| JUGEMENT, subst. masc. A. − Action de juger; audience au cours de laquelle une affaire est jugée. Jugement public. Tous les hommes qui assistaient au jugement (Stendhal, Rouge et Noir,1830, p. 481).Un matin enfin, on vint le chercher pour le jugement (Van der Meersch, Invas. 14,1935, p. 251): 1. ... n'allant ni à la messe, ni à l'Élysée, il n'avait, de sa vie, rien vu de si beau qu'un jugement en police correctionnelle.
France, Crainquebille,1904, p. 37. − Ester en jugement. Cf. ester2; v. autorisation ex. 1. − Mettre qqn en jugement. Le (faire) traduire devant un tribunal au pénal. Les L. et leur parti se vantent d'avoir soutenu le roi constitutionnel, et d'avoir empêché qu'à son retour de Varennes, il ne fût mis en jugement (Sénac de Meilhan, Émigré,1797, p. 1591).Pour mettre un homme en jugement il faut (...) s'appuyer sur un texte de loi (Courier, Pamphlets pol., Procès, 1821, p. 109): 2. Il paraît qu'on ne découvre rien de grave contre Janvier, et il est probable qu'on ne le mettra pas en jugement.
Flaub., Corresp.,1871, p. 269. B. − P. méton. Résultat de l'action. Lecture du jugement; rendre un jugement. 1. Sentence émanant d'un juge, d'une juridiction. Le Conseil d'État recevait l'appel, et prononçait en dernier ressort sur tous les jugements administratifs (Las Cases, Mémor. Ste-Hélène, t. 1, 1823, p. 173).En tête de L'Officiel, d'abord, le texte du jugement, et le récit de l'exécution (Clemenceau, Vers réparation,1899, p. 78): 3. ... le rapporteur (...) donne lecture du rapport, puis le comité entend les parties; le comité départemental peut ordonner par jugement préparatoire qu'il sera procédé à une nouvelle expertise ou à un supplément d'information; dans ce cas, le jugement définitif doit cependant intervenir dans le délai légal d'un mois. Le jugement doit être motivé; il est rendu sur-le-champ à la pluralité des voix.
Encyclop. éduc.,1960, p. 76. − En partic. Décision rendue par une juridiction inférieure ou du premier degré (p. oppos. à arrêt, rendu par une Cour). Jugement contradictoire. On la nommait Cour de cassation pour faire entendre qu'elle était le marteau suspendu sur les jugements et les arrêts de toutes les autres juridictions (France, Île ping.,1908, p. 317): 4. 19 Juin. Jugement qui adjuge la propriété des meubles à ladite demoiselle Coralie 250 [fr.]
20 Juin. Appel par Métivier 17 [fr.]
30 Juin. Arrêt confirmatif du jugement 250 [fr.]
Balzac, Illus. perdues,1843, p. 597. − Jugement par contumace*. − Jugement définitif*. V. supra ex. 3. − Jugement en dernier ressort. Jugement qui n'est pas susceptible d'appel (p. oppos. à jugement en premier ressort). 504. La contrariété de jugemens rendus en dernier ressort entre les mêmes parties et sur les mêmes moyens en différens tribunaux donne ouverture à cassation (Code procéd. civile,1806, art. 504, p. 413). − Jugement par défaut* p. oppos. à jugement contradictoire*. V. former ex. 3. − P. méton. Texte contenant le jugement. Le garde du commerce (...) présenta des jugements en règle à l'avocat, en lui demandant s'il voulait payer pour son père (Balzac, Cous. Bette,1846, p. 416): 5. Six volumes in-folio, intitulés terriers, mais renfermant, outre les acquisitions, donations, des jugements et autres actes, en langue romane.
Michelet, Journal,1835, p. 180. 2. Avis motivé donné par quelqu'un ayant compétence officielle, autorité reconnue sur quelqu'un, sur quelque chose. Jansénius, mort en soumettant son ouvrage au jugement du Pape infaillible (Bremond, Hist. sent. relig., t. 4, 1920, p. 425).La Syrie franque n'avait pas à supporter le bon plaisir d'un podestat impérial qui se permettrait (...) d'attaquer les liges sans jugement préalable de leurs pairs (Grousset, Croisades,1939, p. 341): 6. Voici, Messieurs, les titres sur lesquels la commission a basé son jugement. Nous osons croire qu'elle trouvera des approbateurs, et que l'imposante et sainte mission qui nous a été confiée aura été religieusement et consciencieusement remplie aux yeux de tous.
