| MORAL1, -ALE, -AUX, adj. A. − 1. a) Vieilli. Qui a rapport aux moeurs, aux coutumes, traditions et habitudes de vie propres à une société, à une époque. L'histoire morale de l'humanité. Bientôt vous verrez la civilisation retourner en arrière, les moeurs devenir farouches, les usages durs, et l'édifice de la société rentrer dans l'état moral des douzième et treizième siècles (Le Moniteur, t.2, 1789, p.427).Quand nous voyons les mêmes phénomènes moraux, produits constamment pendant des milliers d'années, chez des peuples aussi éloignés l'un de l'autre, et observés dans des tems et par des hommes si différens, nous sommes bien autorisés à conclure qu'ils sont l'effet d'une institution qui leur est commune (Destutt de Tr., Idéol. 2, 1803, p.298).Ces populations ont évolué au point de vue moral (Davau-Cohen1972): 1. ... W. Laurence (...) distingue entre les variations congénitales et naturelles, transmissibles par l'hérédité, affectant les caractères physiques ou moraux qui différencient les races de l'espèce humaine, et d'autre part les variations acquises, dues au climat, à l'habitat, à la nourriture, qui n'affectent que l'individu et qui ne sont pas transmises par l'hérédité.
Hist. sc., 1957, p.1368. − En partic. Qui a pour objet les moeurs d'une société, d'une époque, sans intention moralisatrice particulière. Ouvrage moral. Bien plus que ses contes moraux ou ses tracts esthétiques, Anna Karénine, Ivan Ilitch, La Puissance des Ténèbres, Résurrection, nous apportaient la substance de sa doctrine [de Tolstoï] (J.-R. Bloch,Dest. du S., 1931, p.76). b) Qui concerne les règles ou principes de conduite, la recherche d'un bien idéal, individuel ou collectif, dans une société donnée. N'étant plus soutenus par de grandes idées morales, par le patriotisme ou par la terreur, qui les rendait naguère exécutoires, les décrets de la République créaient des millions et des soldats dont rien n'entrait ni au Trésor ni à l'armée (Balzac,Chouans, 1829, p.9).La crise morale où le pays se débattait révélait à tous les yeux l'usure d'un système qui avait abouti à l'impuissance dans la corruption (De Vogüé,Morts, 1899, p.367).Chaque homme qui dresse devant moi la question de son regard m'appelle à la responsabilité morale, soit qu'il me sollicite à une conversion spirituelle par l'attrait de sa présence, soit que, par sa dégradation, il se porte comme un reproche vivant contre l'insuffisance de mon propre rayonnement (Mounier,Traité caract., 1946, p.485): 2. Nous ne savons pas quel est le fondement de l'obligation morale, ou, si l'on aime mieux poser le problème à la façon des anciens, nous ignorons quel bien nous devrions poursuivre de préférence; et si les uns disent le bonheur, d'autres, avec non moins de vraisemblance et d'autorité, recommandent l'obéissance à Dieu, la recherche de la perfection, l'intérêt particulier ou général, etc. Et cette incertitude si grave n'entraîne, ne permet aucune hésitation dans la pratique!
Lévy-Bruhl,Mor. et sc. moeurs, 1903, p.41. SYNT. Code, devoir, enseignement, idéal, jugement, niveau, précepte moral; convenances, discipline, exigence, expérience, liberté, ligue morale(s); grandeur, laideur, noblesse, perversion, pureté, rigueur morale; un discours de haute portée morale; sociologie de la vie morale. ♦ Autorité morale. Un système de gouvernement n'est jamais fondé sur la force, mais sur l'autorité morale. Et l'autorité morale n'est faite que de respect (J.-R. BlochDest. du S., 1931p.208). ♦ Conscience* morale. ♦ Loi morale. Tout est permis à qui détient la puissance... Mais l'homme qui a choisi d'être citoyen d'un monde sans loi morale ne devrait jamais quitter sa cotte de mailles, ni boire aucun breuvage avant qu'un esclave y ait trempé ses lèvres, et surtout n'ajouter foi ni à l'amitié, ni à l'amour, ni à la fraternité des armes (Mauriac,Journal 2, 1937, p.143). ♦ Sens moral. Conscience de ce qui est bien. Être totalement dépourvu de sens moral; n'avoir aucun sens moral; affaiblissement, perversion du sens moral. Le sens moral qui s'éveille à l'aspect du juste et de l'injuste s'exalte en s'attachant à l'un, en se sentant opprimé par l'autre (Ozanam,Philos. Dante, 1838, p.66). ♦ Valeurs morales. Celui qui a su, après avoir lutté contre lui-même, s'élever vers la vérité (...) peut se permettre d'avoir une échelle de valeurs morales quelque peu différente de celle en usage dans la société (Freud,Introd. psychanal., trad. par S. Jankélévitch, 1959, p.465). − Spécialement ♦ HIST. POL. Ordre moral. Politique conservatrice et cléricale. En attendant, l'ordre moral s'installe [en Grèce] et tout son appareil: les minijupes sont interdites aux filles, les cheveux longs aux garçons. L'Église, en revanche, leur est recommandée: obligation est faite à tous les écoliers d'aller à la messe et même d'y communier (L'Express, 1ermai 1967, p.55, col.2). ♦ THÉOL. Vertus* morales. − Emploi subst. masc. sing. à valeur de neutre. Par quelles phases s'accomplit la liaison du moral et du religieux, dans les sociétés anciennes? (Traité sociol., 1968, p.85). 2. a) [P. oppos. à amoral] Qui peut être apprécié ou jugé selon les notions de bien et de mal. Faire souffrir autrui sans le vouloir ne constitue pas un acte moral: c'est un acte amoral ou moralement (éthiquement) neutre (Foulq.-St-Jean1962): 3. Le système de philosophie qui m'est propre a l'avantage de rattacher la partie intellectuelle de l'homme à ce qui le constitue être moral [it. ds le texte], c'est-à-dire à la volonté, à la libre activité, qui seule constitue le moi, la personnalité.
