| * Dans l'article "NÉANT,, subst. masc." NÉANT, subst. masc. A. − Subst. masc. 1. Non-être. a) PHILOS. ,,Absence, soit relative, soit absolue, d'être ou de réalité`` (Foulq.-St-Jean 1962). ♦ [Le néant signifie la privation de l'être] Je ne peux, dit Descartes, m'expliquer que je sois exposé à l'erreur que si je me considère comme participant en quelque façon du néant ou du non-être (J. Beaufret,La Pensée du néant dans l'oeuvre de Heideggerds La Table ronde, mars 1963, p.77): 1. C'était impensable: pour imaginer le néant il fallait déjà qu'on se trouve déjà là, en plein monde et les yeux grands ouverts et vivant; le néant, ça n'était qu'une idée dans ma tête, une idée existante flottant dans une immensité: ce néant n'était pas venu avant l'existence, c'était une existence comme une autre et apparue après beaucoup d'autres.
Sartre,Nausée, 1938, p.171. ♦ [L'être lui-même est le néant] Si en effet le néant n'est rien d'étant, c'est-à-dire rien de l'étant dont il nomme le tout à fait autre, est-il rien pour l'étant de plus radicalement autre que l'altérité de l'être (J. Beaufret,La Pensée du néant dans l'oeuvre de Heideggerds La Table ronde, mars 1963, p.79): 2. Mais si l'être, comparé à l'étant, est de fond en comble néant, au point que la pensée, dit Platon, ne peut supporter qu'avec peine ce climat d'inanité radicale où ses points d'appui ordinaires lui font défaut, gardons-nous toutefois de confondre le néant de l'être avec un néant de nullité. Il s'agit en effet de pureté et non de nullité. Le néant de l'être n'est en aucune façon l'absolument nul, le vide de l'essence.
J. Beaufret,Introd. aux philos. de l'existence, Paris, Denoël, 1971, p.123. SYNT. Effroi, horreur, obsession, sentiment, vertige du néant; rentrer, retomber, sombrer, retourner dans le néant; sortir du néant. b) [Dans une certaine tradition religieuse] Ce qui précède ou suit la vie de la créature. Il ne voit et n'entend plus rien: c'est le néant du tombeau (Crèvecoeur,Voyage, t.3, 1801, p.238).La vie présente, n'étant plus l'être, est évidemment, comme je viens de le dire, le non-être, le néant, la mort (P.Leroux,Humanité, 1840, p.223): 3. L'univers, dans cette hypothèse, n'aurait ni débris ni ruines; il deviendrait ce qu'il était avant le temps, un grain de métal aplati, un atome dans le vide, bien moins encore, un néant.
Joubert,Pensées, t.1, 1824, p.100. − Tirer qqc./qqn du néant (au fig.). Créer quelque chose/ quelqu'un (ou assurer sa réussite sociale) en partant de rien. J'ai quelque mérite à avoir recueilli ces débris, à les avoir, pour ainsi dire, tirés du néant (Crèvecoeur,Voyage, t.1, 1801, p.vi).Il était encore tout étonné d'avoir tiré du néant une petite fille toute neuve, une petite fille aux yeux bleus, aux cheveux noirs qui était à lui (Beauvoir,Mandarins, 1954, p.539). c) THÉOL. [Exprimant la néantisation du fini par rapport à l'infini divin] Mais, dominant tout, noyant tout, son ennui devenait immense, un ennui d'homme déséquilibré, que l'idée toujours présente de la mort prochaine dégoûtait de l'action et faisait se traîner inutile, sous le prétexte du néant de la vie (Zola,Joie de vivre, 1884, p.1057). 2. P.anal. a) Littér., au sing. ou au plur. Chose, personne de peu de valeur. Les rois et les reines sont des néants devant Dieu (Sainte-Beuve,Port-Royal, t.2, 1842, p.210). b) Importance faible ou nulle de quelque chose/quelqu'un. Ô Dieu, cessez de m'affliger, puisque mes jours ne sont que néant! (Chateaubr.,Génie, t.2, 1803, p.326).Attendre la mort pendant quarante ou soixante ans en piétinant dans du néant (Beauvoir,Mandarins, 1954, p.46). − Néant de qqc./qqn.J'ai confessé mon néant devant les voies de la Providence, et baissé mon front dans la poussière (Chateaubr.,Essai Révol., t.1, 1797, p.213).Les momens les plus pénibles de la vie sont ceux qui montrent le néant des biens que l'on s'étoit promis (Senancour,Rêveries, 1799, p.248): 4. Écartez toutes les impressions sensibles, toutes les causes de mouvements, il y aura un vide affreux et comme un néant d'existence pour les hommes qui ne connaissent et n'aiment que la vie des sensations; mais la pensée comblera ce vide ou le rendra imperceptible pour ceux qui sont accoutumés à la vie intellectuelle, et soit qu'ils pensent à eux ou à autre chose, même en méditant sur le néant de l'homme, ils auront une existence pleine.
