| MANOEUVRER, verbe A. − 1. [Correspond à manoeuvre1A 1] a) Qqn manoeuvre qqc.Utiliser un outil, un instrument; faire fonctionner un appareil, une machine. Manoeuvrer une clé, un levier; manoeuvrer la culasse d'un fusil. C'étaient de petits canons ou ribaudéquins portés sur deux roues comme une brouette, et qu'un homme ou deux pouvaient manoeuvrer (Barante, Hist. ducs Bourg.,t. 1, 1821-24, p. 228).Ils [les pompiers] manoeuvraient avec une précision automatique leurs longues échelles de fer et montaient jusqu'au trentième étage des maisons pour arracher des malheureux aux flammes (A. France,Île ping.,1908, p. 413): 1. Un chef sioux, voulant arrêter le train, mais ne sachant pas manoeuvrer la manette du régulateur, avait largement ouvert l'introduction de la vapeur au lieu de la fermer, et la locomotive, emportée, courait avec une vitesse effroyable.
Verne, Tour monde,1873, p. 174. b) Qqc. manoeuvre.[En parlant d'un appareil, d'une machine] Fonctionner. Au milieu du fumier une pompe de fer manoeuvrait (Flaub.,Bouvard,t. 1, 1880, p. 27). 2. [Correspond à manoeuvre1A 2] Effectuer ou faire effectuer une manoeuvre à. a) MAR., TRANSP. − Qqn manoeuvre qqc.Le capitaine génois qui avait amené le bateau le trouvait bon, rapide, mais assez difficile à manoeuvrer par mauvais temps (Maurois,Ariel,1923, p. 329). ♦ [Avec ell. du compl. d'obj. dir.] Manoeuvrer pour se garer. Le pilote Typhis manoeuvre avec son gouvernail, tandis que les rameurs le secondent de toutes leurs forces (Dupuis,Orig. cultes,1796, p. 256). − Qqc. manoeuvre.La felouque a hissé le pavillon de détresse; mais elle n'a pu faire lever la consigne. Elle a continué de manoeuvrer vers le rivage, et on a tiré de nouveau sur elle (Latouche, L'Héritier,Lettres amans,1821, p. 68).Des trains manoeuvraient en sifflant sur les ponts de fer (Larbaud,Barnabooth,1913, p. 74): 2. ... la grande escadre française rentrait après la signature de la paix. Les vaisseaux manoeuvraient sous voile (...), présentaient la poupe, la proue, le flanc, s'arrêtaient en jetant l'ancre au milieu de leur course, ou continuaient à voltiger sur les flots.
Chateaubr., Mém.,t. 1, 1848, p. 97. b) ART MILIT. − Qqn manoeuvre.[Souvent en constr. factitive] Faire l'exercice; exécuter une manoeuvre en temps de paix. Il fallait apprendre la tactique (...) se former à l'art difficile du commandement, savoir comment on fait manoeuvrer des soldats (Reybaud,J. Paturot,1842, p. 169).L'autre jour, j'ai conduit la compagnie dans les champs à ma guise en la faisant manoeuvrer. Pendant 4 heures, j'ai traîné derrière moi 75 hommes attentifs à mon moindre geste (Alain-Fournier,Corresp.[avec Rivière], 1909, p. 113). ♦ Exécuter ou commander un mouvement stratégique: 3. Les corps avancés ou avant-gardes de 1806 sont donc prêts à user de trois tactiques: attaquer, résister, reculer, c'est-à-dire manoeuvrer en retraite, suivant ce qu'ils vont voir ou savoir de l'ennemi dont ils vont prendre le contact.
Foch,Princ. guerre,1911, p. 288. − Qqn manoeuvre pour.Se déplacer pour se trouver à l'endroit où on désire aller. Un voleur qui a manoeuvré pour échapper à un cercle de gendarmes (Duranty,Malh. H. Gérard,1860, p. 22).Je manoeuvrais pour me rapprocher de Philippe et pour essayer d'accrocher une conversation générale (Maurois,Climats,1928, p. 205). B. − Au fig., souvent péj. 1. Qqn manoeuvre qqn.[L'obj. désigne des personnes et p. méton., un secteur d'activité] Influencer l'opinion ou la volonté d'autrui en agissant par des moyens habiles. Synon. manipuler.Manoeuvrer une foule, une assemblée; manoeuvrer l'opinion, la presse, les syndicats. Un mois au moins serait nécessaire pour créer une organisation assez précise pour manoeuvrer les masses (Malraux,Cond. hum.,1933, p. 366).J'ai l'impression d'avoir été joué, manoeuvré, traité comme un homme endormi (Valéry,Variété V,1944, p. 99): 4. Une rouerie précoce (...) une habileté féminine à manoeuvrer sa mère, à la flatter, à exciter sa jalousie, à en retirer de l'argent, les toilettes, les babioles qu'elle enviait.
