| MUET, -ETTE, adj. I.− [En parlant d'animés humains] A.− 1. Qui n'a pas l'usage de la parole. Être muet de naissance, sourd et muet, sourd-muet. Mahaut, petite, fut entourée de suspicion. Comme elle ne parla qu'assez tard, sa mère la croyait muette (Radiguet, Bal,1923, p. 19): 1. Vous devriez être heureux, maître Jonas!... de désaltérer un bon serviteur de sa majesté catholique, affligé d'une infirmité pareille... car il a le malheur d'être muet, ayant perdu la langue à la bataille de Saint-Quentin.
Sardou, Patrie,1869, I, 1ertabl., 3, p. 24. − Expr. fam., vieilli. N'être pas muet. ,,Parler hardiment, ou parler beaucoup`` (Littré). ♦ [P. allus. au Médecin malgré lui de Molière II, 6 : Voilà pourquoi votre fille est muette, pour souligner le caractère incohérent ou inutile d'une explication] :
2. On est en contrebande, dit-il. En plus de ça, qu'il me dit, il y a des lois, Frédéric. Les lois de paperasse, je m'en torche, tu le vois, mais les lois humaines, je les respecte (...). Ensuite, je ne dois pas te le cacher, on n'est pas dans une très belle situation. Tu n'as pas de témoin (...). Troisièmement, une autre chose qui est mon affaire personnelle. Et il est inutile que je te l'explique. Voilà pourquoi notre fille est muette et qu'on va rester là toute la nuit.
Giono, Un Roi sans divertissement,Paris, Gallimard, 1974 [1947], p. 501. − P. anal. [En parlant d'un animal] Qui n'a pas de cri. Les poissons sont muets : 3. ... certains lieux ont une vertu particulière sur certains animaux (...) à Sériphe (...) les grenouilles ne coassent point; (...) à Reggio, en Calabre, les cigales ne chantent pas; (...) les sangliers sont muets en Macédoine...
Hugo, Rhin,1842, p. 158. − Emploi subst. Personne privée de l'usage de la parole. Un muet, une muette, un sourd-muet, une sourde-muette. Je suivais à mesure, fasciné, le mouvement précis et délicat de ses lèvres comme on lit sur la bouche d'un muet (Gracq, Syrtes,1951, p. 258). ♦ Par antiphrase, fam., vieilli. Muette des halles. Femme criarde (d'apr. Littré). 2. En partic. a) Emploi subst. masc. plur., vx. Serviteurs des anciens sultans ottomans, chargés des exécutions sommaires, et qui avaient l'obligation de ne s'exprimer que par signes. Les muets du sérail (Ac.1935).Ces monarques de l'Orient (...) qui, d'un seul signe transmis par des muets à des visirs habiles, font mouvoir tout leur empire (Bern. de St-P., Harm. nat.,1814, p. 249): 4. Soliman (...) qui suivait de l'œil la lutte des muets contre son fils, soulève un des coins du rideau de la tente, et leur lance un regard étincelant de fureur. À cet aspect, les muets se relèvent, et parviennent à étrangler le jeune prince.
Lamart., Voy. Orient,t. 2, 1835, p. 369. b) Loc. adv. À la muette. Sans parler, sans faire de bruit et, p. ext. discrètement. Se saluer à la muette (Lar. 19e-Lar. encyclop.). Le reste du voyage s'effectua prudemment à la muette (Gide, Ainsi soit-il,1951, p. 1191): 5. C'était le fusil que je voulais (...) je savais ce qu'il cherchait à faire : à dégager sa pétoire pour m'en faire éclater un coup dans la gueule. Ce fut serré, je vous en fiche mon billet, et à la muette.
