| LANGAGE, subst. masc. I. − [Le langage comme faculté et comme système] A. − Faculté que les hommes possèdent d'exprimer leur pensée et de communiquer entre eux au moyen d'un système de signes conventionnels vocaux et/ou graphiques constituant une langue; p. méton. le langage comme réalisation de cette faculté. Langage humain; pathologie du langage; philosophie du langage; structure du langage; universaux du langage. Nous nous exprimons nécessairement par des mots, et nous pensons le plus souvent dans l'espace. En d'autres termes, le langage exige que nous établissions entre nos idées les mêmes distinctions nettes et précises, la même discontinuité qu'entre les objets matériels (Bergson, Essai donn. imm.,1889, p. 13).La clarté du langage s'établit sur un fond obscur, et si nous poussons la recherche assez loin, nous trouverons finalement que le langage (...) ne dit rien que lui-même, ou que son sens n'est pas séparable de lui (Merleau-Ponty, Phénoménol. perception,1945, p. 219).Le langage n'a pas de raison d'être s'il ne signifie (Huyghe, Dialog. avec visible,1955, p. 100): 1. ... la nature n'a pas juré de ne nous offrir que des objets exprimables par des formes simples de langage; (...) la transmission parfaite des pensées est une chimère, et (...) la transformation totale d'un discours en idées a pour conséquence l'annulation totale de sa forme. Il faut choisir : ou bien réduire le langage à la seule fonction transitive d'un système de signaux : ou bien souffrir que certains spéculent sur ses propriétés sensibles, en développant les effets actuels, les combinaisons formelles et musicales, − jusqu'à étonner parfois, ou exercer quelque temps les esprits.
Valéry, Variété III,1936, p. 18. 2. Le développement du langage de type humain est étroitement lié au développement du cerveau et des facultés psychiques qu'il supporte. Contrairement à ce que l'on pensait à l'époque de Broca, il n'existe pas de centre spécial et limité du langage, pas plus qu'il n'existe une aire de la pensée. Ce centre est représenté par une vaste zone de l'hémisphère cérébral gauche, appelée zone logopsychique. Le fondement organique de la construction du langage humain ne peut plus faire de doute.
J. Ruffié, De la biol. à la culture, Paris, Flammarion, 1976, p. 353. − Langage articulé. Langage formé de sons différents, identifiables et signifiants. La faculté de concevoir les idées générales du vrai, du beau, du juste, et de les exprimer par le langage articulé (Ménard, Rêv. païen,1876, p. 114).En partic. Langage articulé, articulé grammaticalement, c'est-à-dire (...) langage de la parole, et de la parole écrite (Artaud, Théâtre et son double,1938, p. 141).LING. [Dans la théorie fonctionnelle d'André Martinet] Langage articulé, doublement articulé. Langage considéré comme analysable en unités minimales significatives (les monèmes), elles-mêmes analysables en unités minimales distinctives (les phonèmes), un des caractères communs à toutes les langues. Le langage humain est non seulement articulé, mais doublement articulé, articulé sur deux plans, celui où, pour employer les termes du parler de tous les jours, les énoncés s'articulent en mots, et celui où les mots s'articulent en sons (A. Martinet, La Double articulation, Paris, P.U.F., 1965, p. 2). − Langage intérieur. Activité verbale produite mentalement, mais non exprimée : 3. La pensée n'est rien d'« intérieur », elle n'existe pas hors du monde et hors des mots. Ce qui nous trompe là-dessus, ce qui nous fait croire à une pensée qui existerait pour soi avant l'expression, ce sont les pensées déjà constituées et déjà exprimées que nous pouvons rappeler à nous silencieusement et par lesquelles nous nous donnons l'illusion d'une vie intérieure. Mais en réalité ce silence prétendu est bruissant de paroles, cette vie intérieure est un langage intérieur.
