| MURER, verbe trans. A.− Entourer de murs, de murailles. Murer une ville. Murer un terrain (Noël1968).Petites cités murées sur un promontoire entre deux vallées (Vidal de La Bl., Tabl. géogr. Fr.,1908, p. 295). − Emploi abs. Quand ils [les fils de Caïn] eurent fini de clore et de murer, On mit l'aïeul au centre [de la ville] en une tour de pierre (Hugo, Légende,t. 1, 1859, p. 50). − Emploi pronom. Les villes, s'isolant en effet, se murant jalousement, rayonnent peu sur un plat pays totalement étranger à elles (Febvre, Combats pour hist.,Entre Benda et Seignobos, 1933, p. 94). B.− Fermer, enfermer au moyen d'un mur. 1. [Le compl. désigne une ouverture] Boucher avec de la maçonnerie, des pierres. Murer une cheminée, une fenêtre. On allait murer les portes, car Sparte ne se rendrait pas, même emportée d'assaut (Villiers de l'I-A., Contes cruels,1883, p. 168).V. grossièreté ex. de Stendhal : 1. Alors, je pensai qu'il valait bien mieux murer la porte de monsieur Poulard [atteint d'agoraphobie], pour lui ôter la tentation de s'en servir (...). Le poilu gâchait le ciment, me portait les briques, et je les posais une à une, bien proprement...
Mille, Barnavaux,1908, p. 58. − [P. méton.] Murer une maison. Les peines les plus redoutables (...) interdisaient le sanctuaire et muraient les caveaux de la Vallée des Rois (Barrès, Cahiers,t. 6, 1908, p. 233). 2. [Le compl. désigne une pers.] Enfermer dans un endroit dont on bouche les issues. Synon. claquemurer, emmurer.V. femme II ex. de Colette : 2. antigone : Comment vont-ils me faire mourir? le garde : Je ne sais pas. Je crois que j'ai entendu dire que pour ne pas souiller la ville de votre sang, ils allaient vous murer dans un trou.
Anouilh, Antig.,1946, p. 204. − Emploi part. passé, p. anal. [En parlant d'ossements] Scellé dans la maçonnerie. Ossements [humains] murés dans les remparts de la Syrie (M. Bloch, Apol. pour hist.,1944, p. 21). C.− P. anal. [Le suj. désigne ce qui fait obstacle] Boucher, obstruer. La porte était murée par une combinaison de neiges tassées qui formaient un mur de glace (Champfl., Souffr. profess. Delteil,1855, p. 132).Un fouillis de verdure noire tout à coup murait l'avenue, en faisait une impasse de broussailles et de lianes, où le chemin tournait (Gracq, Beau tén.,1945, p. 180). D.− Au fig. Dérober à tous les regards, soustraire à la vue, isoler de l'influence extérieure. Cette détermination contre laquelle conseils, injonctions, supplications se brisaient, barrait son front, bandait ses yeux et la murait dans son silence (Gide, Porte étr.,1909, p. 542). − [P. allus. hist. à une parole de Royer-Collard (1819)] La vie privée doit être murée. ,,Ce qui se passe dans la vie privée ne doit pas être livré à la publicité`` (Ac. 1878, 1935). Personne plus que moi ne tient que la vie privée des citoyens doit être murée; ce n'est qu'à cette condition que nous pouvons être dignes de la liberté de la presse (Stendhal, Racine et Shakespeare,t. 1, 1825, p. 155).La France mure la vie privée (Hugo, Rhin,1842, p. 468). − Emploi pronom. S'isoler dans sa maison en refusant la communication avec autrui. Synon. se cloîtrer.Se murer chez soi. Ils se murèrent du monde, ils condamnèrent leur porte, ils n'acceptèrent plus aucune invitation (Rolland, J.-Chr., Amies, 1910, p. 1143). ♦ Se murer dans (tel état d'esprit, tel sentiment).Elle se murait dans l'orgueil (Hugo, Homme qui rit,t. 1, 1869, p. 192).J'ai vécu, je vis encore, m'attendant chaque jour à votre lassitude et à votre oubli, et le silence où vous vous murez, depuis deux mois, me confirme dans cette crainte (Montherl., J. filles,1936, p. 1000).V. concupiscence ex. 2.Emploi abs. Un subtil orgueil, une intuition des sentiments d'autrui l'avaient fait se buter, se murer (Van der Meersch, Invas. 14,1935, p. 259).Emploi part. passé. Je cessai de regarder Arlette, toujours murée dans son silence (Estaunié, Solitudes,1917, p. 161).Aujourd'hui elle est bien recluse, murée en elle-même, indifférente à tout, étrangère partout (Chardonne, Chant Bienh.,1927, p. 60). Prononc. et Orth. : [myʀe], (il) mure [my:ʀ]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. 1. 1174-87 « fermer, condamner par un ouvrage de maçonnerie » (Chrétien de Troyes, Perceval, éd. F. Lecoy, 4866); ca 1210 (Robert de Clary, Conquête de Constantinople, éd. Ph. Lauer, 75, p. 75, 13); 2emoitié xviies., fig. (Bossuet, 4esermon, 1erdim. de carême, 2 ds Littré : l'inclination nous enchaîne et nous jette dans une prison; l'habitude nous y enferme, et mure la porte sur nous pour ne nous laisser aucune sortie); 2. ca 1180 « entourer de remparts » murer une ville (Alexandre de Paris, Alexandre, éd. E. C. Armstrong, I, 2657); fig. ca 1263 « s'enfermer comme dans des murs, se protéger » (Rutebeuf, Bataille des Vices contre les Vertus, 124 ds
Œuvres, éd. E. Faral et J. Bastin, t. 1, p. 309 : Li sages hom se doit murer Et garnir por crieme d'assaut); 1829 (Boiste : murer, dérober à tous les regards). Dér. de mur*; dés. -er; cf. le b. lat. murare « entourer de murs ». Fréq. abs. littér. : 105. DÉR. Murage, subst. masc.,Action de murer; résultat de cette action. Murage d'une porte, d'une fenêtre (Rob., Lar. Lang. fr., Lexis1975).− [myʀa:ʒ]. − 1resattest. a) Ca 1225 « ensemble de murs, muraille, enceinte » (Huon de Bordeaux, éd. P. Ruelle, 13), seulement au xiiieet xives., b) α) 1829 « état de ce qui est enclos de murs, de ce qui est muré » (Boiste, 1836 (Ac. Suppl.)),
β) 1868 « action de murer » (Lar. 19e); a dér. de mur*, b dér. de murer*, suff. -age*; cf. le lat. médiév. muragium « corvée pour la réparation des murs d'une ville ou d'un château » (xiies. ds Nov. gloss.), d'où l'a. fr. murage (1299 ds Gdf.). |