| MERCI, subst. et interj. I. − Subst. fém. A. − Littér., vx. Grâce que quelqu'un accorde à quelqu'un d'autre. Synon. miséricorde.Implorer la merci du vainqueur; accorder sa merci. Vous me criez merci, d'avance je l'accorde, Sans demander pourquoi vous voulez ce pardon; Et puis vous hésitez? (Dumas père, Christine,1830, ii, 1, p.223).S'adressant à la merci du roi, elle [la noblesse] le supplie de lui accorder des exemptions, des pensions (Mérimée,Don Pèdre Ier,1848, p.72): 1. Hélas! voici bientôt que l'ultime des heures
Sonnera le dernier glas sur nos demeures;
Nulle rémission, ni délai, ni merci.
Leconte de Lisle,Poèmes trag.,1886, p.88. − Au fig. Le commerce [après la révolution de février] criait merci; l'ouvrier était sans travail (Proudhon,Confess. révol.,1849, p.143). − Locutions ♦ Merci de moi! Merci de ma vie (vx, pop.). [S'emploie pour exprimer son indignation, sa colère] Mariquita: Me prenez-vous pour une sorcière? Antonio: Vous le dites. Mariquita: Merci de moi! (Mérimée,Théâtre C. Gazul,1825, p.143). ♦ Recevoir, prendre (qqn) à merci (vieilli). Faire grâce (à quelqu'un). Ah! Je voudrais, pour être reçue à merci, réparer tout le mal que j'ai fait (Balzac,Cous. Bette,1846, p.398): 2. Une esquisse y représentait l'empereur Henri IV à genoux dans la neige, et attendant que le pape Hildebrand fît ouvrir la porte du château de Canossa pour le recevoir à merci.
Adam,Enf. Aust.,1902, p.436. ♦ Faire merci (à qqn) (vx). Témoigner de sa miséricorde (envers quelqu'un). Ouvrez donc à de pauvres pèlerins qui mourront à votre porte si vous ne leur faites merci (Sand,Mare au diable,1846, p.177). ♦ Sans merci (usuel). Sans pitié. Lutte sans merci. Le jugement de nos contemporains sur Guillaume Tell (...) c'est l'indifférence. L'indifférence absolue (...) sans merci (P. Lalo,Mus.,1899, p.116). − HIST. Merci de Dieu. Poignard (d'apr. Ac. Compl. 1842). Synon. miséricorde. B. − État de dépendance vis-à-vis de quelqu'un à qui l'on demande grâce. − Locutions ♦ (Être) à la merci de qqn. Être dans une dépendance totale vis-à-vis de quelqu'un. Il ne s'agit pas (...) d'accepter la victoire de Franco, avec la trouille pendant vingt ans, à la merci d'une dénonciation de la putain, de la voisine ou du curé (Malraux, Espoir,1937, p.658).P. anal. (Être) à la merci de qqc. (Être) dans un état de dépendance extrême vis-à-vis de quelque chose. Être à la merci des flots, à la merci de l'orage (Ac.). ♦ Avoir, tenir (qqn) à sa merci. Avoir, tenir (quelqu'un) sous sa dépendance. Louis XI s'était tiré du plus mauvais pas de sa vie. Mais pourquoi Charles le Téméraire l'avait-il laissé partir quand il le tenait à sa merci? (Bainville,Hist. Fr.,t.1, 1924, p.130).Avoir, tenir à merci (littér.). Même sens. N'est-ce pas plutôt une espèce de comédie amoureuse, imposée par le mari à sa femme pour avoir à merci une âme honnête et jeune (...)? (Goncourt,Journal,1880, p.75).Cette fille d'habitude si humble, qu'il croyait dépourvue de toute sorte d'amour-propre, cette fille que le premier venu pouvait tenir à merci, voilà qu'elle rugissait! (Magnane,Bête à concours,1941, p.239). ♦ Se rendre à merci (littér.). Capituler. Tandis que si ma mère (...) levait tant seulement un doigt, je me rendais tout de suite à merci (Fabre,Barnabé,1875, p.163).À la guerre un papillon au chapeau était signe qu'on se rendait à merci ou qu'on avait un sauf-conduit (A. France,J. d'Arc,t. 2, 1908, p.298). ♦ Taillable et corvéable à merci (et miséricorde) et var. Qu'on peut exploiter sans vergogne. Le gouvernement (...) taille à merci et miséricorde le peuple extra-officiel (Proudhon,Créat. ordre,1843, p.299).V. congéable ex. 1: 3. Il semble admettre que les poëtes, chansonniers et diseurs de bons mots, sont gent bâtonnable à merci et miséricorde.