Maine de Biran,Journal, 1817, p.74. SYNT. Néant des choses humaines, de l'existence, de la gloire, de l'homme, du monde, de la mort, de la vie. B. − [Dans qq. expr., avec la valeur d'un nom. négatif] Rien. 1. Vieux ♦ Compter, tenir ... qqc./qqn pour/à néant.Compter, tenir ... quelque chose/quelqu'un pour rien. Tant de campagnes où Napoléon compta à néant la vie des hommes (Chateaubr.,Mém., t.2, 1848, p.348).Car je tiens pour néant certaines pages intermédiaires (Gide,Journal, 1944, p.260). ♦ Qqc./qqn de néant.Quelque chose/quelqu'un sans valeur, de rien. Que Passepartout subisse le destin des puissances et souffre le murmure des êtres de néant (Veuillot,Odeurs de Paris, 1866, p.xiv).Une petite religieuse! une fille de néant! (Montherl.,Port-Royal, 1954, p.1039). ♦ DROIT Mettre une appellation au/à néant; mettre l'appellation et ce dont est appel au/à néant. ,,Déclarer que la partie qui a appelé d'une sentence est déboutée de son appel; annuler et l'appel et la sentence dont il a été appelé`` (Ac. 1798-1878). Mettre néant sur une requête (sur un article de compte). Mettre le mot néant au bas d'une requête, à côté d'un article de compte, pour marquer qu'on rejette cette démarche, cet article; au fig. refuser d'accéder à la demande de quelqu'un (d'apr. Ac. 1798-1878). 2. Usuel ♦ Mettre, réduire qqc. à néant. Anéantir, réduire quelque chose à rien. Toutes confréries et maîtrises cesseraient et seraient mises à néant (Barante,Hist. ducs Bourg., t.3, 1821-24, p.110).La société, en refusant ses services, réduirait ses prétentions au néant (Proudhon,Propriété, 1840, p.237). ♦ [Employé seul, dans le style admin. ou fam.] Signes particuliers : Néant. Albumine, Sucre = Néant (Ac.1935).Au Sénat, discussion, néant. À la Chambre, discussion, néant (Clemenceau,Iniquité, 1899, p.212).Travail: néant; et rien écrit dans ce carnet (Gide,Journal, 1938, p.1316): 5. ... il vient un moment dans la vie où le chef de bureau se sent pris d'une envie subite de remplacer les rapports par des états «néant» et de pincer l'oreille de son supérieur...