Giono, Baumugnes,1929, p. 191. ♦ Parler (ou un terme du même paradigme) à la muette. S'exprimer sans s'accompagner de la voix, en usant de mimiques ou en articulant sans phonation. Le silence lui parut changé. Ses yeux cherchèrent ceux d'Anne-Marie. À la muette il la questionna (Pourrat, Gaspard,1925, p. 284).Olivier articule à la muette : « Pour Valérie » (F. Ryck, Prière de se pencher au dehors,Paris, Gallimard, 1978, p. 119). B.− P. ext. 1. Qui est momentanément incapable de parler, parce qu'il est sous l'effet d'une émotion, d'un sentiment trop vifs. Synon. sans voix*.L'assemblée tout entière demeura muette et consternée par cette révélation et par cet aveu (Dumas père, Monte-Cristo,t. 2, 1846, p. 678).L'autre, que les vives émotions rendaient muet, subit tout congestionné (...) la remontrance de son ami (Bremond, Hist. sent. relig.,t. 4, 1920, p. 73).Le trac qui rend muet (Mounier, Traité caract.,1946, p. 196). ♦ [P. méton.] Sa bouche resta muette (Ac.1835-1935). − En partic. [Avec un compl. prép. introduit par de et précisant la cause] Être muet d'admiration, d'étonnement, d'indignation, de peur, de surprise. Jetant un regard sur sa gorge et ses épaules nues, rouge et confuse et muette de honte, elle croisa ses deux beaux bras sur son sein pour le cacher (Hugo, N.-D. Paris,1832, p. 345).Les serviteurs rangés autour du trône restaient immobiles et muets d'effroi à la vue de ce prodige (Gautier, Rom. momie,1858, p. 323). 6. Ils comprenaient alors quel supplice les attendait le lendemain, au lever du soleil, et, sans doute, de quelles cruelles tortures une pareille mort serait précédée. Ils étaient muets d'horreur.
Verne, Enf. cap. Grant,t. 3, 1868, p. 138. 2. Qui, dans une circonstance particulière, s'abstient, volontairement ou sous la contrainte, de parler, de s'expliquer, d'exprimer son opinion, ses sentiments. Corps législatif muet; assemblée, réunion muette. Une chose rassure nos ennemis; c'est que cette grande France muette (...) est depuis longtemps dominée par une petite France, bruyante et remuante (Michelet, Peuple,1846, p. 65): 7. Modèle de conscience et tombeau de discrétion, il devait assister pendant trois ans, en témoin muet et actif, à toutes les séances du conseil.
De Gaulle, Mém. guerre,1956, p. 122. ♦ Loc. Être muet comme un poisson*, comme une carpe*, comme une statue*, comme la tombe*, comme les pierres*. ♦ Emploi subst. C'était un adage reçu, par exemple, que le corps législatif, réunion de muets, adoptait passivement, sans opposition, toutes les lois qu'on lui présentait (Las Cases, Mémor. Ste-Hélène,t. 1, 1823, p. 173).Faire le muet. Tournimire avait tué son père, il faisait le muet (Giraudoux, Lucrèce,1944, iii, 1, p. 143). ♦ Emploi subst. fém. sing., fam. La grande muette. [P. réf. au fait que la loi apportait, jusqu'en 1945, certaines restrictions aux libertés individuelles des militaires et que ceux-ci sont encore tenus à la réserve en matière pol.] L'armée active : 8. La grande muette est devenue fort bavarde depuis que certains de ses chefs ont été pris en faute. Il lui est interdit de parler. Elle pérore. Ce n'est pas M. de Freycinet qui la rappellera au respect des lois.
Clemenceau, Vers réparation,1899, p. 502. ♦ Vx. (Être, rester, ...) muet à (qqc.). C'est le doute universel (...) qui obéit aux desseins du créateur, puisqu'il est resté muet à nos cris et a voulu que l'homme ne tînt de lui aucune notion certaine (Vigny, Journ. poète,1863, p. 1383). ♦ (Être) muet sur (qqc.). On a le droit de s'étonner un peu que Rodrigue soit aussi muet sur sa foi que l'honnête homme sur ses amours (Brasillach, Corneille,1938, p. 211): 9. ... j'allais le voir pour l'anniversaire de la mort de Jean, et le trouvant confortablement attablé devant son assiette de salade, prêt à partir aussitôt pour les courses, muet sur la date du 25 septembre que j'alléguai pour expliquer ma visite...
