| INSPIRER, verbe trans. I. A. − Domaine relig. 1. [Le suj. désigne Dieu ou une divinité] Animer, éclairer, conduire par une action surnaturelle sur l'intelligence et la volonté. Écrivez lentement; parlez à Dieu que vous savez présent; écrivez ce que vous lui dites; priez-le de vous inspirer, de vous dicter ses volontés; de vous mouvoir de ces mouvements intérieurs, purs, délicats et simples, qui sont sa touche, qui sont sa voix (Dupanloup, Journal,1851, p. 138).Les écrivains du temps sont des légistes que l'esprit des dieux inspire quand ils psalmodient, en prose rythmée, les versets de la sainte loi (Faure, Espr. formes,1927, p. 22). 2. P. anal. et fam. Être bien/mal inspiré (de). Avoir la bonne/mauvaise idée (de). Déjà je faisais comprendre par un signe à mon ami que nous serions bien inspirés de ne pas insister, mais mon ami, qui tenait évidemment à entrer dans cette auberge, se glissa sous l'épaule de l'homme et fut dans la salle (G. Leroux, Myst. ch. jaune,1907, p. 48): 1. Si vous êtes assez mal inspirés et assez obstinés dans votre erreur pour lui imposer une république de parti et un pavillon de terreur, le gouvernement, je le sais, est aussi décidé que moi-même à mourir plutôt que de se déshonorer en vous obéissant.
Recueils textes hist.,1848-49, p. 282. B. − Domaine littér. ou artist. 1. Inspirer qqn.Donner, communiquer à un poète, à un artiste, l'inspiration, l'impulsion créatrice. Je finis maintenant le siège de Carthage et je vais arriver à la grillade des moutards. Ô Bandolle, toi qui les noyais dans l'étang, inspire-moi! (Flaub., Corresp.,1861, p. 273).Je demeure anxieux devant la page blanche, (...) Et le cœur tout rempli d'un singulier émoi, Je dis : « Du haut du ciel, ma tante, inspire-moi! » (Ponchon, Muse cabaret,1920, p. 274): 2. ... Hamann rend au mot génie toute sa portée : le démon socratique, le génie qui inspire Homère ou Shakespeare, c'est en vain qu'on a voulu le définir par telle ou telle combinaison de facultés : il est indéfinissable, rebelle à toute explication rationnelle.
Béguin, Âme romant.,1939, p. 53. 2. Inspirer qqc. à qqn.Conduire à une œuvre, à un thème en éveillant l'inspiration. Vous avez, à ce qu'il paraît, la plus jolie Marguerite qu'il y ait, elle vous inspire une poésie exquise et vraie qui remplit vos lettres (Hugo, Corresp.,1862, p. 426).Sa grâce ironique, sa franchise d'expression devraient lui inspirer des sujets nouveaux (Arts et litt.,1936, p. 34-7).On m'a cité le cas d'un couple qui n'eût pas manqué d'inspirer à Maupassant une de ces nouvelles courtes et sombres dont il avait le secret (Fargue, Piéton Paris,1939, p. 213). 3. Emploi pronom. [Le suj. désigne un artiste, une œuvre] Tirer son inspiration de, emprunter des idées, des thèmes à. S'inspirer des anciens. Mais nous insistons sur la composition littéraire, dont le musicien a le devoir de s'inspirer (Potiron, Mus. église,1945, p. 115): 3. L'ensemble de la composition se plie aux mêmes directives : en bas, elle se dispose sur le sol et y range la foule des personnages terrestres; en haut, elle s'inspire de l'arc de la bordure, qui semble se concentrer dans le demi-cercle enveloppant le Christ, la Vierge et saint Jean.
Huyghe, Dialog. avec visible,1955, p. 224. C. − Domaine psychol. 1. [Le compl. d'obj. dir. désigne la pers. ou le comportement de la pers. concernée] a) [Le compl d'obj. dir. désigne la pers. concernée]
α) [Le suj. désigne une pers.] Exercer une action, une influence sur quelqu'un. La mort du jeune duc de Bourgogne avait dispersé un petit groupe, qu'inspiraient Fénelon, Saint-Simon, Boulainvilliers (Bainville, Hist. Fr., t. 1, 1924, p. 261). ♦ Emploi pronom. Pour comprendre l'esprit et le rôle du Kronprinz, il faut savoir de quelles gens il s'entoure et s'inspire (Barrès, Cahiers, t. 11, 1917, p. 244).