Brasillach,Corneille, 1938, p.430. REM. 1. Néantise, subst. fém.,littér. Chose nulle, sans valeur. On étale aux yeux de l'Autriche et de la France (si toutefois la France aperçoit ces néantises) un spectacle qui rendrait la Légitimité déjà trop ravalée (Chateaubr.,Mém., t.4, 1848, p.472). 2. Néantiste, subst.a) Athée. Vous, néantistes qui avez la superbe de votre rien (Chateaubr.,Mém., t.1, 1848, p.623).b) Nihiliste. Je pourrais vous citer les noms de tels richards anarchisants de l'entre-deux guerres, aujourd'hui socialisants et néantistes, dont les convictions n'ont jamais rien dû à des lectures, non plus qu'à la réflexion (Aymé,Confort, 1949, p.148). Prononc. et Orth.: [neɑ
̃]. Ac. 1694, 1718: neant; dep. 1740: né-. Étymol. et Hist. I. Pron. indéf. marquant à lui seul la négation totale «rien, nulle chose» A. Employé avec la négation ne fin xes. (Passion, éd. D'Arco Silvio Avalle, 403: No's neient ci per que crement); ca 1050 (St Alexis, éd. Chr. Storey, 137: Vint en la cambre, plaine de marrement, Si la despeiret que n'i remest nïent; 529: Sil funt jeter [l'or e l'argent] devant la povre gent: Par iço quident aver discumbrement; Mais ne peut estra, cil n'en rovent nïent); ca 1100 déterminé par un subst. précédé de de (Roland, éd. J. Bédier, 2006: Rollant respunt: «Jo n'ai nient de mel»). B. Employé sans la négation ne 1. noient devant un terme autre que le verbe a) ca 1050 (St Alexis, 243: Soventes feiz lur veit grant duel mener E de lur oilz mult tendrement plurer, E tut pur lui, unces nïent pur eil); b) ca 1120-50 dans une réponse négative (Grant mal fist Adam, I 55 c ds T.-L.: Il qu'en porterat, Quant il s'en irat? Entre tot nïent); ca 1170 (Marie de France, Lais, éd. J. Rychner, Yonec, 383: Un lit treve e nïent plus), cf. néanmoins*. Sur les rapports de noient avec rien dans cet emploi, v. R. Martin, v. infra bbg., p.266; c) dans la séquence subst. + de + néant 1372 gens de néant (Le Livre du chevalier de La Tour Landry, éd. A. de Montaiglon, p.255); 1404 gent de neant (Christine de Pisan, Charles V, I, X, éd.S.Solente, t.1, p.26); 2. noient employé avec un verbe ca 1100 (Roland, 1771 ...De bataille est nient!); 3. emplois prép. a)
α) ca 1165 de noient «en vain, inutilement» (Guillaume d'Angleterre, éd. M. Wilmotte, 1610); ca 1170 (Chrétien de Troyes, Erec, éd. M. Roques, 3326: ...de neant vos penez);
β) ca 1265 faire de nient, crier de nient (Brunet Latin, Trésor, éd. J. Carmody, I, 7, titre et 6, p.23: Comment aucunes choses furent faites de nient ...l'ame fu criee de nient); b) 1155 metre a nient «réduire à rien, détruire» (Wace, Brut, éd. I. Arnold, 1926); ca 1160 tenir a neïent «tenir pour rien, pour sans valeur» (Eneas, éd. J.-J. Salverda de Grave, 798); 1170 venir a neant «disparaître» (Chrétien de Troyes, Cligès, éd. A. Micha, 2591); ca 1180 [r]aler a nïent «id.» (Marie de France, Fables, éd. K. Warnke, 27, 17); c) ca 1160 por nient «en vain» (Eneas, 1809); sur les relations entre nient et rien dans ces différents emplois, v. R. Martin, ibid., pp.269-275. C. Employé sans la négation ne, peut avoir valeur positive, notamment 1. ca 1135 dans une prop. hypothétique (Couronnement de Louis, éd. Y.A. Lepage, réd. AB, 187: Et s'il te velt de neant guerroier, Mandez en France les nobles chevaliers); 2. ca 1160 dans une complétive dépendant d'une principale négative (Eneas, 3209: Ne te porras ja de nos plaindre Que te forfaçon de nient). II. Avec valeur d'adv. «nullement, non» 1. Associé à ne ca 1050 (St Alexis, 49: Mais ç'ost tel plait dunt ne volsist nïent); ca 1100 (Roland, 306: E dit al cunte: ,,Jo ne vus aim nient``); 2. employé sans la négation ne a) ca 1050 (St Alexis, 475: Si revenisses ta spuse conforter, Pur felunie nïent ne pur lastét, v. la note de l'éd.); début xiies. (Benedeit, St Brendan, éd. E.G.R. Waters, 985: Puis après ço, nïent a tart); ca 1150 (Wace, St Nicolas, éd. E. Ronsjö, 270: Nient jo, mès Deus vus guarri); b) ca 1165 neient plus «pas davantage, pas plus longtemps» (Benoît de Ste-Maure, Chron. des ducs de Normandie, éd. C. Fahlin, 32203); c) 1remoitié xiiies. renforce la négation nenil (Aucassin et Nicolette, éd. M. Roques, XXIV, 2). III. Employé comme subst. A. 1. 