Merleau-Ponty, Phénoménol. perception,1945, p. 213. Rem. D'une manière générale, le langage peut être défini comme la faculté d'instituer un objet quelconque comme signe. Vendryes note ds Langage, 1921, p. 19 : ,,La définition la plus générale qu'on puisse donner du langage est d'être un système de signes (...). Par signe, il faut entendre tout symbole capable de servir de communication entre les hommes. Les signes pouvant être de nature variée, il y a plusieurs espèces de langage (...). Il y a langage toutes les fois que deux individus, ayant attribué par convention un certain sens à un acte donné, accomplissent cet acte en vue de communiquer entre eux`` (cf. C infra). B. − Système de signes vocaux et/ou graphiques (cf. langue II A). 1. [Langages naturels : les langues parlées dans le monde] Langage écrit, parlé. Les mots qui composent cette classe [la classe des mots invariables], ont tous les mêmes raisons d'en être (...); c'est pourquoi ils sont les mêmes dans tous les langages (Destutt de Tr., Idéol. 2,1803, p. 128).Les amnésiques du verbe oublient d'abord ce qu'il y a de plus particulier dans le langage, les noms propres, les substantifs, les adjectifs; les parties du langage qui ont la vie la plus dure sont les phrases toutes faites, les locutions usuelles (Gourmont, Esthét. lang. fr.,1899, p. 285).J'ai reçu des lèvres de ma vieille servante le bon langage français (France, Pt Pierre,1918, p. 196).La grande influence qu'il semble que Descartes ait exercée sur nos Lettres; l'événement dont il est l'auteur, de la première production en langage français d'un ouvrage de philosophie (Valéry, Variété IV,1938, p. 209). 2. [Langages artificiels, établis en fonction d'axiomes, de règles d'écriture] Système de symboles. Langage documentaire (v. ce mot B 2); langage formel, logique. Il [Leibniz] concevait la notion de langage formalisé, pure combinaison de signes dont seul importe l'enchaînement, de sorte qu'une machine serait capable de fournir tous les théorèmes, et que toutes les controverses se résoudraient par un simple calcul (Bourbaki, Hist. math.,1960, p. 16).Construire des langages artificiels à composantes logiques pour servir aux tâches essentielles de la documentation : analyse, enregistrement des documents, et recherche documentaire (Coyaud, Introd. ét. lang. docum.,1966, p. 67). − INFORMAT., PROGRAMMATION. Ensemble de symboles et de règles permettant de combiner ces symboles afin de donner des instructions à un ordinateur. ♦ Langage de programmation. ,,Langage préétabli utilisé pour écrire les programmes d'un ordinateur déterminé`` (Mess. Télém. 1979). Langage symbolique. ,,Langage de programmation utilisant des codes mnémoniques pour représenter les instructions machines`` (Informat. 1972). [Langage symbolique :] code intermédiaire entre le langage machine et les langages externes (langues naturelles ou langages documentaires), et permettant au programmeur de communiquer aisément avec l'automate. C'est pourquoi les langages symboliques sont aussi appelés langages de programmation (Coyaud, Introd. ét. lang. docum.,1966, p. 14). ♦ Langage machine. ,,Langage dans lequel est exprimé un programme au moment de son exécution par l'ordinateur`` (Informat. 1972). 3. En partic. Système secondaire de signes ou de symboles (code) créé à partir d'une langue et destiné à la transcrire. Langage chiffré, codé. La publication de leurs propres résultats en langage chiffré (Bourbaki, Hist. math.,1960, p. 183). C. − P. ext. 1. Système de symboles quelconques, d'objets institués comme signes, permettant à des individus de communiquer entre eux. Langage gestuel, mimique; langage des fleurs, des parfums; langage par signaux. Un langage qui possède des signes capables d'exprimer des idées isolées et détachées de toute autre (...). Je ne dis pas que le langage des gestes, et même celui des attouchemens, n'en soient pas susceptibles à un certain point (Destutt de Tr., Idéol. 2,1803, p. 34).Vouloir paraître détachée de la vie, (...) c'était l'idée qu'elle voulait inculquer à d'Arthez par cette toilette grise. Albertine, qu'intéressait ce muet langage des robes, questionna M. de Charlus sur la princesse de Cadignan (Proust, Sodome,1922, p. 1055).Si toute série d'objets rassemblés, classés et utilisés par l'homme pour la communication avec ses semblables est par définition un langage, tout sera langage : les pierres des monuments, les couleurs du peintre, l'écran des images (Schaeffer, Mus. concr.,1952, p. 159): 4. ... ce que le théâtre peut encore arracher à la parole, ce sont ses possibilités d'expansion hors des mots, de développement dans l'espace, d'action dissociatrice et vibratoire sur la sensibilité. C'est ici qu'interviennent les intonations, la prononciation particulière d'un mot. C'est ici qu'intervient, en dehors du langage auditif des sons, le langage visuel des objets, des mouvements, des attitudes, des gestes, mais à condition qu'on prolonge leur sens, leur physionomie, leurs assemblages jusqu'aux signes, en faisant de ces signes une manière d'alphabet.
