| INSTRUMENT, subst. masc. I. − [Désignant une chose concr. permettant d'agir sur le monde phys.] A. − 1. Objet fabriqué en vue d'une utilisation particulière pour faire ou créer quelque chose, pour exécuter ou favoriser une opération (dans une technique, un art, une science). Les imperfections inhérentes à notre organisation intellectuelle ou aux instruments artificiels dont l'intelligence dispose (Cournot, Fond. connaiss.,1851, p. 605).Grâce aux étonnantes propriétés de l'« artificiel » qui, séparant l'instrument de l'organe, permet au même être d'intensifier et de varier indéfiniment les modalités de son action sans rien perdre de sa liberté (Teilhard de Ch., Phénom. hum.,1955, p. 318): 1. L'homme s'est ingénié dès l'origine à résoudre le problème du transport et de la circulation. Il s'est servi d'abord pour cela des moyens que lui offrait son propre corps. Une première cause de diversités fut l'adaptation de ce corps aux instruments qui furent inventés pour lui servir d'auxiliaires.
Vidal de La Bl., Princ. géogr. hum.,1921, p. 217. ♦ P. anal. Pour traduire des effets incompris ou jugés impossibles à peindre jusqu'alors, M. Degas a dû se fabriquer un instrument tout à la fois ténu et large, flexible et ferme (Huysmans, Art mod.,1883, p. 137): 2. En fait, l'outil que les mains d'Hindenburg et de Ludendorff maniaient au printemps de 1918 apparaissait par son matériel et l'instruction de la troupe comme un instrument de combat dont la mise au point et la trempe ne laissaient rien à désirer.
Foch, Mém., t. 2, 1929, p. 6. SYNT. Instrument commode, utile; instrument contondant, piquant, tranchant; instrument en fer, de fer, d'acier, de cuivre; faire, forger un instrument; manier, utiliser un instrument; se servir d'un instrument; instruments de travail, de production; instruments de couture, de cuisine; instruments de guerre. − En partic. [P. oppos. à outil considéré comme plus simple ou d'un usage moins relevé, et à appareil ou à machine considérés comme plus complexes] Une caisse assortie de tous les outils d'horlogerie, et autres, pour réparer les instrumens, à l'usage de l'horloger embarqué pour l'expédition (Voy. La Pérouse,t. 1, 1797, p. 248).Saruilles abandonna tout instrument à traction, charrue, herse ou rouleau, et s'en tint à l'outil de fil ardent, dont le mordant diminue l'effort de l'homme (Pesquidoux, Livre raison,1928, p. 101): 3. ... il n'y a point de technique s'il n'y a outil, instrument ou machine; mais ces objets, fabriqués de façon à régler l'action, et qui sont comme des méthodes solidifiées, ne font pas eux-mêmes la technique, qui est un genre de pensée.
Alain, Propos,1930, p. 954. SYNT. Instruments aratoires, agricoles; instruments d'agriculture; instruments de chasse, de pêche, pour la pêche; instruments chirurgicaux, de chirurgie; instruments de supplice, de torture; les instruments du culte; instruments de dessin, de chimie, de mathématiques, de physique; instruments optiques, d'optique; instruments astronomiques, d'astronomie; instruments horaires; instruments méridiens; instruments d'analyse, d'observation, d'expérimentation, de précision, de mesure. ♦ MAR., absol. Instrument. Instrument à réflexion. Les marins au long cours ont des cercles de réflexion, des sextans ou des octans, qui leur servent à prendre la hauteur des astres au dessus de l'horizon, et à mesurer des distances de la lune au soleil, etc., etc. Ils disent de ces instrumens à réflexion, indifféremment : mon instrument, mon instrument est bon, mon instrument est de tel artiste, mon instrument est bien rectifié (Will.1831). ♦ Instruments de bord. Ensemble de dispositifs groupés sur le tableau de bord (d'une voiture, d'un bateau, d'un avion) et permettant au conducteur ou au pilote de contrôler le bon fonctionnement de son appareil. Je vais m'occuper moi-même des cartes, des instructions nautiques et des instruments de bord (Peisson, Parti Liverpool,1932, p. 23).AÉRON. Pilotage, vol aux instruments. Pilotage, vol effectué en l'absence de repères visibles, à l'aide des instruments de navigation existant à bord. Quant à 1927, on peut dire que c'est l'année de l'Atlantique : Nungesser et Coli disparaissent, ayant échoué de peu sans doute, le 8 mai. Quelques jours plus tard, Lindbergh va réussir, à bord du Spirit of St Louis que lui a construit Ryan. C'est un nouveau triomphe du pilotage aux instruments (Encyclop. Univ.,t. 2, 1968, p. 946). 