Sainte-Beuve,Nouv. lundis,t. 9, 1864, p.37. II. − Interj. et subst. masc. A. − [S'emploie pour signifier à qqn qu'on le remercie, qu'on apprécie l'attitude, le comportement qu'il a envers vous] − Bon voyage, Gustave, a dit Nègre en haussant la main. − Merci! Toi de même, a fait le boucher (Giono,Gd troupeau,1931, p.143).MmeDandillot parut et, s'adressant à son mari: − Je suis venue voir si vous n'aviez besoin de rien. − Mais non, merci (Montherl.,Pitié femmes,1936, p.1181): 4. L'employé (...) prit (...) un paquet de pièces enfermées dans une chemise bleue, et le présentant: «Voici, monsieur Lesable, vous n'ignorez pas que le chef a enlevé hier trois dépêches dans ce dossier? − Oui. Je les ai, merci.»
Maupass.,Contes et nouv.,t. 1, Hérit., 1884, p.466. − Loc. Grand merci, merci beaucoup, merci bien. [Même emploi] Elle retournait à ses affaires, bourdonnant très-distinctement: «Adieu, madame, et grand merci.» (Michelet,Insecte,1857, p.325).Mais Pauline, sans répondre, congédiait les enfants, qui s'en allaient en traînant leurs savates, avec des «merci bien!» et des «Dieu vous le rende!» (Zola,Joie de vivre,1884, p.901). − En partic. [S'emploie pour signifier à qqn qu'on accepte l'offre qu'il vous a faite, qu'on apprécie qu'il vous l'ait faite] − Un whisky? − Volontiers. − Cigarette? − Merci. − Je vais mettre un disque (Beauvoir,Mandarins,1954, p.313). ♦ Plus fréq. [S'emploie pour signifier à qqn qu'on refuse l'offre qu'il vous a faite tout en appréciant qu'il vous l'ait faite] Quand elles disaient: «Ce petit enfant est si mignon!...» il leur offrait d'en faire à chacune un plus mignon encore. − Grand merci! répondaient-elles en riant (A. France,Puits Ste Claire,1895, p.117).− On prend un verre ensemble? proposa Pierrot. − Merci. J'ai mal au foie, et le vichy-fraise me débecte (Queneau,Pierrot,1942, p.212). − [Avec un compl. introd. par de ou pour indiquant l'objet du remerciement] Merci pour ton aide; merci de l'avoir dit. À bientôt. Henri. Merci de tes lettres quotidiennes (Alain-Fournier,Corresp.[avec Rivière], 1907, p.144). Rem. ,,Devant un infinitif, si l'on a pu citer quelque exemple de pour, c'est de qui est d'usage`` (Hanse Nouv. 1983). − [Avec un compl. introd. par pour indiquant la pers., autre que le locuteur, qui remercie] Madeleine: Hum! parlons d'autre chose. (Haut.) Comment va votre ami Lignières? Soubrian: Pas mal. Merci pour lui (Bataille,Maman Colibri,1904, iv, 1, p.27). − [Avec un compl. introd. par à indiquant le destinataire du remerciement autre que l'interlocuteur] Merci à maman pour sa lettre de l'autre jour (Alain-Fournier,Corresp.