Artaud, Théâtre et son double,1938, p. 107. 2. Expression, manifestation de la pensée, de la sensation ou du sentiment par une attitude, un geste, un comportement. Cela est juste, dit monsieur de Bourbonne en fermant sa tabatière par un geste sec dont la signification est impossible à rendre, car c'était tout un langage (Balzac, Curé Tours,1832, p. 215).Il est vrai que les yeux d'Émile étaient fort éloquents et qu'il était difficile de ne point comprendre leur langage (Kock, Zizine,1836, p. 170).Chaque trait de son visage garde une extraordinaire fixité. Rêve-t-elle? Délire-t-elle? Mais les mains qu'elle croise et décroise avec une anxiété grandissante parlent, à leur manière, un autre langage (Bernanos, M. Ouine,1943, p. 1416). 3. P. anal. Cris, chants, voix, comportement des animaux considérés comme des moyens d'expression, de communication. Langage des abeilles, des dauphins. L'agitation de ses longues oreilles [de l'âne], dont je commence à comprendre le langage, me disait le bonheur qu'il avait de se sentir libre (A. Daudet, R. Helmont,1874, p. 58).Elle [une chatte] éclata en miaulements terribles, en rugissements, elle fit entendre son langage de bataille (Colette, Mais. Cl.,1922, p. 229). Rem. Le problème de l'existence d'un langage animal, acceptée par certains et niée par d'autres, a donné lieu à une abondante littérature. Appliquée au monde animal, la notion de langage n'a cours que par un abus de termes. On sait qu'il a été impossible jusqu'ici d'établir que les animaux disposent, même sous une forme rudimentaire, d'un mode d'expression qui ait les caractères et les fonctions du langage humain (...). Les conditions fondamentales d'une communication proprement linguistique semblent faire défaut dans le monde des animaux même supérieurs (E. Benveniste, Problèmes de ling. gén. [I], Paris, Gallimard, 1966 [1952], p. 56). II. − [Le langage comme moyen d'expression, comme usage] A. − [Envisagé quant à la forme] 5. ... cette définition de l'art comme un langage (...) est fondée puisque l'art permet à l'artiste de mieux s'exprimer, à lui-même, ses aspirations intérieures mais aussi de les faire percevoir aux autres, de leur communiquer les richesses secrètes, ressenties ou créées, qu'il désire leur transmettre. (...) à ce parler, la nature a fourni son vocabulaire, l'âme de l'artiste son fonds; et, comme tout langage, il pose maintenant le problème de sa forme. Communiquer quelque chose, mais d'une certaine façon! Ne poursuivre que la clarté du sens et la correction de la syntaxe établie ne sortirait pas du domaine utilitaire. Pour qu'il y ait art, il faut que la forme, de même que le contenu, atteigne une qualité propre à lui donner un prix aux yeux des autres.
