| MOEURS, subst. fém. plur. I. − [Avec une idée prédominante de morale] A. − 1. Ensemble de comportements propres à un groupe humain ou à un individu et considérés dans leurs rapports avec une morale collective; absol., règles de vie, modèles de conduite plus ou moins imposés par une société à ses membres. On y trouve [dans ce canton] des moeurs et de la probité; mais, comme partout ailleurs, le mal y est à côté du bien (Dusaulx,Voy. Barège,t.1, 1796, p.59).Les dehors, les propos, les manières ont une certaine mesure de dignité froide qui est commune à tous (...). À présent, la loi suprême des moeurs c'est la convenance (Vigny,Serv. et grand. milit.,1835, p.135): 1. S'il était venu nous vanter les moeurs des cours, nous les offrir en exemple, nous inviter à les imiter, je conçois qu'alors on pourrait l'accuser d'avoir outragé la morale; mais il a fait précisément le contraire. Ces moeurs dissolues, scandaleuses, il les a censurées; il a voulu arracher un jeune prince à leur contagion; et c'est lui, c'est le défenseur des moeurs que vous accusez d'avoir offensé les moeurs!
Courier,Pamphlets pol.,Procès, 1821, p.117. Rem. Employé dans ce sens surtout au xixesiècle. − P. métaph. La beauté d'un mot est tout entière dans sa pureté, dans son originalité, dans sa race; je veux le dire encore en achevant ce tableau des mauvaises moeurs de la langue française et des dangers où la jettent le servilisme, la crédulité (Gourmont,Esthét. lang. fr.,1899, p.106). SYNT. Moeurs atroces, austères, barbares, civilisées, corrompues, dépravées, déréglées, douces, grossières, infâmes, irréprochables, libres, policées, pures, relâchées, rudes, sauvages, sévères; moeurs sociales, de la société; adoucissement, austérité, changement, corruption, dépravation, dérèglement, douceur, grossièreté, innocence, liberté, licence, perversion, pureté, relâchement, rudesse, sévérité de(s) moeurs; changer, corrompre, réformer les moeurs; avoir de l'influence sur les moeurs; les moeurs se relâchent. − Loc. vieillies ♦ Avoir/n'avoir pas de moeurs; avoir des moeurs + adj. Marquer par son comportement que l'on respecte ou non les valeurs morales de la société. L'étude, selon lui, des vertus domestiques est notre premier pas vers les vertus civiques. Il croit qu'ayant des moeurs, étant homme de bien, bon parent, on peut être alors bon citoyen (Laya,Ami loix,1793, i, 4, p.20).L'homme est imparfait. Il est parfois plus ou moins hypocrite, et les niais disent alors qu'il a ou n'a pas de moeurs (Balzac,Goriot,1835, p.125). ♦ (Être) sans moeurs; femme/homme, etc. sans moeurs. (Être) sans égards pour les règles de vie généralement admises. Un artiste (...) c'est (...) un homme sans conduite, sans domicile, sans moeurs, un sacripant (Labiche,Mari lance sa femme,1864, i, 5, p.574). 2. En partic. Comportement sexuel conforme ou non aux normes sociales. Ce que c'est qu'une femme, qui est abandonnée de son mari, et qui, ayant de la figure, est recherchée par les hommes, qui la corrompent et lui ôtent les bonnes moeurs! (Restif de La Bret.,M. Nicolas,1796, p.114): 2. ... Pauliet me raconta que dégoûté de la vie familiale et bourgeoise il avait vécu chez les filles, seulement les filles de maison, dans les maisons où la clientèle populaire a «des moeurs assez chaudes», car il méprisait la fausse élégance des maisons de passe...
