| MARE, subst. fém. Petite étendue d'eau stagnante, dans une dépression naturelle ou artificielle, de faible profondeur. Mare boueuse, croupissante, dormante, fangeuse; mare verdâtre; mare infecte; mare aux canards, à crapauds; tomber dans une mare. Dans ce village on abreuve les bestiaux à une mare, à la mare. La mare est à sec (Ac. 1835-1935). Ce parc immense, où les chevreuils bondissaient (...) autour des eaux endormies de ces mares mystérieuses que l'on découvre sous les vieux saules et sous les grandes herbes sauvages (Sand, Hist. vie, t. 3, 1855, p. 412).Wilfrida (...) regarda pulluler (...) dans les mares d'eau sale (...) des canards, des poules, des oies (...) toute une vie malpropre, bruyante et malodorante, et gaie cependant (Van der Meersch, Empreinte dieu, 1936, p.234):1. Il s'agissait de réparer une mare. Cette mare, grande comme un étang, fuyait; on connaissait le lieu de cette fuite et l'on devait le cimenter. Il fallait pour cela commencer par vider la mare, ce qu'on n'avait pas fait depuis quinze ans. Carpes et tanches y abondaient, quelques-unes très grosses, qui ne quittaient plus les bas-fonds.
Gide, Immor., 1902, p. 412. − P. métaph. Mare d'or, de pourpre, de verdure, de parfums. Les mares de vos yeux aux joncs de cils (Laforgue, Poés., 1887, p. 34). − P. plaisant., fam. La mare aux harengs. L'Atlantique Nord. De l'autre côté de la mare aux harengs, le petit Italien (...) vient (...) de décrocher le titre national américain (Marcods Pédale, 5 oct. 1927, p. 5, col. 3).Ça te plairait de faire un tour de l'autre côté de la mare aux harengs? T'es relégable (Bernanos, Mouchette, 1937, p. 1284). ♦ Passer la mare. Traverser l'Atlantique. Bourget: (...) pourquoi ne retournez-vous pas aux États-Unis? (...) Herley: (...) Parce que mon père a eu la funeste idée de me faire passer la mare, comme nous disons (...) quand j'étais encore un tout petit garçon (Bourget, Monique, Reconnaiss., 1902, p. 185). − P. anal. Mare de + subst. (désignant une matière).Étendue de liquide qui ne s'écoule pas ou qui est répandu à terre. Mare de boue; mare de vin; mare d'encre. Il resta là ébahi, à regarder la bouteille, le verre cassé, la mare d'alcool à terre, d'où montait un fort parfum (Van der Meersch, Invas. 14, 1935, p. 304): 2. Des cadavres de chevaux (...) bordaient la piste (...) Il y en eut même un qui la barrait franchement et dont il fallut faire le tour, en traversant une épouvantable puanteur, comme si l'on se fût jeté pour y nager à pleines brasses dans une mare de liquides cadavériques.
Romains, Hommes bonne vol., Verdun, 1938, p. 141. P. métaph. Les plumes marchaient de nouveau, les paquets tombaient régulièrement, la mare d'étoffes montait toujours, comme si les eaux d'un fleuve s'y fussent déversées (Zola, Bonh. dames, 1893, p. 661).Loc. En mare. Abondamment. Couler en mare. Et l'eau, qui était captée pour la soif, ou pour le blanchissage des belles dentelles du dimanche des villageoises, se répand en mare devant l'église (Saint-Exup., Pilote guerre, 1942, p. 268).♦ En mares. En grande quantité. V. billot ex. 2. − Au fig. [Pour exprimer le caractère trouble, inextricable d'une situation] Florent: Mais, à la fin expliquez-vous. Nous jouons une charade. Esther: Sortons de cette mare, Florent. Cette petite est ta maîtresse (Cocteau, Monstres sacrés, 1940, i, 6, p.38). ♦ [Exprimant l'idée d'enlisement; fonctionne comme un intensif avec une connotation péj.] Une mare de + subst. (abstr.).Une mare de corruption. Il y a (...) des hommes de néant et de sottise qui nient le présent, croupissent dans la mare étroite et nauséabonde de leur banalité (Zola, Mes haines, 1866, p.8).Et, tout à coup, cassant l'élan des violences, Des murs de bruit semblent tomber Et se taire, dans une mare de silence (Verhaeren, Villes tentac.1895, p. 153). − HIST. [P. réf. à A. Briand, Disc. de Périgueux, 10 oct. 1909] Mares stagnantes. Circonscriptions électorales restreintes sous le système du scrutin d'arrondissement. Tout le monde (...) s'était mis à avoir un espoir vague, mais fort, dans ce remède social, la proportionnelle, qui semblait devoir en finir avec les abus (...) les mares stagnantes, la concurrence déloyale (Aragon, Beaux quart., 1936, p. 96): 3. Le mode de scrutin était le scrutin uninominal (ou d'arïsdissement), reflet des «mares stagnantes», favorable à la domination des «comités locaux», et des intérêts de clocher, hostile à la constitution de grands partis politiques puissants offrant aux électeurs l'option entre de grandes doctrines.
Vedel, Dr. constit., 1949, p. 97. ♦ P. ell. Mare (de Paris). Déjà, dans toutes les mares de Paris et de la province, le candidat pullule (Mauriac, Nouv. Bloc-notes, 1961, p. 127): 4. Dans ces petites mares d'arrondissement, le moindre clapotis réveille tout le monde. Tout est su; la vie privée, les querelles de ménage, les dettes, les expédients, les erreurs, les audaces, les fautes que le juge n'atteint pas, tout cela est analysé et tiré au clair par de terribles jugeurs. L'opinion publique n'est pas égarée par l'esprit de parti...
Alain, Éléments d'une doctrine radicale, Paris, Gallimard, 1925, p. 184. Prononc. et Orth.: [mɑ:ʀ]. Homon. marc. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. 1. Ca 1175 «petite nappe d'eau peu profonde qui stagne» (Benoît de Sainte-Maure, Ducs Normandie, éd. C. Fahlin, 9577); 2. 1690 «grande quantité de liquide répandu» (Fur.). De l'a. nord. marr masc. «mer; lac», cf. l'a. sax. meri fém., l'a. h. all. meri masc. et neutre, l'all. Meer, l'ags. mere masc. et fém. «marécage; lac»; le genre fém. peut venir de l'ags. Cette étymol. est soutenue par le FEW t. 16, pp. 533-534, qui souligne l'importance des attest. de mare à époque anc. en norm. et en anglo-normand. Fréq. abs. littér.: 649. Fréq. rel. littér.: xixes.: a) 373, b) 1 182; xxes.: a) 1 660, b) 808. Bbg. Chautard Vie étrange arg. 1931, p. 307. _ Wartburg (W. von). Probl. d'étymol. gallo-romane. R. Ling. rom. 1955, t. 19, pp. 283-286. |