| OBSCUR, -URE, adj. A. − Qui est sans lumière. Synon. noir, sombre, ténébreux; anton. clair, lumineux. 1. Qui ne répand pas, ne reçoit pas de clarté. Cave, cour, pièce, rue, salle obscure; nuit obscure; ciel obscur; ténèbres obscures. Par une matinée obscure de novembre, à la lueur des douze cierges du catafalque, je lis (Barrès,Cahiers,t.5, 1907, p.219).Un insolite lumignon éclairait un angle généralement obscur de la pièce (Martin du G.,Thib.,Mort père, 1929, p.1252): 1. Le corridor était encore trop obscur pour qu'on pût distinguer son visage; mais quand l'homme arriva à l'escalier, un rayon de lumière du dehors le fit saillir comme une silhouette, et Jean Valjean le vit de dos complètement.
Hugo,Misér.,t.1, 1862, p.533. − P. allus. littér. [P. réf. au vers de Corneille, Le Cid, iv, 3: Cette obscure clarté qui tombe des étoiles; v. aussi clarté A 1 a] Nous nous passions fort bien de l'électricité, Pour faire des orgies; On y voyait assez à l'obscure clarté Qui tombe des bougies (Ponchon,Muse cabaret,1920, p.37). − Locutions ♦ PHOT. Chambre obscure. Synon. de chambre noire (v. chambre I C 2 h).P. métaph. Dans la chambre obscure de mon esprit, chaque chose se peignait en couleurs charmantes (Gobineau,Pléiades,1874, p.8).L'homme, (...) en présence d'une peinture, (...) croit voir (...) la réalité dans l'apparence. Ce que ne voit point son oeil, il l'aperçoit au fond de cette chambre obscure qui s'appelle l'imagination (Ch. Blanc, Gramm. arts dessin,1876, p.489). ♦ PHYS., vx. Chaleur obscure. Chaleur émise par un corps porté à haute température, mais qui ne s'accompagne pas d'incandescence. (Dict. xixeet xxes.). Au delà des rayons rouges, existent des rayons infra-rouges, que l'on peut mettre en évidence par leur action thermique (rayons calorifiques obscurs) (Coffignier,Coul. et peint.,1924, p.21).P. métaph. Comme le spectre solaire, plus ample que les rayons colorés, l'action est à la fois lumière et chaleur obscure (Blondel,Action,1893, p.306). ♦ Les salles obscures. Les salles de cinéma; p. méton., l'industrie cinématographique. Une crise du cinéma qui, avant la fin de 1897, avait fait fermer presque toutes les salles obscures (Sadoul,Cin.,1949, p.26). − Emploi adv. Il fait obscur. Le soir (...) Il faisait obscur: je me suis promis de revenir et de faire ici quelques dessins (Delacroix,Journal,1854, p.249).Je t'ai vu mort, en songe, sur une place de Milan, (...) c'était à midi, en même temps il faisait obscur (Jouve,Paulina,1925, p.164). − Emploi subst. masc. Obscurité. Édouard aussi s'enfiévrait. Dans l'obscur, il griffonnait à tâtons des notes (Adam,Enf. Aust.,1902, p.199).Il s'avance dans l'épaisseur de l'obscur, les mains étendues devant soi, crainte de se heurter (Valéry,Tel quel II,1943, p.56). 2. P. méton. [En parlant d'une couleur] Foncé, peu lumineux, terne. Anton. éclatant, vif.De longs cheveux châtain obscur et bouclés naturellement (Mérimée,Portr. hist. et littér.,1870, p.101).Vers lui arrivait au galop, pourchassé, un petit taureau d'un rouge obscur de cuir patiné (Montherl.,Bestiaires,1926, p.420). − Emploi subst. masc. ♦ PEINT. Parties obscures d'un tableau. Le mieux conservé des ouvrages de Giunta Pisano se trouve dans l'église des Anges à Assise: c'est un Christ peint sur une croix de bois (...) on aperçoit quelques traces de la science des clairs et des obscurs (Stendhal,Hist. peint.,t.1, 1817, p.73).Clair-obscur*. ♦ CHASSE. ,,Faisan au plumage vert très sombre`` (Burn. 1970). B. − Au fig. 1. Domaine intellectuel.Qui n'est pas clair pour l'esprit, qui est difficile à comprendre, à expliquer. Synon. incompréhensible, inintelligible; anton. clair, limpide. a) [Qualifie un fait, une situation] Affaire obscure; événement, mal obscur. L'histoire ancienne est obscure par le défaut de documents. Ils abondent dans le moderne (Flaub.,Bouvard,t.1, 1880, p.124).La situation était fort obscure après dix mois de cabinet Poincaré (Aragon,Beaux quart.,1936, p.199): 2. Le passé n'est pas fugace, il reste sur place. (...) ce n'est pas seulement quinze ans après un crime resté obscur qu'un magistrat peut encore trouver les éléments qui serviront à l'éclaircir...
