| GRÈVE2, subst. fém. A. − [P. réf. aux chômeurs en quête de travail, qui se rassemblaient sur la place de Grève, à Paris; v. grève1HIST.] 1. [Dans une entreprise] Cessation collective, volontaire et concertée du travail (généralement avec préavis et pour une durée déterminée) par des salariés qui cherchent ainsi à contraindre leur employeur à satisfaire leurs revendications professionnelles. Par suite des grèves, le chargement n'a pu être achevé avant la nuit (Gide, Journal,1936, p. 1243).Des grèves venaient d'éclater en plusieurs villes (Arland, Ordre,1929, p. 210).Ils étaient abattus parce que la grève avait échoué (Aragon, Beaux-Quart.,1936, p. 503).L'ouvrier apprend que d'autres ouvriers dans un autre métier ont, après une grève, obtenu un relèvement de salaires (Merleau-Ponty, Phénoménol. perception,1945, p. 507) : 1. Le lock-out qui est, si j'ai bien compris, une sorte de grève des capitalistes en réponse aux grèves ouvrières, menace le royaume d'une ruine prochaine.
Bloy, Journal,1899, p. 357. SYNT. Grève illimitée; une longue grève; grève partielle, totale, symbolique; grèves massives, disciplinées; faire (la) grève; être, se mettre en grève; décider, décréter, déclencher, poursuivre, briser une grève; inciter, renoncer, mettre fin à une grève; menace, ordre, journée de grève; préavis, continuation, fin de la grève; mouvements de grève; déclenchement, organisation, règlementation de la grève; femmes, ouvriers, travailleurs en grève; grève-bouchon; grève avec occupation (des usines). ♦ Comité de grève. Comité chargé d'organiser et de contrôler la grève. Ce Volkouski était un des plus âpres travailleurs du comité de grève (G. Leroux, Roul. tsar,1912, p. 85).Il vint rôder autour de la maison des syndicats, où était le comité de grève (Aragon, Beaux quart.,1936, p. 499). ♦ Piquet de grève. Personnel gréviste mis en place à l'entrée (d'une entreprise) pour empêcher toute reprise éventuelle du travail. Borodine en demanda la création [des syndicats obligatoires], avant de disposer des piquets de grève (Malraux, Conquér.,1928, p. 54).Ne vous fatiguez pas pour les piquets de grève, avait dit le patron. Quand l'atelier ne travaille pas, je fais des économies (Camus, Exil et Roy.,1957, p. 1598). ♦ Briseur de grève. Personne qui continue à travailler dans une entreprise en grève, ou qui a été embauchée à la place d'un gréviste. Synon. vieilli. jaune.Un jeune bourgeois, qui faisait partie, il y avait encore quinze jours, d'une organisation de briseurs de grève (Aragon, Beaux quart.,1936, p. 122).Il a commencé à m'exposer avec volubilité le rôle que les gangsters avaient joué ces dernières années comme briseurs de grève (Beauvoir, Mandarins,1954, p. 306). ♦ Faits de grève. Participation à une grève. Un ancien collègue de Gautier, Simon, employé des chemins de fer, révoqué pour faits de grève (Rolland, J.-Chr., Buisson ard., 1911, p. 1281). ♦ Allocation de grève. Allocation versée aux grévistes par une caisse prévue à cet effet. Notre camarade Borodine a dû intervenir au conseil pour faire maintenir le paiement des allocations de grève à Canton (Malraux, Conquér.,1928p. 71). ♦ Droit, liberté de grève Interdiction du droit de grève et de lock-out (T'Serstevens, Itinér. esp.,1963, p. 294).Le gouvernement, en juillet 1963, veut réglementer l'exercice du droit de grève dans les services publics (Reynaud, Syndic. France,1963, p. 145). − [Avec un compl. prép. de ou un déterm. adj. désignant l'entreprise en grève ou l'objet de la production arrêtée] Grève des services publics, des fonctionnaires, des chemins de fer; grèves scolaires; grève des heures supplémentaires. Ta lettre à Gide et mon poème, envoyés au moment de la grève des postes, se sont perdus (Alain-Fournier, corresp. [avec Rivière], 1909, p. 133).Ils ont brisé la fameuse grève des docks en 1898 (Sartre, Nausée,1938, p. 111) : 2. Quel est le mobilisé d'usine (...) qui fait des discours dans l'atelier pour qu'on déclare la grève des obus et qu'on arrête ainsi le massacre des prolétaires?...
