| INCORPORER, verbe trans. A. − Vx et littér. [Le compl. désigne un inanimé abstr.] Donner un corps à, revêtir d'une forme matérielle. Synon. incarner.J'appelle imagination la faculté de rendre sensible ce qui est intellectuel, d'incorporer ce qui est esprit (Joubert, Pensées, t. 1, 1824, p. 158). − Au part. passé. La parole n'est que la pensée incorporée (Joubert, Pensées, t. 1, 1824p. 146). B. − Qqn/qqc. incorpore qqn/qqc. (à, avec (rare), dans qqn/qqc.). 1. Qqn/qqc. incorpore qqc. a) Mélanger intimement (une substance) avec (une autre), de façon à obtenir un tout homogène. Synon. amalgamer, combiner, mêler.Incorporer des œufs à une sauce, la levure dans la pâte, de l'huile avec de la cire. Félicie incorporait de la suie et du sucre brûlé dans du saindoux fondu et faisait du cirage (Van der Meersch, Invas. 14,1935, p. 323).Fouettez la crème avec le sucre semoule et incorporez-y les abricots en marmelade (Ch. Husson, Les Bons desserts d'autrefois..., Paris, Unide, 1975, p. 14). − Emploi pronom. Synon. de s'amalgamer, se combiner.La cire s'incorpore facilement à ou avec la gomme (Ac.1935).On en met quelques poignées [de sel] sur toutes les couches dont les meulons sont composés : bientôt il se fond, s'incorpore avec la masse entière (Crèvecœur, Voyage, t. 2, 1801, p. 274). b) Intégrer (un élément) à (un ensemble); faire entrer (une partie) dans (un tout). Synon. insérer, rattacher.Incorporer un paragraphe dans un chapitre; incorporer une province au royaume; incorporer une terre à un domaine. Après avoir détaché un organe d'un animal vivant (...), on peut l'incorporer à un autre ensemble organique (J. Rostand, La Vie et ses probl.,1939, p. 73). − Emploi pronom. Synon. de s'intégrer à.Une suggestion reçue dans l'état d'hypnotisme ne s'incorpore pas à la masse des faits de conscience (Bergson, Essai donn. imm.,1889, p. 132).L'ensemble [de remparts], d'une chaude couleur cuivrée, s'incorpore admirablement au paysage fait de longues collines basanées (T'Serstevens, Itinér. esp.,1933, p. 160).V. dialogue ex. 4. 2. Qqn incorpore qqn.Introduire (une personne) dans (un groupe humain). Synon. affilier, agréger, associer, intégrer, introduire.Incorporer dans une association, dans une société. Il doit être facile aux éléments étrangers d'être incorporés dans les sociétés (Durkheim, Divis. trav.,1893, p. 122).Une troupe de cavaliers syriens, à laquelle il incorpora un certain nombre d'indigènes appartenant à des tribus berbères (Tharaud, Mille et un jours Islam, I, 1935, p. 142). ♦ Emploi pronom. Synon. de se fondre dans, se joindre à.François déjà s'incorporait à ce point aux Orgel qu'il ne comprit nullement la cause des rires (Radiguet, Bal,1923, p. 38).Il s'incorporait peu à peu dans la famille, faisait maintenant partie de l'existence commune (Van der Meersch, Invas. 14,1935, p. 328): 1. ... Slaves et Finnois ne cessent de s'entrepénétrer et graduellement se confondent. Tour à tour les Mordves, Tchérémisses, et autres tribus finnoises s'incorporent au peuple des Grands-Russes, dans une individualité qui ne s'affirme que davantage en se renforçant de nouvelles recrues.
