| JETON, subst. masc. A. − 1. Pièce plate (de métal ou d'une autre matière), le plus souvent ronde, utilisée autrefois pour compter. Le mineur (...) peut à chaque instant se rendre compte, à l'aide du jeton (...) du gain qu'il a réalisé, sans attendre le jour de paye où il rend ses jetons en échange du numéraire (Haton de La Goupillière, Exploitation mines,1905, p. 379). a) En partic. Jeton (de présence) − Pièce de métal que l'on remettait lors d'une séance, d'une assemblée, aux personnes présentes, et qui leur permettait de toucher une indemnité. Je suis de deux commissions de l'Académie, je ne manque pas une séance, je figure à tous les enterrements, et même, l'été, je n'accepte aucune invitation de campagne pour ne pas perdre un seul jeton (A. Daudet, Immortel,1888, p. 41). − P. méton. ,,Somme fixe allouée annuellement aux administrateurs de sociétés anonymes et de certaines compagnies, en rémunération de leurs fonctions`` (Jur. 1971). Les jetons de présence (...) lui permettaient [au baron] de vivre à l'aise (Carco, Montmartre,1938, p. 234): 1. Pourquoi ne poursuivait-on pas aussi les administrateurs (...) qui, outre leurs cinquante mille francs de jetons de présence, touchaient le dix pour cent sur les bénéfices, et qui avaient trempé dans tous les tripotages?
Zola, Argent,1891, p. 411. b) Expressions − Faux comme un jeton. [P. all. à certains jetons ayant l'apparence des pièces de monnaie] Sans valeur, fallacieux, hypocrite. Peu après notre bon jeune homme plante là sa muse, et je n'ai pas le courage de l'en blâmer. Il écrit alors, lui qui n'a rien vu, quelque roman brutal et répugnant, d'ailleurs faux comme un jeton, qui a parfois deux éditions (Lemaitre, Contemp.,1885, p. 115). − Fam. Faux jeton. Personne hypocrite et fourbe. Hilaire pardi! Un faux jeton! Un traître! Il ne songe qu'à me détruire! (Arnoux, Crimes innoc.,1952, p. 170). ♦ Emploi adj. Il était un peu faux jeton sur les bords, votre jules (Queneau, Zazie,1959, p. 233). − Pop. et péj. Vieux jeton. Vieillard méchant et rétrograde. Je lui aurais dit que les chemises et les chaussettes de mes types n'arrivaient pas à ce total-là, et que je ne voulais pas leur faire grâce d'une demi-livre... (...) y a que comme ça que tu le possèdes, le vieux jeton! (Vercel, Cap. Conan,1934, p. 93).Le général de Montanterre a bu « à la gloire et à la femme... » vieux jeton! Sa voix criarde sonnait de plus en plus faux dans le silence (Bernanos, Mauv. rêve,1948, p. 959). 2. Pièce analogue utilisée pour faire fonctionner certains appareils publics, ou pour indiquer un ordre dans une file d'attente ou encore pour marquer et payer au jeu. Jeton de téléphone, de distributeur automatique. Des voyous, debout près du mur, s'essayaient à lancer les billes des appareils à jetons (Carco, Jésus-la-Caille,1914, p. 12): 2. Allons, capitaine, nous vous attendons! Escartefigue se décide soudain. Il prend une carte, lève le bras pour la jeter sur le tapis, (...) (à César). Ils ont trente-deux et nous, combien nous avons? César jette un coup d'œil sur les jetons [it. ds le texte] en os qui sont près de lui, sur le tapis. césar : Trente.
Pagnol, Marius,1931, III, 1ertabl., 1, p. 154. 3. Vieilli et fam. Pièce de monnaie. Là, ils jouèrent à l'appareil à sous, et gagnèrent. Pour six sous, ils eurent leurs deux cafés, leurs croissants, et même Edmond remit un jeton de deux sous dans sa poche (Aragon, Beaux quart.,1936, p. 363): 3. J'achète un mark (qui vaut trois jetons de cinquante centimes); il en circule encore quelques-uns dans le pays − mais les indigènes ne les apprécient guère, car ils ne peuvent servir pour le paiement de l'impôt.
