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MÉRITE, subst. masc.
A. −
1. Valeur morale procédant de l'effort de quelqu'un qui surmonte des difficultés par sens du devoir et par aspiration au bien. Anton. démérite.Un juste mérite; honorer, récompenser, vanter le mérite; mérite et récompense, mérite et vertu. La notion de mérite et celle de responsabilité sont des erreurs certaines, liées à la croyance erronée à une liberté absolue que nie le déterminisme universel (Le Dantec,Savoir!1920, p.81).Pour être méchant, il faut d'abord être bon; et pour être bon, il faut être méchant, sinon le «mérite» s'évapore (Valéry,Mauv. pens.,1942, p.112):
1. ... pour qu'une peine soit utile, il faut 1 que celui auquel on l'inflige, pourvu qu'il est du principe du mérite et du démérite, se trouve justement puni et accepte sa punition avec une disposition convenable; 2 que les spectateurs, pourvus également du principe du mérite et du démérite, trouvent le coupable justement puni en tant que coupable, s'appliquent par anticipation la même justice, et soient rappelés à l'ordre par la vue de ses légitimes représailles. Cousin,Hist. philos. XVIIIes., t.2, 1829, p.273.
[À propos d'un attribut mor. de la pers.] J'aime la vertu pour son mérite et non pour sa récompense (Lamart.,Voy. Orient, t.1, 1835, p.82).
2. THÉOL. Propriété intrinsèque de l'acte humain bon, en tant qu'il a rapport à autrui, à la communauté humaine et à Dieu, et qui est susceptible d'appeler sur l'homme la miséricorde divine (d'apr. Foi t.1, 1968). Couronner le mérite; le mérite et la grâce. Dieu nous jugera selon le mérite de nos oeuvres (Ac.1798-1935).Dans un sens, on peut dire que j'ai du mérite. On en a canonisé qui me valaient peut-être pas (Aymé,Brûlebois,1926, p.66).Le mérite dépend de la libre disposition de Dieu qui daigne récompenser par la béatitude éternelle les bonnes oeuvres réalisées avec sa grâce (Fries t.2 1965, p.424).
Mérite de condigno (v. condigne), mérite de congruo. ,,Le mérite de condigno constitue un droit strict à une récompense (...). Le mérite de congruo constitue seulement un titre convenable (...) à la concession libérale d'une chose qui n'est pas due`` (Foulq.-St-Jean1962).
P. méton. Action justiciable d'une sanction divine positive; créance morale qui en découle. Et cette vierge (...) Auroit-elle voulu vivre sans épreuves, pour mourir sans mérites aux yeux de son créateur? (Cottin,Mathilde, t. 2, 1805, p.352).Il ne s'agissait après tout que de souffrir quelques jours, après quoi viendrait l'éternité, où toutes ces souffrances seraient comptées pour des mérites, à la bonne heure (Renan,Avenir sc.,1890, p.330).J'amassai des mérites. L'abbé Martin nous distribua au début de l'Avent des images représentant un enfant Jésus: À chaque bonne action, nous perforions d'un coup d'épingle les contours du dessin tracé à l'encre violette (Beauvoir,Mém. j. fille,1958, p.32).
[En tant que cette créance peut être transmise d'une pers. à une autre] Les mérites des saints, (du sang) de Jésus-Christ. Les souffrances et les sacrifices des saints et de Jésus-Christ qui permettent le rachat des pécheurs. Cette victime qui doit vaincre l'enfer par la vertu des souffrances et des mérites du sang de Jésus-Christ (Chateaubr.,Martyrs, t. 1, 1810, p.195).Une tendre et silencieuse offrande qui les associait à toutes les douleurs et à tous les mérites de Jésus-Christ et de ses saints, à tous les hommages de l'Église (Montalembert,Ste Élisabeth,1836, p.71):
2. Dieu, si Dieu veut, fera peut-être ce que je ne peux pas faire, moi indigne. Les mérites et les prières de Jésus, les promesses de Jésus, les mérites et les prières de tous les saints travaillent pour nous. Et qui sait, toute infime, toute indigne, toute infirme Dieu accordera peut-être quelque chose à mes prières. Péguy,Myst. charité,1910, p.145.
Par dérision. − Vous êtes sûr que c'est le capitaine Dispolsen? − Sûr, par les mérites de saint Belzébuth! dit le soldat (Hugo,Han d'Isl.,1823, p.30).
P. anal., dans le domaine mor.Il n'y a cependant pas de père de famille protestant (...) qui n'ait pardonné à un enfant punissable par l'intercession et par les mérites d'un autre enfant dont il a lieu d'être content (Maistre,Soirées St-Pétersb., t. 2, 1821, p.281).
