| LEUR2, LEURS, adj. poss. Adjectif possessif de la troisième personne, des deux genres, singulier (leur) ou pluriel (leurs), indiquant qu'il y a plusieurs possesseurs, par opposition à son, sa, ses. I. − Adj. épithète A. − Valeurs sém. 1. Relation possessive a) [Rapport de possession, d'appartenance, de parenté; les possesseurs sont des être animés, le plus souvent des pers. du sexe masc. ou fém.] Qui appartient à eux, à elles; qui est/sont d'eux, d'elles. − Au sing. [Un seul objet ou être possédé] Ils partageraient leur temps entre la rédaction de leur livre, le jardinage et la peinture murale (Beauvoir, Mandarins,1954, p. 212). − Au plur. [Plusieurs objets ou êtres possédés] Un de ces garçons à grosse tête qui passent leurs récréations à rêver dans un coin (Simenon, Vac. Maigret,1948, p. 27): 1. Ils oublient tout, tout au monde, leur maison, leur famille, leurs enfants, leurs affaires, leurs soucis pour regarder dans les remous ce petit flotteur qui bouge.
Maupass., Contes et nouv., t. 1, Jour de fête, 1886, p. 1055. b) Plus rare. [Relation plus lâche : le possessif remplace tout syntagme nom. introduit par de; les possesseurs sont des choses concr. ou abstr. (p. oppos. à en, il s'agit de choses personnifiées ou de choses déterminées et individuelles, ou bien on veut éviter une équivoque)] − Au sing. Vous verrez en entrant, à la sérénité des visages ou à leur altération, l'état des choses (Sénac de Meilhan, Émigré,1797, p. 1650).Des bois de pins qui envoient jusqu'à nous leur bonne senteur résineuse (Du Camp, Hollande,1859, p. 3).Un pot d'eau, dans lequel il jetait des citrons avec leur écorce (Bourges, Crépusc. dieux,1884, p. 238). − Au plur. Des hôtels en construction dressaient leurs échafaudages sous le ciel noir (Zola, Nana,1880, p. 1374).Ces quelques lettres la touchèrent même si vivement qu'elle les conserva. On a retrouvé leurs cendres dans la cheminée de sa chambre (Bourget, Disciple,1889, p. 170).Exiger qu'on pousse à leurs dernières conséquences les hérésies qui les avaient détrônés (Renan, Avenir sc.,1890, p. 521). Rem. ,,Le possessif en relation avec un nom de chose tend à gagner du terrain; de bons écrivains l'ont employé, pour rendre, consciemment ou non, la présentation moins abstraite, plus expressive`` (Dauzat, Gramm. raisonné de la lang. fr., p. 275 ds Thomas 1956 et ds Dupré 1972). c) [Placé devant un adj. au comparatif, sert à former un superl. relatif] Leur meilleur ami; leurs plus chers désirs; leurs plus beaux habits. Ses deux fils aînés, laissant le deuil sous la conduite de Philippe, leur plus jeune frère (Barante, Hist. ducs Bourg., t. 2, 1821-24, p. 345).Mais qu'ils sont rares les hommes qui du plaisir d'observer se font leur plus chère étude! (Bonstetten, Homme Midi,1824, p. iv): 2. ... à l'instigation de Fébriano il retint Chactas au fort Rosalie. « Plus ce vieillard est renommé, dit le commandant, plus il est utile de priver les rebelles de leur meilleur guide... »
Chateaubr., Natchez,1826, p. 261. 2. Valeurs hypocoristiques (les possesseurs étant des pers.). [Outre les rapports de parenté, d'appartenance, de possession, leur/leurs peut exprimer divers rapports de connexité] a) [Une valeur d'affection, d'intérêt, de sympathie] Ces diables d'affections des voies respiratoires vous avilissent leur homme (Mérimée, Lettres Viollet-le-Duc,1869, p. 163).Deux guides (...), chaque matin, venaient voir si leur monsieur était disposé (A. Daudet, Tartarin Alpes,1885, p. 143): 3. Ces explications étaient évidemment destinées au public. M. Kahn et Du Poizat, qui connaissaient leur Rougon, tâchèrent par des phrases habiles de savoir la vérité vraie.
