| JUIF, JUIVE, adj. et subst. I. − Adj. et subst. A. − HIST. ANC. 1. (Celui, celle) qui vit dans le royaume biblique de Juda ou qui en est originaire. Synon. judéen.Le nom hébreu Yehoudim ne se lit pas dans la bible avant le temps de Jérémie, contemporain de la destruction du 1ertemple; (...) la transcription de ce mot en Ioudaioi, Judaei, judéens ou juifs, prévaudra sur hébreux et israélites (Weill, Judaïsme,1931, p. 19): 1. Après la mort du roi Salomon, un schisme a divisé le peuble d'Israël (...). Le petit royaume du Sud, dont le rayonnement dépasse l'importance géographique, est appelé « Royaume de Juda » (...) tous ses ressortissants seront des yehoudim − des « juifs ».
M. Catane, Qui est Juif? Paris, R. Laffont, 1972, p. 22. 2. [À partir de l'exil babylonien] (Celui, celle) qui appartient au peuple issu d'Abraham et dont l'histoire est relatée dans la Bible. Synon. hébreu (v. ce mot A 1), israélite (v. ce mot A 1).Juif alexandrin, essénien, helléniste; grand-prêtre, prophète juif. Pour qui connaît les anciennes sectes juives, cette parabole est essénienne. Jamais Saducéen, jamais Pharisien n'aurait dit ou écrit pareille chose (P. Leroux, Humanité, t. 2, 1840, p. 770).La destinée unique du peuple juif, aboutissant à Jésus et au christianisme, m'apparaissait comme quelque chose de tout à fait à part (Renan, Souv. enf.,1883, p. 59): 2. C'est en Babylonie que la grande majorité des Judéens sont déportés (...). Les Juifs de Babylone vont être (...) les témoins d'un des bouleversements les plus spectaculaires de l'Orient ancien : l'écroulement de l'empire chaldéen.
A. et R. Neher, Hist. biblique du Peuple d'Israël, Paris, Adrien-Maisonneuve, t. 2, 1962, p. 570. B. − (Celui, celle) qui appartient aux descendants du peuple ci-dessus, qui se réclame de la tradition d'Abraham et de Moïse. Synon. hébreu (v. ce mot A 2), israélite (v. ce mot A 2).C'était un dur obstacle que d'être né juif, mais c'était peut-être aussi une force (Maurois, Disraëli,1927, p. 52).C'était une fine Juive au teint laiteux, languissante et fiévreuse. Elle s'appelait Sephira (Cendrars, Bourlinguer,1948, p. 81).Être « juif » n'est exclusivement ni l'appartenance à une ethnie ni l'adhésion à une foi, mais une condition qui, généralement acquise par la naissance, compte néanmoins des implications spirituelles (M. Catane, Qui est Juif? Paris, R. Laffont, 1972p. 30).V. apocalypse ex. 4, apparence ex. 2, dispersion B 6 ex. de J. de Maistre : 3. Otages torturés, garçons français abattus au bord des routes, femmes et nouveau-nés d'Oradour, paysans d'Ascq, enfants juifs arrachés des bras de vos mères, entassés dans des wagons de marchandises comme des agneaux, c'est à vous qu'il faut dédier ce jour qui, d'un seul coup, rachète tant de compromissions, de complicités et de crimes.
