| GRUE1, subst. fém. A. − ORNITH. Grand oiseau migrateur de la famille des échassiers au plumage blanc, gris ou gris-bleu, à l'instinct grégaire développé. Grue cendrée, couronnée, royale. Les oiseaux qui ont la queue courte et les jambes fort longues, comme les grues, les cigognes et les hérons (Bern. de St-P., Harm. nat.,1814, p. 153).Quatre grands échassiers, grues royales, marabout ou jabirus, traversent le ciel, le cou tendu, les pattes allongées, en poussant un long cri rauque (Gide, Retour Tchad,1928, p. 874) : 1. Les froids vont arriver, dit-il, car les grues volent.
J'en ai vu ce matin un groupe qui filait
Vers le Sud et pareil au flexueux filet (...).
La grue est un oiseau constamment affamé,
D'intelligence courte et de pied allongé.
Pour faire son repas d'un poisson négligeable
Elle reste debout des heures sur le sable.
Jammes, Géorgiques,1912, p. 45. − Loc. fig. Bayer* aux grues. Faire le pied de grue. [P. réf. à la posture de cet oiseau qui, au repos, se tient souvent immobile sur un pied] Attendre debout, à la même place, pendant un certain temps. Faisant le pied de grue à la porte du ministre, j'ai maraudé un rhume et un enrouement qui me fatiguent beaucoup (Borel, Champavert,1833, p. 20).Fanatique d'une grande comédienne qu'il ne connaît pas, allant faire « le pied de grue » devant la sortie des artistes (Proust, Guermantes 1,1920, p. 59) : 2. Las de faire le pied-de-grue dans cette ruelle déserte fort rafraîchie du vent de bise, posture à laquelle il n'était pas accoutumé, le duc de Vallombreuse se lassa bientôt d'une attente vaine et reprit le chemin de sa demeure, maugréant contre l'impertinente pruderie de cette pecque assez assurée pour faire languir ainsi un duc jeune et bien fait.
Gautier, Fracasse,1863, p. 202. B. − Au fig., fam. 1. Vx. Personne (le plus souvent une femme) niaise. Synon. bécasse, dinde, oie.Nous prenez-vous pour des grues? (Ac. 1835, 1878). Je ne veux pas être une sotte grue et tomber du haut mal d'admiration (Chateaubr., Mém., t. 2, 1848, p. 649).Mendès fait ses articles au café, dit Capus. Il est heureux d'entendre une petite grue répéter : « Maître, relisez-nous cette phrase » (Renard, Journal,1896, p. 354). 2. Pop. Femme facile et vénale; p. ext. prostituée. C'était la sœur d'une grue qu'il avait connue à la place Blanche : Magdeleine, avec un g. Cette « dame de très petite vertu » surveillait de près celle de sa cadette (Martin du G., Devenir,1909, p. 106).Paul entra dans une violente fureur, gesticulant, criant qu'il ne tenait pas à devenir le frère d'une grue, et qu'il aimerait mieux qu'elle fît le trottoir (Cocteau, Enf. terr.,1929, p. 101) : 3. Elle fait sensation. C'est une grue, une vraie grue de Paris. Elle fait tous les jours la noce pour vivre, d'abord débauchée par un monsieur qui a quelque argent.
Renard, Journal,1908, p. 1181. − Faire le pied de grue. [Le suj. désigne une prostituée] Attendre les clients debout dans la rue. On voit des voitures boches stationner devant les « cafés-hôtels », et une femme, une seule dûment fardée pour qu'il n'y ait pas d'erreur, et absorbée dans son tricot, y fait le pied de grue (Triolet, Prem. accroc,1945, p. 343). REM. 1. Gruyer, -ère, adj.,rare. a) Ornith. Faisan gruyer. Faisan qui ressemble à la grue. (Ds Ac., Littré, DG, Rob.). b) Vén. Faucon gruyer. Qui est dressé pour chasser la grue. (Ds Ac., Littré, DG, Rob.). 2. Gruerie, subst. fém.,rare. [Correspond à supra B] Monde des femmes faciles et vénales. Telle qu'on la connaît, elle ne regardera pas à se lancer dans la « haute gruerie » (Léautaud, Journal littér., t. 2, 1907-09, p. 377). Prononc. et Orth. : [gʀy]. Att. ds Ac. 1694-1932. Étymol. et Hist. 1. 1121-34 ornith. (Ph. de Thaon, Bestiaire, 2325 ds T.-L.); av. 1544 faire de la grue « attendre longtemps sur ses jambes » (Des Périers, A la royne de Nav. [I, 154] ds Hug.); 1608 faire le pied de grue (M. Regnier, Satyre, éd. G. Raibaud, III, 114); 2. a) 1415 grus « femme de mœurs légères » (Arch. JJ 169, pièce 161 ds Gdf. : grus, ribaude); 1858-66 grue (Verlaine, Premiers vers, p. 25); b) 1466 « personne sotte, facile à duper » (Pierre Michault, Le Doctrinal du temps présent, 38, 228 ds Z. fr. Spr. Lit. t. 64, p. 56 : Ung homme ayant entendement subtil Doit demonstrer partout qu'il n'est pas grue). Empr. au lat. pop. * grua, class. grūs, grŭis au sens 1; le sens 2 a du fait que la prostituée fait le pied de grue au coin de la rue; b p. réf. à la gaucherie de l'animal. |