2. P. anal. Produit de création naturelle employé à une certaine fin, organe propre à remplir une fonction déterminée. Instrument organique; instrument de la manducation, de la marche. Certains organes ne sont que des produits, que des instruments créés par l'organisme; ainsi les os, les dents, les milieux de l'œil sont des instruments que l'individu conserve toute sa vie et qui ne se renouvellent plus (Cl. Bernard, Princ. méd. exp.,1875, p. 240).Si l'instinct, est, par excellence, la faculté d'utiliser un instrument naturel organisé, il doit envelopper la connaissance innée (virtuelle ou inconsciente, il est vrai) et de cet instrument et de l'objet auquel il s'applique (Bergson, Évol. créatr.,1907, p. 151). − ÉCON. ,,Instruments naturels de l'industrie, les matières et les forces que la nature fournit gratuitement à l'homme, par opposition aux instruments artificiels`` (Littré). Je tombe d'accord que la terre est un instrument; mais quel en est l'ouvrier? Est-ce le propriétaire? (Proudhon, Propriété,1840, p. 251). 3. P. ext. [Avec insistance sur l'effet, l'idée de la finalité propre à l'obj. étant absente ou secondaire] Chose naturelle ou artificielle utilisée pour produire un effet matériel ou susceptible de le produire. Un instrument dangereux. Ceux qui sont bien connus, dans la basse pègre de Paris, pour se servir de cet instrument de crime [un os de mouton] (G. Leroux, Myst. ch. jaune,1907, p. 28).Il s'était injecté une dose foudroyante de son poison habituel. Il avait eu la force de remettre à sa place l'instrument de mort (Bourget, Sens mort,1915, p. 300). − RELIG. Les Instruments de la Passion. Ensemble des objets utilisés dans la Passion du Christ. Reliques des instruments de la Passion. La pointe des mâts dépassant le bord du quai, hissait des croix, quelques-unes d'un travail fervent de dévot qui en escompte son salut; tous les instruments de la passion y figuraient : la couronne d'épines, le marteau, les clous, la lance et l'éponge au bout du roseau (Hamp, Marée,1908, p. 10). B. − Instrument de musique, ou absol. instrument. Objet entièrement construit ou préparé à partir d'un autre objet naturel ou artificiel, conçu pour produire des sons et servir de moyen d'expression au compositeur et à l'interprète. Les instruments ne jouaient même plus ensemble. Le cor avait manqué son entrée et pris une mesure trop tard; il continua cinq minutes, puis s'arrêta tranquillement pour vider son instrument (Rolland, J.-Chr., Révolte, 1907, p. 504).Il faut souligner que le xixesiècle a vu surgir de nouveaux instruments de musique, notamment les sax, les tubas de Verdi, et se répandre l'utilisation de métaux dans la construction des flûtes et instruments à vent (Hist. gén. sc.,t. 3, vol. 1, 1961, p. 200): 4. Les sons appartiennent à tous, ils sont à la merci de tous. Que l'on heurte le clavier, et la mécanique travaille. Les cordes, frappées du marteau ou grattées par la plume, se prennent toujours à vibrer. Mais que Cécile pose les mains sur les touches de l'instrument et ce que l'on entend, ce n'est pas un son, c'est, dirait-on, l'âme même de Cécile.
Duhamel, Cécile,1938, p. 222. ♦ P. métaph. : 5. Grammairien-poète [Malherbe], sa tâche avant tout était de réparer et de monter, en artiste habile, l'instrument dont Corneille devait tirer des accords sublimes et Racine des accords mélodieux...
