| LISIÈRE, subst. fém. A. − Chacune des deux bordures d'une pièce d'étoffe, tissées parfois dans une autre armure que l'étoffe elle-même, parfois à chaîne doublée. Il avait imaginé le coup ingénieux d'acheter, pour ses confections, la soie chez son rival. De cette façon, c'était Mouret, ce n'était pas lui qui perdait sur l'étoffe. Il coupait simplement la lisière (Zola, Bonh. dames,1883, p. 578).Les pinces à lisière saisissent les bouts de duite dépassant sur chaque bord du tissu (Thiébaut, Fabric. tissus,1961, p. 174). ♦ Coudre en lisière. ,,Assembler par couture les deux bords d'un tissu`` (Lar. encyclop.). 1. En partic. Bordure de certaines pièces de drap employée pour tresser des chaussons. Pantoufles de lisière. L'un était maigre (...). L'autre noir de charbon, − un mécanicien sans doute − avait les cheveux en brosse, de gros sourcils, et des savates de lisière (Flaub., Bouvard, t. 2, 1880, p. 31): 1. Le pis qui pouvait arriver, c'était que Raboliot se fît cueillir par les gendarmes. Alors, il tirerait un mois à Sancerre, chauffé, nourri pour rien, fabriquerait des chaussons de lisière, et reviendrait la mine florissante, avec un pécule dans sa poche.
Genevoix, Raboliot,1925, p. 118. 2. Étroite bande de tissu; ensemble de bandes d'étoffe, cordons attachés autrefois par derrière aux vêtements des petits enfants pour les soutenir quand ils commençaient à marcher. Conduire à la lisière. Les marmots nus qu'on porte ou qu'on mène aux lisières Seraient dans le danger moins bégayants que vous (Hugo, Légende, t. 6, 1883, p. 100).La voici, au bout des lisières, qui trottine sur ses jambes de poupée, lancée en avant, ou virant tout à coup, pareille à un joujou à ressort (Boylesve, Leçon d'amour,1902, p. 40). − Au fig. ou p. métaph. Ce qui sert à soutenir, à retenir, à guider. Je vous demanderai encore qui a pu vous dire que je suis dans des chaînes fleuries? Et quel génie me vaut votre recommandation d'aller sans bourrelet, ni lisières, ni bonnes (Balzac, Corresp.,1825, p. 269). ♦ Locutions Tenir qqn en lisières (Ac. 1935). Exercer un empire, une tutelle sur quelqu'un (d'apr. Ac. 1935). Dieu! il faudra toujours qu'on me pousse et il faudra qu'on me tienne toujours en lisière et je languirai dans une éternelle enfance (M. de Guérin, Corresp.,1829, p. 31).Rompre ses lisières, sortir de ses lisières. Se dégager de ses liens, se libérer : 2. Tous les rêves s'étaient levés, abandonnés à leur libre vol. Servet racontait sa joie prochaine à sortir des lisières : − Je me lèverai à midi : j'aurai des matinées douillettes dans mon lit. Plus d'études, plus de devoirs.
Estaunié, Empreinte,1896, p. 23. − P. anal., rare. Étroite bande. Elle [la sole] peut diminuer encore bien davantage et se réduire à une mince lisière (E. Perrier, Zool., t. 4, 1928-32, p. 3365). B. − P. anal. et au fig. 1. P. anal. a) Bordure, partie extrême d'un terrain, d'une région, d'un élément du paysage, en partic., d'une forêt (synon. orée); limite, frontière. À huit heures et demie du matin, la petite troupe suivait la lisière du canal (Verne, Île myst.,1874, p. 127).Je fus chargé, à mon vif plaisir, de suivre la lisière est du bois, pour le cas où les écoliers fugitifs chercheraient à s'échapper de ce côté (Alain-Fournier, Meaulnes,1913, p. 184): 3. On approchait du village. On contournait le bois. A la corne du bois, soudain une forme de femme surgit à contre-jour. Le jeu des rayons la délimitait de lumière. Elle se dressait debout à la lisière des arbres, qui formaient un fond de hachures violâtres...
Barbusse, Feu,1916, p. 65. ♦ À la lisière de, sur la lisière de. Je restai fort tard à rôder sur la lisière du jardin et dans les terres avoisinantes, espérant toujours voir sortir quelqu'un de la maison fermée (Alain-Fournier, Meaulnes,1913p. 296).Hier soir, gagnant seul le bord de la mer, j'au vu la plage, à la lisière des vagues, couverte des épaves d'un extraordinaire petit animal (Gide, Journal,1941, p. 75): 4. On se trouvait là dans l'ancien Dunois, devenu aujourd'hui l'arrondissement de Châteaudun, entre le Perche et la Beauce, et à la lisière même de celle-ci, à cet endroit où les terres moins fertiles lui font donner le nom de Beauce pouilleuse.
