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ORGUEIL, subst. masc.
I.
A. − Présomption, estime exagérée, amour excessif de soi-même, qui fait que l'on est persuadé de sa propre excellence, que l'on se juge supérieur aux autres. Les philosophes qui, pour l'orgueil et la sécheresse continuèrent les théologiens, décidèrent qu'il n'avait pas d'âme (Michelet,Peuple,1846, p.238).Disraëli (...) forme le projet (...) de devenir le plus grand homme qui ait jamais existé (...). On connaît l'orgueil fou d'un Byron, la mégalomanie d'un Hitler, d'un Goebbels, d'un Mussolini, greffée sur une jeunesse humiliée (Mounier,Traité caract.,1946, p.598):
1. Un adage sacré dit que l'orgueil est le commencement de tous nos crimes; (...) et de toutes nos erreurs. C'est lui qui nous égare en nous inspirant un malheureux esprit de contention qui nous fait chercher des difficultés pour avoir le plaisir de contester, au lieu de les soumettre au principe prouvé... J. de Maistre,Soirées St-Pétersb.,t.1, 1821, p.304.
Subst. + d'orgueil.Homme d'orgueil. Homme qui est rempli d'orgueil. Le ciel de turquoise morte surveille la ruine des hommes d'orgueil qui voulurent en tenter l'escalade (Cocteau,Maalesh,1949, p.117).Politique d'orgueil. Politique qui est remplie d'orgueil. Ainsi, des deux côtés [France-Allemagne] la politique d'orgueil (...) de taquinerie et d'arrogance semble reprendre (Jaurès,Eur. incert.,1914, p.27).
SYNT. Orgueil démesuré, immense, indomptable, ombrageux; insolent, stupide, vif orgueil; abattre, blesser, briser, flatter, humilier, mortifier, offenser, vaincre l'orgueil de qqn; avoir un orgueil de fer; être bouffi, ivre, perdu d'orgueil; se gonfler, se piquer d'orgueil; tomber du haut de son orgueil.
En partic. [Cette estime considérée chez une pers. qui se glorifie avec excès d'avantages qui lui viennent de ses origines, de son rang social, etc.] Suffisance, morgue, superbe. L'orgueil des princes. Ces nobles, se dit la soubrette, ont l'air d'être sortis de la propre cuisse de Jupiter; au moindre mot, leur orgueil se dresse sur les ergots, et ils ne peuvent, comme les vilains, digérer l'insulte (Gautier,Fracasse,1863, p.222).
Spécialement
1. PSYCHANAL. ,,Hypertrophie du Moi et surestimation personnelle`` (Pel. Psych. 1976). L'orgueil (...) est un des éléments de la constitution paranoïaque et il fait le lit de la méfiance, de l'interprétation et des idées de persécution (Lafon1963).
2. MOR., RELIG. Défaut, esprit, vice d'orgueil; infernal, maudit, noir orgueil. Orgueil et humilité s'opposent donc comme le non et le oui, −celui-là qui est l'esprit de refus, la mortelle satisfaction d'une âme endurcie, blindée, cuirassée de contentement et entièrement insensible aux valeurs (Jankélévitch,Les Vertus et l'Amour,1970, p.661):
2. Le problème métaphysique de l'orgueil, de l'hybris, que les Grecs ont aperçu (...) a été un des thèmes essentiels de la théologie chrétienne (...). L'orgueil consiste à ne trouver sa force qu'en soi, il retranche celui qui l'éprouve d'une certaine communion des êtres, du même coup il tend à la briser, il joue comme un principe de destruction. G. Marcel,Position et approches concrètes du mystère ontologique,1967, p.74.
[P. réf. à la Bible, Prov. 16-18] Orgueil de Lucifer, de Satan. Isaïe compare le roi de Babylone à Lucifer, qui est tombé du ciel sur terre à cause de son orgueil (Théol. cath.t.4, 11920, p.361).
Péché d'orgueil. Le premier des sept péchés capitaux. Les péchés capitaux, a-t-il dit: il n'en a qu'un, lui, mais le père de tous les autres, l'orgueil! Par orgueil, il criera pour vous; par orgueil il vous trahira (Dumas père, Darlington,1832, i, 5, p.63).Ma fille, mon enfant, gardons-nous du péché d'orgueil. Nous sommes faits comme les autres. Nous sommes des chrétiens comme les autres. Nous eussions été comme eux (Péguy,Myst. charité,1910, p.129).
B. − Fierté, sentiment noble inspiré par une juste confiance, l'estime légitime de soi ou des autres. Orgueil maternel, national; noble, respectable orgueil; donner de l'orgueil à qqn. L'ame accroît sa force par l'orgueil même de sa force; dès qu'elle s'estime, elle peut tout (Senancour,Rêveries,1799, p.81).Je condamne ta vanité, mais non pas ton orgueil, car si tu danses mieux qu'une autre, pourquoi te dénigrerais-tu en t'humiliant devant qui danse mal? Il est une forme d'orgueil qui est amour de la danse bien dansée (Saint-Exup.,Citad.,1943, p.864):
3. Christophe oubliait donc tous ses griefs contre son père, et il s'évertuait à trouver des raisons de l'admirer (...) il rayonnait d'orgueil, quand il entendait admirer son talent de virtuose, ou quand Melchior racontait, en les amplifiant, les éloges qu'il avait reçus. Rolland,J.-Chr.,Aube, 1904, p.43.