Huyghe, Dialog. avec visible,1955, p. 101. 1. Usage particulier d'une langue, manière de parler. Surveiller, observer son langage; tournure de langage; langage d'un écrivain. Et comment moi m'en aller? dit Julien d'un ton plaisant, et en affectant le langage créole. (Une des femmes de chambre de la maison était née à Saint-Domingue) (Stendhal, Rouge et Noir,1830, p. 339).J'peux pas faire une reine jolie et poétique... C'est pas mon affaire!... R'gardez-moi un peu... Est-ce que vous voyez Esther avec mon pif?... Moi pas!... − Quel langage!... − dit Madame de Chalais, écœurée (Gyp, Souv. pte fille,1928, p. 167): 6. ... on ne retrouvait pas dans le langage de Bergotte certain éclairage qui dans ses livres, comme dans ceux de quelques autres auteurs, modifie souvent dans la phrase écrite l'apparence des mots. (...) il y avait plus d'intonations, plus d'accent, dans ses livres que dans ses propos : accent indépendant de la beauté du style, que l'auteur lui-même n'a pas perçu sans doute, car il n'est pas séparable de sa personnalité la plus intime.
Proust, J. filles en fleurs,1918, p. 553. − En partic. Ensemble des règles de la grammaire, des règles concernant le lexique d'une langue donnée. Faute de langage; langage incorrect. Une conversation sans élégance, sans charme, et qui pourtant révèle, à travers les incorrections du langage, beaucoup d'esprit et d'immenses connaissances (Chênedollé, Journal,1823, p. 124). − [Constr. avec un adj. spécifiant l'aspect formel de l'usage] Langage académique, ampoulé, archaïque, clair, expressif, figuré, métaphorique, pompeux, simple, soutenu. Pendant le temps que durèrent ses fonctions, il sut se composer un langage farci de lieux communs, semé d'axiomes et de calculs traduits en phrases arrondies qui doucement débitées sonnaient aux oreilles des gens superficiels comme de l'éloquence (Balzac, C. Birotteau,1837, p. 50).Pourtant, Crusco savait parler d'amour; il avait quand il fallait, un langage fleuri de mots tendres, de paraboles et des plus gracieuses métaphores (Aymé, Rue sans nom,1930, p. 124): 7. ... Rodolphe (...) était à ses pieds [d'une femme], enveloppant son invitation dans un discours aromatisé de tout le musc et de tout le benjoin d'une galanterie à 80 degrés Richelieu. La dame demeura confondue devant ce langage pailleté d'adjectifs éblouissants et de phrases contournées et régence au point de faire rougir le talon des souliers de Rodolphe, qui n'avait jamais été si gentilhomme vieux-Sèvres.
Murger, Scènes vie boh.,1851, p. 161. ♦ Le beau langage. L'usage des personnes dont le statut est socialement valorisé. Péj. langue recherchée, affectée. Ils prenaient des leçons de beau langage et d'art de parler sans rien dire à l'Athénée ou à l'Académie française (Stendhal, L. Leuwen, t. 3, 1835, p. 242).Sous Louis XIV, Issoudun, à qui l'on dut Baron et Bourdaloue, était toujours citée comme une ville d'élégance, de beau langage et de bonne société (Balzac, La Rabouill.,1842, p. 359).Lord David (...) aimait l'éloquence et le beau langage. Il admirait fort ces boniments célèbres qu'on appelle les Oraisons funèbres de Bossuet (Hugo, Homme qui rit, t. 1, 1869, p. 190). − [Constr. avec un adj. ou un compl. prép. de désignant une activité, un type d'usage, un groupe professionnel ou culturel, ou affectant un statut social à l'usage] Langage choisi, courant, noble, ordinaire, vulgaire; langage argotique, populaire, poissard; langage écrit, parlé; langage diplomatique; langage de la conversation; langage des marchands, du peuple; langage des coulisses, de la rue. Il [un vigneron] a une tête magnifique, distinguée; une pénétration, une fermeté, une éloquence extraordinaire par moments, et tout cela avec le langage paysan et des manières nobles comme ne les ont plus les grands seigneurs (Sand, Corresp., t. 3, 1849, p. 144).C'était un ancien commis voyageur, actuellement boursier, très bon enfant, patriote, ami des dames, et qui affectait le langage faubourien (Flaub., Bouvard, t. 1, 1880, p. 9).Dans le Typhon, l'Olympe parlait le langage des halles (France, Génie lat.,1909, p. 44).Faut pas quoi? demanda Goigneux en feignant de n'avoir pas compris, car il supportait mal que Jourdan s'exprimât en argot ou même dans un langage un peu peuple (Aymé, Uranus,1948, p. 80): 8. On assumait assez volontiers le rôle de démons littéraires tout occupés dans leurs ténèbres de tourmenter le langage commun, de torturer le vers, de lui arracher ses belles rimes ou ses majuscules initiales, de l'étirer jusqu'à des longueurs démesurées, de pervertir ses mœurs régulières, de l'enivrer de sonorités inattendues.