1160-74 «illusion, vanité» (Wace, Rou, éd. A.J. Holden, II, 4244 De paiz querre a Richart seroit fable et neens); 1228 «ce qui est sans fondement, sans consistance, mensonge» (Jean Renart, Guillaume de Dole, éd. F. Lecoy, 3983: ...de males armes Puisse estre mes cors despeciez..., S'onqes oïstes tel noient!); 2. ca 1165 de dreit neient, de grant neient «en vain, inutilement» (Benoît de Ste-Maure, Troie, éd. L. Constans, 4764, 11419); 3. 1176-81 sans valeur négative «n'importe quoi» (Chrétien de Troyes, Chevalier au lion, éd. M. Roques, 5759: Se vos retaingne pluie ou vanz Ou fins neanz, ne me chaut il); 4. av. 1488 en parlant d'une pers. «un rien du tout» (Farce du pauvre Jouhan, éd. E. Droz et M. Roques, 351). B. 1. a) fin xiies. «vide absolu, inanité de ce qui n'est pas Dieu» (Sermons de St Bernard, éd. W. Foerster, p.5, 23); b) p.ext. 1608 en parlant d'une pers., pour exprimer sa petitesse par rapport à l'infini de Dieu (François de Sales, Vie dévote, I, IX, éd. Ch. Florisoone, t.1, p.35: Dequoy te glorifies-tu, o poudre et cendre..., o vray neant?); cf. 1670 (Pascal, Pensées, 84 ds OEuvres, éd. J. Chevalier, 1964, p.1106: Car enfin qu'est-ce que l'homme dans la nature? Un néant à l'égard de l'infini, un tout à l'égard du néant...); 2. philos. «le non-être», spéc. a) α) 1646 en parlant de ce qui précède l'être (Rotrou, St Genest, III, 2 ds Littré: C'est lui qui du néant a tiré l'univers); cf. 1670 (Pascal, op. cit., 736, ds OEuvres, p.1313);
β) id. «destruction d'un être vivant, la mort considérée comme l'aboutissement de tout être» (Id., op. cit., 335, ibid., p.1175 ...je sais seulement qu'en sortant de ce monde, je tombe pour jamais ou dans le néant ou dans les mains d'un Dieu irrité); b) 1647 «le non-être, le néant absolu» (Descartes, Méditations, IV ds OEuvres, éd. Ch. Adam et P.Tannery, t.9, 1, p.42: Je suis comme un milieu entre Dieu et le néant, c'est à dire placé de cette sorte entre le souverain estre et le non estre). C. ca 1283 metre au nient «détruire, supprimer [les abus, les mauvais usages]» (Livre Roisin, éd. R. Monier, p.1); 1337 «annuler une disposition juridique» (doc. ds Gdf.), fréq. dans ce dernier emploi. IV. Employé comme adj. 1. 1174-77 en parlant d'une pers. «sans valeur, inexistant» (Renart, éd. M. Roques, 4381); fin xiies. (Sermons de St Bernard, p.15, 19: nos sommes si fraile et se niant chose), cf. dans divers dial. du nord, et surtout de la Normandie nient «niais, paresseux», FEW t.7, p.87a, v. aussi gnangnan; 2. ca 1210 en parlant d'une chose (Dolopathos, 397 ds T.-L.; oevre malvaise et nïant [du charpentier]). Prob. d'un lat. vulg. *ne gentem (Körting ds Z. fr. Spr. Lit. t.18, 1896, pp.278-80, hyp. acceptée par FEW t.7, p.87b), syntagme à rapprocher des suivants, constitués à l'époque class.: ubique gentium «partout», ubinam gentium «en quel endroit», nusquam gentium «nulle part» (cf. unde, quo, alibi, quovis, ubicumque, ubivis, usquam gentium), minime gentium «pas le moins du monde, très peu», TLL t.6, col. 1856. Pour la transposition, à la désignation de choses, de cette négation qui se référait, à l'origine, à des êtres vivants, cf. la négation all. nicht «ne... pas», m. h. all. niht, a. h. all. niwiht,(comp. de ni et de wiht «être, démon») et l'esp. nada «rien» (du lat. nata, part. passé fém. de nasci «naître»), FEW t.7, pp.87b-88a. Fréq. abs. littér.: 2934. Fréq. rel. littér.: xixes.: a) 3996, b) 3294; xxes.: a)4848, b) 4386. Bbg. Martin (R.). Le Mot rien et ses concurrents en fr. Paris, 1966, p.130, 131, 269-272. _ Quem. DDL t.7. |