| HÉRITAGE, subst. masc. A. − [En parlant d'un bien matériel] 1. a) Action d'hériter. Braux, soutenant les doctrines révolutionnaires et communistes, se démenait (...), criant : « La propriété, Monsieur, c'est un vol au travailleur; − la terre appartient à tout le monde; − l'héritage est une infamie et une honte (Maupass., Contes et nouv., t. 1, En fam., 1881, p. 363).Je te laisserai, par héritage, ma truelle, mon marteau, tous mes bijoux de maçon... si tu veux apprendre sagement ce que j'enseigne (Adam, Enfant Aust.,1902, p. 110) : 1. Le sort qui échoit aux veuves prouve également qu'il y a corrélation entre l'héritage et la filiation (...). L'héritage des veuves par le fils est une caractéristique des peuples patrilinéaires.
Lowie, Anthropol. cult.,1936, p. 309. b) Patrimoine que laisse une personne à son décès; patrimoine recueilli par voie de succession. Synon. partiels douaire (dr.), hoirie (dr., vx), legs (dr.), succession.Je connaissais ici un vieillard qui avait deux fils. Il s'est retiré chez l'aîné, il n'a pas tardé à mourir en laissant quelque douze cents francs que celui-ci a gardés pour se payer de ses peines. (...) le cadet se montra furieux d'être frustré de sa part d'héritage (Barrès, Cahiers, t. 7, 1908, p. 81) : 2. ... on (...) supputait les biens de Rinaldi, l'héritage, les vignes, et ces actions pour lesquelles son père et mère se chamaillaient! (...) Il se jurait qu'il n'accepterait rien des siens. On n'est pas forcé d'hériter peut-être? Il se souvenait pourtant vaguement d'avoir un jour entendu sa mère parler de quelqu'un qui avait refusé l'héritage de ses parents.
Aragon, Beaux quart.,1936, p. 111. ♦ À héritage. Avec l'ignoble tendance au parasitisme qu'avaient les gens de sa génération (...), elle vivait six mois en Bretagne, chez la cousine à héritage, et six mois à Paris, chez des amis (Montherl., Célibataires,1934, p. 818). ♦ Faire un (bel/gros) héritage. Recueillir la succession de quelqu'un. Je viens, Monsieur, vous donner ma démission. J'ai fait un héritage de trois cent mille francs (Maupass., Contes et nouv., t. 1, Bijoux, 1883, p. 412). ♦ Héritage d'un roi. Son trône, son royaume. On en faisait mieux éclater la puissance de Dieu qui avait rétabli par elle le roi de France dans son héritage (A. France, J. d'Arc, t. 2, 1908, p. 450). − En partic. [En parlant d'un nom, d'un titre] Ce Français [De Gaulle] qui, par une prédestination mystérieuse, avait reçu en héritage le nom même de la vieille Gaule, essuya les crachats sur la face de la République outragée (Mauriac, Bâillon dén.,1945, p. 390). − JURISPR. Bail d'héritage. ,,Bail à rente perpétuelle ou à très long terme`` (Besch. 1845). − Héritage féodal. Héritage ,,qui était tenu en fief et relevant d'un suzerain`` (Littré, Guérin 1892). − Héritage roturier. Héritage ,,possédé à cens ou censive, ou autres charges`` (Littré, Guérin 1892). − Proverbe, vx. Promesse de grand n'est pas héritage. ,,Il ne faut pas trop compter sur les promesses des grands seigneurs`` (Ac.). SYNT. Accepter, acquérir, attendre, capter, convoiter, dilapider, dissiper, espérer, laisser, léguer, posséder, réclamer, recueillir, refuser, rejeter, renoncer à, revendiquer, transmettre un héritage; droit, partie, portion d'héritage; affaire, question d'héritage; entrer en, prendre possession d'un héritage; être dépossédé, priver (qqn) d'un héritage; laisser pour/en héritage; transmettre en héritage; héritage inattendu, inespéré, insignifiant, modeste; oncle, tante à héritage; héritage indivis; héritage de prix, de valeur. 