| LIBÉRAL, -ALE, -AUX, adj. A. − Qui ne rencontre pas ou qui ne s'impose pas de contraintes, de limites. 1. a) Vieilli. Qui vise particulièrement à la formation de l'esprit ou repose sur l'activité de l'esprit et s'oppose aux activités manuelles et pratiques. On a voulu que l'enseignement restât libéral tout en devenant pratique (France, Vie littér., t. 1, 1888, p. 282): 1. ... j'appelle, avec tout le monde, classes disponibles, celles où une sorte d'aisance permet aux hommes de recevoir une éducation libérale, de cultiver leur raison, enfin de s'intéresser aux affaires publiques.
Sieyès, Tiers état,1789, p. 43. b) En partic. ♦ Anc. Arts* libéraux. ♦ Carrière libérale. Carrière qui demande dans son exercice une totale indépendance, en particulier vis-à-vis d'un intérêt, d'un contrat ou d'une autorité. Il déclara à sa mère qu'il se sentait invinciblement sollicité vers une carrière libérale (Vogüé, Morts,1899, p. 40). ♦ Mod. Profession libérale ou professionnels libéraux; médecin, sage-femme libéral(e). Celle qui s'exerce (ou celui qui exerce son métier) dans une relative indépendance, refusant toute ingérence de l'État et n'acceptant éventuellement qu'un contrôle limité d'une organisation professionnelle propre. Anton. fonctionnarisé.Pour le corps médical, l'entente directe entre le médecin et le malade sur le montant des honoraires est l'un des principes essentiels de la médecine libérale (Meynaud, Groupes pression Fr.,1958, p. 241).La Meurthe-et-Moselle compte près de 200 infirmiers et infirmières libéraux dont plus de 80 % sont des femmes (L'Est Républicain,31 mars 1981, p. 2): 2. Ceux qui aiment la solitude et l'indépendance choisissent un métier artisanal, une profession libérale où charbonnier est maître chez soi...
Mounier, Traité caract.,1946, p. 92. Exercice libéral d'une profession; statut, système libéral; cabinet libéral. Le corps médical est attaché à la pratique libérale de la médecine parce qu'elle seule permet que s'établissent entre le malade et le médecin ces liens de liberté et de confiance sans lesquels il ne saurait y avoir de thérapeutique valable (H. Hatzfeld, Le Grand tournant de la méd. libérale, Paris, Les éd. ouvrières, 1963, p. 51).Emploi subst. Personne qui exerce à titre libéral. On remarque à peu près la même proportion entre généralistes et spécialistes chez les salariés et les libéraux (La Méd. praticienne,avr. 1979, no741, p. 15).2. [En parlant d'une pers. ou de son attitude] Qui donne avec largesse ou qui manifeste de la générosité. Quand on n'est libéral que par prodigalité, on donne sans discernement (Say, Écon. pol.,1832, p. 456).J'étais séduit par son attitude élégante et sa libérale confiance, et même enclin à renchérir sur ses gentillesses (Chardonne, Claire,1931, p. 174). ♦ [P. méton. du déterminé] Main libérale. Vous avez reçu mille bienfaits de sa main libérale, de ses mains libérales (Ac.1835, 1878). ♦ [En parlant d'une chose] Qui dénote une attitude libérale. J'ai reçu de madame de Theursan l'étrange envoi de quelques centaines de francs (...), je sais qu'elle n'a pas de fortune et que ce présent est libéral eu égard à ses moyens (Sand, Jacques,1834, p. 309). ♦ P. métaph. Qu'un lierre libéral environne mes tempes, mêlant la fleur de l'oranger à ses grappes sauvages! (Claudel, Ville,1901, I, p. 447). ♦ Au fig. Ainsi la nature n'a été plus libérale pour ces derniers insulaires, qu'en leur paraissant plus avare, puiqu'elle s'est réservé des endroits où ils n'ont pu atteindre (Voy. La Pérouse,t. 2, 1797, p. 81).C'est [le français] une langue libérale vraiment. Elle a été bonne pour le faible, pour le pauvre, ajoutons pour (...) l'homme d'esprit (Renan, Feuilles dét.,1892, p. 259). − Libéral de/en + subst. (au fig.).Qui donne ou qui produit beaucoup. Notre ciel du Languedoc, si libéral en lumière (M. de Guérin, journal,1833, p. 172).Sois libéral au moins de tes bons mots (Augier, Ciguë,1844, I, p. 33).Il n'avait rien à donner à ses filles que son affection, et il en était libéral (Balzac,