Avec orgueil. Avec fierté. Contempler, regarder qqn/qqc. avec orgueil. Souvent il se disoit avec orgueil: «C'est mon gendre!...» (Balzac,Annette,t.2, 1824, p.140).Le commandant Desbarres (...) montrait avec orgueil (...) la croix d'honneur donnée par l'empereur lui-même (...) pendant la retraite de Russie (Maupass.,Contes et nouv.,t.2, Rosier MmeHusson, 1887, p.690).
(Avoir son) petit orgueil (fam.). (Éprouver une) satisfaction d'amour-propre. Corbie ouvrit les armoires, en tira des verres et une bouteille d'eau-de-vie, faisant le service avec le petit orgueil d'un homme qui montre qu'il est de la maison (Duranty,Malh. H. Gérard,1860, p.129).
Mettre un certain, tout son orgueil à faire qqc. Mettre (...) son amour-propre à... Gavarni nous parle (...) de ce temps où éditeurs, graveurs, artistes mettaient un certain orgueil à faire quelque chose de propre (Goncourt,Journal,1857, p.364).Il y avait surtout le fils d'un entrepreneur forain (...) qui mettait son orgueil à rester dernier de la classe (Gide,Si le grain,1924, p.424).
Subst. + d'orgueil.Sentiment d'orgueil. Il venait d'obtenir pour lui le ruban de la légion d'honneur. Félicité pleura. Son mari décoré! Son rêve d'orgueil n'était jamais allé jusque là (Zola,Fortune Rougon,1871, p.295):
4. Les petits plaisirs d'orgueil qu'il récoltait quotidiennement, l'empressement qu'il rencontrait aux cérémonies mineures où il représentait son ministre, la considération des officiers généraux, la poignée de main des sénateurs ventrus, faisaient à Simon cette apparence satisfaite. Druon,Gdes fam.,t.1, 1948, p.181.
P. anal. [Le compl. de nom désigne un arbre, un édifice] Aspect imposant, majesté de quelque chose. L'orgueil des palais. L'Escurial étend son orgueil de granit (Verlaine,Poèmes saturn.,1866, p.89).La maison était entourée de vieux sycomores laissés libres de tout temps. Ils étaient d'une santé et d'un orgueil magnifiques. Les troncs bosselés de muscles roux s'élançaient vers le ciel avec tant de puissance qu'ils soulevaient la terre dans leurs racines (Giono,Que ma joie demeure,1935, p.252).
II. − (Être l')orgueil de qqn/de qqc.(Être pour quelqu'un/quelque chose une) satisfaction d'amour-propre, (un) sujet de fierté, légitime ou non. Être l'orgueil d'une personne, d'un pays, d'un groupe; son fils, l'orgueil de la famille. N'avez-vous pas (...) un fils que tout le monde nous envierait, un fils qui est notre orgueil, notre gloire, notre avenir? (Scribe,Bertrand,1833, ii, 2, p.150).Général Koenig! Sachez et dites à vos troupes que toute la France vous regarde et que vous êtes son orgueil (De Gaulle,Mém. guerre,1954, p.671).
III. − TECHNOL. ,,Grosse cale de pierre ou de bois servant de point d'appui à un levier`` (Barb.-Cad. 1963).
REM.
Orgueillite, subst. fém.,rare. Accès, crise d'orgueil. Souffrir, être atteint d'une orgueillite aiguë. Encore une crise d'orgueillite, chez les Charles Gide, tantôt. Une bouffée de vantardise (à propos de mes représentations en Allemagne) (Gide,Journal,1907, p.239).
Prononc. et Orth.: [ɔ ʀgoej]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. 1. a) Fin du xes. orgolz cas suj. «sentiment exagéré qu'on a de sa valeur» (Passion, éd. D'Arco Silvio Avalle, 56); ca 1100 orgoill cas rég. (Roland, éd. J. Bédier, 1773); b) ca 1100 «sujet de fierté» (ibid., 3315); c) 1637 (en bonne part) «sentiment justifié de sa dignité» (Corneille, Le Cid, II, 2, var. du vers 99); 2. 1376 «cale de bois ou de pierre qui, insérée sous un levier, lui sert de point d'appui» (Modus et Ratio, 124, 77 ds T.-L.). De l'a. b. frq. *urgol «fierté», dér. d'un adj. signifiant «excellent», cf. l'a. b. all. urgôl «excellent», l'a. h. all. urguol «id.» et l'ags. orgel, orgol subst. «fierté» (NED). V. FEW t.17, p.416a. Fréq. abs. littér.: 6576. Fréq. rel. littér.: xixes.: a)9936, b) 9327; xxes.: a) 9916, b) 8525. Bbg. Darm. Vie 1932, p.53, 192. _Quem. DDL t.11.