| NÉCESSAIRE, adj. et subst. I. − Adjectif A. − [Avec un compl. exprimé ou sous-entendu; qualifiant une pers. ou une chose] Dont l'existence, la présence, l'usage, l'action sont requis (pour atteindre une fin, répondre à une situation, à un besoin); dont on ne peut se passer ou se dispenser. Synon. indispensable, essentiel, obligatoire; anton. inutile, superflu.J'avais emporté mon ennemi avec moi, il profita de ce que je ne le combattais plus pour s'emparer de moi tout entier, il se rendit nécessaire, indispensable, et sut si bien me circonvenir, qu'il devint partie intégrante de mon être (Du Camp, Mém. suic., 1863, p.43).Négligeant les préceptes les plus utiles, ignorant les règles les plus nécessaires, je produisais des thèmes et des versions bien éloignés de cette exactitude, de cette élégance et de cette concision (A. France, Vie fleur, 1922, p.360): 1. ... le rite et l'idole, c'était à la fois la forme et la matière de la superstition. C'est-à-dire que, comme un luxe entièrement superflu et pourtant nécessaire, l'action superstitieuse n'avait d'autre raison que de concilier à l'homme la puissance mystérieuse dont il dépend.
Blondel, Action, 1893, p.312. SYNT. Homme, personne nécessaire; action nécessaire; dispositions nécessaires; qualités nécessaires; éléments, indications nécessaires; objets, denrées, produits matériaux, ressources nécessaires. − Constructions ♦ [Suivi d'un compl. marquant la destination ou le but] Nécessaire à, pour + compl. désignant une pers.Les premiers aliments nécessaires à l'homme, le pain, le vin (Pesquidoux, Livre raison, 1925, p.135).Une civilisation (...) est dans son ensemble un poème que le temple ou la statue ou la symphonie résument, ce qui les fait si émouvants, si décisifs, si nécessaires pour nous (Faure, Espr. formes, 1927, p.119).L'objet nécessaire à sa nature passionnée (Peyré, Matterhorn, 1939, p.73).Nécessaire à, pour + subst. indiquant un processus, une action, un état.Nécessaire à/pour la vie, l'existence, la paix, la tranquillité, le bonheur. Leudaste fonda ses espérances d'anéantir le crédit de l'évêque (...) en se faisant regarder lui-même comme l'homme nécessaire à la conservation de la ville (Thierry, Récits mérov., t.2, 1840, p.210).Certains chefs-d'oeuvre, aussi nécessaires au rythme universel que les sept merveilles du monde (Fargue, Piéton Paris, 1939, p.12).Pourquoi la musique? Parce qu'elle est, non seulement utile, mais nécessaire pour la compréhension du monde, et de l'homme (Schaeffer, Rech. mus. concr., 1952, p.173).Nécessaire pour ou à (vieilli) + inf.Les médiocres sont nécessaires pour accomplir de médiocres labeurs (Huysmans, Oblat, t.1, 1903, p.88).Détails de vérité, étrangers au sujet, inutiles en eux-mêmes, d'autant plus nécessaires à nous révéler l'évidence du miracle (Proust, Sodome, 1922, p.732).L'angoisse de l'historien «scientifique» quand il suppute tous les documents qui lui seraient nécessaires pour établir l'existence de Jules César (Mounier, Traité caract., 1946, p.363).Nécessaire pour que + prop. au subj.Les qualités et les conditions requises pour contracter mariage, les formalités nécessaires pour que le mariage soit valable (Durkheim, Divis. trav., 1893, p.91).Le gouvernement a entrepris auprès du gouvernement britannique les démarches nécessaires pour que Londres précise ses intentions (De Gaulle, Mém. guerre, 1959, p.642). ♦ [Suivi d'un compl. indiquant l'objet de la nécessité] Emploi impers. Il est, paraît, semble (ou avec des verbes d'opinions tels que croire, juger, trouver) nécessaire de + inf. ou que + prop. au subj.Il est nécessaire que le législateur, si toutefois le législateur a le temps de lire, connaisse jusqu'où peut aller l'abus de la procédure (Balzac, Illus. perdues, 1843, p.611).Pourquoi