| NETTOYER, verbe trans. I. − [Le compl. d'obj. dir. désigne un subst. concr.] A. − Rendre net, propre en débarrassant de tout ce qui salit, souille, ternit. Il avait essayé de nettoyer les vitres des cadres, car des traces de doigts marquaient les glaces (Huysmans,Là-bas, t.1, 1891, p.237).Avec un tampon imbibé d'éther, il nettoya la place de la piqûre, et, d'un mouvement preste, piqua profondément l'aiguille dans le muscle (Martin du G.,Thib., Été 14, 1936, p.355). SYNT. Nettoyer l'argenterie, un fusil, les murs d'une pièce, le plancher, la table, des vêtements; nettoyer qqc. à la hâte, à coups de torchon, à grande eau; nettoyer à l'eau, à sec. − Emploi factitif. Le pauvre chemisier employa tout l'argent qui lui restait à faire poser du papier art-nouveau (...) à y faire placer des meubles art-nouveau, à faire nettoyer le tapis art-nouveau (taché par ses larmes) (Larbaud,Barnabooth, 1913, p.15). − Emploi pronom. passif. [La table] avait les pieds de chêne joints en croix, le dessus de hêtre. Ce bois se nettoie plus facilement (Pesquidoux,Livre raison,1928, p.160). − P. métaph. Depuis deux jours, il se sentait délivré d'elle, de ses sortilèges. Pas seulement délivré: nettoyé... oui, il lui semblait être lavé d'une sorte de souillure (Martin du G.,Thib., Été 14, 1936, p.534). − En partic. [Le compl. d'obj. dir. désigne le corps, une partie du corps] Laver, rendre propre. Une porte s'ouvrit, et son fils entra, nettoyé, peigné, souriant (Maupass.,Contes et nouv., t.2, M. Parent, 1886, p.589).La mère chinoise offre le petit enfant au chien de la maison qui lui nettoie le derrière avec soin (Claudel,Connaiss. Est, 1907, p.118). ♦ Emploi pronom. réfl. Comment se nettoyer et se parer, quand on n'a ni salle de bains, ni cabinet de toilette (Romains,Hommes bonne vol., 1932, p.293): 1. Il enseigne qu'il faut, le matin, se laver à l'eau fraîche les yeux et les mains, marcher un peu et se détendre les membres, peigner ses cheveux et se nettoyer les dents...
Faral,Vie temps st Louis, 1942, p.190. − P. anal., fam. Débarrasser (un organe) de ses impuretés, de ce qui l'encombre. Je n'examinerai pas ici si le thé relâche ou nettoie l'estomac (Bern. de St-P.,Harm. nat., 1814, p.128).Les muscles souffrants ressemblent à des éponges chargées de poussière; on nettoie les muscles comme les éponges, en les gonflant de liquide et en les pressant plus d'une fois (Alain,Propos, 1922, p.359). B. − P. ext. 1. Rendre net en débarrassant de tout ce qui gêne, encombre. Celui-ci, tout en nettoyant sa pipe sur le marbre de la cheminée qu'il salissait, assista d'un air tranquille et satisfait à la décomposition prévue de Camille (Drieu La Roch.,Rêv. bourg., 1937, p.150). ♦ Nettoyer un lieu de qqc.Les brancardiers ont profité de la destruction des mitrailleuses ennemies installées sur le fort pour sortir des cadavres dans le fossé sud, pour nettoyer l'infirmerie de tous ses immondices (Bordeaux,Fort de Vaux, 1916, p.244).Jacquot nettoya sa place de toutes les brindilles qui eussent pu gêner le confort de son assiette et s'installa (Queneau,Loin Rueil, 1944, p.49). ♦ Nettoyer qqc. (un contenant) de qqc. (un contenu ou une partie du contenu).Il s'agissait de nettoyer la fontaine de sa vase. Ils décidèrent de remettre à plus tard le lavoir, mais de nettoyer la source (Pesquidoux,Livre raison, 1928, p.132). a) En partic. ♦ Nettoyer un plat, une assiette. Manger tout le contenu d'un plat, d'une assiette. Synon. faire les plats* nets.Poil de Carotte, qui n'a plus de timbale, ne se