| INDIFFÉRENT, -ENTE, adj. I. − Qui n'est pas concerné; qui n'est pas plus concerné par une chose que par une autre; qui est insensible, détaché. A. − 1. [En parlant d'une pers. ou d'une collectivité] a) Absol. Lecteur, observateur, promeneur, témoin indifférent; monde indifférent; présence indifférente; (ne pas) être, demeurer, rester indifférent (devant qqc.). Il regarde, spectateur indifférent. Il laisse faire (Mussetds Revue des Deux Mondes,1833, p. 734).Au lycée, elle avait paru vivre indifférente et comme absente des menues tragédies qui déchiraient ses compagnes (Mauriac, Th. Desqueyroux,1927, p. 183).Des réverbères centenaires faisaient des ronds dans le brouillard. L'avenue était vide, la ville indifférente (Morand, Homme pressé,1941, p. 129).V. apparence ex. 18; distrait II A ex. de Michelet. Rem. Dans la mesure où différent n'est pas l'anton. de indifférent, l'usage de ce dernier dans une phrase négative est fréq. Le corps social dans son ensemble se trouve informé de tous les aspects d'une difficulté qui ne peut le laisser indifférent (Univ. écon. et soc., 1960, p. 62-12). ♦ Emploi subst. Jusqu'aux chaleureux indécis (...) qui cédaient à cet impérieux besoin de participer qui s'empare des indifférents, des moutonniers (Arnoux, Roi,1956, p. 267).V. convaincu II B 2 ex. de Gide, École femmes : 1. Sensible un instant aux douceurs de l'affection et aux sourires de la destinée, il était froissé des jours, des semaines entières par la maladresse d'un indifférent.
Sand, Hist. vie, t. 4, 1855, p. 442. − En partic.
α) [En matière relig.] J'avais été un fervent chrétien au milieu des désordres de ma jeunesse, et ma famille avait été bouleversée par ma conversion. Je suis devenu indifférent (Larbaud, Barnabooth,1913, p. 348). ♦ Emploi subst. : 2. Il [le Directoire] compta faire beaucoup pour la propagande en imposant le calendrier révolutionnaire et le culte décadaire : ce fut sans succès; car, outre les croyants, il indisposa ainsi les indifférents en troublant leurs habitudes.
Lefebvre, Révol. fr.,1963, p. 501.
β) [Dans le domaine des relations amoureuses] Jean la considérait, par-dessus son épaule. Elle le laissait presque indifférent, presque calme maintenant. À peine songeait-il à l'embrasser (Roy, Bonheur occas.,1945, p. 100). ♦ Emploi subst. J'amenai la conversation sur le caractère des femmes. Chéron vint à me dire qu'il y en avait de trois sortes, les amoureuses, les curieuses et les indifférentes (France, Pierre bl.,1905, p. 314).Le Bel Indifférent [titre] (Cocteau, Théâtre poche,1949, p. 67): 3. Moi, j'aime l'amour, mais j'ai horreur de la sentimenterie. Si j'admire Suzanne, par exemple, c'est seulement parce que j'ai le culte de la beauté. D'ailleurs, j'ai fondé, à Paris, le Club des indifférents.
Duhamel, Suzanne,1941, p. 152. b) [Avec compl. désignant l'objet de l'indifférence]
α) Indifférent à + subst.Indifférent à la fatigue, au ridicule, aux contradictions, aux rumeurs; indifférent à la musique. Il quitta l'appui du balcon et se promena un moment de long en large sur la terrasse, aussi indifférent aux bruits de la fête qu'aurait pu l'être un passant dans la rue (Ponson du Terr., Rocambole, t. 1, 1859, p. 60).Indifférent aux lazzi de ses camarades, Vaton souffrait au contraire de tout mépris émané d'Augustin (Malègue, Augustin, t. 1, 1933, p. 92).Ce libertin [Benjamin Constant] n'a jamais été indifférent à Dieu (Mauriac, Mém. int.,1959, p. 90): 4. ... il l'était [homme de lettres], il le serait jusqu'à sa mort (...) parce qu'il aurait toujours à dire, incapable d'être indifférent au bonheur et au malheur des hommes et de se taire sur la justice et l'injustice.