2. En partic., vieilli. Immeuble par nature; maison (avec ses dépendances et ses terres) transmise par succession. Vivre dans un héritage. Mon frère aîné avoit vendu l'héritage paternel et le nouveau propriétaire ne l'habitait pas (Chateaubr., Génie, t. 2, 1803, p. 446). − ,,Champs depuis longtemps en assolement régulier`` (Fén. 1970). ♦ Région. (Ouest et Centre). Pâture enclose plantée d'arbres à cidre. Il [le réquisitionnaire] avait sur le dos, un sac presque vide, et tenait à la main une canne de buis, coupée dans les hautes et larges haies que cet arbuste forme autour de la plupart des héritages en Basse-Normandie (Balzac, Réquisit.,1831, p. 148). B. − P. anal. [En parlant d'un caractère physique et/ou moral, d'un trait de caractère, d'un comportement, etc.] 1. Cour. [Le bénéficiaire de l'héritage est une pers., un groupe de pers., un groupe soc.] a) Ce qui est transmis par les ancêtres ou plus directement par les parents. Héritage de gloire, de haine. Léon Daudet (...) m'entretient des folies du petit Hugo pour les femmes, de l'héritage d'érotisme qu'il tient de son grand-père et de son père (Goncourt, Journal,1890, p. 1125).Le seul héritage, quasiment, que j'aie reçu de mes parents est l'honneur (Montherl., Maître Sant.,1947, II, 1, p. 262) : 3. Quand on dit qu'un individu animal ou homme, reçoit tous ses caractères, physiques et moraux, par héritage, on ne veut point dire qu'il n'hérite que de son père ou de sa mère ou de tous les deux réunis.
Taine, Dern. Essais crit. et hist.,1893, p. 104. b) Ce qui est transmis par les générations précédentes, ce qui est reçu par tradition. Héritage culturel, littéraire, national, romantique; héritage de coutumes, de croyances, des traditions; héritage des classiques, des Grecs, des Latins. Le mot « ouvrier », pourtant si noble par son héritage d'accomplissements, de dignité et de souffrances, est devenu socialement pesant pour celui qui le porte (Capelle, Éc. demain,1966, p. 104) : 4. Exprimer (...), c'est s'assurer, par l'emploi de mots déjà usés, que l'intention neuve reprend l'héritage du passé, c'est d'un seul geste incorporer le passé au présent et souder ce présent à un avenir, ouvrir tout un cycle de temps où la pensée « acquise » demeurera présente à titre de dimension, sans que nous ayons besoin désormais de l'évoquer ou de la reproduire.
Merleau-Ponty, Phénoménol. perception,1945, p. 450. 2. Dans la lang. relig. a) La Terre promise, le pays de Canaan. D'une manière générale, la notion d'héritage a pris une signification plus profonde, d'une valeur théologique très précise. Elle se rapporte à l'origine dans la plupart des textes, à la possession du sol, c'est-à-dire à tout ou partie de la terre promise (Allmen1956). b) La vie éternelle, le royaume de Dieu objet de l'espérance du croyant. Jésus-Christ nous a rendu l'héritage que le péché d'Adam nous avoit ravi (Chateaubr., Génie, t. 4, 1803, p. 394). Prononc. et Orth. : [eʀita:ʒ]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. 1. Ca 1135 eritage « patrimoine transmis par succession » (Couronnement Louis, éd. E. Langlois, 2380); 2. 1228 « immeuble faisant, ou non, l'objet d'une succession » (Cart. de S. Sauveur, B.N. 1 10029, fo39 roGdf.); 3. 1189-93 iretaige « royaume de Dieu (ici Jérusalem) » (Conon de Béthune, Chans., éd. A. Wallensköld, IV, 17). Dér. de héritier*; suff. -age*. Fréq. abs. littér. : 1 593. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 2 661, b) 2 159; xxes. : a) 2 099, b) 2 084. Bbg. Maulnier (T.). Le Sens des mots. Paris, 1976, pp. 103-104. - Stefenelli (A.). Der Synonymenreichtum der altfranzösischen Dichtersprache. Wien, 1967, p. 85. |