β) [Le suj. désigne un mobile] Faire agir, diriger quelqu'un. J'écouterai mon zèle, il saura m'inspirer (Legouvé, Mort Henri IV,1806, III, 4, p. 383).La ruse délicate de la femme l'inspirait donc mieux que n'eût pu le faire un habile conseil (Sand, Hist. vie, t. 2, 1855, p. 90). b) [Le compl. d'obj. dir. désigne le comportement de la pers. concernée] Suggérer l'attitude, le comportement, les décisions de quelqu'un. Ne cherchez pas à ruser, à biaiser avec ce sentiment humiliant de la supériorité d'autrui. Regardez-le sans rougir. Convenez même qu'il inspire votre conduite (Bernanos, Joie,1929, p. 640).Malgré des siècles d'enseignement économique, nos représentations courantes qui inspirent nos décisions d'action sont grossières et inadéquates (Perroux, Écon. xxes., 1964, p. 132). 2. [Le compl. second. désigne ou peut désigner la pers. concernée] a) [Le suj. désigne un être vivant]
α) [L'obj. dir. désigne un acte, un sentiment] Susciter, faire naître. S'il pouvait inspirer l'amour de ces cultures à quelques naturels du pays, (...) il remplirait (...) le but de bienfaisance que l'on espère de sa mission (Voy. La Pérouse,t. 1, 1797, p. 210).Irez-vous (...) lui inspirer le désir d'égorger son semblable? Le rabaisserez-vous au-dessous de la brute? (Bern. de St-P., Harm. nat.,1814, p. 340). ♦ Vieilli. Inspirer de + inf.Donner l'idée, le goût de. C'est moi qui t'inspirai d'aimer ces vieux piliers (Hugo, Odes et ball.,1828, p. 405).
β) [L'obj. dir. désigne un sentiment qui concerne le suj.] Éveiller chez quelqu'un des sentiments dont on est l'objet. Soupçonner qu'un rival est aimé est déjà bien cruel, mais se voir avouer en détail l'amour qu'il inspire par la femme qu'on adore est sans doute le comble des douleurs (Stendhal, Rouge et Noir,1830, p. 350).Malgré leur misère et l'espèce d'aversion qu'ils inspirent les bohémiens jouissent cependant d'une certaine considération parmi les gens peu éclairés, et ils en sont très vains (Mérimée, Carmen,1847, p. 79).L'oncle Adolphe m'inspire cette admiration qu'il inspire en général à tout le monde (Gyp, Souv. pte fille,1928, p. 161). ♦ Emploi pronom. réciproque. Les faibles y seront trop faibles, les puissants trop puissants et la paix des uns et des autres ne reposera guère que sur la terreur qu'auront su s'inspirer réciproquement les colosses (Maurras, Kiel et Tanger,1914, p. 205). b) [Le suj. désigne la cause, le mobile d'un acte, d'un sentiment] Provoquer, susciter. Mathilde ne pense point que l'amour inspirera un tel dessein au prince (Cottin, Mathilde, t. 1, 1805, p. 305).Une inquiétude d'anciens peuples migrateurs leur inspirait [aux Bédouins] chaque année la nostalgie du désert et les poussait hors des murs des villes pour des razzias profitables (Maurois, Silences Bramble,1918, p. 170): 4. ... je me garderai bien d'insinuer que l'attachement des femmes allemandes à leurs amants français ne leur fût dicté que par l'intérêt. Il fallait qu'il y eût un élan supérieur chez quelques-unes, je le dis tout net, pour leur inspirer la hardiesse inconcevable dont elles témoignèrent.