Guéhenno, Jean-Jacques,1952, p. 198.
β) Indifférent en + subst. (rare).Indifférent en politique jusqu'à ces dernières semaines, je n'ai connu d'autre gouvernement que la République, je n'en ai pas servi d'autre, je n'en vois pas d'autre possible (De Vogüé, Morts,1899, p. 112). 2. [P. méton., en parlant d'un élément du visage, d'une expression, d'une attitude, d'un sentiment, d'une manifestation de l'activité intellectuelle] a) Absol. Qui marque l'indifférence éprouvée par quelqu'un. L'attente continuelle et indifférente de la mort (Vigny, Serv. et grand. milit.,1835, p. 24).La relation de mon corps avec le corps d'autrui est une relation de pure extériorité indifférente (Sartre, Être et Néant,1943, p. 277). SYNT. Geste, regard, sourire, ton, visage indifférent; voix indifférente; lèvres indifférentes; zèle indifférent; brutalité, curiosité, pitié, précision, sérénité, tranquillité indifférente; paroles, remarques indifférentes. − Loc. fig. Voir qqc. d'un œil indifférent. Laisser faire sans réagir. Elle [l'Égypte] verra d'un œil indifférent le dilettante d'Hellas visiter et décrire ses monuments, le parvenu romain les relever (Faure, Hist. art,1909, p. 55). b) [Avec compl. désignant l'objet de l'indifférence] Elle l'a reconnu le Crouïa-Bey, reprit-elle d'une voix indifférente à la teneur des propos qu'elle supportait (Queneau, Pierrot,1942, p. 96). B. − P. anal. Les religions hostiles ou indifférentes dès leur naissance aux images (Arts et litt.,1935, p. 58-5). − Littér. [En parlant d'un élément naturel, d'un objet] ♦ Absol. Ciel, temps indifférent; nature, neige, nuit, terre indifférente. La pluie, seule, tombait très droite, silencieuse, serrée, indifférente comme si, du fond des âges, elle eût choisi, pour y ensevelir sa chute, cette rue banale et endormie (Carco, Homme traqué,1922, p. 41): 5. ... comme si Madrid entière eût répondu par un indifférent tocsin, au-dessus du roulement du canon de la cité universitaire, les horloges de la ville, l'une après l'autre, commencèrent à sonner neuf heures.
Malraux, Espoir,1937, p. 728. ♦ [Avec compl. désignant l'objet de l'indifférence] L'espace jouissait d'être infini, homogène et parfaitement indifférent à tout ce qui se passait dans son auguste sein (Valéry, Variété IV,1938, p. 138).Au-dessus de ces destins éphémères, si sanglants qu'ils nous apparaissent, les grandes constellations brillent indifférentes aux passions criminelles (Mauriac, Journal 3,1940, p. 287). C. − Spécialement 1. BOT. (Essence) qui s'accommode aussi bien d'un sol calcaire que d'un sol siliceux (d'apr. Forest. 1946). 2. CHIMIE a) Qui ne réagit pas, inerte. On dépose [sur le tissu] (...) une pâte indifférente (réserve) qui empêche que dans ces endroits se fixent les couleurs (Ovio, Vision coul.,1932, p. 215). b) Oxyde indifférent. Synon. de amphotère (s.v. amph(i)-, amph(o)-).Les oxydes indifférents, pouvant jouer le rôle soit d'acide, soit de base, suivant le cas (Lebeau, Courtois, Pharm. chim., t. 1, p. 117). 3. MÉCAN., PHYS. Équilibre indifférent. Équilibre qui persiste quelle que soit la position que l'on donne à un corps autour de son point ou de son axe de suspension (d'apr. Lar. encyclop.). On dit qu'une hélice est équilibrée dynamiquement lorsqu'elle est en équilibre indifférent autour de son axe de rotation (Guillemin, Constr., calcul et essais avions,1929, p. 224). 4. PHILOS. ANC. Matière indifférente. Matière inerte. Les divers degrés d'activité des monades ne sont [pour Anaxagore] que la distinction entre la matière subtile et la matière indifférente (Senancour, Rêveries,1799, p. 185). II. A. − Qui ne suscite ni adhésion, ni rejet; qui ne suscite ni plus ni moins d'adhésion qu'autre chose; qui est neutre, quelconque ou ressenti comme tel. 1. Absolument a) [En parlant d'une chose] Chose, événement, lieu, son, spectacle, sujet (de conversation) indifférent; rapports indifférents. Longue, mince, avec une tête forte aux cheveux indifférents, mais des yeux! (Verlaine,
Œuvres compl., t. 4, Mém. veuf, 1886, p. 214).L'habitation de M. Lampre (...) était une de ces grandes bâtisses indifférentes, telles qu'il en prospère dans tous les bourgs (Huysmans, Oblat, t. 2, 1903, p. 89): 6. Ainsi qu'il arrive au début de tous les repas, la conversation roula d'abord sur des objets indifférents : quelques mots échangés çà et là, point d'allusion à la situation présente...