Valéry, Variété IV,1938, p. 14. ♦ Langage littéraire, poétique. Le langage littéraire − expression des désirs cachés, de la vie profonde − est la perversion du langage un peu plus même que l'érotisme n'est celle des fonctions sexuelles (G. Bataille, Exp. int.,1943, p. 230): 9. ... ce qui, pour le poète moderne [Valéry], reste une simple possibilité ou une métaphore même est, aux yeux du philosophe romantique [Schubert], certitude absolue, intuition immédiate et vérifiée par l'adhésion intérieure. Pour lui, les objets ont davantage qu'une apparence de vie, qu'un dessein supposé : ils expriment en fait la même réalité indéfinissable qu'atteint le langage poétique.
Béguin, Âme romant.,1939, p. 111. ♦ Langage diplomatique (au fig.). Manière habile de s'exprimer, en cherchant à ne blesser personne. V. diplomatique 2ex. 2. − [Constr. avec un adj. ou un compl. prép. de désignant une matière, un domaine, une science ou une technique] Langage administratif, juridique, philosophique, technique; langage du droit, de l'économie, des sciences. Il a présenté ce spirituel académicien [Fontenelle] comme celui qui, le premier, a introduit le langage scientifique, la langue théorique dans la littérature (Delécluze, Journal,1827, p. 397).Dépouiller l'héritage romantique du langage astrologique, magique et occulte, où la mode du temps l'avait enfermé (Béguin, Âme romant.,1939p. 128).Le tout exprimé dans le langage géométrique habituel des éléments, ce qui rend l'exposé particulièrement touffu et incommode (Bourbaki, Hist. math.,1960, p. 95).On peut traduire ces hypothèses en un langage mathématique assez précis pour pouvoir alors appliquer le théorème cité (Traité sociol.,1967, p. 130). 2. P. anal. Ensemble des moyens d'expression particuliers à un art, ou utilisés par un artiste pour créer une œuvre. Langage chromatique, musical. Les arts sont au-dessus de la pensée : leur langage ce sont les couleurs ou les formes, ou les sons (Staël, Allemagne, t. 3, 1810, p. 377).Nous pouvons joindre à ces trois pièces [de Debussy] comme participant du même esprit, quoique (...) seuls le langage harmonique et l'emploi de la pédale en assurent le caractère suggestif, la deuxième Image de la seconde série : Et la lune descend sur le temple qui fut (Cortot, Mus. fr. piano,1930, p. 29).Poser la question (...) de l'efficacité intellectuelle d'un langage qui n'utiliserait que les formes, ou le bruit, ou le geste, c'est poser la question de l'efficacité intellectuelle de l'art (Artaud, Théâtre et son double,1938, p. 83): 10. La plastique est un langage plus encore qu'on ne le croit. Elle est une manière de parler parce qu'elle est une manière de penser. Elle peut exprimer des idées et des relations d'idées que le sculpteur ou le peintre serait tout à fait impuissant à traduire par des mots. (...). La grandeur d'un esprit n'est pas liée à ses facultés discursives, mais à son plus ou moins de force à exprimer, dans n'importe quel langage, ce qu'il conçoit. Et parce que Cézanne ne comprendrait pas toujours le langage de Hegel, je ne vois pas pourquoi Cézanne serait un moins grand esprit que Hegel, qui ne comprendrait pas mieux, j'imagine, le langage de Cézanne. La philosophie elle-même n'est qu'une manière de parler.