Jouve,Scène capit.,1935, p.217. ♦ Moeurs (particulières, spéciales). Homosexualité. Il prétend qu'il ignorait les moeurs de Wilde! Et qu'il ne le soutenait d'abord que parce qu'il le croyait innocent (Gide,Journal,1918, p.655).Il a entretenu des femmes qui étaient (...) des poules immondes... Alors qu'il avait sa femme, que vous avez vue, hein? On a même prétendu qu'à l'occasion il pratiquait des moeurs spéciales (Romains,Hommes bonne vol.,1939, p.114). ♦ Femme/homme, etc. de moeurs faciles/légères ou de peu de moeurs. Synon. de libertin.V. léger V B ex. de Aymé. − Expr. Drôles de moeurs! Quelles moeurs! Il n'y a plus de moeurs! Murat est malade. La déesse du bal, Madame Rugat, lui a proprement donné une galanterie (...). D'autres personnes de l'État-Major se plaignent de Madame Visconti. Bon Dieu! Quelles femmes! Quelles moeurs! (Napoléon Ier, Lettres Joséph.,1796, p.53). B. − DROIT ♦ Bonnes moeurs. ,,Ensemble des règles imposées par la morale et auxquelles les parties ne peuvent déroger par leurs conventions`` (Cap. 1936). Être contraire aux bonnes moeurs. C'est la magistrature qui protège les bonnes moeurs et (punit?) les attentats aux idées orthodoxes (Flaub.,Corresp.,1842, p.99). ♦ Affaire/histoire de moeurs. Infraction aux lois concernant la morale. Ça n'était pas un méchant homme, malgré son affaire de moeurs (...). Mulot a été condamné pour faux témoignage. Injustement d'ailleurs. Alors Robidet, goguenard: − Ouais! pour viol de petite fille (Gide,Feuillets d'automne,1949, p.1098). ♦ Attentat aux/contre les moeurs, crime contre les moeurs, outrage aux moeurs. Acte d'immoralité portant atteinte à la pudeur, à la respectabilité, etc. J'ai comparu (...) en police correctionnelle sous la prévention d'outrage aux bonnes moeurs et au culte catholique. Cette Bovary, que vous aimez, a été traînée comme la dernière des femmes perdues sur le banc des escrocs. On l'a acquittée, il est vrai (Flaub.,Corresp.,1857, p.163).Il s'agit, par exemple, d'un outrage aux moeurs: exhibitionnisme, tentative de viol, érotisme cynique (Codet,Psych.,1926, p.86).V. attentat ex. 12. ♦ Brigade/bureau/police/service des moeurs ou absol., les moeurs. Brigade, etc. s'occupant des délits de prostitution. La Préfecture pouvait mettre la main sur elle; elle avait fait partie d'un bagne d'amour, elle s'était évadée; les limiers des moeurs pouvaient la reprendre (Huysmans,Marthe,1876, p.67).Les autres fuyaient seulement la justice, soucieuses d'éviter la terrible «mise en carte» que leur réservait la brigade des moeurs (Van der Meersch,Invas. 14,1935, p.450).P. méton. Membre de la police des moeurs. Le Grain-de-Beauté, le grand moeurs qui fait le quartier (Méténier,Lutte pour amour,1891, p.92). ♦ Certificat de (bonne) vie et moeurs. V. certificat A 3 ex. de Flaubert. C. − RHÉT., vx. Moeurs oratoires ou, absol., moeurs. Partie de la rhétorique qui traite des moyens de gagner la faveur de l'auditoire en faisant montre de certaines qualités morales; ces qualités mêmes. Quelquefois seulement, par un souci des moeurs oratoires, on dirait qu'il cherche à envelopper sa sentence de formes courtoises (Lemaitre,Contemp.,1885, p.223).La deuxième condition de l'art oratoire consiste à plaire, c'est-à-dire à se présenter avec des «moeurs» telles qu'elles imposent à l'assistance une opinion favorable à l'orateur (Wicart,Orateur,t.1, 1936, p.298). D. − SOCIOL. Science des moeurs. Science ,,qui se propose de dégager les croyances morales exprimées par les individus d'une société et aussi impliquées dans la pratique même des relations sociales`` (Julia 1964). En identifiant moeurs et vie morale, les représentants de la science des moeurs ont souvent été tentés de réduire à l'habitude et à la régularité toute la vie morale (Traité sociol.,1968, p.148): 3. Dans La Morale et la science des moeurs, Lévy-Bruhl cherche à démontrer la relativité des idées morales qui, selon lui, dépendent de la nature et de la forme de la société. La morale ou «science des moeurs» quitte le domaine philosophique et devient une simple annexe de la sociologie.
Hist. sc.,1957, p.1512. II. − [Sans idée prédominante de morale] A. − Ensemble des façons de vivre habituelles à un groupe humain ou à un individu. Synon. coutumes.Notre séjour à l'entrée de la baie nous procura sur les moeurs et les divers usages des sauvages, beaucoup de connaissances (Voy. La Pérouse,t.2, 1797, p.179).Tel est l'intérieur de cette famille, dont le chef serait l'homme le plus heureux du monde (...) si les goûts de sa femme et de ses enfans, en opposition constante avec la simplicité de ses moeurs et de ses habitudes, ne le forçaient à un genre de vie qui ne lui convient en aucune manière (Jouy,Hermite,t.1, 1811, p.199): 4. À la fin du xviiiesiècle, on pouvait encore apercevoir, sans doute, entre les manières de la noblesse et celles de la bourgeoisie, une différence; car il n'y a rien qui s'égalise plus lentement que cette superficie de moeurs qu'on nomme les manières; mais, au fond, tous les hommes placés au-dessus du peuple se ressemblaient; ils avaient les mêmes idées, les mêmes habitudes, suivaient les mêmes goûts, se livraient aux mêmes plaisirs, lisaient les mêmes livres, parlaient le même langage.