Zola, E. Rougon,1876, pp. 43-44. b) [Une valeur péj. de mépris, de dédain, souvent en corrélation avec un adj. dém. péj.; peut renvoyer à un représentant plur. sous-entendu dans le discours] C'est à se casser la tête. Au diable leur noce! Je n'ai pas fermé l'œil de la nuit (Musset, Lorenzaccio,1834, I, 2, p. 87).Qu'est-ce qu'ils me chantent donc avec leur Orient? (A. Daudet, Tartarin de T.,1872, p. 66): 4. Nous dînerons ensemble. Nous nous amuserons chez toi (...). Tous ces restaurateurs, avec leurs coulis, leurs sauces, leurs vins, empoisonneraient le diable.
Balzac, Gobseck,1830, p. 415. c) [Une valeur d'habitude ou une circonstance occasionnelle] Elles ont leur migraine; ils sont éloquents à leurs heures; ils prennent leur café. Un vieux compte resté en litige depuis leurs années de Saumur (Courteline, Train 8 h 47,1888, 3epart., 2, p. 226): 5. Les femmes se levèrent, jetèrent un manteau sur leurs épaules nues, se secouèrent toutes frissonnantes et suivies par les hommes qui interrompaient leur pipe ou leur partie de bézigue...
Huysmans, Marthe,1876, p. 14. B. − Valeur collective et valeur distributive 1. Valeur collective. [Un groupe de possesseurs est globalement déclaré posséder] a) [un seul être ou objet] Ils [un père de famille et sa femme] aiment leur enfant. Nous trouvâmes les deux sœurs, qui reçurent leur ancienne élève avec transport (Restif de La Bret., M. Nicolas,1796, p. 84): 6. ... ils posséderaient un domicile à eux! − et ils mangeraient les poules de leur basse-cour, les légumes de leur jardin...
Flaub., Bouvard, t. 1, 1880, p. 14. b) [plusieurs êtres ou objets] Ils [un père de famille et sa femme] aiment leurs enfants. Ils introduisent des baladins dans leurs grands festins (Bern. de St-P., Harm. nat.,1814, p. 297).Les convives (...) voulurent reprendre leurs plaisanteries (Zola, Germinal,1885, p. 1316).Quand elles [les grandes personnes] me prenaient dans leurs bras, il ne me déplaisait pas d'avoir un léger dégoût à surmonter (Sartre, Mots,1964, p. 63). 2. Valeur distributive. [Chacun des possesseurs est déclaré en ce qui le concerne posséder] a) [un être ou un objet] Ils [deux pères de famille] aiment leur/leurs enfant(s) (chacun aime son enfant; sing. et plur. également possibles). − Au sing. Dans les poches des petites filles, on trouve tout, excepté leur mouchoir (Dumas fils, Ami femmes,1864, I, 4, p. 60).Des jeunes femmes (...), recueillies dans la joie de revoir leur fiancé ou leur mari (Loti, Mon frère Yves,1883, p. 20): 7. Il traversa la salle de classe vide et glacée. Sur le tableau noir les quatre fleuves de France, dessinés avec quatre craies de couleurs différentes, couraient vers leur estuaire depuis trois jours.
Camus, Exil et Roy.,1957, p. 1609. − Au plur. Malgré tout, ils les aiment bien, leurs mères! (Loti, Mon frère Yves,1883p. 15).Ils enfourchèrent leurs bicyclettes (Beauvoir, Mandarins,1954, p. 229): 8. ... elles étaient chez elles. Leurs visages blanchis, tachés du rouge des lèvres et du noir des paupières, prenaient dans l'ombre le charme troublant d'un Orient de bazar à treize sous...
