel,Dr. constit.,1949, p.42): 4. Comment expliquer l'ironie passablement dérisoire de ce paradoxe: Que le plus important, en toutes choses, soit précisément ce qui n'existe pas ou dont l'existence, à tout le moins, est le plus douteuse, amphibolique, controversable?
Jankél.,Je-ne-sais-quoi,1957, p.1. − PHILOSOPHIE Paradoxe épistémologique. ,,Il n'y a pas d'explication totale; l'esprit se heurte toujours à un irrationnel`` (Foulq.-St-Jean 1962). Paradoxe logique. ,,Raisonnement dont l'erreur, non apparente, est déduite du fait que sa validité détruirait tout le savoir. Le paradoxe le plus connu est celui du menteur. Le menteur dit «je mens», phrase équivalente à sa contradictoire «je ne mens pas»`` (Thinès-Lemp. 1975). − En partic. [Le paradoxe désigne une pers.] ♦ Être un paradoxe vivant. −Pour revenir à moi-même, dit Des Cigales, je suis un paradoxe vivant. −Commentez-nous ce propos, dit Offroir. −Eh bien! Contrairement au proverbe qui veut que le prophète ne le soit pas en son pays ici je fais autorité. On m'admire (Queneau,Loin Rueil,1944, p.30). Prononc. et Orth.: [paʀadɔks]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist.1. Ca 1480 paradoce <:negoce> «opinion qui va à l'encontre de l'opinion communément admise» (Sottie des coppieurs et lardeurs, 322 ds Rec. Trepperel, Les Sotties, p.173); 1495 paradoxe «id.» (Jean de Vignay, Miroir historial, fo132c ds Gdf. Compl.); 2. av. 1662 «être (chose ou fait) qui heurte le bon sens» (Pascal, Pensées, 131 ds OEuvres, éd. L. Lafuma, 1963, p.515b); 3. 1832 «contresens» (Hugo, N.-D. Paris, p.65). Empr. au lat. paradoxon «chose contraire à l'opinion», neutre substantivé de l'adj. gr. π
α
ρ
α
́
δ
ο
ξ
ο
ς «contraire à l'attente ou à l'opinion commune, extraordinaire» (de π
α
ρ
α
́ «à côté (de)» et de δ
ο
́
ξ
α «opinion»), lui-même empr. par le fr. paradoxe adj. «paradoxal» (1549, Du Bellay, Deffence et illustration de la langue françoyse, éd. H. Chamard, p.XII). Fréq. abs. littér.: 813. Fréq. rel. littér.: xixes.: a) 548, b) 1047; xxes.: a) 897, b) 1888. DÉR. 1. Paradoxer, verbe intrans.,rare. Faire des paradoxes. (Ds Littré, Guérin 1892). Voici Château-Renaud qui, pour vous guérir de votre manie de paradoxer, vous passera au travers du corps l'épée de Renaud de Montauban, son ancêtre (Dumas père, Monte-Cristo, t.1, 1846, p.573).J'allais... j'allais... paradoxant avec délices, tirant des feux d'artifice d'idées, parlant de la nécessité de mettre le feu au vieux monde (Bourget,Profils perdus,1884, p.260).− [paʀadɔkse], (il) paradoxe [paradɔks]. − 1reattest. 1846 (Dumas père, loc. cit.); de paradoxe, dés. -er. 2. Paradoxeur, subst. masc.,rare. Faiseur de paradoxes. (Ds Guérin 1892). Il se trouvait que ce farceur, ce paradoxeur, ce moqueur enragé du bourgeois, avait, pour les choses de l'art, les idées les plus bourgeoises, les religions d'un fils de Prudhomme (Goncourt,Man. Salomon,1867, p.55).− [paʀadɔksoe:ʀ]. − 1reattest. 1867 id.; de paradoxe, suff. -eur2*. BBG. −Pohl (J.). Contribution à l'ét. de qq. mots Fr. mod. 1963, t.31, p.301. |