Ambrière, Gdes vac.,1946, p. 206. ♦ Inspirer de + inf.Pousser quelqu'un à. Bel obstacle que l'ignorance, lorsqu'un sang généreux, à chaque battement du cœur, inspire de tout sacrifier à ce qu'on ne connaît pas! (Bernanos, Soleil Satan,1926, p. 68): 5. Notre régulateur entre ces deux passions opposées est dans notre propre cœur : c'est le sentiment combiné de l'humanité et de la divinité; c'est lui qui nous inspire de faire à autrui ce que nous voudrions qu'on nous fît.
Bern. de St-P., Harm. nat.,1814, p. 313. ♦ Emploi pronom. Une curiosité aussi gratuite n'est sans doute que dérèglement d'esprit. La vôtre s'inspire de mobiles surnaturels (Bernanos, M. Ouine,1943, p. 1466). II. − PHYSIOLOGIE A. − Insuffler, faire pénétrer de l'air dans les poumons de quelqu'un. (Dict. xixeet xxes.). Inspirer de l'air dans les poumons d'un noyé, d'un enfant nouveau-né (Ac.). B. − Faire entrer de l'air dans ses poumons. Le professeur Gréhaut a trouvé que, dans l'air expiré, l'air qui avait été préalablement inspiré par sa bouche, n'avait qu'une température de 33o9 (Baratoux, La Voix,1912, p. 15). − Absol. Pour inspirer facilement (...) abaissez le diaphragme sans secousse et soulevez la poitrine par un mouvement lent et régulier (Garcia, Art chant,1840, p. 10). REM. 1. Inspirant, -ante, adj.[Correspond à I B (supra)] Qui inspire. Créature inspirante. Éveille-toi, ma harpe! et que ta mélodie Descende avec la paix dans mon ame engourdie. Ne me refuse pas tes accords inspirants (Baour-Lormian, Ossian,1827, p. 179).Se résigner au terre à terre, au petit trantran quotidien, se réduire, se diminuer sans fin et sans terme : comme c'est gai et inspirant! (Amiel, Journal,1866, p. 280). 2. Inspiratif, -ive, adj.,synon. de inspirant.L'image n'est plus descriptive, elle est résolument inspirative (Bachelard, Poét. espace,1957, p. 63). Prononc. et Orth. : [ε
̃spiʀe], (il) inspire [ε
̃spi:ʀ]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. A. 1. a) Fin xiies. enspirer « animer (l'homme en lui conférant une âme par son souffle, en parlant de Dieu) » (Sermons St Bernard, 63, 31 ds T.-L.); b) 1530 estre inspiré du Sainct Esprit (Palsgr., p. 591); 1756 subst. l'inspirée « personne qui agit sous l'influence d'une inspiration mystique, etc. » (Voltaire, Mœurs, Proph. ds Littré); c) 1690 estre bien inspiré (Fur.); 2. a) fin du xives. inspirer « insuffler, suggérer » (J. Cuvelier, Chronique de Bertrand Du Guesclin, éd. E. Charrière, 21337); b) 1536 inspirer qqn de « pousser à faire quelque chose » (Roger de Collerye,
Œuvres, 168 ds IGLF); c) 1636 inspirer qqc. à qqn « suggérer une pensée, une action » (Monet); 3. 1553 « faire naître (dans le poète, dans l'artiste) l'enthousiasme créateur » (O. de Magny, Amours, éd. E. Courbet, p. 47); 4. 1604 « faire naître dans l'esprit un sentiment » (A. de Montchrestien, Les Lacenes ds Tragédies, éd. L. Petit de Julleville, p. 166). B. Physiol. a) xves. [date du ms.] « aspirer, faire entrer l'air dans les poumons » (Evrart de Conty, Probl. d'Arist., BN 210, fo166dds Gdf.); b) 1798 inspirer de l'air dans les poumons d'un noyé (Ac.). Du lat. inspirare « souffler dans, communiquer, insuffler, inspirer », cf. l'a. fr. espirer empr. du lat. spirare avec évolution phonét. normale. La forme enspirer est peut-être issue de espirer avec substitution de préf. (FEW t. 4, p. 720). Fréq. abs. littér. : 4 273. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 10 176, b) 4 580; xxes. : a) 3 852, b) 4 718. |