Proust,Guermantes 2,1921, p.418. b) [Qualifie l'activité de l'esprit, une de ses manifestations, en partic. dans le domaine de l'expression écrite ou orale] Idées, paroles, phrases obscures; langage, style obscur; passage, point, texte obscur. Quelle que soit l'interprétation donnée sur ce point à la pensée incertaine et obscure de Marx et de Engels, il importe peu (Jaurès,Ét. soc.,1901, p.xlix).La cybernétique, terme encore obscur au grand public (Schaeffer,Rech. mus. concr.,1952, p.172): 3. ... quand l'homme aborde un sujet obscur dans lequel tout est obscur pour lui ou dans lequel il n'a pour se guider que la lueur trompeuse de quelques notions incertaines, alors l'homme n'a plus de critérium; il va alors réellement de l'inconnu à l'inconnu...
Cl. Bernard, Princ. méd. exp.,1878, p.209. − Emploi subst. masc. Quand les poëtes de l'époque classique n'y prennent pas garde, ils deviennent aisément prosaïques et languissants, comme les autres de l'école contraire tendent très-vite, s'ils ne se soignent, au boursouflé, au bigarré ou à l'obscur (Sainte-Beuve,Portr. littér.,t.1, 1844-64, p.236).Un fervent du chef-d'oeuvre de Valéry [La Jeune Parque] a plongé et s'est établi, comme dans une cloche de verre, au plus profond et au plus obscur du poème (Mauriac,Bloc-Notes,1958, p.374). − PHILOS. Idée obscure. ,,Chez Descartes, est obscur tout ce qui s'ajoute à ce que l'esprit saisit directement et dans l'évidence, et qui vient des sens, de l'imagination et de la mémoire. Chez Leibniz, est obscure l'idée qui ne suffit pas à faire reconnaître la chose qu'elle représente; ainsi en va-t-il du souvenir d'un objet vu auparavant, dans la mesure où il n'est pas suffisamment précis pour permettre de le reconnaître au milieu d'autres quand il apparaît à nouveau`` (Thinès-Lemp. 1975): 4. Comme, depuis Descartes, beaucoup de termes dont nous avons ici besoin ont changé de sens, il est nécessaire de rappeler la terminologie de l'École. On y oppose l'idée claire à l'idée obscure. On définit l'idée claire, celle qui distingue son objet de tout autre objet, l'idée obscure [it. ds le texte], celle qui ne le distingue pas ainsi.
Théol. cath.t.4, 11920, p.875. − RELIG. Nuit obscure: 5. Le thème favori de saint Jean de la Croix est un état qu'il nomme la «Nuit obscure». La foi exige ou se crée cette nuit, qui doit être l'absence de toute lumière naturelle, et le règne de ces ténèbres que peuvent seules dissiper des lumières toutes surnaturelles. Il lui importe donc, sur toute chose, de s'appliquer à conserver cette précieuse obscurité, à la préserver de toute clarté figurée ou intellectuelle (...). Demeurer dans la Nuit obscure et l'entretenir en soi doit donc consister à ne rien céder à la connaissance ordinaire...