Van der Meersch,Invas. 14,1935, p. 199. 2. Qqn manoeuvre.Employer des moyens habiles pour obtenir le résultat recherché. Vous avez dû, mon prince, être content des journaux? dit le futur maître des requêtes. J'ai manoeuvré de manière à faire croire aux feuilles de l'opposition qu'elles publiaient nos secrets (Balzac,Cous. Bette,1846, p. 315).Elle [Charlotte] manoeuvrait entre ses deux amoureux d'une façon déliée et adroite, disant à chacun ce qu'il fallait lui dire (Maupass.,M.-Oriol,1887, p. 254): 5. Le patron n'augmentait rien du tout, la grève avait échoué. Ils n'avaient pas bien manoeuvré, on devait le reconnaître. Une grève de colère, et le syndicat avait eu raison de suivre mollement.
Camus, Exil et roy.,1957, p. 1596. REM. 1. Manoeuvrant, -ante, adj.Facile à manoeuvrer. Navire bien manoeuvrant. Un aéronef qui en rattrape un autre de même nature se dérange, puisqu'il est plus rapide, donc plus manoeuvrant (A.-B. Duval, Hébrard,Nav. aér.,1928, p. 182).Cette catégorie de bâtiments [les porte-avions] doit être avant tout rapide, manoeuvrante (Le Masson,Mar.,1951, p. 20). 2. Manoeuvreur, subst. masc.Synon. rare de manoeuvrier (au sens B).Peut-être ce rationaliste manoeuvreur de foule [Reinach] était-il lui-même manoeuvré par son ascendance (Proust,Guermantes 2,1921, p. 297). Prononc. et Orth.: [manoevʀe], (il) manoeuvre [manoe:vʀ
̥]. Att. ds Ac. dep. 1762. Étymol. et Hist. I. Trans. 1. ca 1100 «placer avec la main» ici «enchâsser» manuvrer (Roland, éd. J. Bédier, 2506: En l'oret punt l'ad faite manuvrer) ; 2. 1678 mar. (Guillet, 3epart., p. 225: Les Ennemis ont perdu trois ou quatre vaisseaux, faute d'Equipage pour les manoeuvrer); 3. 1831 fig. «manier» (Balzac, Peau chagr., p. 112: connaissant les ressorts du monde, il les manoeuvre à son profit). II. Intrans. 1. ca 1165 «travailler» manovrer (Benoît de Sainte- Maure, Roman de Troie, éd. L. Constans, 11710); 2. 1678 mar. (Guillet, loc. cit.: Nous n'avons aucun Matelot qui manoeuvre mieux que ce maloüin); 3. 1732 «exécuter des mouvements stratégiques» (Rich.); 4. 1752 fig. «employer certains moyens pour atteindre un but» (Trév.). Dér. du lat. pop. manu operare littéralement «travailler avec la main» formé du lat. manu ablatif de manus «main» et de operare «travailler», dér. de opus, operis «ouvrage». Fréq. abs. littér.: 619. Fréq. rel. littér.: xixes.: a) 582, b) 920; xxes.: a) 904, b) 1097. DÉR. Manoeuvrable, adj.[En parlant d'un appareil, d'une machine, d'un véhicule] Qui peut être manoeuvré facilement. Nous préférons notre voilure, qui, quoique plus vaste et plus puissante, est manoeuvrable avec toute la simultanéité, la sécurité et la facilité désirables, quelle que soit l'impétuosité du vent (Maizière,Nouv. archit. nav.,1853, p. 7).Il est plus avantageux de couvrir l'orifice du forage par une vanne munie à l'amont d'une tubulure latérale. La vanne manoeuvrable à distance est fermée (Chartrou,Pétroles natur. et artif.,1931, p. 58).Au fig. [En parlant d'une personne ou d'un affect] Facilement influençable. Estrème est avant tout un «anti», nous explique-t-il, antianglais, antiallemand, antirusse, etc... C'est cette sentimentalité qui plaît à Michel: il la croit manoeuvrable. Lui, depuis longtemps, il ne peut plus éprouver de haine que pour des idées, non des hommes (Abellio,Pacifiques,1946, p. 360).− [manoevʀabl̥]. −1resattest. a) 1389 «qui doit la corvée» manovrable (Arch. JJ 139, pièce 265 ds Gdf.), b) α) 1853 mar. (Maizière, loc. cit.), β) 1927 fig. (Du Bos, Journal, p. 278); de manoeuvrer, suff. -able*. BBG. − Quem. DDL t. 17 (s.v. manoeuvrable). |