B. − P. ext.
1. Surtout au sing. Caractère de celui ou de ce qui est digne d'une appréciation avantageuse par ses qualités morales ou intellectuelles. Le mérite des Allemands, c'est de bien remplir le temps; le talent des Français, c'est de le faire oublier (Staël,Allemagne, t. 1, 1810, p.186).Des gens le lançaient avec des éloges sans proportion avec le mince mérite de son ouvrage de début. «Un nouveau Ch.-L. Philippe, etc.» (Larbaud,Journal,1934, p.280):
3. Voulez-vous vous convaincre de l'énorme différence de mérite et de gloire entre un grand écrivain et un grand politique? Mes travaux de diplomate ont été sanctionnés par ce qui est reconnu l'habileté suprême, c'est-à-dire par le succès. Quiconque pourtant (verra) jamais ce mémoire le sautera sans doute à pieds joints... Chateaubr.,Mém., t. 3, 1848, p.463.
SYNT. Grand, énorme, immense, mince, rare, vrai mérite; mérite accompli, éclatant, éminent, exceptionnel, incontestable, supérieur; mérite personnel; le premier des mérites; avoir du mérite; n'avoir aucun mérite; n'en avoir que plus de mérite; être plein de mérite; être sans mérite; c'est tout à son mérite; l'emporter en mérite sur qqn, qqc.; faire valoir son mérite; apprécier, célébrer, contester, diminuer, honorer, méconnaître, reconnaître, vanter le mérite de qqn, qqc.; récompenser le mérite de qqn; se prononcer sur le mérite de qqn, de qqc.; trouver du mérite à qqn, à qqc.; s'attribuer, se donner, revendiquer le mérite de qqn, de qqc.; mérite et honneur; mérite et talent.
a) Locutions
Loc. adj. De mérite
Synon. de méritant.Artiste, femme, gens, homme, personne de mérite, de grand mérite, d'un grand mérite, de haut mérite, de/du premier mérite. J'ai été élevé à la campagne (...) par un gouverneur, homme de mérite, dont le zèle fut récompensé par les progrès rapides de son élève (Jouy,Hermite, t. 4, 1813, p.176).Synon. de talentueux.Un journaliste de grand mérite, mort aujourd'hui, Charles Brainne (Maupass.,Contes et nouv., t. 2, Rosier MmeHusson, 1887, p.685).Des savants de grand mérite, qui savent tirer parti pour leurs travaux du privilège d'une intimité quotidienne avec des chefs-d'oeuvre (Réau,Archives, bibl., musées,1909, p.15).
Synon. de méritoire (rare).Action, geste de mérite, de grand mérite, d'un grand mérite, de/du premier mérite. Il s'était vite rendu compte du peu de biens rattachant au succès l'oeuvre de haut mérite (Montesquiou,Mém., t. 2, 1921, p.180).
Rem. V. aussi infra B 2.
Loc. verbales
Avoir le mérite de + subst. ou inf.; avoir du/beaucoup de mérite à + inf.; n'avoir aucun, guère de mérite à + inf.; avoir peu de mérite à + inf.Toutes ces ondes secondaires produisent (...) des apparences compliquées que M. Righi a eu beaucoup de mérite à débrouiller (H. Poincaré,Théorie Maxwell,1899, p.71).Je n'ai aucun mérite à résoudre un problème aussi simple. Cette bagatelle est à la portée d'un enfant (Bernanos,Imposture,1927, p.394).Vous n'aviez pas grand mérite à prophétiser (Arnoux,Rêv. policier amat.,1945, p.186).Vous avez au moins le mérite de la franchise (Anouilh,Répét.,1950, v, p.123).
Il y a du mérite à (faire) qqc. Combattre ces idées, monsieur! Il n'y aurait pas plus de mérite à cela qu'à faire en Prusse des épigrammes contre les capucins (Béranger,Chans., t. 1, 1829, p.xxxv).
Faire (un) mérite de qqc. à qqn. Faire gloire de quelque chose à quelqu'un. Vous avez vu de quelle ardeur insensée, il s'employait à (...) lui faire un mérite de son ignominie? (Aymé,Cléramb.,1950, ii, 4, p.99).
