| HÉRITER, verbe trans. A. − Emploi trans. dir. ou indir. Hériter (de) qqc.; hériter (qqc.) de qqn 1. a) [Le suj. désigne une pers.; le compl. désigne un bien matériel, un titre, un droit] Devenir propriétaire, possesseur (de quelque chose); recevoir (quelque chose) par droit de succession, par héritage. Hériter des biens, (d')un capital, (d')une (grande/grosse) fortune, (d')une maison (de qqn). Au décès de sa mère (...) Antoine Rabelais avait hérité le domaine, châtel et maison noble de Chavigny et tous les droits de fiefs (A. France, Rabelais,1909, p. 2).À sa majorité, il hérite du château d'Amboise (Queneau, Loin Rueil,1944, p. 153) : 1. Le jeune Victor (...) a des yeux de grenouille et la peau des mongoloïdes. C'est le Calvados des Ancêtres et les mariages collatéraux pour arrondir les domaines. Mais il héritera les deux millions du Conseiller et le siège paternel...
Nizan, Conspir.,1938, p. 140. − Au fig. Zola entre et dit à voix basse (...) : « Je croyais qu'il [Hugo] nous enterrerait tous, oui, je le croyais! » Et cela dit, il se promène à travers l'atelier (...) comme s'il devait hériter de la papauté littéraire (Goncourt, Journal,1885, p. 457).On aurait pu croire que j'allais avoir à porter le souci de ses campagnes, le chagrin de sa mort, hériter de sa gloire (Giraudoux, Siegfried,1928, I, 7, p. 47). b) [Le suj. désigne une pers., un groupe de pers.; le compl. désigne un bien matériel, un objet concr., une fonction]
α) [Le suj. désigne une pers., un groupe de pers., une instit.] Prendre possession (de quelque chose), recevoir quelque chose qui était précédemment attribué à une autre personne. Duroy héritait (...) des fonctions et du traitement de Forestier à la Vie Française (Maupass., Bel-Ami,1885, p. 214).La Cour [de Justice] a hérité des fonctions judiciaires dont la Chambre des Pairs fut investie sous la monarchie restaurée (Lidderdale, Parlement fr.,1954, p. 68).Les nouveaux services chargés de gérer l'industrie nationalisée héritent les biens des anciennes sociétés (Chenot, Entr. national.,1956, p. 26) : 2. Plusieurs régiments nord-africains, particulièrement éprouvés par deux années de combat, retournèrent dans leurs garnisons de départ, tandis que des corps tirés des forces de l'intérieur héritaient de leurs armes et de leur rang dans l'ordre de bataille.
De Gaulle, Mém. guerre,1959, p. 32. − Familier ♦ [Le suj. désigne un local] Le cabinet de Rabourdin hérita de la tenture de l'ancien salon nettoyée (Balzac, Employés,1837, p. 41).Il est, à l'heure actuelle, une tendance qui fait débarrasser les bureaux des ministères, et naturellement les bureaux de préfectures héritent de ce qu'on enlève aux premiers (Baradat, Organ. préfect.,1907, p. 336). ♦ Rare. [Le suj. et le compl. désignent une pers.] Tout va bien à Maillebois, qui semblait le bourg pourri du cléricalisme (...) j'hérite de chaque enfant que perdent les ignorantins (Zola, Vérité,1902, p. 208).
β) Recevoir (quelque chose), entrer en possession (de quelque chose). J'ai hérité d'une casquette, une bicolore armoriée, une minuscule calotte d'orange... Sur ma bouille énorme, elle faisait curieux (Céline, Mort à crédit,1936, p. 291).Elle [l'industrie moderne] a produit un homme nouveau, l'homme du confort impersonnel. Il hérite dans un fauteuil d'une fortune que d'autres mettent en œuvre (Mounier, Traité caract.,1946, p. 532). 2. a) [Le suj. désigne un être; le compl. désigne un caractère physique] Recevoir (quelque chose), être affecté de quelque chose qui est transmis (parfois héréditairement) par les générations précédentes ou plus directement par les parents. Des lésions (...) du nerf sciatique, (...) etc. provoquaient chez le cobaye des troubles variés, dont sa progéniture pouvait hériter, parfois sous une forme assez différente : exophtalmie, perte des orteils, etc. (Bergson, Évol. créatr.,1907, p. 81).Ce François était un très beau garçon (...) et le seul de la famille à n'avoir pas hérité du pif paternel. Il avait un joli nez fin (Aragon, Beaux quart.,1936, p. 19).Sa mère [de Descartes] mourut peu de jours après sa naissance, succombant sans doute à une affection tuberculeuse. Il héritait d'elle « une toux sèche et une couleur pâle qu'il a gardée jusqu'à l'âge de plus de vingt ans » (Valéry, Variété V,1944, p. 211). ♦ Au passif. La vitesse de division de l'œuf et le type de blastulation sont hérités de la femelle (Cuénot, J. Rostand, Introd. génét.,1936, p. 25). − P. ext. [Le suj. désigne une pers., un groupe de pers., un groupe soc.; le compl. désigne un trait du caractère, des dispositions intellectuelles ou morales, des sentiments, un comportement] Hériter l'élégance, la grâce de qqn. Les jeunes gens héritent de leurs aînés une façon de goûter la vie qu'ils transmettent eux-mêmes, modifiée par leur expérience propre à ceux qui viennent ensuite (Bourget, Nouv. Essais psychol.,1885, p. II).Je suis fils de bourgeois. Je lutte contre ma classe de toutes mes forces, mais j'ai hérité de ses vices, j'aime son luxe, ses plaisirs (Vailland, Drôle de jeu,1945, p. 175) : 3. Les étudiants les plus favorisés ne doivent pas seulement à leur milieu d'origine des habitudes, des entraînements et des attitudes qui les servent directement dans leurs tâches scolaires; ils en héritent aussi des savoirs et un savoir-faire, des goûts et un « bon goût » dont la rentabilité scolaire, pour être indirecte, n'en est pas moins certaine.