Sainte-Beuve, Tabl. poés. fr.,1828, p. 161. SYNT. Bon, bel instrument; instrument harmonieux, mauvais instrument; son, timbre d'un instrument; jouer d'un instrument, sur un instrument; accorder son instrument; instruments savants, instruments ethniques; instruments d'orchestre; instruments de jazz; instruments d'accompagnement; concert d'instruments; instruments à cordes, à vent (de bois, de cuivre), à percussion; instruments à clavier, à archet, à anche(s), à embouchure; instruments mécaniques, électriques (électroniques). − P. anal. Instrument vocal. La voix comme organe de la parole ou du chant. L'instrument vocal des oiseaux est un tube, à l'embouchure duquel est une anche membraneuse (Cuvier, Anat. comp., t. 4, 1805, p. 455).Lorsque la voix est formée (technique vocale) et que, par une suite d'études ou exercices d'assouplissement de l'instrument vocal, elle a acquis toute sa souplesse (virtuosité) alors seulement le chanteur peut y ajouter les paroles avec les difficultés nouvelles qu'elles apportent (Arts et litt.,1935, p. 36-11). II. − Au fig. A. − Moyen, agent, intermédiaire servant à atteindre une fin : 6. Nous n'avons rien que les sentiments que nous ont donnés les choses; pour le don desquels nous ont été prêtées les choses. Les choses, les êtres ne nous sont qu'un moyen, qu'un instrument d'émotion.
Gide, Feuillets,1893, p. 46. 1. [Désignant une chose] Pour les âmes bien nées, la richesse n'était qu'un instrument, un point d'appui : il n'appartenait qu'au vulgaire de la considérer comme le but suprême de la destinée humaine (Sandeau, Sacs,1851, p. 33).Le savoir théorique se décompose en théories partielles, instruments indispensables, et souvent admirables, − mais instruments qui se prennent, qui se laissent, qui ne valent que par la commodité et la fécondité plus ou moins provisoires de leur emploi (Valéry, Variété V,1944, p. 60): 7. ... d'un maniement extrêmement délicat, il est [le chiffre], comme la langue, la pire ou la meilleure des choses. On peut, en toute innocence, lui faire dire ce qu'il ne dit pas. On peut, très consciencieusement et très volontairement, en faire cet instrument du suprême mensonge que raillait Disraëli.
Salleron, Comment informer,1965, p. 32. SYNT. Instrument puissant; instrument intellectuel, logique; instruments culturels; instrument de pensée; instrument d'action, de communication, d'échange, de connaissance, de recherche; instrument de puissance, de règne, de politique, de propagande, de conquête, de domination, d'oppression, de tyrannie; instrument de liberté, de plaisir. ♦ RELIG. Instrument de paix. ,,Objet avec lequel on donne la paix en le faisant baiser aux fidèles`` (Marcel 1938). 2. [Désignant une pers.] Être l'instrument de Dieu, de la Providence, du destin, du pouvoir; être l'instrument des passions, de la vengeance de qqn. Tu as cessé d'être l'instrument de la grâce; mais en cessant d'en être l'instrument, tu en es devenu l'objet, et tu lui sers toujours de témoignage (Saint-Martin, Homme désir,1790, p. 385).Il y avait là une exigence élémentaire dont, pour être le symbole, je ne me sentais pas moins l'instrument et le serviteur (De Gaulle, Mém. guerre,1956, p. 123): 8. C'est en vain qu'il [l'homme] se prendrait pour l'instrument d'on ne sait quel dessein et qu'il se flatterait de servir des fins qui le transcendent. Il ne prépare rien, il ne prolonge rien, il ne se relie à rien.