Se faire (un) mérite de qqc. (auprès de qqn). Tirer gloire ou avantage de quelque chose (auprès de quelqu'un). S'ils [les hommes supérieurs] réussissent et qu'ils finissent par avoir le dessus sur les routines, ils ont pour eux, à leur tour, les incapables, qui se font un mérite d'outrer leurs pratiques, et qui gâtent encore tout ce qu'ils touchent (Delacroix,Journal,1853, p.78).Les hommes qui avaient dépassé les rigueurs et les soupçons de Robespierre avaient assassiné Robespierre, et ils essayaient en vain de s'en faire un mérite auprès de la nation (Sand,Hist. vie, t. 1, 1855, p.202).[Françoise] se faisait mérite auprès de moi des services qu'elle lui rendait [à Albertine] dans ses relations avec moi (Proust,Prisonn.,1922, p.154).
b) P. méton., rare. Le mérite. L'ensemble des gens de mérite. Respecter le mérite. Nous accordons une gratification de 300 livres à un homme de génie qui illustre la nation. (...) donnons liberté entière aux talents; honorons le mérite (Marat,Pamphlets, Charlatans mod., 1791, p.275).
c) [Dans la dénomination de distinctions honorifiques décernées à certaines pers. en raison de leurs qualités, de leurs actions]
Ordre du Mérite agricole*, p. ell. Mérite agricole*.
Ordre du Mérite maritime, p. ell. Mérite maritime. ,,Ordre institué pour récompenser la valeur professionnelle des marins et le mérite des citoyens qui se sont distingués pour le développement de la marine marchande, des ports, des pêches et des sports nautiques`` (Cap. 1936).
Ordre national du Mérite. Ordre créé en 1963 et destiné à récompenser les services rendus, soit dans une fonction publique civique ou militaire, soit dans une activité privée. Grand'croix, grand officier, commandeur, officier, chevalier de l'ordre national du Mérite; brevets des grades et dignités de l'ordre national du Mérite; nomination, promotion dans l'ordre national du Mérite. P. ell. Mérite. La décoration du Mérite, à ruban bleu, est une étoile à six branches doubles émaillée bleu, surmontée d'une bélière formée de feuilles de chêne entrecroisées. L'avers présente l'effigie de la République et le revers deux drapeaux tricolores avec le nom de l'Ordre (L'Aurore,5 déc. 1963, p.8b).
Rem. La création de cet ordre a entraîné la suppression de plusieurs ordres particuliers, parmi lesquels l'ordre du Mérite militaire, l'ordre du Mérite social, l'ordre du Mérite commercial, l'ordre du Mérite touristique et l'ordre du Mérite artisanal.
d) P. ext. Caractère qui rend une personne plus ou moins digne d'éloges ou de reproches. Cette richesse, qui se gagnait ou se perdait, d'ordinaire, suivant le mérite de chacun, faisait de l'instruction le premier besoin (Fustel de Coul.,Cité antique,1864, p.423).Les devoirs ordinaires étaient classés, après correction, par ordre de mérite (Larbaud,F. Marquez,1911, p.48).Cet ordre de préférence tient compte uniquement des titres et mérites des candidats (Encyclop. éduc.,1960, p.327).
À chacun selon ses mérites, être traité selon ses mérites:
4. ... il ne devait rien être, pour commencer, qu'un simple soldat. Aussi prit-il rang dans le bataillon qu'on lui assigna et sut-il s'y conduire en soldat modèle. À ceux qui firent d'abord mine de le plaindre: «À chacun selon ses mérites, répondit-il. Je n'aurais peut-être pas su commander!... C'est moins que j'apprenne à obéir!» Verne,500 millions, 1879, p.196.
Par antiphrase. Maudit sois-tu, Selon tes mérites! (Verlaine, Œuvres compl., t. 3, Invect., 1896, p.324).
2. Au sing. ou au plur. Qualité remarquable d'une chose ou d'une personne. On jugeait du mérite d'un prisonnier, c'est-à-dire de son audace et de son intelligence pour les évasions, d'après les précautions prises pour s'assurer de lui (Vidocq,Mém., t. 1, 1828-29, p.204).Eustache Deschamps (...) vanta les mérites de la ballade équivoque et rétrograde, où chaque vers devait commencer par la syllabe qui terminait le précédent (Jeux et sports,1967, p.751):
5. ... les Bordelais ne se trompent guère plus sur les autres ni sur eux-mêmes que sur ce vin dont ils devinent après un seul reniflement et deux ou trois clappements, l'âge, la provenance et le mérite exact. Mauriac,Écrits intimes, Commenc. d'une vie, 1932, p.67.
P. plaisant. Ces mets qui n'avaient d'autre mérite que d'avoir coûté cher (Brillat-Sav.,Physiol. goût,1825, p.267).
SYNT. Grand(s), rare(s), singulier(s) mérite(s); mérite(s) exceptionnel(s), incomparable(s), incontestable(s), particulier(s), supérieur(s); les mérites d'un texte, d'une toile; avoir un/des mérite(s); (ne pas) être sans mérite(s); apprécier, connaître, diminuer, estimer, juger les mérites de qqc. ou qqn; attribuer, trouver des mérites à qqc. ou qqn; l'emporter en mérite sur qqc. ou qqn; mérites comparés de plusieurs choses, plusieurs personnes; comparer, opposer les mérites de plusieurs choses, plusieurs personnes; énumérer les titres et les mérites de qqn; mérites et défauts; mérites et inconvénients.