Zola, Nana,1880, p. 1312. b) [plusieurs êtres ou objets] Ils aiment leurs enfants (chacun des deux pères de famille aime ses enfants). L'illustre inventeur fait une remise aux journaux qui voudront l'offrir en prime à leurs abonnés (Villiers de L'I.-A., Contes cruels,1883, p. 236). Rem. Le plur. s'emploie aussi pour souligner une idée de réciprocité, d'échange ou de compar., de jonction. Ils ont échangé leurs coiffures; leurs regards se croisèrent. 3. [Dans la lang. écrite, le poss. peut être énoncé avant le possesseur] Dans tous leurs écrits, nos auteurs font l'éloge de la nature (Jouy, Hermite, t. 4, 1813, p. 134).Il entendait rouler sur leur tringle les anneaux de fer des lits (Flaub., MmeBovary, t. 1, 1857, p. 13). 4. [Leur peut être renforcé] a) [par seul, par propre (sens réfl.)] Ceux qui s'y pencheront retrouveront leur propre image dans cette eau profonde et triste (Hugo, Contempl., t. 1, 1856, p. 5). b) [par un compl. précisant l'identité ou le nombre, à eux, à tous] Cela lui coûtait de renoncer à elle; mais il sacrifiait sa passion à leur bonheur à tous deux (Zola, E. Rougon,1876, p. 124).Leur affaire était bonne, à tous deux! (Courteline, Train 8 h 47,1888, 2epart., 10, p. 210). 5. [Employé avec chacun] Chacun de son côté/de leur côté (v. chacun I A 3 a). 6. [Leur/leurs est] a) [répété] − [Devant des subst. coordonnés ou juxtaposés] Leurs enfants, leurs cousins. Le sang des enfants torturés tranquillement par leur papa et leur maman (Prévert, Paroles,1946, p. 120). − [Devant des adj. se rapportant à des subst. qui désignent des êtres constituant des catégories différentes] Leurs grands et leurs petits enfants. [Devant des adj. exprimant des qualités incompatibles entre elles (de sens opposé)] Leurs bons et leurs mauvais côtés. b) [non répété] − [Devant des subst.] ♦ [Subst. sing. formant groupe, dans des expr. figées] Leurs fils et fille; en leur âme et conscience. La peine (...) peut être demandée (...) contre chacun des cohéritiers pour leur part et portion (Code civil,1804, art. 1232, p. 221).Il (...) les exhorta à quitter leurs père et mère pour suivre Jésus-Christ (France, Mir. Gd St Nic.,1909, p. 91). ♦ [Subst. sing. désignant le même personnage] Leur seigneur et maître; leur cousin et ami; leur oncle et parrain; leur tuteur et conseiller. Tous les matins à six heures, la femme millionnaire, une vraie dame, était habillée ainsi que « sa demoiselle », prêtes à aider leur nièce et cousine par alliance (Proust, Temps retr.,1922, p. 845). ♦ [Subst. plur. formant groupe] Leurs amis et connaissances; leurs faits et gestes; leurs allées et venues; à leurs frais et dépens. La Guillaumette et Croquebol durent décliner leurs noms et qualités (Courteline, Train 8 h 47, 2epart., 5, p. 134).Et maintenant pourquoi ont-ils inscrit sur le mur, à leurs risques et périls, ce signe que Dieu leur avait défendu? (Claudel, Soulier,1929, 2ejournée, 13, p. 762). − [Devant des adj. se rapportant au même subst., ou de sens voisin ou exprimant des qualités compatibles entre elles] Leur généreux et cordial accueil. Lire dans la pensée de leur implacable et puissant maître (Bourget, Disciple,1889, p. 239). Rem. Cette règle n'est pas toujours appliquée. La répétition se fait pour des raisons d'euphonie (,,l'oreille décide`` (Littré)) ou d'insistance : leur généreux, leur cordial accueil. 7. [Le poss. désigne souvent] a) [le suj. de l'action impliquée dans le subst.] Leur arrivée (le fait qu'ils arrivaient); leur aide nous a été précieuse (le fait qu'ils nous ont aidés). b) [l'obj. de l'action] Leur expulsion (le fait qu'on les expulse); leur condamnation (le fait qu'on les a condamnés). II. − Adj. poss. de forme tonique, attribut du suj. ou du compl. d'obj. (littér.). [Après des verbes tels que être, faire, regarder comme] Ici tout est leur; ils considèrent comme leur votre succès; ils regardent cette terre comme leur; ils ont fait leur cette proposition, ils ont fait leurs ces propositions (v. faire1III C 2 b, mien, tien, sien et aussi nôtre, vôtre). ♦ Être leur. Leur appartenir vraiment, être leur propriété. ♦ Faire leur. S'approprier : 9. La plupart de ceux qui suivirent la semaine de prières aurait fait leur, par exemple, le propos qu'un des fidèles devait tenir devant le docteur Rieux : « De toute façon, ça ne peut pas faire de mal. »
Camus, Peste,1947, p. 1293. Prononc. et Orth. : [lœ:ʀ]. Homon. leurre. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. V. leur3. Bbg. Eschmann (J.). Die Numerusmarkierung des Substantivs im gesprochenen Französisch. Tübingen, 1976, pp. 76-77. - Tilander (G.). Un Probl. syntaxique de l'a. fr. je lui donne = je le lui donne. Romania. 1937, t. 63, pp. 31-47. - Togeby (K.). Suus et illorum dans les lang. romanes. R. rom. 1968, t. 3, no1, pp. 66-71. - Wunderli (P.). Strukturen des Possessivums im Afrz. Vox rom. 1977, t. 36, pp. 38-66. |