Romains, Homme bonne vol.,1938, p. 229. − En partic. [Formes de grèves d'entreprises] ♦ Grève(-)surprise. Grève déclenchée avant toute négociation. Un grève-surprise, déclenchée ce matin (Arnoux, Double chance,1958, 200).Une grève d'un type nouveau éclate. Imprévisible, incontrôlable grève-surprise, elle explose dans un atelier, puis elle rebondit dans un autre, là où on s'y attend le moins (Le Nouvel Observateur,8 sept. 1969, p. 19, col. 3). ♦ Grève sur le tas. Grève impliquant la présence des grévistes sur leur lieu de travail. Condamnation implicite des grèves sur le tas (Reynaud, Syndic. France,1963, p. 88). ♦ Grève d'avertissement, de harcèlement. Débrayages de protestation, grèves d'avertissement (Reynaud, Syndic. France,1963p. 143).Les grèves de harcèlement, les grèves spontanées ont tenu beaucoup de place dans les années récentes (Reynaud, Syndic. France,1963p. 151). ♦ Grève de solidarité. Grève faite par une autre entreprise que celle en grève pour soutenir son action revendicative. Le plus incroyable était qu'on autorisât des grèves solidarité (Aragon, Beaux quart.,1936, p. 43). ♦ Grève tournante; grève articulée (rare). Grève qui affecte successivement les différents secteurs ou services d'une entreprise. Il est compréhensible que le gouvernement réagisse (...) en mettant hors la loi les grèves tournantes dans les services publics (Reynaud, Syndic. France,1963p. 153).À côté de ces mouvements généralisés, on enregistre des grèves « articulées » (c.-à-d. « tournantes ») dans de nombreuses entreprises industrielles (Le Nouvel Observateur,25 mai 1970, p. 28, col. 3). ♦ Grève sauvage. Grève déclenchée en dehors de toute consigne syndicale. « Grève sauvage » échappant au contrôle des centrales syndicales (L'Express,18 nov. 1966, p. 54).Et puis est apparue (...) la grève sauvage, qui naît souvent d'un noyau dur au niveau d'un atelier qui peut bloquer la production et paralyser l'entreprise (Les Informations,12 févr. 1973, p. 46, col. 3). ♦ Grève générale. Grève qui affecte toutes les entreprises d'une région, d'un pays (et qui se rapproche souvent de la grève politique; v. ex. 3). La fédération des syndicats qui proposait la grève générale comme le plus puissant moyen d'agir sur les patrons et l'aide la plus efficace aux révolutionnaires (A. France, Île ping.,1908, p. 412).En septembre 1938, raconte Marat, la C.G.T. donna l'ordre d'une grève générale de 14 heures que les patrons et gouvernement décidèrent de briser (Vailland, Drôle de jeu,1945, p. 173) : 3. ... j'ai toujours interprété la grève générale non comme un moyen de violence, mais comme un des plus vastes mécanismes de pression légale que, pour des objets définis et grands, pouvait manier le prolétariat éduqué et organisé.
Jaurès, Ét. soc.,1901, p. XXXV. − P. ext. [Avec l'idée d'un ralentissement dans l'activité ou la production] ♦ Grève perlée. Ralentissement collectif, volontaire et concerté du rythme de travail. Faire la grève perlée, il n'y fallait pas songer à cause du froid (Ambrière, Gdes vac.,1946, p. 88). ♦ Grève du zèle. Ralentissement de la production, lié à l'observation trop méticuleuse des consignes de travail. 2. Grève politique [P. oppos. à la grève syndicaliste qui vise la satisfaction des revendications professionnelles] Cessation générale et volontaire du travail par des salariés qui cherchent ainsi à provoquer le renversement, la chute du pouvoir politique. Aujourd'hui nous possédons assez d'éléments pour comprendre aussi bien la grève syndicaliste que la grève politique (Sorel, Réflex. violence,1908, p. 267). B. − P. ext. [En tant qu'arrêt d'une activité] 1. [Avec l'idée d'un arrêt collectif et concerté] − [En parlant de travailleurs indépendants, non salariés] Cessation concertée du travail, faite par un corps de métier ou un groupe social, en signe de mécontentement, et provoquant souvent la gêne de ceux qui ont recours à ses services. Grève des boulangers, des bouchers : 4. Chez les paysans, la technique est celle de la cessation des livraisons : ainsi la grève des approvisionnements du blé ou du lait par laquelle les producteurs mécontents des prix fixés par le gouvernement cessent d'envoyer leurs produits aux centres urbains...