Loc. adj., rare. De mérite; de grand mérite; d'un rare mérite. De qualité; d'une grande qualité. Ce qu'on ne sait pas assez, c'est que Venise regorge de sculptures, de bas-reliefs, de figures de marbre et de bronze du plus rare mérite (Gautier,Italia,1852, p.298).
[Suivi d'un déterm. adj. ou subst. spécifiant la nature du mérite] Mérite littéraire de qqc. ou qqn; mérite scientifique de qqc. ou qqn. Il y a deux caractères (...) qui ont un véritable mérite de nouveauté et d'éloquence (Constant,Journaux,1804, p.128).Une fort bonne comédie, et qui avait un grand mérite de composition (Stendhal,Racine et Shakspeare, t. 1, 1823, p.35):
6. Ils [les amis de Gontran] avaient eu toutes les femmes cotées sur le marché galant (...) et parlaient entre eux de leurs mérites amoureux comme des qualités d'un cheval de courses. Maupass.,Mt-Oriol,1887, p.215.
En partic. Agrément, avantage propre à quelque chose. Le mérite de Noirmoutiers, c'est que nous n'avons pas de voisins (Mérimée,Abbé Aubain,1847, p.153).A fait rire aussi l'histoire de Renan ayant mal au coeur chez Brébant, pendant le siège, au cours d'une conversation sur les mérites de la viande de rat (Green,Journal,1944, p.127).Turandet et Marceline (...) discutent des mérites ou démérites des machines à laver (Queneau,Zazie,1959, p.54).
Avoir le mérite de + subst. ou inf.Avoir le mérite de la nouveauté. Ces tableaux de remplissage que personne ne voit et qui n'ont même pas le mérite d'être décoratifs (Réau,Archives bibl., musées,1909, p.38).De telles tentatives ont eu cependant le mérite d'aboutir à d'utiles confrontations et à la collecte (...) de matériaux abondants (Traité sociol.,1968, p.442).
Prononc. et Orth.: [meʀit]. Ac. 1694, 1718: merite, dep. 1740: mé-. Étymol. et Hist. 1. Début xiies. «salaire, récompense» (Benedeit, St Brendan, éd. E. G. R. Waters, 64) seulement en a. fr., v. Gdf.; 2. a) début xiies. etre de tel merite «avoir le pouvoir (de)» (Id., ibid., 1441); b) 1181-98 par sa merite «par sa valeur» (Eructavit, 1194 ds T.-L.); c) ca 1200 plur. merites (d'un saint) (Dialogue Grégoire, éd. W.Foerster, p.212, 9); 1680 les mérites de Jesus-Christ (Rich.); 3. ca 1200 «ce qui donne droit à (une récompense, un châtiment)» (Elie de St Gille, éd. G. Raynaud, 1034: Par selonc le merite le loier en avrès); 1258 hom de haute merite (Mahomet, 1037 ds T.-L.); 4. 1636 «qualité morale remarquable» (Corneille, Cid, I, 2 ds Œuvres, éd. Ch. Marty-Laveaux, t. 3, p.111); 5. 1668 «habileté, talent» (La Fontaine, Fables, VIII, 8 ds Œuvres, éd. H. Régnier, t. 2, p.248); 6. 1671 se faire un mérite de (Molière, Psyché, III, 3 ds Théâtre, éd. R. Bray, p.60); 7. 1759 ordre du Mérite militaire (Ordonnance ds Isambert, Recueil gén. des anc. lois fr., t. 22, p.280). Empr. au lat. meritum (de merere «gagner, mériter», v. mériter) «gain, salaire», «service (bon ou mauvais); conduite (vis-à-vis de quelqu'un)», «acte, conduite (qui justifie une récompense, un châtiment)», «valeur» en b. lat., et spéc. en lat. chrét., surtout au plur. «valeur spirituelle, fait d'être digne de la miséricorde divine»; en a. fr. merite est surtout fém. en tant que représentant du lat. médiév. plur. merita (v. FEW t. 6, 2, pp.33-35). Fréq. abs. littér.: 3519. Fréq. rel. littér.: xixes.: a) 7410, b) 4429, xxes.: a) 3498, b) 4164. Bbg. Nadal (O.). Le Sentiment de l'amour dans l'oeuvre de P. Corneille. Paris, 1948, pp.287-290. _ Stefenelli (A.). Der Synonymenreichtum der altfranzösischen Dichtersprache. Wien, 1967.