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LITTÉRATURE, subst. fém.
I. − Vieilli
A. − Connaissance des lettres, culture générale. Ton père me devina (...) c'était un homme sans grande éducation, sans littérature (...) mais qui avait le coup d'œil juste (Labiche, Cigale chez Fourmis,1876, 1, p. 194).
B. − Corps des gens de lettres. Ah! mais il faut que je vous dise que la littérature voyant ma canne, mes boutons travaillés, a décidé que j'étais le Benjamin d'une vieille anglaise (Balzac, Lettres Étr.,1834, p. 211).
II.
A. − Usage esthétique du langage écrit. La littérature; histoire et littérature; langue et littérature; théorie de la littérature; doctrines, tendances de la littérature. C'est ce que Flaubert exprimait sous cette forme paradoxale : « les bourgeois ont la haine de la littérature ». La preuve que ce n'est pas « l'art » qui a séduit le public dans Madame Bovary, c'est qu'il n'a jamais pu lire Salammbô (Lemaitre, Contemp.,1885, p. 82).Jamais le problème de la littérature n'avait été, jusqu'à Edgar Poe (...), abordé au moyen d'une analyse où la logique et la mécanique des effets étaient délibérément employées (Valéry, Variété II,1929, p. 143):
1. J'ai écrit (...) ceci qui me paraît d'une évidente vérité : « C'est avec les beaux sentiments qu'on fait de la mauvaise littérature. » (...) J'aurais aussi bien pu écrire que les meilleures intentions font souvent les pires œuvres d'art et que l'artiste risque de dégrader son art à le vouloir édifiant. Gide, Journal,1940, p. 52.
B. − Ensemble des productions intellectuelles qui se lisent, qui s'écoutent.
1. [La production est définie par sa matière]
a)
α) Littérature + adj.
Littérature + adj. précisant l'orig. géogr. des œuvres.Littérature anglaise, chinoise, française. On sait que la littérature britannique pousse la chasteté jusqu'à la pruderie (Baudel., Paradis artif.,1860, p. 402).Boylesve était radicalement clos à tout ce qui était étranger : (...) il avait pour les littératures étrangères en général une antipathie si involontaire qu'elle en prend comme une valeur de trait éthique (Du Bos, Journal,1926, p. 134).
Littérature + adj. précisant une période.Littérature ancienne, médiévale. Après le collège, on dévore la littérature contemporaine (Lemaitre, Contemp.,1885, p. 289).
Littérature + adj. ou compl. de nom précisant un genre d'œuvres.Littérature décadente, dramatique, enfantine, engagée, érotique, légère, marginale, pieuse, populaire; littérature de gare, de masse. Les procédés inhérents à la littérature d'observation (Bourget, Nouv. Essais psychol.,1885, p. 213).Les jours de la littérature psychologique à affabulation romanesque sont comptés (Breton, Nadja,1928, p. 17).
β) P. méton., péj. [P. oppos. à la réalité] Ce qui possède un caractère peu authentique, artificiel, superficiel. Et tout le reste est littérature (Verlaine, Œuvres poét. compl., Jadis, Paris, Gallimard, 1962 [1884], p. 327).Elle [Mmede Sévigné] voyait un peu de littérature dans ce désespoir d'être séparée de cette ennuyeuse Mmede Grignan (Proust, J. filles en fleurs,1918, p. 762).
En emploi interjectif :
2. mme arrow : Quand il ne rançonne pas, il tue. courpière : Littérature! mme arrow : Réalité!... Je le sais, peut-être! Hermant, M. de Courpière,1907, III, 3, p. 23.
b) Bibliographie d'un sujet. P. ext. Ensemble d'ouvrages produits dans une matière, de publications éditées par un groupe social. Littérature médicale, scientifique. Caroline (...) lut d'abord, avec la profonde indifférence qu'on a pour la littérature municipale, ces premières lignes : « Arrêt de la cour d'assises de Poitiers... » (Gozlan, Notaire,1836, p. 127).L'efficacité du sérum antitétanique, pour ceux qui étaient au courant de la littérature de la question, paraissait un fait bien établi (Camus, Gournayds Nouv. Traité Méd. fasc. 2 1928, p. 798).
2. [La production se définit par son moyen d'expression]
a) Littérature orale. Catégorie d'œuvres d'expression orale non écrite. Jusqu'au xixesiècle les peuples balkaniques ont vécu presque exclusivement sur leur fonds de littératures orales : contes surnaturels en prose et chants populaires (Arts et litt.,1936, p. 52-4):
3. ... on s'est souvent demandé pourquoi les mythes, et plus généralement la littérature orale, font un si fréquent usage de la duplication, triplication ou quadruplication d'une même séquence. Lévi-Strauss, Anthropol. struct.,1958, p. 254.
b) MUS. Ensemble d'œuvres musicales relatives à un instrument. Les arpèges sont très usités dans la littérature du piano et dans la musique de chambre (Koechlin, Harm., t. 2, 1930, p. 102).
C. − Travail qui aboutit à cette production :
4. Pourquoi ne travaillez-vous pas davantage? Le seul moyen de supporter l'existence, c'est de s'étourdir dans la littérature comme dans une orgie perpétuelle. Le vin de l'art cause une longue ivresse et il est inépuisable. C'est de penser à soi qui rend malheureux. Flaub., Corresp.,1858, p. 277.
P. méton. Carrière des lettres. Je sais que la littérature ne nourrit pas son homme. Par bonheur, je n'ai pas très faim (Renard, Journal,1902, p. 724).Tu seras éternellement le petit jeune homme qu'il a lancé dans la littérature et qui lui doit tout (Beauvoir, Mandarins,1954, p. 141).