plus tard, a-t-on jugé nécessaire, indispensable, de rédiger les Évangiles (Boegnerds Foi et vie, 1936, p.126).V. aussi espérer ex. 8.Qqc. nécessaire à + inf.Ce que vous dites de la vie, de la mort (...) est vrai et pur, magnanime à dire, nécessaire à entendre (Hugo, Corresp., 1865, p.506).Un tel flot de choses nécessaires à vous dire pour vous expliquer ceci et cela (Montherl., J. filles, 1936, p.998). ♦ En incise. Si c'est nécessaire ou p.ell., si nécessaire. Familier quand il le fallait, silencieux si nécessaire, capable de désinvolture autant que de gravité, j'étais de plain-pied (Camus, Chute, 1956, p.1487). − LOG. Condition nécessaire. Condition requise absolument pour qu'une conséquence soit possible. Condition nécessaire et suffisante. ,,Celle qui entraîne toujours une conséquence quand elle est posée et qui l'exclut toujours quand elle fait défaut`` (Lal. 1960, s.v. condition). I conditions nécessaires. Exemple: Pour qu'un nombre soit divisible par 15 il faut qu'il soit divisible par 3 (mais cela ne suffit pas). II conditions suffisantes (...). Pour qu'un nombre soit divisible par 5 il suffit qu'il soit terminé par le chiffre 5 (mais cela n'est pas nécessaire) (...). III conditions nécessaires et suffisantes (...). Pour qu'un nombre soit divisible par 3, il faut et il suffit que la somme de ses chiffres soit un multiple de 3 (Roux, Miellou, Géom., 1946, p.21).L'avènement d'une religion monothéiste exige comme condition nécessaire, sinon suffisante, l'intervention d'une personnalité religieuse puissante (Philos., Relig., 1957, p.40-13).V. aussi accessoire ex. 6. B. − Gén. en emploi abs. [P.oppos. à fortuit, accidentel, contingent] 1. [Conditionnellement] a) [En parlant d'un fait, d'un phénomène implicitement ou explicitement mis en rapport avec d'autres faits ou phénomènes] Qui est inévitable, qui ne peut manquer de se produire. Synon. fatal, forcé, obligé, obligatoire; inéluctable, logique, naturel.Conséquence, effet, issue, résultat, suite nécessaire; mal, mort nécessaire. Il en résulta à l'instant une indigence nécessaire et forcée qui était sa joie à elle (Sainte-Beuve, Port-Royal, t.1, 1840, p.187).Il dit simplement, comme d'une chose naturelle, attendue, nécessaire: −Mon fils est mort (Van der Meersch, Invas. 14, 1935, p.217): 2. Je pensai alors, longuement, que l'accouchement aurait une issue fatale et je ne redoutais pas la mort. Au contraire: elle m'apparaissait comme une conclusion, nécessaire, logique, comme l'aboutissement de mon absurde existence.
Daniel-Rops, Mort, 1934, p.244. b) PHILOS., LOG.
α) [En parlant d'un rapport ou d'un système de rapports] Qui est imposé, rigoureusement déterminé par la nature des choses ou par un état de fait. Causalité, cause nécessaire; lien, liaison, relation nécessaire; enchaînement, ordre nécessaire. Mais ces deux termes extrêmes de tout le système des êtres, la cause et l' effet, (...) ces deux termes en rapport nécessaire, puisque le mot d' effet exprime par lui-même un rapport à la cause, et le mot de cause un rapport à l'effet (Bonald, Législ. primit., t.1, 1802, p.282).Il y a là un concours de causes indépendantes, une harmonie non nécessaire (d'une nécessité mathématique) (Cournot, Fond. connaiss., 1851, p.83): 3. ... au lieu de [se] confier à une improvisation intuitive plus ou moins gratuite, ils l'assoient [leur méthode] sur une recherche rigoureuse des corrélations psychiques. Une corrélation est une relation nécessaire entre une propriété psychique fondamentale et une propriété dérivée. Déceler empiriquement ces corrélations (...) c'est étudier cet ensemble en activité, et repérer un à un les engrenages de son mouvement jusqu'à pouvoir, à la longue, saisir l'unité du tout.
Mounier, Traité caract., 1946, p.24.