[avec Rivière]1909, p.124). B. − Subst. masc. Le mot «merci». Partir sans un merci [sans un «merci», sans avoir dit «merci»]. Cela vaut bien un grand merci (Ac. 1798-1878). Alors, pendant qu'une ouvrière l'alléchait [l'enfant] avec un morceau de sucre, la femme s'en fut doucement, la tête baissée, bégayant des mercis, avalant ses larmes (Huysmans,Soeurs Vatard,1879, p.170).Un soir, Jonas ajouta un merci à son salut. «Pourquoi merci? − Parce que tu m'aimes. − Grande nouvelle!» dit Rateau et il partit (Camus,Exil et Roy.,1957, p.1651). − Loc. Un grand merci, mille mercis. Mille tendres mercis pour votre bonne lettre (Balzac,Corresp.,1838, p.437). − [En position de déterminant d'un subst. d'action] Rare. Bellah releva son front pâle (...) adressa au ciel un dernier regard de merci, et tendit sa main tremblante à l'anneau (Feuillet,Bellah,1850, p.310). − P. méton. Paroles dont l'énonciation sert à remercier. Synon. remerciement.Je vide ma bourse dans la menotte (...). Un regard étonné m'arrive à travers l'étamine épaisse du tcharchaf, et le merci prend une forme que je n'attendais pas, et qui me trouble: «Soyez heureux par l'amour de celle à qui vous pensez...» (Farrère,Homme qui assass.,1907, p.315). C. − Par antiphrase. [S'emploie pour signifier ironiquement à qqn qu'on n'apprécie pas l'attitude,le comportement qu'il a envers vous] − Vous êtes folle! murmura Fernand. − Merci du compliment, mon ami (Ponson du Terr.,Rocambole,t.2, 1859, p.440).Vous me chargez là d'une agréable mission: grand merci (Ac.1935): 5. ... Thomas, d'une voix calme, proposa des solutions pacifiques: faire garder la mère par une vieille de l'île; pour que la vieille emporte la maison? pour que les deux femmes se prennent aux cheveux? − Confier la mère à un couvent d'Audierne; merci bien! pour payer une pension? et avec quoi?
Queffélec,Recteur,1944, p.185. − En partic., fam. et p. iron. Merci du peu (devant quelque chose d'excessif). III. − Dieu merci, loc. adv. [Marque qu'une appréciation positive d'un fait asserté (ou qui va l'être) s'impose au locuteur] A. − [En tête de prop.] Tu as peut-être appris par les journaux qu'un de mes enfants, mon pauvre gros Charlot, avait été malade du choléra. Dieu merci! nous l'avons sauvé (Hugo,Corresp.,1832, p.506).Il vivait dans une saleté honteuse. Dieu merci, je lui soigne pourtant assez son linge! (Renard,Journal,1897, p.409). − [Dans un discours rapporté] Elle rentra dans la pièce voisine, laissant Hortense murmurer que, Dieu merci! elle ne demandait l'approbation de personne, et qu'il y aurait bien du monde d'attrapé, lorsqu'on la verrait, un jour, se marier mieux que les autres (Zola,Pot-Bouille,1882, p.155). B. − [En fin de prop.] Nous avons donc réuni douze orphelins pourvus de solides cordes vocales et nous nous sommes réfugiés dans l'aile droite. Ferbroques est vaste, Dieu merci! (Anouilh,Répét.,1950, i, p.19). − En partic. [La prop. est une réplique de l'interlocuteur ou une reprise de celle-ci] − Eh bien (...)? Le père Christel va toujours bien? − Oh! oui, monsieur, Dieu merci, fit la petite, il va toujours bien (Erckm.-Chatr.,Ami Fritz,1864, p.29): 6. constant: Ah! soyons justes... Pauline voulait d'abord régler la chose directement. C'est nous qui avons consulté Liégeois. gabrielle: Dieu merci! Tu allais te faire rouler une fois de plus! constant: En effet! Sans toi je me laissais tondre...