Maine de Biran, Journal, 1816, p.134. b) [P. oppos. à immoral]
α) Qui est conforme aux principes, à l'idéal de la conduite. Acte, dénouement moral; conduite, vie morale; une manière parfaitement morale de faire quelque chose. Comment, mon enfant, ton mari s'enferme avec des femmes nues, et tu as la simplicité de croire qu'il les dessine? (...) La religion défend ces horreurs-là, ça n'est pas moral (Balzac,Mais. chat, 1830, p.56).Je la ramène [une femme] à son mari; je ne l'abandonne pas, et je fais une chose surprenante, romanesque et morale (Larbaud,Amants, 1923, p.164).V. bonté ex.1. − En partic. Qui a pour but l'éducation, l'élévation du sens moral. Synon. moralisant, moralisateur.Discours, film moral; histoire morale. Une question plus importante, c'est de savoir si un tel ouvrage est moral, c'est-à-dire si l'impression qu'on en reçoit est favorable au perfectionnement de l'âme (Staël,Allemagne, t.3, 1810, p.262).Elle use, pour le convaincre, du ton pathétique et moral, elle fait appel à son «esprit de droiture et de vérité» (Massis,Jugements, 1923, p.47).
β) Qui agit conformément aux règles de la morale, conformément aux bonnes moeurs. Duroc était pur et moral, tout à fait désintéressé pour recevoir, extrêmement généreux pour donner (Las Cases,Mémor. Ste-Hélène, t.1, 1823, p.321).Un homme normal et moral, un père de famille qui témoigne en justice, et à qui tout le monde serre la main (Montherl.,Célibataires, 1934, p.847): 4. [Dieu] a fait l'homme et il a assigné un terme à sa vie. Il l'a fait moral et religieux, lui a donné une loi et lui a interdit l'iniquité; il veille sur toutes ses voies.
Théol. cath.t.4, 11920, p.1012. 3. Qui est relatif à la réflexion philosophique sur le bien et le mal, à une théorie particulière des règles de conduite. Les deux grandes écoles morales de l'antiquité, Stoïcisme et Épicurisme, ont adopté le principe commun de l'identité du bonheur et de la vertu, mais elles l'ont conçu de façons différentes (G. Pascal,La Pensée de Kant, Paris, Bordas, 1966, p.142).En dépit du fait qu'il n'a laissé aucune oeuvre écrite, ni donné aucun enseignement formel, Socrate peut être considéré comme le fondateur des études morales (V.-J. Bourke, Hist. de la morale, trad. de J. Mignon, Paris, Éd. du Cerf, 1970, p.18): 5. Il est temps de le dire, le but de la philosophie morale est moins d'apprendre aux hommes ce qu'ils ignorent, que de les faire convenir de ce qu'ils savent, et surtout de le leur faire pratiquer.
Bonald,Législ. primit., t.1, 1802, p.73. ♦ Théologie* morale. B. − Qui concerne l'esprit, le psychisme ou qui est de nature spirituelle. 1. a) [P. oppos. à physique] Choc, désarroi, équilibre, réconfort, suicide moral; fatigue, force, gifle, hygiène, misère, résistance, santé, torture morale. C'est la qualité de l'urbanisme qui arbitre le bien-être physique et moral de chaque groupe humain (Gds ensembles habit., 1963, p.28).V. accablement ex. 14, affirmer ex. 39, beauté ex. 27: 6. [Zola] n'est pas de ceux pour qui la douleur morale est plus noble que la souffrance physique. En quoi plus noble, puisque nos sentiments sont aussi involontaires que nos sensations?
