| LAS, LASSE, adj. A. − Qui éprouve une fatigue physique, pénible ou plus rarement agréable, générale ou localisée dans une partie du corps, ce qui rend difficile ou impossible la poursuite d'une action, d'un effort. Synon. brisé, éreinté, fourbu.Corps, membres, pieds las; avoir la tête lasse, les jambes, les paupières lasses; se sentir las; être las jusque dans la mœlle des os. Je suis las, mais non mal portant. Je tombe de fatigue et de sommeil (Michelet, Journal,1831, p. 740).J'étais lasse, accablée, pesante, bonne à me jeter sur un lit (E. de Guérin, Lettres,1835, p. 88).Je suis las!... soupira Pernichon. Affreusement las. Je ne sais pas ce que j'ai... je crois que je vais mourir (Bernanos, Imposture,1927, p. 418): 1. J'ai une invitation ce soir, j'aurais besoin d'être éveillé, dispos, gai : et (...) je sens mes paupières tomber, mes genoux las, je bâille et voudrais m'aller coucher.
Amiel, Journal,1866, p. 121. ♦ Las de + inf.Las de marcher. Renard las d'avoir dansé, captif, au son de la musique (Colette, Vagab.,1910, p. 13). ♦ Jamais las. Toujours dispos. Un chardonneret qui saute, qui gazouille, qui mange, qui n'est jamais las, qui vit en l'air, qui a cent-vingt envies et fait soixante actions par minute? (Taine, Notes Paris,1867, p. 132). − Emploi subst., fam. et vieilli. ♦ Un las d'aller. Un fainéant. (Ds Ac. 1835, 1878, Littré). Eh! Bourdeau, eh! las-d'aller! Lève-toi, c'est ton camarluche qui t'appelle! (Huysmans, Marthe,1876, p. 20). ♦ Traîner son las. Traîner sa fatigue. Je me disais : « (...) Quand il aura traîné son las, il reviendra... » (Genevoix, Raboliot,1925, p. 346). − [P. méton., en parlant des manifestations de cette lassitude] Attitude, démarche lasse; d'un geste, d'un œil las; d'une voix lasse. Je laisse devant eux « tomber ma figure », − la bouche lasse et fermée, l'œil volontairement terni (Colette, Vagab.,1910p. 103).Il y a sur son bureau une photographie où sourit, d'un sourire las et déjà souffrant, la mère qu'il n'a pas connue (Mauriac, Enf. chargé de chaînes,1913, p. 2). − P. anal. [Le subst. désigne une chose, un élément de la nature] Ciel, fleuve las. Les trois vaisseaux flottaient démâtés, et si las, Qu'ils n'avaient plus de force assez pour la manœuvre (Vigny, Poèmes ant. et mod.,1837, p. 220).Les glycines lasses qui retombent au versant des petits murs cramoisis d'affiches (Céline, Voyage,1932, p. 370). − Plus rare. [La sensation de fatigue est agréable] Il se sentait reposé, plein de ce bien-être las qui suit les courbatures des fêtes, et engourdi dans la chaleur de la couche (Maupass., Contes et nouv., t. 1, Hérit., 1884, p. 522). 2. Elle se sentait lasse, délicieusement lasse, comme à l'approche d'un grand bonheur, et des pensées si ténues, si fragiles, si ineffablement délicieuses se levaient en elle, qu'elle n'osait même pas se les avouer, dans la crainte de les faire évanouir.
