| LAIDEUR, subst. fém. I. − Caractère, état de ce qui est laid. A. − [Correspond à laid I A; l'appréciation est à dominance esthétique] Laideur des bâtiments militaires, des villes; laideur de singe; banale laideur d'un mobilier; affligeante, horrible, monstrueuse laideur; laideur physique; d'une laideur repoussante. La seconde [des truandes], vieille, noire, ridée, hideuse, d'une laideur à faire tache dans la Cour des Miracles, tourna autour de Gringoire (Hugo, N.-D. Paris,1832, p. 111).Aux constructions européennes, elle [Alexandrie] a emprunté la laideur et l'uniformité, sans prendre le confortable (Du Camp, Nil,1854, p. 8).Vent neigeux, aspect sinistre et louche du ciel, laideur grelottante du paysage (Amiel, Journal,1866, p. 197): 1. Michel était un homme jeune, vigoureux et laid. Sa laideur venait d'abord d'un défaut de proportions. Il était de taille moyenne, mais les jambes étaient longues, et le buste était court et la tête massive. Aucune régularité, non plus, aucune harmonie, dans ce visage qu'on eût dit sculpté par la main réaliste et puissante d'un ouvrier du Moyen Âge : un front bas sous des cheveux châtains, durs, qui faisaient éperon au milieu, sur la peau mate; des yeux bleus, enfoncés et légèrement inégaux; un nez large; de longues lèvres...
R. Bazin, Blé,1907, p. 5. − [En parlant d'un animal] Je dis que si les serins avaient la bêtise, la prétention, la laideur et la puanteur des vautours, tu serais un serin (Giraudoux, Guerre Troie,1935, II, 4, p. 112). − P. anal. [En parlant d'un son] La laideur des sons qu'il tire de son instrument ajoute à la tristesse et à la bizarrerie de cette scène (Green, Journal,1945, p. 198). B. − [Correspond à laid I B; l'appréciation est à dominance morale] Vice, mal dans toute sa laideur; laideur de la méfiance, du péché; laideur des réalités; laideur morale; laideur de ce qu'on lui propose. Tant pis pour elle, si elle ne voit pas la sottise, la laideur, de cette démarche forcée (Martin du G., J. Barois,1913, p. 273).En somme son désir d'être enchaîné, d'être frappé, trahissait, dans sa laideur, un rêve aussi poétique que, chez d'autres, le désir d'aller à Venise ou d'entretenir des danseuses (Proust, Temps retr.,1922, p. 840). II. − P. méton., au plur. ou avec un art. ou un adj. indéf. A. − [Correspond à laid I A] Chose laide. On faisait bon marché des négligences de détail, des laideurs, des fausses notes même, sous prétexte que seul l'ensemble de l'œuvre, la pensée importait (Rolland, J.-Chr., Révolte, 1907, p. 438). − [Surtout en parlant du physique d'une pers.] Les laideurs cutanées de ma narine gauche et de ma joue droite me font éviter mes connaissances (Amiel, Journal,1866, p. 152): 2. Que de choses en effet au grand avantage de la face humaine disparaissent sous la barbe : les joues appauvries, le menton fuyant, les lèvres fanées, les narines mal ouvertes, la distance du nez à la bouche, la bouche qui n'a plus de dents, le sourire qui n'a pas d'esprit. À toutes ces laideurs, dont quelques-unes sont des misères et quelques autres des ridicules, substituez une végétation épaisse et superbe qui encadre et complète le visage en continuant la chevelure, et jugez l'effet!
Hugo, Corresp.,1845, p. 622. B. − [Correspond à laid I B] 1. Action laide, comportement laid. Triste délateur de toutes les misères, de toutes les laideurs humaines (Sand, Lélia,1833, p. 281).L'audace de celui-ci est toute particulière, et combinée avec une telle ruse, qu'il ne recule devant aucune laideur et aucune bizarrerie (Baudel., Salon,1846, p. 152). 2. Trait, caractère laid; chose laide. Les laideurs du vice, de l'esclavage : 3. Et comment ne croirait-il pas à la vérité de ces dieux, puisqu'ils correspondent intimement à un désir si mutilé, mais si indestructible de l'âme moderne, celui de contempler le travail de la vie sous une forme de beauté? Notre âge vieilli n'a-t-il pas fait de chaque fonction de ce travail une laideur en même temps qu'un esclavage?
Bourget, Nouv. Essais psychol.,1885, p. 109. Prononc. et Orth. : [lεdœ:ʀ], [le-]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. 1. Fin xiies. a laidor « d'une façon laide, vilaine » (Béroul, Tristan, éd. E. Muret4, 1074 : a laidor ert); 2. 1275-80 Ledeur, personnification de la disgrâce, de la hideur (Jean de Meung, Rose, éd. F. Lecoy, 8944). Dér. de laid, laide*; suff. -eur1*. L'anc. lang. atteste également, et avec les mêmes sens, les subst. laidece (1remoitié du xiie-2emoitié du xiiies. ds T.-L.); laideté (xiiies., ibid.) et laidure (début xiiie-mil. du xviies., ibid.; v. aussi FEW t. 16, p. 440b). Fréq. abs. littér. : 891. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 842, b) 1 452; xxes. : a) 1 745, b) 1 242. Bbg. Fialova (M.). Sur le probl. des ch. conceptuels anton. Sborník Prací Filos. Fak. brn. Univ. 1970, t. 19, no18, pp. 83-85. - Ochtinský
(J.). Les Rapp. anton. des ch. conceptuels de la beauté et de la laideur en fr. mod. Ét. rom. Brno. 1975, t. 8, p. 65. |