Du Bos, Journal,1924, p. 161. 3. Spécialement a) CHASSE. Chien muet. ,,Chien qui quête et suit la piste sans donner de la voix`` (Vén. 1974). b) THÉÂTRE. Personnage muet. Personnage qui figure dans une œuvre dramatique, où il participe à l'action sans prononcer une seule réplique. Deux frères, M. L., M. de G. se partageaient les rôles d'Angelino, de Roberto, de don Carlos et de Georgino. Pour le notaire, la brochure portait : personnage muet (Pesquidoux, Livre raison,1925, p. 126). − Rôle muet. Rôle joué par un personnage muet. Le cadet, incorporé une fois à une troupe de garçons entichés de tragédie, n'y accepta qu'un rôle muet : le rôle du « fils idiot » (Colette, Sido,1929, p. 131). − Jeu (de scène) muet. (Partie du) jeu d'un acteur où celui-ci exprime des sentiments par la mimique, les gestes, et non par la parole. Le jeu muet d'un mime. Jeu de scène muet. Entre deux bouffées de cigares, Crockson va botter les fesses d'Auguste. Entre deux respirations, Rascasse agit de même (Achard, Voulez-vous jouer,1924, iii, 2, p. 197): 10. Profitant de ce jeu muet, Léandre lança par-dessus la rampe son regard séducteur et le reposa sur la marquise avec une expression passionnée et suppliante qui la fit rougir malgré elle...
Gautier, Fracasse,1863, p. 112. − Scène muette. Scène où les personnages ont un jeu muet. Scène muette : Fritz est très troublé par les regards de la Grande-Duchesse; celle-ci se remet assez difficilement et vient au milieu (Meilhac, Halévy, Gde-duchesse Gérolstein,1867, i, 8, p. 200): 11. Scène muette. Caligula s'arrête et regarde les conjurés. Il va de l'un à l'autre en silence, arrange une boucle à l'un, recule pour contempler un second, les regarde encore, passe la main sur ses yeux et sort, sans dire un mot.
Camus, Caligula,1944, II, 3, p. 36. ♦ P. anal. Mais y avait-il besoin de paroles violentes pour que nos sentiments fussent manifestes? Je me souviens d'une scène muette, entre nous, et qui ne fut pas moins chargée de sens (Daniel-Rops, Mort,1934, p. 239). II.− P. anal. [En parlant d'inanimés] A.− Qui est silencieux 1. [S'oppose à un objet sonore par destination] a) Qui est conçu pour ne produire aucun son : 12. La pendule, elle, ne faisait aucun bruit de marche : tant l'ajustage et l'équilibre en étaient parfaits (...). Un seul défaut (...) à l'admirable ouvrage : la pendule était muette. C'est pourquoi on la plaçait en face du jour, et de sorte qu'on pût lire l'heure à la fois assis à table ou au coin du feu, en levant seulement le regard.
Pesquidoux, Livre raison,1932, p. 7. − Spécialement
α) CIN. Le cinéma muet et, p. ell., le muet. Cinéma qui produisait des films sans enregistrement de la parole ni du son. Anton. le cinéma sonore, parlant et, p. ell., le parlant.Ah! les cow-boys du muet, les vampires du tacite, les maxlinder du silencieux, les charlot de l'aphone (Queneau, Loin Rueil,1944, p. 227).Dès que le film naquit, la musique l'accompagna (...). Il s'agissait d'abord, aux temps héroïques du muet, de masquer le bruit déplaisant des appareils de projection (Samuel, Arts mus. contemp.,1962, p. 758): 13. La même scène réalisée en film parlant, avec des personnages (...) qui échangent des répliques travaillées au lieu de laisser le spectateur meubler le silence, devient artificielle. Il ne faut donc pas s'étonner de voir des amateurs fervents de cinéma muet bouder encore le cinéma parlant...