préoccupe que de ne pas nettoyer son assiette, trop tôt, par gourmandise, ou trop tard, par lambinerie (Renard,Poil carotte, 1894, p.97).Ah! te voilà, toi? Tu as rattrapé le temps perdu? L'assiette est nettoyée?... (Hermant,M. de Courpière, 1907, i, 5, p.5). ♦ [Le compl. d'obj. dir. désigne un animal domestique] Débarrasser les souillures, les saletés laissées par les animaux. Olivier était à nettoyer les porcs: on voyait les fourchées de fumier qu'il jetait et qui restaient là à fumer par terre (Giono,Gd troupeau, 1931, p.62). ♦ [Le compl. d'obj. dir. désigne un poisson] Écailler, parer un poisson. Le poisson nettoyé et vidé, on le coucha sur un lit de fenouil et de thym odorant que Marthe avait cueilli au jardin (Moselly,Terres lorr., 1907, p.182). ♦ [Le compl. d'obj. dir. désigne un légume] Laver, éplucher un légume. Elle avait arraché les derniers poireaux du jardin, cueilli de l'oseille, et elle nettoyait précisément les légumes (Zola,Germinal, 1885, p.1222). ♦ [Le compl. d'obj. dir. désigne un manuscrit] Mettre au propre. M. Delteil (...) ne crut mieux faire que de donner à nettoyer ses manuscrits à l'imprimerie. Au moins, il avait une copie à peu près nette de ses travaux (Champfl.,Souffr. profess. Delteil, 1855, p.177). b) Spécialement − AGRIC., SYLVIC. Débarrasser une terre de toute la végétation indésirable. Voici la septième année que j'emploie à nettoyer ce sol agreste, à renverser et brûler les arbres et les buissons dont il étoit encombré (Crèvecoeur,Voyage, t.2, 1801, p.154).D'autres jours, ils avaient l'idée de nettoyer le jardin, au bout d'un quart d'heure une fatigue les prenait (Flaub.,Bouvard, t.2, 1880, p.53).Femmes et enfants sont enrôlés pour nettoyer les champs et pour aider à la récolte, tandis que les plus petits jouent le rôle d'épouvantails (Lowie,Anthropol. cult., trad. par G. Métraux, 1936, p.45).Au part. passé adj. Je vous cède une terre toute molle et nettoyée, une belle terre sans aucun venin, pure comme une pucelle, vous n'y trouveriez pas une racine, pas une pierre aussi grosse que le poing (Claudel,Pain dur, 1918, ii, 3, p.450). ♦ Nettoyer les grains. Retirer tous les corps étrangers qui s'y sont mêlés. Le procédé primitivement employé pour nettoyer les grains fut le triage à la main; mais dès l'antiquité ce procédé long et peu fidèle fut remplacé par le lançage à la pelle et par l'emploi du van et du crible (Privat-Foc.1870). ♦ Nettoyer qqc. de qqc.Quarante-cinq ouvrières, une douzaine d'hommes y travaillaient à broyer le lin et à le nettoyer de ses paillettes avant de l'envoyer aux filatures (Van der Meersch,Empreinte dieu, 1936, p.207).[En parlant d'un arbre, d'une plante] Enlever les branches, brindilles, feuilles mortes, les fleurs fanées. Passer des heures à nettoyer avec un sécateur de vieux lierres de leurs brindilles mortes (Goncourt,Journal, 1870, p.696).[Sans compl. d'obj. second.] Il nettoyait un rosier grimpant, car il tenait son sécateur à la main, et l'échelle était encore contre le mur (Zola,Terre, 1887, p.184). − TECHN. MILIT. Éliminer (d'une position, d'un terrain conquis) les ennemis (qui s'y trouvent). Nettoyer une tranchée à la grenade. Les troupes du 9ecorps se portent à l'attaque à gauche de la 42edivision, progression lente et difficile à travers des boqueteaux qu'il faut nettoyer à la baïonnette et par-dessus les nombreux cadavres ou blessés de la garde prussienne (Foch,Mém., t.1, 1929, p.131).Laissez les portes, elles sont gardées. Je vais nettoyer un bout de rue avec la mitrailleuse (Malraux,Espoir, 1937, p.642). ♦ [Le compl. d'obj. dir. désigne une pers.] Anéantir, supprimer, tuer. Synon. liquider.Il a été nettoyé par un obus. L'infanterie, quand elle marchera, croira ne trouver que des déchets de matériel et une garnison nettoyée ou tellement réduite et bouleversée qu'elle sera incapable d'une défense (Bordeaux,Fort de Vaux, 1916, p.84).Vous savez la nouvelle? L'aviation a enfin pu donner. −Oui, mille avions! −Ils sont nettoyés. −C'est la fin (Beauvoir,Mandarins, 1954, p.12). ♦ Fam. [Le compl. d'obj. dir. désigne une pers.] Anéantir, épuiser, laisser sans réaction, tuer. Le pauvre diable n'a pas eu de chance. On l'avait mis dans la salle des fiévreux, et il y a gagné la fièvre typhoïde. Ça l'a nettoyé en trois jours (Courteline,Train 8 h 47, Mal de gorge, 1886, iii, p.164): 2. ... il était devenu en fer, tant il s'était frotté aux outils. D'ailleurs, elle avait raison: un monsieur qui n'aurait jamais forgé un rivet ni un boulon, et qui aurait voulu faire joujou avec son marteau de cinq livres, se serait collé une fameuse courbature au bout de deux heures. Ça n'avait l'air de rien, mais ça vous nettoyait souvent des gaillards solides en quelques années.
Zola,Assommoir, 1877, p.530. − P. anal. Débarrasser un lieu des gens dangereux ou indésirables qui s'y trouvent. La police a nettoyé le quartier. Il passa et repassa plusieurs fois devant l'évêque avec un air de bravade, et finit par dire tout haut qu'il faudrait que la ville de Tours fût nettoyée d'auvergnats (Thierry,Récits mérov., t.2, 1840, p.226): 3. ... on a ouvert des dépôts et des ateliers de travail, où l'indigence laborieuse trouve une existence assurée au prix d'un travail honnête (...). Grâce à ces mesures, qu'une police infatigable seconde avec tant de persévérance, les rues de Paris sont nettoyées de cette foule de vagabonds qui, sur les traces de Gusman d'Alfarache, spéculaient joyeusement sur la pitié publique.
Jouy,Hermite, t.1, 1811, p.40. 2. Rendre les contours de quelque chose nets et distincts. Avec la vidure, petite scie à main à dents très fines, on rend le pied de la dent carré et on nettoie les bavures qui existent dans l'intervalle (Rousset,Trav. pts matér., 1928, p.120).Il roule un morceau de mie de pain, puis nettoie négligemment le pourtour de deux ou trois lettres. Il ricane: −J'ose pas appuyer. J'ai peur de passer à travers (Romains,Hommes bonne vol., 1932, p.140). 3. Fam. Priver quelqu'un de ses moyens et en partic., de son argent, de ses biens, le ruiner. Synon. liquider.Être nettoyé au jeu. Je parie que tu as fait des bêtises, que tu t'es fait nettoyer aux cartes, n'est-ce pas? (Courteline,Femmes d'amis, Fils, 1885, p.130).Vous êtes sans le sou, nettoyé par la roulette; un yacht, une femme et, peut-être, un gosse sur les bras, il s'agit de s'en tirer (A. Daudet,Pte paroisse, 1895, p.138). II. − Au fig. [Le compl. d'obj. dir. désigne un subst. abstr.] Supprimer, éliminer, faire disparaître. Nous touchons au dernier degré de pourriture. Il faut nettoyer ce mal. Comment? En mettant au-dessus de ces partis en dissolution l'intérêt national (Barrès,Cahiers, t.10, 1914, p.304). − Nettoyer qqc. de qqc.Épurer, débarrasser. Il fallait nettoyer la science de beaucoup de préjugés (Say,Écon. pol., 1832, p.38): 4. ... des soldats qui promènent leurs habits grattés et leur peau frottée, l'unique bijou de leur plaque d'identité gravée scintillant au soleil sur leur capote, (...) se hasardent, avec soin, dans le beau décor nettoyé de tout cauchemar.