Lemaitre,Contemp., 1885, p.277. ♦ Sciences* morales. − Spécialement ♦ DR. Personne* morale. ♦ PSYCHIATRIE, vx. Mental, psychique. Faites-le coucher, c'est moral, purement moral, de l'eau de fleur d'orange, des calmants (Sue,Atar-Gull, 1831, p.20): 7. Les affections morales produisent communément ces effets: elles font battre le coeur, elles font éprouver des sensations dans les viscères, elles dérangent l'acte de la digestion...
Broussais,Phrénol., 1836, p.6. Folie morale (v. folie A 2 a α). ♦ RHÉT., vieilli. Sens moral. Sens figuré. De ce que les constellations d'été accompagnaient la saison des jours longs, brillans et chauds, et celle des fruits, des moissons, elles furent censées des puissances de lumière, de fécondité, de création, et, par transition du sens physique au moral, des génies, des anges de science, de bienfaisance, de pureté et de vertu (Volney,Ruines,1791, p.252). b) [P. oppos. à matériel] Appui, avantage, bénéfice, contrat, dommage, échec, patrimoine, résultat moral; assistance, caution, situation morale. Il a eu la rouerie − à demi inconsciente, je le veux bien − de transformer sa défaite en victoire morale; il a affecté le désintéressement, le détachement (Mauriac,Noeud vip., 1932, p.301).S'il est grave qu'un individu acquière des avantages matériels ou défende ces avantages matériels au prix de concessions morales, dans la vie de l'État, il en va autrement (Procès Pétain, t.2, 1945, p.1047): 8. Nous avons beaucoup à faire pour réaliser pleinement et pour assurer les droits énoncés dans cette déclaration. Mais le fait qu'ils nous soient soumis avec le soutien moral de cinquante-huit nations sera un grand pas en avant.
Déclar. univ. dr. homme, 1949, p.18. 2. En partic. Qui repose sur la croyance, l'opinion, le sentiment et non sur la matérialité des faits ou sur la rigueur du raisonnement. Impossibilité morale. Nous avons vu que le terme «preuve morale de l'existence de Dieu» a plusieurs sens: 1oSimple appel au sentiment; 2oPreuve de Kant fondée sur le fait de l'existence de la loi morale en nous (J. Lagneau,Cours sur Dieu, 1892-93ds Célèbres leçons et fragments, Paris, P.U.F., 1964, p.299).À ce sujet, on a quelques certitudes morales très sérieuses et fort peu d'éléments scientifiquement démontrables (Meynaud,Groupes pression Fr., 1958, p.137). − PHILOS. Nécessité* morale. Prononc. et Orth.: [mɔ
ʀal], plur. [-o]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. A. 1. 1212 trad. de Li Moralia in Job (Frère Angier, Vie de St Grégoire, 2940, éd. P. Meyer ds Romania t.12, p.192: Nomez sont [les livres] en son evescal: Li Dialoge et li Moral, l'Ezechiel, les Omelies); 2. 1270 vertu morale «vertu ayant pour principe la lumière de la raison» (Brunet Latin, Tresor, éd. F. J. Carmody, II, XXX, p.200). 3. 1370-72 «qui est conforme aux moeurs, à la morale» (N. Oresme, Ethiques, éd. A. D. Menut, p.524: bonne vie moral et pratique); 4. 1403, 16 mai «qui concerne l'étude philosophique de la morale» philosophie morele (Eustache Deschamps, Lettres, éd. G. Raynaud, VIII, 20, 287); 5. 1694 «fondé sur l'opinion, le sentiment, la croyance, et non sur les faits rigoureux ou un raisonnement» (Ac.); 6. 1746 «relatif à l'âme, à l'esprit, par opposition au physique» (Diderot,
Œuvres philosophiques, p.47 d'apr. L. Undhagen, p.134). B. Subst. masc. 1. 1752 «ensemble des facultés morales, état mental» (Id., Recherches philosophiques sur l'origine et la nature du beau, ibid.); 2. 1775 «éthique» (G.-F. Coyer, Voyages d'Italie, II, p.294, ibid., p.163); 3. 1823 «état d'esprit, énergie qui permet de supporter les difficultés» (Las Cases, Mémor. Ste-Hélène, t.1, p.142: le moral des deux armées ne pouvait se comparer). Empr. au lat. moralis «relatif aux moeurs». Fréq. V. moral2. Bbg. Gester (F.W.). Moral. In: Comparative studies in key-words of culture. Bonn, 1959, t.2, pp.1-24. _ Quem. DDL t.17. _ Undhagen (L.). Morale et les autres lexèmes formés sur le rad. moral-. Lund, 1975, pp.43-58, 125-138, 160-164. |