Faure, Espr. formes,1927, p. 137. B. − [Envisagé quant au contenu] 1. Usage d'une langue considéré par rapport au contenu communiqué. En partic. Discours tenu dans une circonstance donnée. Langage ambigu, cru, cynique, direct, droit, franc, grossier, hypocrite, mensonger, orgueilleux, prudent, subtil; changer de langage; parler un certain langage à qqn. Dans un instant où mon rival était occupé en bas, elle me dit ces propres mots : « Mon bon ami, j'ai joué; je n'ai pas le sou. » Ce langage inattendu me pénétra de joie, et j'y satisfis comme je le pus (Restif de La Bret., M. Nicolas,1796, p. 145).Les gens qui n'ont jamais éprouvé l'amour en regardent toujours le développement chez les autres comme une affectation de sensibilité, ou, tout au plus, un accès de folie. Ces personnes tiennent à l'égard de l'amour le même langage que ceux qui, étrangers par nature ou par éducation au sentiment religieux, en nient l'existence (Delécluze, Journal,1827, p. 423).Le socialisme parlementaire parle autant de langages qu'il a d'espèces de clientèles. Il s'adresse aux ouvriers, aux petits patrons, aux paysans; (...) tantôt il est patriote, tantôt il déclame contre l'armée. Aucune contradiction ne l'arrête (Sorel, Réflex. violence,1908, p. 74).Il n'osait pas entrer le sauvage. Un des commis indigène l'invitait pourtant : « Viens bougnoule! Viens voir ici! Nous y a pas bouffer sauvage! » Ce langage finit par le décider (Céline, Voyage,1932, p. 172). ♦ [En fonction de déterm.] Abus, artifice, écart, excès, liberté de langage; délicatesses, subtilités de langage. « ... M. de Nièvres vous estime; il sait le prix des affections que je possède; il est et sera votre ami, vous serez le sien : c'est un engagement que j'ai pris en votre nom, et que vous tiendrez, j'en suis certaine... » Elle continua de la sorte simplement, librement, sans aucune ambiguïté de langage (Fromentin, Dominique,1863, p. 115).Harriet était surtout blessée quand, dans ses légèretés de langage, Nore paraissait sortir, à l'égard de son père, du respect profond qu'elle-même portait à celui-ci (Gobineau, Pléiades,1874, p. 142).À l'accumulation superflue de précautions de langage là où on les attendait le moins [dans un texte], je pressentais que, pour le rédacteur, la charge exacte de signification impliquée çà et là dans quelque terme d'apparence banale n'avait pu être exactement la même que celle que j'y attachais (Gracq, Syrtes,1951, p. 142): 11. « − Je ne vois qu'un moyen de tout raccommoder, dit-elle : c'est de cacher Châteaubedeau dans le lit de Maman! » Ce mot, excessif aux lèvres d'une enfant, eut une suite imprévue. De l'expédient préconisé par Jacquette, Ninon ne retint que le fait qu'une telle intempérance de langage sortait de la bouche de sa fille; et elle s'alarma à bon droit d'une éducation qu'il devenait urgent de surveiller, et de près.
Boylesve, Leçon d'amour,1902, p. 51. − [Constr. avec un compl. prép. de désignant un affect, la raison] Expression, raisonnement propre à un affect, à la raison. Langage de l'affection, de l'amour, du cœur, du sentiment. Il comprit que sa souffrance morale était faite d'une douleur physique et qu'il traduisait dans le langage de la passion toutes les formes d'une torture à laquelle il était soumis (J. Bousquet, Trad. du silence,1935-36, p. 138): 12. − Non, dit Rambert avec amertume, vous ne pouvez pas comprendre. Vous parlez le langage de la raison, vous êtes dans l'abstraction. Le docteur leva les yeux sur la république et dit qu'il ne savait pas s'il parlait le langage de la raison, mais il parlait le langage de l'évidence et ce n'était pas forcément la même chose.