Mauriac, Bâillon dén.,1945, p. 395. SYNT. Monde, prolétariat, syndicat juif; communauté, minorité, nation, personnalité, population, société juive; copiste, docteur juif; banquier, compositeur, écrivain, fonctionnaire, marchand, médecin, penseur, philosophe juif; juif espagnol, français, polonais, portugais, russe; juif occidental; juif parisien; juif converti; juif honteux; juif du ghetto; juifs de la diaspora; haine, persécution des juifs; le Dieu des Juifs; la Pâque des Juifs; déporter, expulser les juifs. ♦ Loc. À la juive. À la manière des juifs. Tel fils de sénateur, protégé de César, envie peut-être l'agneau rôti du vigneron et la carpe à la juive que me cuit mon épouse Phénenna (Arnoux, Juif Errant,1931, p. 13). − En partic. 1. a) Le Juif errant. Personnage légendaire condamné à errer jusqu'à la fin des temps pour avoir injurié le Christ portant sa croix. La légende, la plainte du Juif errant. Je suis une chose que l'on met à cheval ou en voiture, qui part, qui passe, qui arrive et qui repart, le tout au galop (...). Bref, je suis comme le Juif errant (...) « Marche! marche!... » (Dumas père, L. Bernard,1843, I, 7, p. 218). ♦ P. métaph. Je suis le Juif-Errant de la pensée, toujours debout, toujours marchant, sans repos, sans jouissances de cœur (...); je mendie l'avenir, je lui tends la main (Balzac, Lettres Étr., t. 1, 1836, p. 324). b) [P. all. à ce personnage] Il est possible que mon Itinéraire demeure comme un manuel à l'usage des Juifs errants de ma sorte (Chateaubr., Mém., t. 2, 1848, p. 235). 2. Péj. [À cause des métiers d'argent interdits aux chrétiens et réservés aux juifs au Moy. Âge] Synon. de avare, usurier.Sans doute quelque vieil avare, quelque vieux juif (Dumas père, Laird de Dumbiky,1844, III, 9, p. 89). 3. Pop. Petit juif. Face postéro-interne du coude, sur le trajet du nerf cubital. Touchée au petit-juif, ma mère pousse un cri et s'efface (H. Bazin, Huile sur feu,1954, p. 243). II. − Adjectif A. − Qui concerne les juifs, qui leur appartient. Femme magnifique : profil juif busqué, brune florentine, le nez net comme un nez de camée, les cheveux noirs, la bouche découpée au ciseau (Goncourt, Journal,1855, p. 165).Nouvelle plongée dans Simenon; je viens d'en relire six d'affilée. Et les Réflexions sur la Question juive de Sartre (Gide, Journal,1948, p. 319).Les Testaments des Douze Patriarches sont un écrit juif alexandrin du IIeou Iersiècle avant J-C, qui revêt la forme de testaments légués par les douze fils de Jacob à leurs successeurs (Philos., Relig., 1957, p. 36-4).V. alexandrin1ex. 1 : 4. Son enfance s'était écoulée dans un ghetto de Lithuanie, et juqu'à sa quinzième année il avait mené l'existence que menaient, il y a quarante ans, les étudiants talmudiques dans ces petites universités juives qu'on appelle des yéchiba.
Tharaud, An prochain,1924, p. 178. SYNT. Âme, authenticité, condition, culture, histoire, identité, inquiétude, origine, pensée, religion juive; école, maison, noce, vie juive; esprit, nom, sang, type juif; théâtre juif; état, pays, quartier, temple juif; théocratie juive; le problème juif. B. − En partic. Qui concerne le judaïsme, qui lui appartient. Si nous ne disposions (d'ailleurs) que du Livre [le Coran] pour connaître les origines des institutions musulmanes, nous ignorerions complètement que le premier çawm imposé aux Croyants fut le jeûne juif du 10 Tichri (G.-H. Bousquet, Prat. rit. Islam,1949, p. 53).Jésus, fidèle aux schémas de l'apocalyptique juive, considérait comme imminente la fin des temps et l'instauration du Royaume (Philos, Relig., 1957, p. 4-14): 5. En apparence, c'est l'Église qui, en secouant le joug de la loi, en déclarant caduque la Tora juive pour introniser la loi de charité, le règne de la Grâce, a délié l'homme enchaîné, l'a émancipé d'un despotisme théocratique oppresseur (...). En réalité, c'est la loi bien comprise qui fonde la liberté.
Weill, Judaïsme,1931, p. 110. SYNT. Canon juif; sacerdoce juif; messianisme, universalisme juif; Bible, Kabbale, Loi, Tradition juive; prière juive; année juive. Rem. 1. On trouve le subst. juif écrit avec ou sans majuscule. Dans le premier cas, le terme semble exprimer plutôt l'appartenance à un groupe ethnique; dans le second l'appartenance à une communauté relig. L'usage de la majuscule tend, cependant, à se généraliser. 2. L'adj. juif est plus usité que son synon. judaïque, mosaïque étant réservé au domaine religieux. REM. 1. En composition. a) Élément initial synon. de judéo-. La religion juive-chrétienne (P. Leroux, Humanité, t. 2, 1840, p. 518).Élie Nadelman est ce jeune sculpteur juif-polonais qu'Alexandre Natanson me menait visiter dans sa tanière (Gide, Journal,1909, p. 272).b) Élément terminal.