β) [En parlant d'un acte] Qui échappe à la volonté humaine. Anton. libre, indéterminé.Souvent je me repose dans cette idée, que le cours accidentel des choses et les effets directs de nos intentions ne sauraient être qu'une apparence, et que toute action humaine est nécessaire et déterminée par la marche irrésistible de l'ensemble des choses (Senancour, Obermann, t.2, 1840, p.18).La philosophie parle souvent d'actes libres et d'actes nécessaires. Peut-être n'en est-il pas de plus complètement subi par nous que celui qui (...) fait, une fois notre pensée au repos, remonter ainsi un souvenir jusque-là nivelé avec les autres par la force oppressive de la distraction (Proust, J. filles en fleurs, 1918, p.822). c) DR. ROMAIN. Héritier nécessaire. V. héritier I C. 2. [Catégoriquement] PHILOS., LOG. Qui ne peut pas ne pas être ou ne peut pas être autrement; qui s'impose immédiatement à l'esprit. a) [En parlant d'une prop.] Dont la contradictoire est impossible en tout état de cause. Axiomes, postulats nécessaires; lois, principes nécessaires; idées nécessaires. On trouve aisément des exemples de ces vérités suprêmes qui se soutiennent sans appui, de ces vérités nécessaires qui se font croire de plein droit, de ces vérités éternelles qui ne peuvent pas être neuves, mais qui, pour paraître nouvelles, n'ont pas besoin d'être ignorées (Joubert, Pensées, t.1, 1824, p.303).Au début de ces Essais, je n'ai ni subi ni cherché à produire l'illusion d'un commencement tellement logique et nécessaire que rien ne fût admis ou supposé auparavant (Renouvier, Essais crit. gén., 3eessai, 1864, p.2): 4. Ces principes [directeurs de la connaissance] sont marqués de trois caractères essentiels par lesquels ils diffèrent radicalement de toutes les vérités induites de l'expérience: 1oIls sont universels, et cela dans un double sens (communs à toutes les intelligences; vrais de toutes les choses sans exception)... 2oIls sont nécessaires... 3oIls sont apriori...
E. Boirac, Cours élémentaire de philosophie, 18eéd. (1904), p.91-92 ds Lal. 1960, s.v. principe. b) [En parlant d'un être] Dont l'existence n'est assujettie à aucune cause ou condition autre que lui-même; dont l'existence est liée à l'essence. Synon. inconditionné, incréé, premier.L'Être nécessaire. Dieu, la Divinité. Le rationalisme, comme le christianisme, admet l'existence d'un principe des choses; mais pour lui, c'est la nature même qui est l'être-principe, l'être nécessaire, l'être éternel, l'être souverain (Lacord., Conf. N.-D., 1848, p.15).La contingence me dit seulement que je ne suis pas un être nécessaire dont le contraire impliquerait contradiction; elle me permet au plus de conclure que je peux ne plus être un jour (Ricoeur, Philos. volonté, 1949, p.430): 5. Duns Scot part en effet de l'idée d'être pour prouver qu'on doit nécessairement poser un être premier; de sa qualité de premier, il déduit que cet être est incausable; de ce que cet être est incausable, il déduit que ce premier être existe nécessairement. Passant ensuite aux propriétés de l'être premier et nécessaire, Duns Scot prouve qu'il est cause efficiente, doué d'intelligence et de volonté, que son intelligence embrasse l'infini et que, puisqu'elle se confond avec son essence, son essence enveloppe l'infini...
Gilson, Espr. philos. médiév., 1931, p.60. II. − Subst. masc. A. − Le nécessaire 1. Ce dont on ne peut se passer ou se dispenser (étant donné une situation, un état); l'essentiel, l'indispensable. Faire le nécessaire. Le nécessaire de la vie, c'est la sûreté individuelle, c'est la liberté (Stendhal, Rome, Naples et Flor., t.2, 1817, p.59).Je tremble de t'ennuyer. Mais ne saute aucune ligne. Sois assurée que je m'en tiens au strict nécessaire (Mauriac, Noeud vip., 1932, p.28).Un coup de téléphone m'annonce que le nécessaire a été fait pour me permettre de gagner Alger (Gide, Journal, 1944, p.264). − En partic. ♦ Ce qui est indispensable pour répondre aux besoins les plus urgents de la vie. Anton. le superflu.Avoir le nécessaire. J'aurais fait mieux [que les philanthropes]; j'aurais procuré le plaisir à ceux qui sont tristes et prodigué le superflu à ceux qui ont le nécessaire. Axiome: le superflu est le premier des besoins (Flaub., Corresp., 1846, p.326).Cette tristesse vient encore de la nudité relative de cette chambre, où il n'y a que le strict nécessaire, les éléments du mobilier, point d'inutilité (Goncourt, Journal, 1861, p.964): 6. N'était-ce pas un privilège assez précieux que de naître exempt de ces servitudes temporelles qui font de la vie des besogneux une monotone recherche du nécessaire, une lutte épuisante contre la faim, la soif. Ce ventre insatiable qui réclame chaque jour son dû?