Sandeau, Mllede La Seiglière,1848, p. 154. − Emploi subst. masc. sing. à valeur de neutre : 7. Mon ami, j'ai ces temps-ci, en marchant dans les rues, beaucoup observé les visages des femmes. Presque toutes celles que j'ai vues passer avaient le front sombre, les traits détendus dans l'ennui, l'air installé dans l'indifférent.
Noailles, Nouv. espér.,1903, p. 321. b) [En parlant d'une manifestation de l'activité intellectuelle, du comportement] Sous l'influence de sentiments divers, cette phrase d'abord indifférente (...) devient vivante par l'effet de l'accent (D'Indy, Compos. mus., t. 1, 1897-1900, p. 31).Et il remâche encore cette dernière injure lorsque au téléphone, au milieu de propos indifférents, Marcel avait ajouté : « J'oubliais de te dire que je me marie aujourd'hui » (Mauriac, Ce qui était perdu,1930, p. 18). 2. [Avec déterminant] a) [Le déterminant est un adv. ou une loc. à valeur adv. désignant le domaine dans lequel la chose est indifférente] Les actes sont (...) indifférents en tant que physiques : la conscience de chacun les fait, seule, bons ou mauvais (Villers de L'I.-A., Contes cruels,1883, p. 8).Des nuances acoustiquement indifférentes (Saussure, Ling. gén.,1916, p. 66): 8. ... puisqu'il n'y a rien dans la civilisation qui présente ce critère de la moralité, elle est moralement indifférente. Si donc la division du travail n'avait pas d'autre rôle que de rendre la civilisation possible, elle participerait à la même neutralité morale.
Durkheim, Division trav.,1893, p. 16. b) [Le déterminant est un compl. désignant à qui (ou à quoi) la chose est indifférente] Ces preuves partielles préalables, dont la combinaison n'est nullement indifférente à la science (Comte, Philos. posit., t. 4, 1839-42, p. 301).Le calcium nous apparaîtra alors comme un élément indifférent pour la plante (Plantefol, Bot. et biol. végét., t. 1, 1931, p. 326).Elle craignait de tomber dans une torpeur où tout lui deviendrait indifférent (Roy, Bonheur occas.,1945, p. 406): 9. Un policier était tout près. Tchen voulut demander si Chang-Kaï-Shek était mort, mais il voulait cela dans un autre monde; dans ce monde-ci, cette mort même lui était indifférente.
Malraux, Cond. hum.,1933, p. 354. 3. Loc. verb. a) C'est indifférent, cela est indifférent (à qqn). Cela n'a aucune importance (pour quelqu'un). Cette vérité [abjurée par Galilée] ne valait pas le bûcher. Qui de la terre ou du soleil tourne autour de l'autre, cela est profondément indifférent. Pour tout dire, c'est une question futile (Camus, Sisyphe,1942, p. 16): 10. Faites ce que vous voudrez. Humiliez-vous, si cela vous plaît, dans la société des petites sottes que vous introduisez chez moi et même à qui vous me priez de donner des leçons de musique. Tout cela m'est indifférent ou presque indifférent.