α) Antijuif*. -
β) Demi-juif, demi-juive, adj. et subst.(Celui, celle) dont seul l'un des parents est juif. Gambetta, catalogué comme demi-juif (Blumenkranz, Hist. des Juifs en Fr., Toulouse, E. Privat, 1972, p. 341).
γ) Non(-)juif, non(-)juive,(Non juif, Non-juif, non juive, non-juive) adj. et subst.Le mercredi 31 mai une manifestation silencieuse groupant (...) Juifs et non-Juifs, se déroulait devant l'ambassade d'Israël (Blumenkranz, Hist. des Juifs en Fr., Toulouse, E. Privat, 1972p. 434).Le monde non juif (Grand Rabbin Kaplan, Justice pour la foi juive, Vendôme, Le Centurion, 1977, p. 13).À partir du moment où les dits juifs (...) épousent des non-juifs ou des non-juives (A. Harris, A. de Sedouy, Juifs et Français, Paris, Grasset, 1979, p. 195). 2. Juifaillon, juivaillon, subst. masc.,vieilli. Synon. péj. de juif.Je reconnais là un de ces juifaillons qui infestent le pays des Morticoles (L. Daudet, Morticoles,1894, p. 164).Juivaillon attesté ds Nouv. Lar. ill., Lar. 20e, Quillet 1965. 3. Juiferesse, subst. fém.Synon. péj. de juive.Nous approchons fort, la juiverie doit être peu éloignée maintenant. − La juiverie! (...) − Votre future est donc une hérétique? une juiferesse? − Une israélite, maître (Borel, Champavert,1833, p. 117). 4. Juivillon, subst. masc.,rare. Jeune juif. Isaac Laquedem passe dans la rue, se multiplie comme la Mère Gigogne; de son manteau rouge et bleu sortent mille juifs et juivillons, vêtus le plus curieusement du monde, qui fourmillent sur le marché au bric-à-brac (Jammes, Mém.,1923, p. 85). Prononc. et Orth. : [ʒ
ɥif], fém. [ʒ
ɥi:v]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. 1. a) Subst. masc. ca 980 Judeu (Passion, éd. D'Arco Silvio Avalle, 215); mil. xiies. juef (Épître de Saint Etienne, 19 ds Foerster-Koschwitz,, col. 169 [ms. 2emoitié xiies.] : tuít li íuef); ca 1190 Juiu (Marie de France, Purgatoire, éd. Th. Atkinson Jenkins, 1916); ca 1223 juif (Gautier de Coinci, Miracles de Notre Dame, éd. V. Fr. Koenig, t. 2, p. 95, titre, var. ms. 13es. [I Mir. 12]); b) subst. fém. ca 1274 juise (Adenet Le Roi, Berte, éd. A. Henry, 1831, juyve [var. ms. 1remoitié du xives.]); 2. adj. 1119 judeue (Philippe de Thaon, Comput, 1549 ds T.-L. : judeue gent); ca 1245 juiue (Huon de Cambrai, Regrets N. D., éd. A. Långfors, 44, 5 : la gent juiue). Du lat. Judaeus « de la tribu de Juda; juif », empr. au gr. Ι
ο
υ
δ
α
ι
̃
ο
ς
« id. », et celui-ci à l'hébr. Yehūdī « id. », dér. de Yehūdā
« Juda, personnage biblique, fils de Jacob et de Léa, chef d'une des douze tribus d'Israël (Genèse, 35, 23; 49, 8); p. ext. nom de cette tribu, puis nom d'un des deux royaumes de Palestine (cf. judéen) et du peuple qui y vivait ». L'ext. sém. « membre de la tribu de Juda → juif » est due au fait que « la plupart des Hébreux qui revinrent de la captivité [de Babylone] étaient de la tribu de Juda et occupèrent le territoire de l'ancien royaume de Juda » (Bible, s.v. Judée, col. 1818). La forme juif a été refaite sur le fém. juive, juiue de l'a. fr. juiu (H. Suchier ds Z. rom. Philol. t. 6, p. 438 et 439; Meyer-L. t. 1, §§ 115 et 260; Fouché, p. 637). Fréq. abs. littér. : 3 981. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 4 923, b) 3 866; xxes. : a) 8 743, b) 5 398. Bbg. Honoré (J.-P.). Le Vocab. de l'antisémitisme en France pendant l'affaire Dreyfus. MOTS. 1981, no2, pp. 73-92. - Richard (W.) 1959, pp. 54-55. |