Bernstein,Secret,1913, I, 1, p.5. C. − [En incise] Et pourquoi Dieu aurait-il mis des hommes sur nos têtes, si ce n'est afin qu'on leur obéisse? Nous vivons, Dieu merci, dans un royaume où le subalterne reste toujours à sa place (Montherl.,Port-Royal,1954, p.1033). Prononc. et Orth.: [mε
ʀsi]. Ac. 1694-1762: grand merci; dep. 1798: merci. Étymol. et Hist. A. 1. a) 881 mercit «grâce, miséricorde, pitié» (Eulalie, 27 ds Henry Chrestomathie, p.3); 2emoitié xes. merci (St Léger, 183, ibid., p.12); b) ca 1135 crïer merci «demander grâce» (Couronnement Louis, éd. Y. G. Lepage, rédaction AB, 2206); 1160 querre merci (Eneas, éd. J.-J. Salverda de Grave, 3616); 1176-81 demander merci (Chrétien de Troyes, Chevalier Charrette, éd. M. Roques, 899); mil. xiiies. recevoir aucun a merci «grâcier quelqu'un» (J.de Thuin, Jules César, 78, 13 ds T.-L.); c) 1181-90 sanz merci «sans pitié» (Chrétien de Troyes, Perceval, éd. F. Lecoy, 8119); d) ca 1200 «faveur qu'un amoureux obtient de la femme qu'il aime» (Chatelain de Coucy, Chansons, éd. A. Lerond, XVI, 45); ca 1462 le don de mercy «les dernières faveurs d'une dame» (Les Cent Nouvelles Nouvelles, éd. F.P. Sweetser, LIV, 25); 1666 le don d'amoureuse merci (La Fontaine, Contes et Nouvelles ds
Œuvres, éd. H. Regnier, t.4, p.267); e) ca 1100 Dieu mercit «comme le veut Dieu» (Roland, éd. J. Bédier, 1250); 1666-67 merci de moi (La Fontaine, op. cit., p.305); 1669 merci de ma vie (Molière, Tartuffe, I, 1); f) 1840 merci de Dieu «poignard qu'on a aussi nommé miséricorde» (Ac. Compl. 1842); 2. a) 1165-70 estre en la merci d'aucun «à la discrétion de» (Chrétien de Troyes, Erec et Enide, éd. M. Roques, 1008); 1538 à la merci de (Est., s.v. dedere); 1559 estre exposé à la merci de qqc. (p. ex. de la fortune) (Amyot, Vies des hommes illustres, Romulus, t. 1, fo15 ro); 1608 à la merci de qqc. (p. ex. du vent) «(être livré) à l'action de, aux effets de» (Régnier, Satyres, VII ds
Œuvres, éd. G. Raibaud, p.78, 158); b) 1283 rachat à merci «payé à la volonté du seigneur» (Ph. de Beaumanoir, Coutumes Beauvaisis ds La Curne); 1636 à merci «à discrétion, à volonté» (Monet). B. a) Ca 1135 granz merciz «remerciement, interjection pour remercier» (Couronnement Louis, éd. citée, rédaction AB, 148); 1539 masc. (Marot, Epigrammes, éd. C. A. Mayer, p.322); b) ca 1160 fém. «remerciement» (Eneas, éd. citée, 1701); 1874 merci du peu! (Lar. 19e). Du lat. mercedem, acc. de merces «salaire, récompense, solde, intérêt, rapport» et, à basse époque, «prix, faveur, grâce qu'on accorde à quelqu'un en l'épargnant». Fréq. abs. littér.: 4612. Fréq. rel. littér.: xixes.: a) 3747, b) 9557; xxes.: a) 8092, b) 6428. Bbg. Anscombre (J. Cl.). Voulez-vous dériver avec moi? Communications. 1980, no32, pp.117-118. _ Cornulier (B. de). La Notion de dér. délocutive. R. Ling. rom. 1976, t. 40, p.116, 119. _ Ducrot (O.). Analyses pragmatiques. Communications. 1980, no32, pp.52-53. |