Meynaud, Groupes pression Fr.,1958, p. 156. − Grève de l'impôt. Refus concerté de payer l'impôt. La proclamation de la « grève » de l'impôt comporte une part très appréciable de bluff (Meynaud, Groupes pression Fr.,1958p. 158). − Grève des femmes. Le M.L.F. organise pour la fin de mai la première grève des femmes. Grève du travail salarié, du travail scolaire et universitaire, du travail domestique, des soins aux enfants (Le Nouvel Observateur,11 mars 1974, p. 52, col. 2). 2. [Au plan individuel ou collectif, mais sans l'idée d'une concertation préalable] Cessation temporaire du travail habituel. Le jeudi, chômage encanaillé, grève en tablier noir et bottine à clous, permet tout. Pendant près de cinq heures, ces enfants ont goûté les licences du jeudi (Colette, Mais. Cl.,1922, p. 34). − P. ext. Cessation d'activité, suspension d'une action déterminée. Il suffirait, pensaient-ils, de mettre leur appétit en grève, de refuser toute nourriture (Zola, Nouv. contes Ninon,1874, p. 47).Bouderie : une grève de gamins (Renard, Journal,1893, p. 166).Qu'est-ce que cela veut dire? Les contribuables pourront aussi faire grève (Barrès, Cahiers,1907, p. 106). ♦ En partic. Grève de la faim. [Dénomination littéralement impropre] Grève consistant à refuser toute alimentation (généralement en signe de protestation). Ardèle s'est enfermée à clef, elle ne veut ouvrir à personne, elle fait la grève de la faim (Marcel, Heure théâtr.,1959, p. 120) : 5. ... Gandhi choisit de ne pas manger pour fléchir son adversaire. La grève de la faim est sans doute l'expérience rare qui révèle la nature vraiment humaine de nos besoins comme, en un certain sens, la chasteté (monacale ou autre) constitue la sexualité en sexualité humaine.
Ricœur, Philos. volonté,1949, p. 90. REM. 1. Antigrève, subst. fém.,emploi adj. Une clause antigrève dans une loi (Lexis1975). 2. Contre-grève, subst. fém.Les prix du revient de la vie deviendront impossibles, si un beau jour, les bourgeois ne font pas de la contre-grève (Goncourt, Journal,1891, p. 111). 3. Grèver de la faim, loc. verb.,hapax. Faire la grève de la faim. Prêts depuis toujours à grèver de la faim (A. Boudard, La Cerise,1963, 222 ds Quem. DDL t. 13). Prononc. et Orth. V. grève1. Étymol. et Hist. 1805 (Rapp. 5 prair. an XIII − 25 mai 1805, Aul., Par ... Emp., t. I, p. 801 ds Brunot t. 9, p. 1183, note 7 : Les tailleurs de pierre ont décidé entre eux de faire, demain lundi, ce qu'ils appellent « grève » [c'est-à-dire de quitter l'ouvrage] pour demander de l'augmentation). Du nom de la place de Grève à Paris, au bord de la Seine (actuelle place de l'Hôtel de Ville), (1260, E. Boileau, Métiers, éd. J.-B. Depping, p. 15) où se réunissaient les ouvriers sans travail, en attendant l'embauche. STAT. − Grève1 et 2. Fréq. abs. littér. : 1850. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 2327; b) 2246; xxes. : a) 3972, b) 2288. BBG. − Giraud (J.), Pamart (P.), Riverain (J.). Mots dans le vent. Vie Lang. 1970, pp. 94-107. - Mimin (P.). Terminol. jur. de la grève. Déf. Lang. fr. 1973, no70, p. 22. |