Vidal de La Bl., Princ. géogr. hum.,1921, p. 113. ♦ Au part. passé. Individus non incorporés ou non incorporables dans les cadres syndicaux et corporatifs (Maritain, Human. intégr.,1936, p. 207). − Domaine milit.Verser (un soldat) dans (un corps de troupe). Incorporer un conscrit, une recrue dans un bataillon. Engagé volontaire que la protection du colonel avait fait incorporer dans le 106e(Zola, Débâcle,1892, p. 4).Le 18 décembre, des ordres sont donnés pour incorporer dans les unités du front 10 000 jeunes soldats à l'instruction dans les dépôts (de Gaulle, Mém. guerre,1959, p. 141). C. − Qqn/qqc. incorpore qqn/qqc. (à soi).Absorber, intégrer. Synon. assimiler.Cognassiers, pruniers, pommiers, cerisiers sauvages, poussés au hasard du vol du vent ou de l'oiseau qui laisse tomber un germe, transplantés, incorporent avidement les greffes (Pesquidoux, Livre raison,1925, p. 155).V. annexer ex. 14. − Emploi pronom. réfl. indir. Synon. de s'assimiler, s'intégrer.Rome, dès les premiers temps, s'incorpore et s'assimile les vaincus : les ennemis de la veille deviennent des concitoyens (Sainte-Beuve, Nouv. lundis, t. 10, 1865, p. 327).Le roman ramasse en route et s'incorpore la satire, la fable et le portrait (Sartre, Sit. II,1948, p. 179): 2. Ce n'est pas d'observation qu'il faut parler à propos de lui [Proust], mais d'absorption : il a tout absorbé au long de sa jeunesse en apparence futile; il s'est incorporé ce monde qu'il a ensuite retrouvé au-dedans de lui...
Mauriac, Journal,1950, p. 215. REM. 1. Incorporant, -ante, adj.,ling. Langue incorporante. Langue où le régime de la phrase, substantif ou pronominal, est incorporé à la racine verbale. (Ds Lar. Lang. fr., Lexis 1975). 2. Incorporatif, -ive, adj.,hapax. Ontologisme incorporatif de la personnalité ou, du moins, de l'activité de l'homme dans la personne de Notre-Seigneur (Bremond, Hist. sent. relig., t. 3, 1921, p. 675). Prononc. et Orth. : [ε
̃kɔ
ʀpɔ
ʀe], (il) incorpore [ε
̃kɔ
ʀpɔ:ʀ]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. [Fin xiies. encorporer « faire entrer (dans le corps mystique de l'église) » (Sermons St Bernard, éd. W. Foerster, p. 34, 20)] 1. 1411 « inclure un élément dans un tout » (N. de Baye, Journal, éd. Tuetey, t. 2, p. 25); 2. 1495 « mélanger intimement (des substances) » (Th. Le Forestier, Le regime contre epidimie et pestilence, Rouen, c 5 rods R. Ling. rom. t. 44, p. 231); 3. 1803 ling. incorporant (Destutt de Tr., Idéol. 2, p. 119). Empr . au b. lat. incorporare « revêtir d'un corps; faire entrer dans un corps, adjoindre », « incarner » en lat. chrétien. Fréq. abs. littér. : 229. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 204, b) 158; xxes; : a) 233, b) 574. DÉR. Incorporable, adj.[En parlant d'une pers.] Qui peut être incorporé (dans un groupe humain). Incorporé veut dire entré dans un corps, et incorporable, qui n'y est pas encore entré (Bern. de St-P., Harm. nat.,1814, p. 270).V. aussi supra B 2, Maritain, loc. cit.Domaine milit.Qui peut être versé (dans un corps de troupe). En 1967, la classe d'appel comprendra 410 000 recrues théoriquement incorporables (Serv. milit. et réf. armée,1963, p. 89).− [ε
̃kɔ
ʀpɔ
ʀabl̥]. − 1resattest. 1516 (Frere Nicole, Trad. du Liv. des Prouffitz champ. de P. de Crescens, fo10 vods Gdf.) attest. isolée jusqu'à 1814 (Bern. de St-P., loc. cit.); de incorporer, suff. -able*. BBG. − Gohin 1903, p. 344. |