P. Bourdieu, J.-C. Passeron, Les Héritiers, Paris, éd. de Minuit, 1964, p. 30. P. anal. [Le suj. désigne un système de pensée] Il faudra reconnaître (...) que tout ce que les métaphysiques classiques ont hérité du Moyen Âge (...) suffit à les mettre ipso facto hors la philosophie (Gilson, Espr. philos. médiév.,1932, p. 207).♦ Au passif. Ce qu'ont fait les aînés, il faut qu'on croie les cadets capables de le faire; il faut qu'on se soit persuadé que le caractère juif est hérité (Sartre, Réflex. quest. juive,1946, p. 18). ♦ Au part. passé. Alcoolisme, dogmes, instincts, patrimoine hérité(s); argenterie, coutume, croyances, habitudes (mentales), idées héritée(s). Même dans nos milieux, dit soudain Marat, on ne parle pas franchement, simplement, naturellement, des questions d'argent (...). J'y vois seulement la persistance, à l'égard de l'argent, d'une sorte de superstition héritée de l'esprit bourgeois (Vailland, Drôle de jeu,1945, p. 183).Emploi subst. masc. à valeur de neutre. Ce passé (...) auquel (...) nous ajoutons chaque jour un peu du nôtre, jusqu'à succomber à la fin sous le poids total, l'antérieur à nous-mêmes, l'hérité, additionné à l'acquis personnel (Arnoux, Visite Mathus.,1961, p. 13). ♦ Emploi pronom. passif. La peur s'hérite, et la peur n'est-elle pas une des formes de la haine? Pourquoi toute haine ne s'hériterait-elle point? (Bourget, Disciple,1889, p. 111). b) Recevoir, être affecté (de quelque chose) à la suite d'un événement. Je me souviens d'un instituteur que le seul mot de bombe jetait hors de soi (...). Un autre, du choc qu'il avait reçu, conservait un tic (...) et il en avait hérité de surcroît un bégaiement épouvantable (Ambrière, Gdes vac.,1946, p. 359).Il [Baudelaire] a voulu son destin (...). Même l'aphasie à quarante-six ans? Bien sûr, puisqu'il l'a héritée de la syphilis qu'il quêtait (...) chez les plus funèbres prostituées (Mauriac, Mém. intér.,1959, p. 49). B. − Hériter (de qqn).Recevoir un héritage (de quelqu'un). Dans les sociétés patrilinéaires, ce sont les fils qui héritent (Lowie, Anthropol. cult.,1936, p. 282).Véritablement adoptif? (...). Il hérite de vous? (Queneau, Pierrot,1942, p. 153).Il parlait d'hypothèques et de prêts sur titres parce qu'il venait d'hériter de sa grand-mère (Vailland, Drôle de jeu,1945, p. 14). REM. Héritable, adj.Dont on peut hériter, qui peut être transmis. Synon. héréditaire.La part additive de la variation héritable, qui repose largement sur les différences existant entre individus différant par le fait qu'ils sont homozygotes (Tiers Monde,1956, p. 102).Emploi subst. La contribution du non héritable due aux différences de milieu (Tiers Monde, 1956, p. 102). Prononc. et Orth. : [eʀite], (il) hérite [eʀit]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. 1. Ca 1140 « donner quelque chose en héritage à quelqu'un » (G. Gaimar, Hist. des Anglais, éd. A. Bell, 3491 : Elfled sa suer l'en heritad); 2. 1160-74 eriter « recevoir en héritage » (Wace, Rou, 3epartie, éd. A. J. Holden, 5550 : qui de son regne eritereit). Réfection de *hereter, du lat. chrét. hereditare « donner ou recevoir en héritage », dér. de heres, heredis, v. hoir, d'apr. erité « héritage » (ca 1105, St Brendan, éd. E.G.R. Waters), de hereditas, v. hérédité, le -i- étant dû au lat. hereditatem plutôt qu'au fr. hérédité (FEW t. 4, p. 412a), rare. Fréq. abs. littér. Hériter : 720. Hérité : 380. Fréq. rel. littér. Hériter : xixes. : a) 771, b) 991; xxes. : a) 2 431, b) 407. Hérité : xixes. : a) 348, b) 404; xxes. : a) 643, b) 714. |