J. Rostand, La Vie et ses probl.,1939, p. 204. − En partic. [Avec insistance sur l'idée d'abolition de la volonté, de l'autonomie personnelle] Être un instrument au service de qqn; n'être qu'un instrument, un simple instrument, un instrument aveugle, docile, passif. Serviles instruments de coupables projets, De ce nouveau tyran sommes-nous les sujets? (Lamart., T. Louverture,1850, I, 4, p. 1277).Et voilà qu'on n'en peut plus de n'exister pas par soi, de n'être toujours qu'un instrument aux mains de maîtres inconnus, de faire écho à leur sottise (Guéhenno, Journal « Révol. »,1938, p. 183): 9. [Suivant Ruskin] vous ne pouvez obtenir dans aucun domaine collectif la perfection sans réduire l'homme à l'état de machine (...). C'est un agent, et du fait même qu'il ne sort en rien de sa fonction d'agent, dépend la perfection cherchée. Autrement dit, il devient impossible de ne pas lui dénier cette valeur de fin, faute de laquelle l'homme se ravale aussitôt à l'instrument.
Du Bos, Journal,1923, p. 390. 3. Loc. Par l'instrument de. Par le moyen, par l'intermédiaire de. Vous avez cru qu'une alliance entre nos couronnes, par l'instrument du prince votre fils, et de moi, pouvait être faite pour le grand bien de ces couronnes (Montherl., Reine morte,1942, p. 137).Les doctrines d'Épicure, de Spinoza, de Schopenhauer et de Kant nous font respectivement accéder à cet être universel par l'instrument de la sensation ou de l'entendement, de l'intuition mystique ou de la raison pure (J. Vuillemin, Essai signif. mort,1949, p. 76). 4. GRAMM. Complément d'instrument. Complément indiquant l'instrument (chose ou personne) par lequel s'accomplit l'action exprimée. Cf. l'ex. de Grev. 1969 § 200 : il le perça de sa lance. B. − DR. Acte juridique rédigé en forme légale servant à établir un droit, une obligation, une convention. Instrument authentique; l'instrument du mariage; les instruments d'un traité. Qu'est-ce qui a empêché la constitution de 1946, dépouillant peu à peu ses apparences, d'être l'instrument juridique de la démocratie nouvelle? (Vedel, Dr. constit.,1949, p. 582).La plupart des instruments diplomatiques prévoient (...) des procédures de consultation préalables à toute action commune, destinée à restaurer la sécurité (Billotte, Consid. strat.,1957, p. 4209). − Instrument de ratification. ,,Lettre par laquelle le chef de l'État ou l'autorité compétente confirme la signature que son plénipotentiaire a apposée au bas d'un document valant accord avec un pays étranger`` (Admin. 1972). Prononc. et Orth. : [ε
̃stʀymɑ
̃]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. 1. 1119 estrument « objet fabriqué (outil, machine, appareil...) dont on se sert pour une opération » (Ph. de Thaon, Comput, 1373 ds T.-L., s.v. estrument); 1365 instrument (N. Oresme, Traité des Monnoies, éd. M. L. Wolowski, p. xx : Monnoie est l'égal instrument à permuer les Richesses naturelles d'entre les hommes); 2. ca 1140 estrument « instrument de musique » (G. Gaimar, Hist. des Anglais, éd. A. Bell, 1997); 1375-79 instrumens de musique (J. de Brie, Bon Berger, 85 ds T.-L.); 3. 1265 dr. estrumanz (Liv. de jost. 15 ds Littré); 2emoitié du xives. instrumens (Dialogues fr.-flam. D 2b ds T.-L.); 4. ca 1485 « personne ou chose qui sert à parvenir à quelque fin » (Myst. V. Testament, éd. J. de Rothschild, 24950 : j'estoys l'instrument que Dieu, par son entendement Faisoit mouvoir pour son plaisir). Empr. au lat.instrumentum « mobilier, ameublement matériel, outillage », dér. de instruere, v. instruire. Fréq. abs. littér. : 4 208. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 6 568, b) 5 310; xxes. : a) 4 855, b) 6 526. Bbg. Dub. Pol. 1962, p. 324. - Keys (A.C.). Jouer d'un instrument. In : [Mél. Harmer (L.C.)]. 1970, pp. 53-64. - Lévy (R.). Contribution à la lexicogr. fr. selon d'anc. textes d'orig. juive. Syracuse, 1960, pp. 337-340. |