D. − Fonctionnement du langage qui constitue cette production. Synon. littérarité :
5. Ce que l'école admire dans l'écriture d'un Maupassant ou d'un Daudet, c'est un signe littéraire enfin détaché de son contenu, posant sans ambiguïté la Littérature comme une catégorie sans aucun rapport avec d'autres langages, et instituant par là une intelligibilité idéale des choses. R. Barthes, Le Degré zéro de l'écriture, Paris, éd. du Seuil, 1972 [1953], p. 50.
E. − Ensemble d'études sur cette production. Cours, professeur de littérature; histoire de la littérature. Le nombre des œuvres littéraires qui survivent autrement que dans les manuels de littérature (...), qui influencent encore les destinées individuelles sont extrêmement rares (Mauriac, Journal 2,1937, p. 161).Des travaux de littérature comparée, des études sur le « préromantisme français » et sur les « sources occultes » communes aux deux pays [l'Allemagne et la France] (Béguin, Âme romant.,1939, p. 327):
6. J'ai bien retrouvé sur sa figure, surtout quand il parle de M. Mairobert, l'âcreté qui fait la seule vie des articles de littérature compris dans le pamphlet rouge. Stendhal, L. Leuwen, t. 3, 1835, p. 112.
REM. 1.
Littéraillerie, subst. fém.,hapax. En voilà bien assez sur ma littéraillerie et sur tout ce qui n'est pas plaisant (Balzac, Lettres Étr.,1834, p. 162).
2.
Littératuriser, verbe intrans.,hapax. En le flattant sur la littérature, on se rend intime (parce qu'il littératurise avec vous, que vous lui fournissez la jouissance d'amour-propre dont il a besoin) (Stendhal, Journal,1810p. 341).
3.
Littératurisme, subst. masc.Caractère de ce qui appartient à la littérature. Ont peut affirmer que le littératurisme, si l'on appelle ainsi la volonté de la littérature de relever de lois propres et de repousser celles de l'intellectualité, n'eut jamais d'opposants plus effectifs (...) que les classiques français du grand siècle (Benda, Fr. byz.,1945, p. 170).
4.
Littératuriste, adj.,hapax. Aujourd'hui, MM. Alexandre Dumas et Victor Hugo, qui savent mieux que personne à quoi s'en tenir sur la valeur de la spécialité littératuriste, (...) s'en viennent (...) protester contre toute espèce d'organisation (Proudhon, Confess. Révol.,1849, p. 377).
5.
Littératurite, subst. fém.,hapax. Ces commentaires sont des types parfaits de « littératurite » à propos d'art (Bremond, Poés. pure,1926, p. 133).
Prononc. et Orth. : [liteʀaty:ʀ]. [lit(t)-] ds Barbeau-Rodhe 1930. V. littéraire. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. A. 1121-34 « ce qui est écrit, le sens littéral (d'un texte) » (Philippe de Thaon, Bestiaire, éd. E. Walberg, 955), seulement au xiies. (v. T.-L. et FEW t. 5, p. 379). B. 1. 1495 « érudition, connaissance (acquise dans l'étude des livres) » (J. de Vignay, Miroir hist. ds DG); ca 1500 (Philippe de Commynes, Mémoires, éd. J. Calmette, t. 2, p. 340); 2. 1680 « le corps des gens de lettres » (Rich.); 3. 1736-40 « ensemble des productions littéraires » (F. Granet, Réflexions sur les ouvrages de littérature); 4. 1758 « ensemble de ce qui a été écrit sur un sujet donné » (Duhamel du Monceau, La physique des arbres, Dissertation sur les méthodes de bot., t. 1, p. xlvij); 5. 1884 emploi péj. (Verlaine, Jadis et naguère, p. 207 : ... Et tout le reste est littérature). Empr. au latinlitteratura (de litterae « lettres ») « écriture », « ce qui concerne l'étude des lettres » et « production littéraire »; l'a. m. fr. avait lettreüre « érudition » issu du lat. litteratura et attesté du xiieau xives. (v. T.-L. et FEW, loc. cit.). Fréq. abs. littér. : 5 340. Fréq. rel. littér. : xixs. : a) 5 725, b) 6 152; xxes. : a) 10 898, b) 7 972.
DÉR.
Littératurer, verbe intrans.Faire de la littérature. Tâchez d'être seule dimanche prochain dans l'après-midi, afin que nous ayons nos aises pour littératurer à loisir. Il y a moyen, je crois, en huit jours, de faire de ce livre un chef-d'œuvre ou quelque chose d'approchant (Flaub., Corresp.,1861, p. 420).Emploi adj. L'Existentialisme, au théâtre et en philosophie, Sartre et tous ces jeunes littérateurs littératurants qui se trémoussent dans les caves de Saint-Germain-des-Prés (Cendrars, Lotiss. ciel,1949, p. 302).[liteʀatyʀe], (il) littérature [liteʀaty:ʀ]. 1reattest. 1861 (Flaub., loc. cit.); de littérature, dés. -er.
BBG. Escarpit (R.). La Déf. du terme Littérature. In : Congrès de l'Assoc. Internat. de Litt. comp. Bordeaux, 1961, pp. 1-7; In : Congrès de l'Assoc. Internat. de Litt. comp. 3, 1962. Utrecht, 1965, pp. 77-89. - Léonard (A.). La Crise du concept de littérature en France au xxes. Paris, 1974, 270 p.