Tocqueville,Anc. rég. et Révol.,1856, p.158. − En partic., absol. Synon. de civilité, savoir-vivre, urbanité: 5. ... il n'y a d'original et de tout à fait particulier en lui [Daguesseau] comme écrivain, que ce que les anciens appelaient les moeurs [it. ds le texte], ce je ne sais quoi non-seulement de doux et de paisible (...), mais de prévenant et d'humain (...); de discrètement aimable et de lentement persuasif qui monte et s'exhale d'une âme pure...
Sainte-Beuve,Caus. lundi,t.3, 1851, p.410. SYNT. a) [Avec une idée de modalité] Moeurs élégantes, étranges, simples; état des moeurs; différence, élégance de(s) moeurs; adopter les moeurs de. b) [Avec une idée de temps] Anciennes, nouvelles, vieilles moeurs; moeurs actuelles, anciennes, antiques, modernes, nouvelles, primitives; moeurs de l'époque, du siècle, du/de ce temps. c) [Avec une idée d'indépendance ou d'appartenance à un groupe] Moeurs bourgeoises, domestiques, étrangères, générales, nationales, parlementaires, particulières, patriarcales, paysannes, politiques, populaires, privées, publiques; moeurs des Français, etc.; moeurs des femmes, des habitants, des hommes, d'une/de la nation, du pays, d'un/du peuple, de la province. d) [Avec une idée d'étude] Observation des moeurs; connaître, observer, peindre les moeurs. − Locutions ♦ Être dans les moeurs; c'est dans les moeurs. Être/c'est dans les habitudes (de tel groupe). Le pillage n'est pas dans nos moeurs françaises: le coeur de nos soldats n'est point mauvais; le premier moment de fureur passé, il revient à lui-même (Las Cases,Mémor. Ste-Hélène,t.1, 1823, p.864). ♦ Entrer/passer dans les moeurs. Entrer/passer dans l'usage courant. La rhétorique de l'image est entrée dans les moeurs intellectuelles du temps, au point que cette expression: avoir du style, se trouve être le synonyme de cette autre: écrire avec pittoresque (Bourget,Nouv. essais psychol.,1885, p.192). − Proverbes et expr. ♦ Autres temps, autres moeurs! Il déplore avec moi que la veuve Moreau soit morte et que sa boutique paradisiaque (...) n'existe plus. Sic transit gloria mundi. Ainsi se perdent les traditions. Autre [sic] temps, autres moeurs (Cendrars,Bourlinguer,1948, p.313). ♦ La musique adoucit les moeurs. Si la musique adoucit les moeurs (...) elle n'ennoblit pas les visages. Ils sont là une soixantaine de musiciens (...) pourquoi ne leur met-on pas des masques, comme dans le théâtre antique (Montherl.,J. filles,1936, p.1038). ♦ Les honneurs changent les moeurs (vx). (Dict. xixes.). B. − LITTÉRATURE 1. Vx. Ce qui convient au caractère des personnages, des temps et des lieux mis en scène dans telle oeuvre. Pécher contre les moeurs: 6. La manière dont le poëte fait agir et parler les personnages de son poëme, ou les êtres qu'il personnifie, s'appelle les moeurs [it. ds le texte] (...). Il y a les moeurs [id.] de l'âge et les moeurs [id.] du sexe. Ces moeurs [id.] sont bonnes, si elles expriment l'état naturel de l'individu...
Bonald,Législ. primit.,t.2, 1802, p.208. 2. Comédie, étude, roman de moeurs. Comédie (...) qui décrit les façons de vivre caractéristiques d'un groupe humain, d'un individu, d'une époque. C'est une étude de moeurs populaires, l'histoire d'un jeune ouvrier sobre et chaste (...). Il est ciseleur et travaille bien. Le soir, près de sa mère, qu'il aime, il étudie (A. France,Lys rouge,1894, p.57).Tout y est rassemblé [dans les mauvais romans] pour plaire, pour étonner, pour toucher; tableaux de moeurs et de travaux; attitudes, mouvements, costumes, couleur et forme des lieux, patois, archaïsmes (Alain,Propos,1921, p.339).V. comédie II B 2 c ex. d'Amiel. C. − PEINT. Peintre, peinture, scène, tableau de moeurs. Peintre (...) qui dépeint des épisodes de la vie quotidienne. Grand côté de Gavarni: c'est d'être peintre de moeurs non par le costume et le meuble (...) mais par la physionomie (Goncourt,Journal,1857, p.407).Au XVIIIesiècle vient le rococo puis la peinture des idylles, peinture de moeurs, de genre, peinture patriotique (Barlet, Lejay,Art de demain,1897, p.66). D. − 1. P. anal. [À propos d'animaux ou de végétaux] Mode d'être ou de vivre habituel à une espèce animale ou végétale. Comme il connaissait bien toutes les habitudes Des plantes, des oiseaux, des insectes de Dieu! (...) Et comme, de l'hysope aux plus superbes fleurs, De tout ce qui végète il m'enseignait les moeurs! (Lamart.,Jocelyn,1836, p.784): 7. À l'image du Bernard l'Ermite allant habiter les coquilles abandonnées, on associe parfois les moeurs du coucou allant pondre dans le nid des autres. Il semble que, dans l'un et l'autre cas, la nature s'amuse à contredire la morale naturelle.