Sue, Atar-Gull,1831, p. 38. SYNT. Appel, exécution du jugement; énoncé du jugement; contrariété de jugements; jugement attaqué; jugement sommaire; jugement du procès; jugement du tribunal; signification, texte du jugement; prononcer un jugement. C. − P. anal. 1. Jugement (de Dieu). Cause supérieure relative à l'homme, arrêt de la Providence, intervention divine dans le déroulement des événements de ce monde. Rien ne les choquoit comme le déluge, qui est le plus grand et le plus terrible jugement que la divinité ait jamais exercé sur l'homme (J. de Maistre, Soirées St-Pétersbourg, t. 1, 1821, p. 405): 7. ... le témoignage du prophète Ézéchiel apostrophant Jérusalem : En quoi pécha ta sœur Sodome, si ce n'est qu'elle mangea son pain dans la satiété et l'abondance? Et parce que ses habitants avaient été enflammés d'une ardeur inextinguible de la chair, par la satiété de pain, ils furent consumés par le jugement [it. ds le texte] de Dieu, au moyen d'un feu de soufre tombé du ciel... (Ézéchiel, XVI, 49).
Cendrars, Bourlinguer,1948, p. 193. − Synon. rare de jugement particulier (v. infra C 3).Il y a une certaine crainte de la mort et des jugements de Dieu, qui trouble et affaiblit la marche vers le ciel (Dupanloup, Journal,1873, p. 341).J'étais aussi trop heureux dans ma solitude pour y achever de mourir en paix. Le jugement de Dieu, mon petit, doit nous surprendre en plein travail... Le jugement de Dieu!... (Bernanos, Soleil Satan,1926, p. 133). − HIST. ,,Épreuves par les éléments de la nature pour décider dans la procédure franque de la culpabilité d'un accusé`` (Lep. 1948; v. aussi Salacrou, Terre ronde, 1938, III, 1, pp. 221-222). Synon. ordalie. 2. Jugement dernier. Jugement solennel qui aura lieu à la fin du monde, au cours duquel la puissance de Dieu éclatera aux yeux de tous, vivants et morts, qui ressusciteront à ce moment, qui recevront publiquement leur récompense ou leur punition éternelle. Synon. jugement final, universel (Ac. 1798-1878); grand jugement (Ac. 1798-1835, Littré, Guérin 1892).Le jugement dernier est laissé à Dieu ou à la conscience (Alain, Propos,1921, p. 285).Ce sera le signal du Jugement dernier, tous les morts ressusciteront... (Mauriac, Journal 2,1937, p. 146): 8. ... les 70 anges ou pasteurs à qui Dieu avait confié le soin de veiller sur Israël (...), ayant été infidèles à leur mission, seront condamnés, au jugement dernier, à partager le supplice éternel des étoiles tombées.
Théol. cath.t. 4, 1, 1920, p. 328. − Absol. Ange du Jugement; jour du Jugement. Lorsque l'ange du jugement nous réveillera dans nos sépulcres pour nous conduire devant Dieu (Dumas père, Intrigue et amour,1847, I, 6, p. 199).Il est question de ces Élus dont, au Jour du Jugement, on se demandera d'où ils sont venus (Larbaud, Journal,1934, p. 332): 9. Ils savent que les noirs clairons du Jugement,
(...) Agiteront leurs os d'un grand tressaillement,
Et que la Mort stupide et la pâle Nature
Verront surgir alors sur les tombeaux ouverts
Le corps ressuscité de toute créature.
France, Poés., Idylles et lég., 1896, p. 112. − Trompette du Jugement (dernier). Trompette dans laquelle doit souffler un ange et qui doit réveiller les morts qui ressusciteront à ce moment et comparaîtront devant Dieu pour le Jugement dernier. Une trompette gémit dans les créneaux, comme la trompette du jugement (Bertrand, Gaspard,1841, p. 219). − P. méton.