Barbusse,Feu, 1916, p.323. ♦ Emploi pronom. réfl. Je l'aime pour avoir choisi si exquisement ce qu'il y avait de mieux en lui, pour s'être nettoyé si soigneusement de toute naïveté (Rivière,Corresp. [avec Alain-Fournier], 1905, p.96).C'est peut-être, de ma première éducation puritaine, ce dont j'ai le plus de mal à me nettoyer (Gide,Faux-monn., 1925, p.1031). REM. 1. Nettoyable, adj.Qui peut être nettoyé. (Ds Littré). 2. Nettoyant, -ante, adj. et subst. masc.(Produit) qui nettoie. Brosse nettoyante. Le savonnage, ou traitement nettoyant complétant le lessivage, qui est fait en frottant, battant ou brossant le linge lessivé dans un bain tiède d'eau de savon: les dernières traces de crasse sont détachées (Lar. mén.1926, p.191). Prononc. et Orth.: [netwaje], (il) nettoie [netwa]. Att. ds Ac. dep. 1694. Conjug. v. aboyer. Étymol. et Hist. 1. Fin xiies. «purifier (moralement)» nattïer son cuer en la confessïon (Sermons de St Bernard, 18,40 ds T.-L.); 2. a) xiiies. [ms.] netoiier [aucune rien] «rendre [quelque chose] propre, net, pur» (Chrétien de Troyes, Erec, éd. W. Foerster, 5134, var.: Si li a ses plaies bendees, Et netoiees et lavees); ca 1215 soi netiier (Raoul de Houdenc, Eles, 569 ds T.-L.); b) 1262 naitoier [le puis] (Jean Le Marchant, Miracles de N.-D. de Chartres, éd. P.Kuntsmann, XIII, p.128, 37); 3. «débarrasser, délivrer, libérer de ce qui gêne, qui nuit» a) ca 1210 netoiier [aucun] de [aucune rien] «délivrer [quelqu'un] de [un mal qui l'accable]» (Robert de Clary, Constantinople, LXXXIII, éd. Ph. Lauer, p.83: qui creanche i aroit si seroit netiés de se maladie); b) ca 1274 «délivrer, libérer de ce qui opprime» (Adenet Le Roi, Berte, éd. A. Henry, 1482); c) 1282 «éliminer, supprimer (ce qui nuit)» nethoyer herbe (doc. ds Gdf. Compl.); d) ca 1468 «débarrasser [un écrit] de ce qui l'encombre ou est superflu» (Ch. Soillot, Debat de felicité, ms. Bruxelles, fol. 1 vo, ibid.); 4. ca 1260 «libérer un lieu de ses occupants» (Récits d'un ménestrel de Reims, éd. N. de Wailly, § 56, p.30: la citeiz fust netoïe des cors des Sarrazins); 1272 (Établissements de St Louis, éd. P.Viollet, XXXVIII, t.2, p.54: netoïer sa juridiction [du prevost] des mauvais homes et des mauvaises fames); 1671 milit. nettoyer les tranchées (Pomey); 5. «vider, dépouiller en emportant» a) 1538 «dépouiller quelqu'un de son argent» (Est., s.v. emungo); b) 1611 nettoyer au balai «emporter tout ce qui se trouve dans une maison» (Cotgr.); 1694 (Ac.: Les sergents ont tout emporté, ils ont tout nettoyé dans cette maison); c) 1678 «dilapider» nettoyer un monceau de pistoles (La Fontaine, Fables, VIII, 7); 6. 1844 pop. «éliminer en tuant» (Dict. complet [anonyme] d'apr. Esn.). Réfection, d'apr. l'adj. net*, du verbe a. fr. noiier «débarrasser, délivrer» (1remoitié xiies. Psautier d'Oxford, éd. F. Michel, XVIII, 13; 1155 Wace, Brut, éd. I. Arnold, 1169; demeuré dans le vosgien noyé «racler des légumes», cf. FEW t.7, p.144a), issu, de même que le cat. nedejar, d'un lat. vulg. *nitidiare, dér. de nitidus, v. net. Les sens développés par nettoyer sont dér. de l'adj. net. Fréq. abs. littér.: 972. Fréq. rel. littér.: xixes.: a) 602, b) 1381; xxes.: a) 1929, b) 1718. Bbg. Gohin 1903, p.368. _Pauli 1921, p.53. _Sain. Arg. 1972 [1907] p.62, 125. |