Moselly, Terres lorr.,1907, p. 160. B. − Qui éprouve une fatigue mentale, morale, affective ou psychique et en vient à ne plus supporter ou à supporter difficilement quelque chose ou quelqu'un. Âme lasse. Comme je m'ennuie, comme je suis las! Les feuilles tombent, j'entends le glas d'une cloche (Flaub., Corresp.,1864, p. 159).Je venais de quitter Paris pour toujours. J'étais las, las, écœuré plus que je ne saurais dire par toutes les bêtises, toutes les bassesses (Maupass., Contes et nouv., t. 1, Père, 1887, p. 743).Ce peuple (...) n'est-il pas las, désabusé, divisé? (De Gaulle, Mém. guerre,1959, p. 241): 3. Je vais savoir si l'homme que je suis, et qui en a déjà tant supporté, le pauvre homme si las, si découragé, si intimement désespéré que je suis, va pouvoir encore supporter la bataille de Verdun...
Romains, Hommes bonne vol.,1938, p. 146. ♦ Las de + subst. ou inf.Las de qqc.Être las du bruit, du bureau, des discussions, de l'existence, de la guerre, du monde, de la solitude; être las de la vie. Il me fit surtout l'effet d'un être fatigué des autres. Las de tout, irrémédiablement désillusionné et dégoûté de lui-même comme du reste (Maupass., Contes et nouv., t. 2, Ermite, 1886, p. 1054): 4. À la fin tu es las de ce monde ancien
Bergère ô tour Eiffel le troupeau des ponts bêle ce matin
Tu en as assez de vivre dans l'antiquité grecque et romaine
Ici même les automobiles ont l'air d'être anciennes...
Apoll., Alcools,1913, p. 39. Las de qqn.Être las de soi-même, des autres. Antoine, las d'Octavie (...) la laissa en Grèce et passa en Asie (Michelet, Hist. romaine, t. 2, 1831, p. 314).Las de + inf.Las d'attendre, de vivre. Je suis un peu las de passer ma vie précisément auprès de la femme qui semble mettre le moins de prix à ma société (Constant, Journaux,1815, p. 435).Mais les soldats étaient las de tuer; aucun ne se présenta pour la sinistre besogne (Zola, Fortune Rougon,1871, p. 307).♦ Au fém. Lasse à + inf.Elle me disait qu'elle était lasse à mourir. Qu'elle vivait dans une solitude affreuse (Sartre, Mots,1964, p. 65). Rem. On peut dire à une femme : êtes-vous lasse? Elle répond : non, je ne suis pas lasse. Mais il est impossible au masculin, d'échanger la conversation suivante : êtes-vous las? Non je ne suis pas las. Las, tué par l'homonymie de là, a été remplacé par fatigué (d'apr. Brunot-Bruneau 1969, p. 171). − Loc. De guerre lasse. À bout de résistance ou d'arguments. Tout à l'heure, j'avais mille fois tort, c'est vrai, D'ainsi bouder un cœur offert de bonne grâce, Et c'est moi qui reviens à vous, de guerre lasse (Verlaine,
Œuvres compl., t. 1, Jadis, 1884, p. 221). REM. Lassement, adv.,rare. Avec lassitude, en montrant de la lassitude. Allé chez la Marchesa, un peu souffrante, lassement étendue sur sa causeuse (Barb. d'Aurev., Mémor. 2,1938, p. 310). Prononc. et Orth. : [lɑ], fém. [-lɑ:s]. Homon. lacs. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. 1. 938-952 « malheureux, misérable » (Fragm. de Valenciennes, éd. G. de Poerck, p. 43, 1. 144); 2. ca 1100 « qui n'est plus en état de soutenir l'effort, fatigué » (Roland, éd. J. Bédier, 2494); 3. 1170 « qui ne peut plus supporter de faire quelque chose » (Benoît de Ste-Maure, Roman de Troie, éd. L. Constans, 26243 : las de destruire e d'ocire). Du lat. lassus « harassé, fatigué, épuisé ». Fréq. abs. littér. : 2 847. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 2 840, b) 4 397; xxes. : a) 5 809, b) 3 837. Bbg. Cazelles (B.). Un héros fatigué. Rom. Philol. 1977, t. 30, pp. 616-622. - Sten (H.). De guerre lasse. In : [Mél. Meier (H.)]. München, 1971, pp. 527-529. |