Arts et litt.,1935, p. 78-7. ♦ Film muet. Film qui ne comporte pas l'enregistrement de la parole ni du son. Anton. film parlant, sonore.Jamais un sujet, tel que celui de Paquebot Tenacity, pièce de premier ordre, ne convenait mieux à un film muet (Arts et litt.,1936, p. 34-4) : 14. Un conférencier se déplaçait en province avec un film muet et un phonographe. Il avait (...) choisi les disques de musique moderne les plus propres à accompagner son film, réglé leur mise en marche et leur arrêt pour faire concorder les effets sonores et les effets visuels...
Arts et litt.,1935, p. 44-1.
β) MUS. Clavier muet. Clavier silencieux, destiné aux exercices de doigté. (Dict. xxes.). b) Qui, temporairement, ne produit pas de son. Ce jour-là, il n'y avait personne (...). Le jardinet devant la maisonnette était désert et le piano était muet (Cendrars, Bourlinguer,1948, p. 128): 15. La Cloche. Depuis longtemps je suis muette, personne ne vient plus prendre mon bourdon et faire aller ma bascule; est-ce que les hommes sont tous morts?
Flaub., Smarh,1839, p. 83. − [P. méton.]
α) Littér. [En parlant d'un lieu] Où il n'y a aucun bruit. Église, maison, rue muette. Abramko, concierge de cet hôtel muet, morne et désert, occupait une loge armée de trois chiens d'une férocité remarquable (Balzac, Cous. Pons,1847, p. 132).La nuit est lourde et sans lune; Gilles s'énerve à scruter les ténèbres, à écouter le pesant repos de la campagne muette (Huysmans, Là-bas,t. 1, 1891, p. 129).
β) [Dans la liturg. cath.] La semaine muette. La semaine sainte, pendant les derniers jours de laquelle on ne sonne pas les cloches. (Dict. xixes.). 2. [En parlant d'un procès] Qui s'accomplit sans bruit. Le Dr Pasquier est secoué d'un rire muet, fort étrange (Duhamel, Nuit St-Jean,1935, p. 155): 16. Je sais, quand le midi leur fait désirer l'ombre,
Entrer à pas muets sous le roc frais et sombre
D'où, parmi le cresson et l'humide gravier
La naïade se fraye un oblique sentier.
Chénier, Bucoliques,1794, p. 32. 3. GRAMM., LING. Lettre muette. Lettre qui est présente dans l'écriture mais non prononcée dans le langage courant (d'apr. Bach.-Dez. 1882). ♦ Emploi subst. fém. Une muette. ,,Une lettre muette`` (Littré). − PHONÉTIQUE ♦ E muet. Synon. caduc (v. ce mot II A 2).Quand on parlait des Chenouville, l'habitude était (du moins chaque fois que la particule était précédée d'un nom finissant par une voyelle, car dans le cas contraire on était bien obligé de prendre appui sur le de, la langue se refusant à prononcer Madam' D'Ch'nonceaux) que ce fût l'e muet de la particule qu'on sacrifiât. On disait : « Monsieur D'Chenouville » (Proust, Sodome,1922, p. 818). ♦ H muette. L'h du français est toujours muette, en ce sens qu'elle n'est jamais prononcée, mais l'usage s'est établi de la qualifier encore d'aspirée quand elle ne fait qu'empêcher la liaison, en réservant le nom d'h muette à celle dont il n'est tenu aucun compte dans l'énoncé; ainsi l'h est dite aspirée dans le héros, et muette dans l'héroïne (Mar.Lex.1951). ♦ Syllabe muette ou subst., muette. Syllabe terminée par un e muet. Quant à l'e muet, la seule règle de la poésie, la seule pierre de touche, c'est la place de la muette (Valéry, Corresp. [avec Gide], 1891, p. 103).La synérèse se rencontre à chaque instant; quand une syllabe muette gêne pour la mesure, on la laisse tomber dans la prononciation (Gourmont, Esthét. lang. fr.,1899, p. 263). B.− Au fig. Qui ne comporte, ne fournit aucune indication. 1. Qui ne comporte ou n'utilise aucun signe écrit : 17. L'autobus qui m'a conduit avenue de Messine (...) était « muet », comme tous les autres (comme on dit la « couverture muette » d'un livre : les indications d'itinéraire ont été enlevées à tous, peut-être parce que les manifestants les ont arrachées pour s'en armer...)