Œuvres div., t. 3, 1845, p. 634).V. ajuster ex. 16. B. − Qui n'impose pas ou qui n'accepte pas que soit imposées à autrui certaines contraintes. 1. [Sur le plan moral] Qui respecte la liberté d'autrui, essentiellement sa liberté de choix (ses idées, ses croyances, ses actes). Directeur, esprit libéral; discipline, morale libérale. Je reconnus bientôt en lui une belle âme, un bon cœur, des vues larges, généreuses, libérales, un ornement de l'humanité : je l'aimais (Las Cases, Mémor. Ste-Hélène, t. 1, 1823, p. 764): 3. Libéral au meilleur sens du terme, il n'a cessé de prôner la tolérance, de tenter de vaincre des incompréhensions réciproques, tout en restant intraitable sur ce qui était à ses yeux l'essentiel, c'est-à-dire le respect sacré des droits de la personne humaine.
Le Monde,11 sept. 1981, p. 18, col. 3. ♦ Loc. Être libéral (avec qqn). Être tolérant à propos de sa conduite. Synon. avoir les idées larges.D'ailleurs, c'est un chapitre sur lequel je suis très libérale et Olivier vous le dira lui-même, je lui ai toujours passé les femmes de chambre (Aymé, Quatre vérités,1954, p. 147). ♦ En partic. Éducation libérale. Éducation qui respecte la personne de l'enfant, qui lui laisse une certaine marge de liberté dans l'observation des règles éducatives (cf. Foulq. 1971). 2. [Sur le plan pol. ou socio-écon.] a) Qui est favorable au (qui milite pour, ou qui pratique le) libéralisme politique. Prince, homme d'État libéral; régime libéral, principes libéraux; institutions, mesures, opinions libérales. Bien qu'il eût les instincts constitutionnels et libéraux de 1789 dans l'âme, et qu'il fût un ancien disciple et ami de Mirabeau, il avait gardé assez sévèrement le costume extérieur et aristocratique de l'ancien régime (Lamart., Nouv. Confid.,1851, p. 55).M. Grégoire se disait libéral, et il regrettait Louis-Philippe. Quant à Denoulin, il était pour un gouvernement fort, il déclarait que l'empereur glissait sur la pente des concessions dangereuses (Zola, Germinal,1885, p. 1314): 4. Libérales, les démocraties occidentales veulent sauvegarder les droits des personnes, laisser une part à l'action spontanée de tous et de chacun : elles s'interdisent l'ambition de construire l'ordre social selon un plan et de soumettre l'avenir à leur volonté.
R. Aron, Essai sur les libertés, Paris, Calmann-Lévy, 1965, p. 78. − Emploi subst. masc. J'ai mené les vieux royalistes à la conquête des libertés publiques, et surtout à la liberté de la presse, qu'ils détestaient; j'ai rallié les libéraux au nom de cette même liberté sous le drapeau des Bourbons qu'ils ont en horreur (Chateaubr., Mém., t. 1, 1848, p. 472). − En partic. Presse libérale. Presse qui développe et appuie des idées libérales ou les idées d'un parti libéral. Savez-vous ce que le peuple français conclura de ce débat? Il admettra les insinuations de la presse libérale, il croira que les Bourbons veulent attaquer les résultats matériels et acquis de la Révolution, il se lèvera quelque beau jour et chassera les Bourbons (Balzac, Illus. perdues,1843, p. 492).Café, salon libéral. Café, salon qui reçoit ou est réputé recevoir des libéraux. Un préfet qui souffre un café libéral dans sa ville (Stendhal, L. Leuwen, t. 3, 1835, p. 364).L'illusion qui enchanta les salons libéraux de la Restauration (Mounier, Traité caract.,1946, p. 130). − HIST. Catholicisme*, empire* libéral. ♦ Parti libéral. Parti de ceux qui au xixes. réclamaient l'accroissement ou défendaient le maintien des libertés individuelles. Anton. absolutiste, conservateur, monarchiste.Au xixesiècle, en Europe occidentale, l'opposition des partis conservateurs et des partis libéraux a reflété un conflit de classe entre l'aristocratie et la bourgeoisie (Traité sociol.,1968, p. 38): 5. Louis XVIII était mort sans que cet événement eût ébranlé l'assiette de la restauration bourbonnienne. Charles X succédait sans orage. Le parti libéral l'accueillait même avec une bienveillance naïve ou simulée.