Valéry,Variété V,1944, p.166. c) [P. méton., qualifie une pers., notamment un écrivain, un philosophe] N'être pas assez clair, pour le bon écrivain, c'est être obscur (Renard,Corresp.,1902, p.270): 6. Mallarmé a compris le langage comme s'il l'eût inventé. Cet écrivain si obscur a compris l'instrument de compréhension et de coordination au point de substituer au désir et au dessein naïfs et toujours particuliers des auteurs, l'ambition extraordinaire de concevoir et de dominer le système entier de l'expression verbale.
Valéry,Variété III,1936, p.27. 2. Domaine affectif.[Qualifie une réalité abstr., notamment une manifestation de l'esprit hum.] Qui est ou semble être confus, vague; qui ne se manifeste, ne se perçoit pas nettement. Synon. indéfinissable, indistinct, trouble, mystérieux; anton. net, précis.Certitude, menace obscure; instinct, sentiment obscur. Il y a tout au fond de nous un domaine, le plus riche domaine d'aspirations confuses, un domaine obscur, et ces psychologues scientifiques le reconnaissent comme la nappe profonde qui alimente nos pensées claires (Barrès,Pitié églises,1914, p.90).Le romancier anglais Thomas Hardy a peint, dans son célèbre ouvrage Jude l'Obscur, un ouvrier courageux, opprimé et comme meurtri par les obscures chimères de son temps (L. Daudet, Stup. XIXes.,1922, p.236): 7. [Les Juifs] exécraient en lui [le Führer] le furieux démagogue qui faisait de l'antisémitisme le premier point de son programme, et de plus ils le méprisaient, parce que ces intellectuels-nés commettent naturellement l'erreur de ne pas estimer à leurs prix les forces obscures, instinctives, sentimentales, qui ne sont pourtant nulle part plus agissantes qu'en Allemagne.
Tharaud,Qd Israël n'est plus roi,1933, p.147. − En partic. [En parlant d'une action gén. néfaste] Qui se prépare secrètement, dans l'ombre. Synon. clandestin, occulte.Menées obscures. Les pêcheurs ramenaient souvent du fond de l'eau quelque cadavre d'Allemand (...) les vases du fleuve ensevelissaient ces vengeances obscures (Maupass.,Contes et nouv.,t.2, Boule de suif, 1880, p.117). 3. Domaine soc.Qui n'est pas connu; qui demeure dans l'ombre. Synon. humble, inconnu; anton. célèbre, fameux, illustre. a) [Qualifie une chose, une situation] [Le journaliste] rend compte des théâtres dans deux journaux obscurs, quoiqu'il soit assez instruit pour écrire dans les grands journaux (Balzac,Gambara,1837, p.49).Je sentais bien qu'il fallait renoncer pour toujours à la gloire, heureux encore si je pouvais me réfugier dans une obscure médiocrité! (A. France,Vie fleur,1922, p.361). b) [Qualifie une pers.] − Qui est de basse extraction, de condition sociale modeste. Rougissant de ses obscurs parents, l'avoué fit rester sa mère à Mansle où elle s'était retirée (Balzac,Illus. perdues,1843, p.685). − Qui n'a pas acquis la gloire, la renommée; qui mène une existence effacée. Savant obscur. Omer jugea que cet homme eût pu être tout, et que volontairement il restait un obscur ecclésiastique (Adam,Enf. Aust.,1902, p.206).Ce n'est pas seulement en effet comme un praticien obscur, devenu, à la longue, notoriété européenne, que ses confrères considéraient Cottard (Proust,J. filles en fleurs,1918, p.433): 8. ... la phrase où Gérard se donne à Jenny pour le pauvre et obscur descendant d'un châtelain du Périgord, révèle plus que le souhait naïf de se faire valoir auprès de la femme aimée.