Bernanos, Journal curé camp., 1936, p.1154. ♦ RELIG. L'unique nécessaire. Ce qui répond de façon exclusive aux aspirations fondamentales de l'être humain. Le salut, l'affaire du salut est l'unique nécessaire (Ac.1798-1935).La Soeur Françoise: ce qu'il y a dans ma paix est l'unique nécessaire (Montherl., Port-Royal, 1954, p.995).Bien moins frivole que je ne me décris dans mes divers Souvenirs, j'étais en secret aussi occupé que je le suis aujourd'hui par l'unique nécessaire (Mauriac, Bloc-Notes, 1958, p.28). 2. PHILOSOPHIE a) Ce qui est voulu par l'enchaînement inéluctable des faits; ce qui constitue cet enchaînement inéluctable; la nécessité, le déterminisme. C'est le plus haut tragique, à ce moment de la réflexion où, la fatalité capricieuse étant vaincue, l'inflexible nécessaire se montre (Alain, Propos, 1921, p.229): 7. Comment démêler dans les livres ce qui tient à l'essence de l'homme, ce qui vient de l'instant, ce qui procède d'une intention particulière, ce qui naît du hasard? La substance et l'accident s'y combinent. Le spontané et le réfléchi, le nécessaire et l'arbitraire, tout ceci est fondu dans l'expression extérieure, comme le cuivre et l'étain dans le bronze...
Valéry, Variété IV, 1938, p.98. b) Ce qui ne peut pas ne pas être ou ne peut pas être autrement (v. supra I B 2). Alors que ce qui nous est donné, et que notre pensée même à qui cela est donné, se tient dans l'ordre du contingent, du muable et du temporaire, la vérité se tient naturellement sur le plan du nécessaire, de l'immuable et de l'éternel (Gilson, Espr. philos. médiév., 1931, p.142). B. − Un nécessaire. Coffret, étui, mallette, trousse contenant divers objets nécessaires ou commodes (pour une occupation, une activité); l'ensemble de ces objets. Nécessaire de toilette; nécessaire de, à couture; nécessaire de fumeur; nécessaire d'argent; nécessaire en vermeil. Un domestique portant, dans un nécessaire d'acajou, tous les ingrédients dont il avait enrichi son répertoire (Brillat-Sav., Physiol. goût, 1825, p.351).Il la calma à moitié en lui offrant un nécessaire de voyage, avec des flacons à bouchons de vermeil. Le nécessaire donna à Sylvaine le désir de s'en servir (Druon, Gdes fam., t.2, 1948, p.133). Prononc. et Orth.: [nesesε:ʀ], [nesε-]. Ac. 1694, 1718: necessaire, dep. 1740 né-. Étymol. et Hist. 1. a) 1119 adj. «dont on a absolument besoin (d'une chose)» (Philippe de Thaon, Comput, 27 ds T.-L.); b) xives. subst. fém. plur. «tout ce qui correspond à des besoins, ce qui est essentiel dans un mode de vie déterminé» (Dial. de St Grég., ms. Evreux, fo46b ds Gdf. Compl.); 1530 subst. masc. (Palsgr., p.248, s.v. Necessary thing); c) 1718 «coffret, étui renfermant tout ce qui est indispensable à une certaine activité» (Corresp. de la Duchesse d'Orleans, II, p.204 ds Havard t.3); 1835 nécessaire à toilette (Ac.); 2. 1436 il est necessaire de (+ inf.) (Arch. Nord, B. 17654, Dossier La Barre ds IGLF); 1495 il est nécessaire que (+ subj.) (Coutumes de Ponthieu ds Nouv. coutumier gén., t.1, p.85); 1692 il est necessaire de (+ subst.) (Fénelon, Dialogue Arist. et Descartes, ds OEuvres, t.XIX, p.372); 3. ca 1480 adj. «dont on ne peut se passer (d'une personne)» (Myst. du viel Testament, éd. J. de Rothschild, 25502); 1655 subst. «personne qui se croit indispensable» (J. Loret, Muze historique, éd. C. Livet, t.II, p.94); 4. a) ca 1220 «qui ne peut pas ne pas être» (Gui de Cambrai, Barlaam et Josaphat, 44 ds T.-L.); 1554 «inéluctable, inévitable» (Amyot, tr. Diodore, XII, 4 ds Hug.); 1676 mal nécessaire (Flechier, Turenne ds Littré); b) 1660 subst. «en littérature, opposé au vraisemblable» (Corneille, Discours de la Tragédie ds Théâtre complet, p.106); c) 1657-62 métaphys. être nécessaire «être qui existe sans qu'il y ait de cause ni de condition à son existence» (Pascal, Pensées, éd. Brunschvicg, section VII, 378); d) 1743 log. vérité nécessaire (D'Alembert, Intr. du traité de dynamique ds OEuvres, t.1, 2epart., p.403). Empr. au lat. necessarius «inévitable, inéluctable; pressant, urgent, impérieux; nécessaire, indispensable». Fréq. abs. littér.: 11947. Fréq. rel. littér.: xixes.: a) 22778; b) 11987; xxes.: a) 14510, b) 16221. Bbg. Tuaillon (G.). R. Ling. rom. 1975, t.39, pp.176-177. |