Larbaud, Journal,1934, p. 281. − En partic. ♦ Carte muette. V. carte IV A 1 b. ♦ Clavier muet. Sur une machine à écrire, clavier dont les touches ne portent pas l'indication des lettres. (Dict. xxes.). ♦ Médaille, monnaie muette. Médaille, monnaie qui est dépourvue de légende (d'apr. Lar. 19e). 2. Muet (sur).Qui ne fournit aucun éclaircissement concernant une matière, une question particulière. Le règlement est muet sur ce point; la législation est muette à ce sujet. L'accusation est muette sur l'heure du crime (Balzac, Annette,t. 4, 1824, p. 60).On a souvent remarqué combien l'histoire est muette sur cette longue période de l'existence d'Athènes et en général de l'existence des cités grecques (Fustel de Coul., Cité antique,1864, p. 321): 18. ... pour les mêmes raisons de secret, le texte de l'instruction est muet sur la question de la coopération anglaise, sur le rôle que pourrait éventuellement jouer l'armée belge, sur l'emploi éventuel de nos troupes venant d'Algérie...
Joffre, Mém.,t. 1, 1931, p. 191. C.− Spécialement 1. MÉD. Ménopause* muette. 2. MÉD. VÉTÉR. Rage muette. V. mue2. 3.
ŒNOLOGIE. Moût, vin muet. Moût qui n'est pas encore en fermentation, ou dont la fermentation a été évitée (d'apr. Littré). V. mutage. III.− [P. méton.] A.− [En parlant d'émotions, de sentiments, de vertus] Dont la manifestation est retenue, qui ne s'accompagne d'aucune manifestation extérieure. Désespoir, héroïsme muet; admiration, douleur, joie, passion, résignation muette. Christophe surtout était pris pour cible des railleries de son oncle (...) Il se taisait, serrait les dents, l'air mauvais. L'autre s'amusait de sa rage muette (Rolland, J.-Chr.,Matin, 1904, p. 118).Mais sur le vieux visage gris pierre passa un bouleversement muet, où toutes les douleurs (...) se mêlaient dans une longue science de la souffrance (Malègue, Augustin,t. 2, 1933, p. 217): 19. M. Peyrony, mort dans la vie, ne peut plus faire autre chose que gagner de l'argent. Il en gagne, et pas tant que cela, avec un muet courage; sa femme le volatilise et gémit.
Montherl., Olymp.,1924, p. 243. − Loc. Les grandes douleurs sont muettes. Les grandes douleurs sont muettes, a-t-on dit. Cela est vrai. Je l'éprouvai après la première grande douleur de ma vie (Lamart., Médit.,Commentaire, t. 2, 1820, p. 455). B.− [En parlant d'opinions, de pensées] Qui n'est pas exprimé par la parole, mais dont la signification est sans équivoque. Muet reproche, muette protestation. Quoique ce mouvement n'échappât ni à Monsieur De Chessel ni à la comtesse, il ne me valut aucune observation muette, car il y eut une diversion faite par une jeune fille (...) qui entra (Balzac, Lys,1836, p. 46).Le valet de chambre (...) errait silencieusement entre la table et la desserte. L'idée qu'il ne savait rien mettait entre Odile et moi une muette complicité (Maurois, Climats,1928, p. 128): 20. ... j'appréhendais l'explication. Car j'y avais droit. Du moment où, obéissant à sa muette injonction, je ne l'avais pas dénoncé (...) j'avais acquis sur lui ce droit, que je payais en prenant une part du crime...