Durry,Nerval,1956, p.48. ♦ Emploi subst. Il me semble que les noms de Janvier-Dupont, du colonel Herpin (...) et de Paul Floche ne sont pas baignés d'une lumière éclatante. Vous mêlez les illustres et les obscurs dans l'album (A. France,Pt bonh.,1898, 5, p.514): 9. Et nous, les petits, les obscurs, les sans-grades,
Nous qui marchions fourbus, blessés, crottés, malades,
Sans espoir de duchés ni de dotations;
Nous qui marchions toujours et jamais n'avancions...
Rostand,Aiglon,1900, II, 9, p.91. REM. 1. [Néol. d'aut.] a) Obscurant, -ante, adj.Qui assombrit, obscurcit. Des arbres blancs, des arbres roses, dans lesquels les aquarellistes japonais n'introduisent même pas les obscurantes ombres de l'Occident (E. de Goncourt, Mais. artiste,t.1, 1881, p.196). b) Obscuré, -ée, adj.Devenu, rendu obscur. En face du château complètement obscuré, sauf une chambre de domestique, où il y avait une lumière (Goncourt,Journal,1858, p.479). c) Obscurer, verbe trans.Plonger dans l'obscurité. Le chaos redoutable du fond entrait dans le chaos de la nuit, obscurant le public (Goncourt,MmeGervaisais,1869, p.87). 2. Obscurisme, subst. masc.Recherche délibérée de l'obscurité, de la difficulté intellectuelle (chez un artiste, un écrivain). Ce que Planche reprochait à Sainte-Beuve n'était rien de moins que ce qu'on appelle depuis Fernand Vandérem de l'obscurisme, mais alors que l'obscurisme d'un Mallarmé ou d'un Valéry s'explique par une recherche extrême de l'expression, celui de Sainte-Beuve avait au contraire sa source, du moins s'il faut en croire Planche, dans l'insuffisance de l'élaboration intellectuelle (A. Billy, Sainte-Beuve,1952, p.268 ds Rob. Suppl. 1970). Prononc. et Orth.: [ɔpsky:ʀ]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. A. 1. Ca 1160 oscur «privé de lumière» (Eneas, 195 ds T.-L.); 2. 1160-74 subst. oscur «l'obscurité» (Wace, Rou, éd. H. Andresen, II, 2304); 1549 l'obscur (Du Bellay, Olive, 100 ds Hug.); 3. ca 1165 «de couleur sombre» (Benoît de Sainte-Maure, Troie, éd. L. Constans, 3564); 1690 subst. «partie sombre d'un tableau» (Fur.). B. 1. 1160-74 «qui est difficile à comprendre» (Wace, Rou, éd. H. Andresen, II, 1264); 1549 subst. «ce qui est inintelligible» (Du Bellay, OEuvres, éd. H. Chamard, I, 142) ; 2. 1662 «qui comprend mal» (Port-Royal, Logique, III, 19 ds Littré); 3. 1559 «inconnu, sans renom» (Amyot, Demosth., 1, ibid.); 1611 «de basse naissance» (Cotgr.). Empr. au lat. obscurus «sombre, ténébreux; difficile à comprendre; inconnu; caché, secret». Fréq. abs. littér.: 6052. Fréq. rel. littér.: xixes.: a) 7450, b) 7994; xxes.: a) 9817, b) 9193. DÉR. Obscurateur, subst. masc.,,Enveloppe cylindrique opaque, échancrée ou percée d'un voyant, qu'on met autour d'un tube contenant un liquide, pour en voir la surface`` (Rob. Suppl. 1970; ds Lar. 19eSuppl. 1878, dict. xxes.). − [ɔpskyʀatoe:ʀ]. − 1reattest. 1878 (Lar. 19eSuppl.); de obscur, suff. -(at)eur2*. BBG. −Greimas (A.-J.). Nouv. dat. Fr. mod. 1952, t.20, p.304 (s.v. obscurant). _ Kristol (A. M.). Color ... Berne, 1978, pp.130-135. _ Vardar Soc. pol. 1973 [1970], p.274 (s.v. obscurant). |