Zola, Terre,1887, p. 10. − Loc. Former lisière. C'était sur le haut d'un talus, un étroit pertuis dans la haie qui formait lisière, et par lequel Alcide avait accoutumé de passer vers six heures (Gide, Immor.,1902, p. 447). − Arbres de lisière. Arbres qui matérialisent parfois l'extrémité d'une parcelle cultivée, d'un bois (d'apr. Fén. 1970). b) P. méton. Végétation qui pousse sur le bord d'un terrain, qui forme une bordure ou une bande étroite. Synon. bordure.À quelques pas de là s'étendoit une lisière de mimosa ou de sensitive (Chateaubr., Voy. Amér. et Italie, t. 1, 1827, p. 107).Une lisière de mousse bordait un chemin creux, ombragé par des frênes, dont les cimes légères tremblaient (Flaub., Bouvard, t. 1, 1880, p. 98). c) Lisière de glaces. ,,Ligne séparant, à un moment donné, la mer libre de la banquise, fixe ou dérivante`` (Villen. 1974). Enfin, nous retrouvons une mer plus libre et nous suivons vers l'ouest la lisière de la banquise, tandis que la brume, de nouveau, nous cache notre découverte (Charcot, « Pourquoi-Pas? »1910, p. 343). 2. Au fig. et littér. Ce qui est à la limite (de quelque chose). Bien que sorti de l'oratoire, il [Du Guet] a gardé du moine. Il restera trente années durant sur la lisière du monde et de la solitude, ayant un pied dans l'un et un pied dans l'autre (Sainte-Beuve, Port-Royal, t. 5, 1859, p. 404): 5. Si l'on essayait de (...) mettre [les auditeurs] d'accord, on arriverait bientôt à ce que j'appellerais la lisière de l'inexprimable, car les explications qu'ils donneraient resteraient toujours en deçà de ce qu'ils entendent.
Green, Journal,1939, p. 231. ♦ À la lisière de. Au bord de. Germaine était aussi mal que possible, de nouveau à la lisière du désespoir (Du Bos, Journal,1927, p. 256). Prononc. et Orth. : [lizjε:ʀ]. Ac. 1694, 1718 : lisiere, dep. 1740 : -ère. Étymol. et Hist. 1. 1244 « bord qui limite de chaque côté une pièce d'étoffe » (Doc. ds Fagniez t. 1, p. 151); 2. a) 1521 « frontière d'un pays » (Doc. ds Papiers d'État de Granvelle, t. 1, p. 185); b) 1606 « bord d'un terrain » (Nicot); c) 1767-68 fig. « ce qui est à la limite de quelque chose » (Diderot, Salon de 1767, p. 195); 3. a) 1680 « bandes attachées au vêtement d'un enfant pour le soutenir quand il commence à marcher » (Rich.); b) 1752 mener (qqn) par la lisière « conduire (quelqu'un) comme on mène un enfant » (Trév.); c) 1798 mener (qqn) en lisière « exercer une tutelle sur (quelqu'un) » (Ac.); 1829 tenir en lisière « id. » (M. de Guérin, loc. cit.); 4. 1830 chaussons de lisière (La Mode, janv. ds Quem. DDL t. 16). Orig. incertaine. Peut-être dér. de l'a. b. frq. *lisa « ornière », que l'on suppose d'apr. le lituanien lysẽ
« plate-bande (d'un jardin) » et l'a. prussien lyso « id. (d'un champ) ». Cette forme *lisa a dû exister à côté de l'a. b. frq. *laiso, de la même famille que l'all. Gleis, Geleise « voie ferrée, ornière »; cf. a. h. all. waganleisa « ornière »; cf. aussi le norm. alise « ornière »; alisée « id. » (v. REW3et FEW t. 16, p. 468b). L'hyp. du FEW t. 5, pp. 313b-314a, qui dérive lisière du subst. masc. lis (du lat. licium « lisière d'étoffe »), est peu probable, ce dernier étant plus récent que lisière (1380, « grosses dents aux extrémités d'un peigne de tisserand », Ordonnances des rois de France, t. 6, p. 473, v. aussi note b; puis, au xviiies., au sens de « lisière d'une étoffe », v. FEW t. 5, p. 312b). Fréq. abs. littér. : 756. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 662, b) 1 540; xxes. : a) 1 123, b) 1 148. Bbg. Quem. DDL t. 4, 16. |