Bosco, Mas Théot.,1945, p. 213. − Dialogue, discours, langage muet. Où l'on se fait comprendre sans utiliser la parole. Je voulais lire un sentiment, un espoir dans toutes ces phases du visage. Ces discours muets pénétraient d'âme à âme comme un son dans l'écho (Balzac, Peau chagr.,1831, p. 123).Ils se faisaient des signes et échangeaient leurs pensées dans un langage muet qu'ils avaient imaginé (A. France, Dieux ont soif,1912, p. 251): 21. Contentez-vous que je fasse miroiter, pour vous, cet œil droit, tout doré, prêt à tomber, et cet œil gauche, pareil à une bille d'aventurine... voyez mon œil droit... et mon œil gauche... et encore mon œil droit... J'interromps sévèrement le dialogue muet : − Pati-pati, c'est fini, ce dévergondage?
Colette, Mais. Cl.,1922, p. 217. C.− [En parlant d'un comportement] Qui n'est pas accompagné de paroles. Muet salut, sourire. Mais la pauvre Eugénie, triste et souffrante des souffrances de sa mère, en montrait le visage à Nanon par un geste muet, pleurait et n'osait parler de son cousin (Balzac, E. Grandet,1834, p. 205): 22. Descendent un jour place Vendôme un Anglais et une Espagnole (...). Ils exigèrent de la direction que le service fût absolument muet. Comme ils ne toléraient aucune question de la part du personnel, celui-ci devait avoir l'œil à tout, tout deviner et tout comprendre.
Fargue, Piéton Paris,1939, p. 213. D.− Emploi subst. fém. sing., arg., vieilli 1. Conscience morale. Gilbert avait compris que ce riche avait une âme fraternelle (...) qui n'était fondée sur aucune solidarité apparente, mais sur des choses mystérieuses que chacun garde pour soi, « dans sa muette » (R. Bazin, Blé,1907, p. 265): 23. Presque tous les voleurs de profession (...) exercent leur métier sans éprouver de remords; le nom qu'ils ont donné à la conscience, la Muette, prouve suffisamment (...) la vérité de ce que j'avance.
Vidocq, Voleurs,t. 2, 1836, p. 231. − Expr. Avoir une puce à la muette. Éprouver un remords. Une puce à la muette comme dit l'autre (...) et pour que ça te démange il faut que ça te gratte fort (...) car tu n'es pas bégueule (Sue, Fleur de Marie,1857, p. 32). 2. Silence concerté, en signe de protestation contre les autorités. Observer la muette (Lar. Lang. fr.). Pour consoler les élèves de sa visite non faite, Napoléon III envoya du champagne; les élèves répondirent par une muette [au réfectoire] (...) un silence morne [sans toucher au champagne] (Titeux, St-Cyr,1898, p. 391). Prononc. : [mɥ
ε], [myε], fém. [-εt]. Étymol. et Hist. A. Animés. 1. a) 1174 subst. « personne privée de l'usage de la parole » (Guernes de Pont-Ste-Maxence, S. Thomas, 71 ds T.-L.); b) ca 1210 adj. (Dolopathos, 90, ibid.); 2. a) 1176-81 « qui s'abstient volontairement de parler, de répondre » (Chrétien de Troyes, Chevalier lion, éd. M. Roques, 634); b) 1585 subst. « serviteur des sultans ottomans, qui ne doit s'exprimer que par signes, et qui est chargé d'étrangler avec un lacet ceux qui ont déplu au souverain » (N. Du Fail, Contes et discours d'Eutrapel ds