Œuvre d'art représentant la scène du Jugement dernier. Vu l'église Saint-Seurin. Tours romanes. Porche latéral couvert, récent; le dessous est un Jugement dernier, médiocrement sculpté (Michelet, Journal,1835, p. 181).L'école des Beaux-Arts où je vis, par une porte entr'ouverte, une copie du Jugement dernier de Michel-Ange peinte par Sigalon (France, Pt Pierre,1918, p. 171). 3. Jugement (particulier). Comparution de l'âme aussitôt après la mort devant Dieu considéré comme son Juge. Des scènes variées (...), le jugement de l'âme et le pesage des actions du mort dans la balance suprême (...) ornaient les piliers et la salle (Gautier, Rom. momie,1858, p. 169).La mort ne recelait aucun mystère. Elle était, comme disait le catéchisme, « la séparation de l'âme d'avec le corps », sa comparution en « jugement particulier », devant le « tribunal de Dieu » (Malègue, Augustin, t. 2, 1933, p. 353).V. cynocéphale II ex.; voir Valéry, Variété IV, 1938, p. 22 : 10. Si l'Église anglicane, qui renferme de si grandes lumières, a gardé le silence jusqu'à présent, c'est qu'elle se trouve placée dans la pénible alternative, ou d'approuver une société [la société biblique] qui l'attaque dans ses fondements, ou d'abjurer le dogme insensé et cependant fondamental du Protestantisme, le jugement particulier.
J. de Maistre, Soirées St-Pétersbourg, t. 2, 1821, p. 344. D. − Démarche intellectuelle par laquelle on se forme une opinion et on l'émet; résultat de cette démarche. Porter un jugement. 1. PHILOS. Action de juger; résultat de l'action. Jugement analogique, existentiel. Puisque toute proposition est l'énoncé d'un jugement, et que tout jugement consiste à sentir qu'une idée existe dans notre esprit et qu'une autre idée existe dans celle-là, il faut nécessairement que le signe unique qui exprime une proposition, renferme au moins deux autres signes; l'un représentant une idée existante par elle-même, et l'autre représentant une autre idée comme n'existant que dans la première (Destutt de Tr., Idéol. 2,1803, p. 55).La raison est toujours proposition ou jugement, puisqu'elle implique la distinction et l'union d'un sujet et d'un attribut (Renouvier, Essais crit. gén., 2eessai, 1864, p. xvi).V. juger ex. 8 : 11. L'expérience n'étant en effet qu'un jugement, elle exige nécessairement comparaison entre deux choses, et ce qui est intentionnel ou actif dans l'expérience, c'est réellement la comparaison que l'esprit veut faire.
C. Bernard, Ét. méd. exp.,1865, p. 19. − Jugement synthétique. ,,... dans les jugements synthétiques, (...) l'attribut n'est pas contenu dans le sujet, et une analyse de celui-ci ne peut pas faire découvrir la vérité ou la fausseté du jugement : Pierre est debout. On ne peut déterminer si cette proposition est vraie ou fausse qu'a posteriori, c'est-à-dire en faisant appel à l'expérience, en regardant l'attitude réelle de Pierre`` (Foulq.-St-Jean 1962). Chaque fois qu'intervient l'opération du jugement synthétique, l'esprit saisit, par la contemplation directe de l'objet, de nouvelles propriétés qui lui appartiennent (Cournot, Fond. connaiss.,1851, p. 395). 2. Avis, opinion, sentiment que quelqu'un a ou donne sur quelqu'un ou sur quelque chose. Jugement du lecteur; jugement sûr; suspendre son jugement. Votre jugement sur la personne de Michelet − qui est celui de tout le monde, du reste − est faux (Flaub., Corresp.,1864, p. 19).M. Pichon au lieu de s'élever à un jugement serein sur les choses marocaines se fait l'instrument des rancunes d'une diplomatie imprévoyante et déçue (Jaurès, Eur. incert.,1914, p. 192): 12. Le jugement porté vient presque toujours de la connaissance que l'esprit vif a des tempéraments. Quelques secondes après, le jugement physiognomonique modifie cet aperçu. Au bout de quelques minutes, il est bouleversé à son tour par les jugements qui résultent en foule des mouvements qu'il observe. Ra-phaël s'occupait sans cesse des nuances qui influent sur les deux premiers jugements.
Stendhal, Hist. peint. Ital., t. 2, 1817, p. 47. − Au fig. Le jugement de l'histoire. Appréciation des faits, de la conduite des hommes, des événements de l'histoire faite avec le recul du temps, les passions étant supposées être apaisées et le maximum d'éléments, de documents, étant réunis. V. anticiper ex. 9 : 13. Capitaine, votre tort est d'avoir cru qu'on pouvait ressusciter le passé, et vous avez lutté contre le progrès nécessaire. Ce fut une de ces erreurs que les uns admirent, que les autres blâment, dont Dieu seul est juge et que la raison humaine doit absoudre. Celui qui se trompe dans une intention qu'il croit bonne, on peut le combattre, on ne cesse pas de l'estimer. Votre erreur est de celles qui n'excluent pas l'admiration, et votre nom n'a rien à redouter des jugements de l'histoire. Elle aime les héroïques folies, tout en condamnant les résultats qu'elles entraînent.