Camus, Peste,1947, p. 1288. 2. P. ext. Expression, manifestation par l'art d'un contenu psychologique. La sculpture prête son langage à toutes les parties des églises (Stendhal, Mém. touriste, t. 2, 1838, p. 337).Le larghetto (bissé) parle un langage (...) plus intelligible que la majorité des compositions vocales (Prod'homme, Symph. Beethoven,1921, p. 66).J'avais été très frappé par le Beatus vir de Monteverdi. Il parle un langage qui s'est perdu, un langage d'une sérénité divine et d'une douceur telle qu'après lui les plus grands ont quelque chose de rude et de dur (Green, Journal,1950-54, p. 220). 3. Au fig. Manifestation du réel ou de l'imaginaire considéré comme un ensemble de signes porteurs de signification. C'est justement quand elle ne parle pas, qu'il me semble la comprendre, ton Allemagne. Cette ville à clochers et à pignons que tu m'as montrée cette nuit, sur laquelle les seules inscriptions étaient les taches de la lune, ce torrent gelé jusqu'au sol, muet par obligation, j'en comprends l'âge, la force, le langage (Giraudoux, Siegfried,1928, II, 1, p. 64).Schubert se demanda quel est le rapport qui unit ou oppose le langage du rêve, celui de la poésie, celui de la nature. Entre l'expression métaphorique du Rêve, dont les termes sont des images, des objets, des personnages, et l'expression de la veille, qui recourt aux mots, il existe plus d'une différence essentielle (Béguin, Âme romant.,1939, p. 108).L'image, dans sa simplicité, n'a pas besoin d'un savoir. Elle est le bien d'une conscience naïve. En son expression, elle est jeune langage. Le poète, en la nouveauté de ses images, est toujours origine de langage (Bachelard, Poét. espace,1957, p. 4): 13. ... les façades qui bordaient le quai ne manquaient pas d'une certaine dignité un peu lourde qui rappelait la prospérité bourgeoise du siècle dernier. D'orgueilleuses portes cochères et d'interminables balcons où des familles entières eussent tenu, parlaient le langage des réussites matérielles et d'affaires rondement menées jusqu'à la mort.
Green, Malfaiteur,1955, p. 154. Prononc. et Orth. : [lɑ
̃ga:ʒ]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. 1. Fin xes. lengatge « manière de s'exprimer propre à un groupe; langue » (Passion, éd. D'A. S. Avalle, 481); ca 1160 langage (d'oisiaus) (Eneas, éd. J. J. Salverda de Grave, 5056); 1174-76 language (Guernes de Pont-Ste-Maxence, St Thomas, éd. E. Walberg, 6165 : Mis languages est bons, car en France fui nez); 1370-72 comun langage « manière de s'exprimer la plus usuelle » (Oresme, Ethiques, éd. A. D. Menut, I, 14, note 2, p. 128); 1810 langage « moyens utilisés par un artiste pour exprimer ses conceptions » (Staël, loc. cit.); 2. ca 1135 langage « paroles, propos » (Couronnement Louis, mss A B, éd. Y. G. Lepage, 2364); ca 1280 dire en son langage « s'exprimer en ces termes » (Rigomer, 5896 ds T.-L.). Dér. de langue*; suff. -age*. Fréq. abs. littér. : 6 280. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 9 473, b) 5 556; xxes. : a) 5 145, b) 12 554. Bbg. Koll (H.-G.). Die Französischen Wörter langue und langage im Mittelalter. Genève-Paris, 1958, 191 p. - Pohl (J.). Symboles et langages. 2. La diversité des langages. Paris-Bruxelles, 1968, 136 p. - Quem. DDL t. 21. |