Œuvres facétieuses, éd. J. Assézat, t. 2, p. 71); c) 1780 à la muette « sans faire de bruit » (Buffon, Hist. nat. des oiseaux, t. 7, p. 60); d) 1832 subst. fém. « manifestation par le silence dirigée contre les autorités » (Esn.); 3. 1647 adj. « qui, sous l'effet d'une émotion violente, d'un sentiment vif, est momentanément incapable de parler, de s'exprimer » (Corneille, Héraclius, II, 5 : muet d'étonnement); 4. théâtre a) 1732 personnage muet (Lesage, Hist. de Guzman d'Alfarache, livre 5, chap. 1); b) 1760 jeu muet (Voltaire, Lett. Lekain, 16 déc. ds Littré, s.v. jeu); 5. 1899 la grande muette « l'armée » (Clemenceau, Vers réparation, p. 502). B. Inanimés. 1. a) 1550 « qui a une signification, sans recours aux paroles » (Bible, Louvain, 4 Esd 6 d d'apr. FEW t. 6, 3, p. 312a); b) 1558 douleur muette (J. Du Bellay, Les Regrets, XLVIII, éd. J. Jolliffe et M. A Screech, p. 116); c) 1836 subst. fém. « conscience » (Vidocq, Voleurs, t. 2, p. 279); 2. phonét. a) 1647 h (...) müette (Vaug., p. 1); b) 1690 consonnes muettes (Fur.); c) 1694 e muet (Ac.); 3. 1676 « qui ne produit aucun son » (Mmede Sévigné, Corresp., 1erjuill., éd. R. Duchêne, t. 2, p. 330); 4. 1792 « (lieu) où l'on n'entend aucun son » (Ducis, Othello, V, 4 ds Littré); 5. a) 1826 carte muette (Mozin-Biber, s.v. carte); b) 1874 médaille muette (Lar. 19e); 6. 1929 subst. masc. « cinéma muet » (Nouv. Litt., 29 juin, 12/3 ds Giraud); 1931 art muet (Lar. 20e). Dér., d'orig. expressive, de l'a. fr. mu « qui est privé de l'usage de la parole », qui a disparu au xvies. sauf dans l'adj. mue2*, du lat. mūtus « qui est privé de l'usage de la parole ». B 2 b est empr. au b. lat. muta (littera, consonans) (TLL t. 8, col. 1736), gr. α
́
φ
ω
ν
α subst., qui désignaient les occlusives (cf. Mar. Lex.). Fréq. abs. littér. : 4 546. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 5 910, b) 8 899; xxes. : a) 7 880, b) 4 781. DÉR. Muettement, adv.a) Sans prononcer une parole. Quand nous pensons à l'acte de compter, nous songeons d'ordinaire à l'acte de se dire muettement : « un, deux, trois, quatre... » (Berkeley, Cerveaux géants,1957, p. 47).Au fig. Mais ils vivent, les bibelots, ils aiment qu'on s'occupe d'eux. Qui donc n'a remarqué leur air de satisfaction lorsqu'on les met à leur vraie place (...) et, au contraire, leurs reproches muettement terribles quand on les exile (Miomandre, Écrit sur eau,1908, p. 99).b) Sans bruit, d'une manière silencieuse. La tombée muettement mystérieuse de la pluie sur une route de campagne, la nuit (Goncourt, Journal,1893, p. 354).Et rien n'était plus amusant et plus étrange que de glisser ainsi muettement dans les allées du grand jardin, entre deux hauts talus de neige (Gide, Si le grain,1924, p. 401).− [mɥ
εtmɑ
̃], [my-]. − 1reattest. 1615 (J. de Montlyard, Hieroglyphiques de Jan Pierre Valerian, XXVII, préf. ds Gdf.); de muet, suff. -(e)ment2*. BBG. − Hasselrot 1957, p. 170; 20es. 1972, p. 10. − Pohl (J.). Contribution à l'hist. de qq. mots. Arch. St. n. Spr. 1969, t. 205, p. 367. |