Bachelard,Poét. espace,1957, p.122. 2. P. métaph. [À propos d'une chose concr. ou abstr.] J'ai longuement étudié les moeurs des étoiles. Il en est qui vont seules, d'autres montent par pelotons (Claudel,Connaiss. Est,1907, p.64).Le désir de voir la chose écrite vêtir les moeurs du rêve ne s'est pas borné à affecter les poètes (...) il a été homologué pour une grande partie par certains écrivains d'idées, entre autres Thibaudet et Rémy de Gourmont (Benda,Fr. byz.,1945, p.26). Prononc. et Orth.: [moe(:)ʀ(s)]. Martinet-Walter 1973 [moe:ʀ]; [moeʀs] (7/11). Les dict. ont, de Fér. 1768 à Besch. 1845, [moeʀs]; dep. Littré, les deux formes, avec des modalités diverses. Littré préconise l'anc. prononc., [moe:ʀ]: ,,[moeʀs] n'est pas une bonne prononciation``. Nyrop Phonét. 1951, §254, 7: [moe:ʀ] est ,,recherché``. DG, Barbeau-Rodhe 1930, Lar. Lang. fr.: [moe:ʀ] est ,,vieilli``. Pt Rob. ,,[moe:ʀ], souv. [moeʀs], fam.`` Lexis 1975 ,,[moeʀs] ou, plus souvent, [moe:ʀ]``. Fouché Prononc. 1959, p.478, Dupré 1972, pris ensemble, suggèrent la répartition suiv.: un homme de moeurs lâches [moe:ʀ]; moeurs irréprochables [moeʀz] ou [moeʀs]; affaire de moeurs [moeʀs]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. 1. Début xiies. «manière de se comporter, conduite (spéc. par rapport à la pratique du bien et du mal)» (Benedeit, St Brendan, 76 ds T.-L.: Murs out bons cil ermite et sainte vitte); 1155 (Wace, Brut, 3642, ibid.: Bien sembla [Iwallo] as bons ancessors De prüesce e de bones mors); 1160-74 (Id., Rou, éd. J.Holden, III, 2: Pur remembrer des ancesurs Les feiz e les diz e les murs); 1174-76 (Guernes de Pont-Ste-Maxence, St Thomas, 552 ds T.-L.: Les mals murs a guerpi e seculer servise); 1718 avoir des moeurs «avoir de bonnes moeurs» (Ac.); 2. ca 1265 les meurs et les us «les habitudes relatives à la manière de vivre, les usages» (Brunet Latin, Trésor, éd. J. Carmody, II, XL, p.207); 1549 «habitudes d'un peuple» (Du Bellay, Deffense de la lang. fr., éd. H.Chamard, I, 2, p.16); 1688 «savoir-vivre» (La Bruyère, Caractères, De la Cour, 74, éd. J. Benda, p.259: les jeunes gens... sont durs, féroces sans moeurs); 3. [av. 1577 (?) «habitudes naturelles des différentes espèces d'animaux» (Budé, Des Ois., p.118 ds La Curne = trad. de G.Budé, Traité de Vénerie par Louis Le Roy?)] 1606 meurs porcines (Trad. de Folengo, L. VIII I, 217 ds Hug.). Du lat. mores, plur. de mos, moris, masc. (d'où ce même genre relevé en a. fr.) «volonté, désir; usage, coutume»; la plupart du temps au plur. «genre de vie, traditions [morales, religieuses], habitudes; caractère, comportement; lois, règles». La prononc. de l's finale (notée dep. Rich. 1680; v. aussi Fouché Prononc., pp.426 et 478) est prob. due à la fois au nombre exclusivement plur. du mot et à la relation, toujours ressentie, avec l'étymon lat. V. aussi Trav. Ling. Litt. Strasbourg t.19, 1, p.241. Fréq. abs. littér.: 4721. Fréq. rel. littér.: xixes.: a) 13554, b) 4850; xxes.: a) 4523, b) 3190. Bbg. Quem. DDL t.15. |