Duhamel, Cécile,1938, p. 167. b) Il est indifférent (à qqn) de + inf.; il est indifférent que + subj. C'est égal, sans importance (pour quelqu'un) de/que. « (...) Est-ce que je ne l'aime plus? L'ai-je jamais aimé? » Elle ne savait pas et il lui était indifférent de savoir (France, Lys rouge, 1894, p. 71). V. façon II B 1 ex. de France : 11. ... ma participation est la seule chose importante. Si c'était la chose à faire qui importait, il serait indifférent qu'elle fût faite par l'un ou par l'autre, pourvu que quelqu'un en général s'en chargeât, car dans l'objectivisme de l'acte tous les agents sont interchangeables...
Jankél., Je-ne-sais-quoi,1957, p. 220. − [Dans une phrase négative] :
12. ... il ne peut être indifférent au philologue ou au simple lettré, qui sait la valeur d'Homère, de Platon et d'Euripide, de Térence et de Virgile, que pendant un millénaire on ait lu, admiré, appris par cœur ces auteurs en Égypte.
L'Hist. et ses méth.,1961, p. 505. B. − [En parlant d'une pers. ou d'une catégorie de pers.] Être indifférent à qqn.Ne susciter en lui ni sympathie, ni antipathie particulière. Pourquoi sa mort m'attristerait-elle? Je lui fus toujours indifférent (Renard, Journal,1909, p. 1222).Les malheureux lui étaient indifférents (Montherl., Célibataires,1934, p. 854): 13. ... je ne la détestais pas, mais elle m'était tellement indifférente que, quand nous avons appris qu'elle était très mal, mon mari lui-même a été étonné et m'a dit : « On dirait que cela ne te fait rien. »
Proust, Prisonn.,1922, p. 240. − En partic. [Dans le domaine des relations amoureuses] Qui ne suscite ni amour, ni haine. Claire : (...) moi, je vous déteste... Conrad : En vérité?... Oh! merci, merci, madame! (...). Je ne craignais qu'une chose, c'était de vous demeurer indifférent (Dumas père, Cachemire vert,1850, 7, p. 283): 14. Avec Albertine aussi, il pouvait se permettre d'être lui-même. Chose paradoxale, il y tenait un peu aussi parce qu'elle lui était indifférente. Elle ne le passionnait plus. Avec elle, pas de surprise, pas de drame.
Van der Meersch, Invas. 14,1935, p. 155. III. − BIOL. Synon. rare de indifférencié : 15. ... les myoblastes ne dégénèrent pas; ils se transforment en éléments morphologiquement et fonctionnellement indifférents. Nous verrons que c'est là peut-être le seul cas indiscutable de dédifférenciation, au sens que Champy avait donné à ce terme.
J. Verne, Vie cellul.,1937, p. 94. REM. Indifférencieux, subst. masc.,hapax, synon. (supra I A 1 a β). Je voudrais (...) pouvoir vous prendre la taille quand la nécessité se présente. Comme cela, par amitié, par enthousiasme. Hop! Rien à craindre, Suzanne! Pas sentimental! Pas gémissant pour un sou. Hop! Président du club des Indifférencieux! (Duhamel, Suzanne,1941, p. 153). Prononc. et Orth. : [ε
̃difeʀ
ɑ
̃], fém. [-ɑ
̃:t]. Ac. 1694-1740 : -diffe-, ensuite -diffé-. Étymol. et Hist. [1314 « sans différence », H. de Mondeville, attesté indirectement d'apr. son dér. indifféremment*] 1. fin xiiie-début xives. « sans différence, sans distinction » (Glossaire rom., 9543 ds T.-L.); 2. 1529 « ni bon, ni mauvais (d'une action) » (Bonivard, Jardin d'antiquité, 28 rod'apr. FEW t. 4, p. 646a); 3. 1634 « sans intérêt, sans importance (ici d'un entretien) » (Corneille, La Veuve, éd. Ch. Marty-Laveaux, t. 1, acte I, scène 1); 4. 1643 « qui n'est point sensible (ici à l'amour) » (Rotrou, Bélisaire, IV, 2 ds Littré). Empr. au lat.indifferens « indifférent, ni bon, ni mauvais », « qui ne se préoccupe pas de ». Fréq. abs. littér. : 3 602. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 4 564, b) 4 358; xxes. : a) 5 604, b) 5 717. |