Sand, Hist. vie, t. 3, 1855, p. 443. [En Grande-Bretagne] Parti successeur du parti whig, par opposition au parti conservateur, successeur du parti tory. Il était venu au pouvoir, en Angleterre, avec le parti libéral, un ministre, Palmerston, qui abandonnait la politique de conservation européenne à laquelle, depuis 1815, le gouvernement britannique était attaché, et qui, partout, sur le continent, favorisait les mouvements révolutionnaires et l'idée de nationalité dans la pensée que l'Angleterre aurait intérêt à en prendre la tête (Bainville, Hist. Fr., t. 2, 1924, p. 180).b) Qui est favorable au (ou qui applique le) libéralisme économique. Le schéma libéral de la concurrence entre industries (Perroux, Écon. xxes., 1964, p. 455).Comment nourrir et occuper ces masses d'hommes, une bonne moitié de l'humanité proliférant dans la misère? Cette question avait déjà été étudiée par Malthus et les économistes libéraux du début du xixesiècle (Lesourd, Gérard, Hist. écon.,1966, p. 491).V. économie ex. 4 : 6. Pour l'école libérale classique, la conciliation est automatique entre les intérêts individuels et l'intérêt général. L'État et les groupes privés ne doivent pas, par leur intervention, gêner ce libre jeu bénéfique de la concurrence entre les individus.
Mucch.Sc. soc.1969, s.v. libéralisme. − Emploi subst. masc. L'erreur des libéraux (...) fut de prendre l'ordre social régnant à leur époque pour un ordre absolu et éternel; de transformer le régime de la propriété et des contrats de leur temps en un droit imprescriptible et naturel (L. Rougier, Les Mystiques économ., Paris, Librairie de Médicis, 1938, p. 79). Prononc. et Orth. : [libeʀal], plur. masc. [-o]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. A. 1. Ca 1175 « qui donne avec largesse, générosité » ([Benoît de Ste-Maure,] Ducs Normandie, éd. C. Fahlin, 44259); 1549 liberal de (Est.); 2. ca 1200 « qui convient à un homme de condition libre » (Dialogue Grégoire, éd. W. Foerster, p. 55, 7); 1755 éducation libérale (Prév.); 1845-46 profession libérale (Besch.). B. 1750 « favorable aux libertés individuelles, en particulier à la liberté politique » (Argenson, Journ., VI, p. 141 ds Brunot t. 6, p. 129). Empr. au lat.liberalis « relatif à une personne de condition libre » d'où « bienfaisant, généreux » et « noble » proprement « qui convient à un homme libre », dér. de liber « libre ». Fréq. abs. littér. : 1 366. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 2 930, b) 1 532; xxes. : a) 1 887, b) 1 352. Bbg. Baldensperger (F.). Notes lexicol. R. Philol. fr. et Litt. 1927, t. 39, p. 60. - Dub. Pol., 1962, pp. 331-332. - Maulnier (Th.). Le Sens des mots. Paris, 1976, pp. 137-138. - Rabotin (M.). Le Vocab. pol. Paris, 1975, p. 58, 59, 63, 64, 67. - Stimm (H.). Die romanischen Wörter für frei. Saarbrücken, 1967, pp. 17-18. - Vardar Soc. pol. 1973 [1970], pp. 258-259. |