Verne, Île myst.,1874, p. 573. 3. Avis favorable ou défavorable, opinion personnelle portant approbation ou condamnation que l'on porte, en l'exprimant ou non, sur quelqu'un, sur quelque chose. Jugement téméraire. Le testament est inattaquable, mais un procès ferait du bruit qu'il (...) conviendra peut-être d'éviter. Le monde a souvent des jugements malveillants (Maupass., Bel-Ami,1885, p. 318).« Ne jugez point. » Tout jugement porte en soi le témoignage de notre faiblesse. Pour moi, les jugements qu'il me faut porter quelquefois sur les choses sont aussi flottants que les émotions qu'ils soulèvent (Gide, Journal,1892, p. 31): 14. Nous nous jugeons suivant le jugement des hommes, au lieu de nous juger suivant le jugement du ciel. Dieu est le seul miroir dans lequel on puisse se connaître; dans tous les autres on ne fait que se voir.
Joubert, Pensées, t. 1, 1824, p. 112. − Jugement de valeur; jugement de réalité. Il est clair en effet qu'on ne peut faire reposer un jugement de valeur sur un jugement de réalité et que si l'on juge le caractère « héroïque ou ignoble » d'un homme, cela ne peut se faire que par référence à une norme transcendante (Lacroix, Marxisme, existent., personn.,1949, p. 45): 15. C'est plus que jamais le mot de Pascal : « Tout le monde fait le Dieu en jugeant : cela est bon ou mauvais. » On oublie qu'un jugement de valeur n'a de raison d'être que comme la préparation d'un acte et de sens seulement par rapport à un système de références morales, délibérément accepté.
M. Bloch, Apol. pour hist.,1944, p. 70. SYNT. Fonder un jugement; soumettre au jugement; jugement humain; jugement faux, moral, personnel; jugement littéraire. E. − [Sans compl.; emploi abs.] Qualité de l'esprit, faculté intellectuelle qui porte à bien juger, à porter des appréciations sages, des jugements sains, pleins de discernement, d'équité et de bon sens. Former son jugement; rectitude de jugement. Les lettres de ce prince (...) étaient pleines de sens, montraient du jugement et des connaissances militaires (Chateaubr., Mém., t. 3, 1848, p. 199).La débilité mentale est caractérisée par une insuffisance portant sur les qualités intellectuelles, principalement sur le jugement (Codet, Psych.,1926, p. 30): 16. ... j'ai (...) à vous louer de l'attitude sage, ferme et courageuse que vous venez d'avoir il y a un instant. Vous êtes un homme de jugement. Je vais utiliser votre énergie et votre sens pratique.
Billy, Introïbo,1939, p. 158. SYNT. Erreur, fausseté de jugement; liberté de jugement; jugement du public; émettre, fonder, formuler un jugement; fausser le jugement; souscrire au jugement; jugement défavorable, équitable, favorable, impartial, naturel, sain, sûr. Prononc. et Orth. : [ʒyʒmɑ
̃]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. 1. a) Ca 1100 « sentence prononcée par un tribunal ou un juge » (Roland, éd. J. Bédier, 482); b) début xiies. « jugement par lequel Dieu jugera les vivants et les morts, à la fin du monde » (St Brendan, éd. E. G. R. Waters, 1565); 2. a) ca 1165 « appréciation, approbation ou condamnation non juridique » (Benoît de Ste-Maure, Troie, 6425 ds T.-L.); b) 1remoitié xves. « avis » (Charles d'Orléans, Ballade, LX ds
Œuvres, éd. P. Champion, p. 85, 23); 3. 1370-72 « faculté de l'esprit qui compare et qui juge » (Oresme, Éthiques, éd. A. D. Menut, p. 365); 4. 1637 « décision mentale par laquelle le contenu d'une assertion est posé à titre de vérité; cette assertion elle-même » (Descartes, Discours de la Méthode, seconde partie ds
Œuvres, éd. F. Alquié, t. 1, p. 586). Dér. de juger*; suff. -ment1*. Fréq. abs. littér. : 6 592. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 14 197, b) 6 303; xxes. : a) 5 152, b) 9 444. Bbg. Le Goffic (P.). L'Assertion ds la grammaire et la logique de Port-Royal. Colloque du Centre de Rech. Ling. et Sémiologiques de Lyon. 1977. 20-22 mai. Lyon. Lyon, 1978, pp. 238-239. - Quem. DDL t. 11. |