Gide, Retour, Tchad,1928, p. 873. B. − Populaire 1. Coup (de poing), gifle. Loulou le boxeur avait tellement morflé de jetons sur le ring que sa vieille avait le trac qu'il devienne aveugle (Le BretonArgot1975). 2. Loc. verb. ♦ Avoir les jetons. Avoir peur : 4. Il regarda ses ongles et ajouta d'un air détaché − Ce qu'il y a de marrant c'est que j'ai eu les jetons tout de même.
Ivich eut un haut-le-corps :
− Mais à cause de quoi?
− Je ne sais pas. Du bruit peut-être.
Sartre, Mort ds âme,1949, p. 62. ♦ Coller, flanquer, foutre les jetons à qqn. Faire peur à. − Mais tu ne t'es pas aperçu qu'on te suivait pour découvrir mon adresse... − Merde, tu me fous les jetons... (Vailland, Drôle de jeu,1945, p. 218). C. − Argot 1. ,,Type, typesse`` (Esn. 1966). 2. Loc. verb. Prendre, se payer, se taper un jeton (de mate). ,,Être le spectateur, fortuit ou non, d'une scène érotique`` (Esn. 1966). Remarquant notre attention [aux gémissements de la chambre voisine], le gros [le patron de la maison] a proposé : − Vous voulez prendre le jeton, peut-être? Celui-là, c'est un beau! (Simonin, Touchez pas au grisbi,1953, p. 167). Prononc. et Orth. : [ʒ(ə)tɔ
̃]. Ac. 1694 et 1718 : jetton; dep. 1740 : jeton. Étymol. et Hist. A. 1. a) 1221-50 « branche, lignée » (De Renart et de Piaudaue, 49, éd. P. Chabaille, Suppl. Renart, éd. Méon, p. 41); b) fin xiiies. gaiton « pousse d'un arbre » (Renart, var. ms. Cangé, éd. M. Roques, X, 10182); 2. xiiies. « nouvel essaim » (cf. R. Lang. rom. t. 37, p. 434) cf. aussi en 1328 (Compte de Odart de Laigny, Arch. KK 3a fo56 vods Gdf.); 3. 1905 « type, individu » (Arg. des souteneurs d'apr. Esn.). B. 1. 1394 « pièce de métal ou d'ivoire dont on se servait pour calculer » (A.N. JJ 146 pièce 185 ds Gdf. Compl.); 2. a) 1685 « pièce qu'on donne à un membre d'une société (l'Académie Française) pour attester sa présence à une séance » (Furetière, Factum contre quelques uns de l'Académie, II, 248 ds Littré); b) 1846 « gratification accordée au membre d'une société (l'Académie) pour rétribuer sa participation à une séance ou assemblée » (Besch.); 3. 1690 « pièce de métal ou d'ivoire servant à marquer au jeu » (Fur.); 4. 1808 par allusion à la valeur fictive des jetons et à leur utilisation comme fausses pièces de monnaie (Hautel t. 2 : Faux comme un jeton. Se dit d'un fourbe, d'un hypocrite, d'un imposteur). C. 1884 « coup » (d'apr. Chautard, p. 186). D. 1916 avoir les jetons (2eInf., Col. ds Esn.) peut-être d'apr. jeter « faire, jaillir, sortir de soi » cf. faire dans ses frocs « avoir peur » (froc* B) ou par association d'idée avec le précédent. E. [1880 d'apr. Cellard-Rey 1980] début xxes. (Carabelli : avoir un jeton − de voyeur −); 1928 (Lacassagne, Devaux, Arg. « milieu », p. 116 : Donner un coup de jeton, donner un coup d'œil − Avoir du jeton faire « le voyeur »), peut-être d'apr. le sens de « représentation, valeur fictive de quelque chose » de jeton ou d'apr. jeter un coup d'œil avec allusion à un jeton donnant accès à un spectacle payant. Dér. de jeter*; suff. -on1*. Fréq. abs. littér. : 113. Bbg. Chautard (É.). La Vie étrange de l'arg. Paris, 1931, p. 186, 652. - Dauzat Ling. fr. 1946, p. 13. - Quem. DDL t. 11. |