| GRÉ, subst. masc. A. − 1. Vx. Assentiment, satisfaction qu'une personne trouve chez quelqu'un ou dans quelque chose qui est conforme à son goût, à sa volonté : 1. Qui ne sait (...) que la fameuse ordonnance de Blois, de mai 1579, dispose formellement que ceux qui se trouveront avoir suborné fils ou fille mineurs de vingt-cinq ans (...) sans le gré, vouloir ou consentement exprès des père, mère et des tuteurs seront punis de mort?
A. France, Bonnard,1881, p. 482. 2. Mod. [Dans des loc. figées] a) [La personne dont le goût, le caprice ou la volonté sont satisfaits, est exprimée par un adj. poss.] Tout marche à mon gré; se marier à son gré, selon son gré (vieilli); trouver qqn, qqc. à son gré. Il exposa en vente sa marchandise. Certains Franconiens qui vinrent la voir y trouvèrent plusieurs bijoux fort à leur gré (Montalembert, Ste Élisabeth,1836, p. 100).Possesseur du monde qu'il a fait, Dieu le gouverne à son gré (Gilson, Espr. philos. médiév.,1932, p. 3) : 2. Ce qui fait de l'espérance un plaisir si intense, c'est que l'avenir, dont nous disposons à notre gré, nous apparaît en même temps sous une multitude de formes, également souriantes, également possibles.
Bergson, Essai donn. imm.,1889, p. 21. − En partic. [Dans un dialogue] À ton gré, à votre gré. Comme tu voudras, comme vous voudrez : 3. don carlos. − Je vais être empereur d'Allemagne. Je vous fais mettre au ban de l'empire.
hernani. − À ton gré.
Hugo, Hernani,1830, II, 3, p. 47. b) [La pers. dont le goût, le caprice ou la volonté sont satisfaits, est exprimée par un compl. prép. de] Agir au gré de qqn. La principale rue du bourg, rue caillouteuse, à sinuosités, bordée de maisons construites au gré des propriétaires (Balzac, Méd. camp.,1833, p. 14).Faut-il, me direz-vous, tirés de votre asile Au gré d'un éditeur courir de ville en ville (M. de Guérin, Poés.,1839, p. 36) : 4. ... le seigneur de Bruyères remonta gravement le perron, non sans avoir lancé (...) un coup d'œil libertin à Zerbine, qui lui souriait d'une façon beaucoup trop avenante au gré de donna Sérafina, outrée de l'impudence de la soubrette.
Gautier, Fracasse,1863, p. 92. c) [Ce qui est satisfait chez une pers. est exprimé par un compl. prép. de, éventuellement suivi d'un adj. poss.] En suivant (les caprices de). Au gré de son ambition, de son désir, de sa fantaisie. Tout y change [dans la démocratie], avec une rapidité effrayante, au gré des passions et des opinions (Lamennais, Religion,1825, p. 34) : 5. ... chacun, au gré de ses préférences personnelles, peut opter pour la fréquence ou pour la rareté de ce singulier phénomène qu'est la vie.
J. Rostand, La Vie et ses probl.,1939, p. 195. d) Au fig. Au gré de qqc. [Le compl. prép. désigne une chose concr. ou abstr.] En suivant quelque chose, conformément à quelque chose de variable, d'incertain. Au gré du vent, des courants; au gré des événements, des saisons. Des guirlandes de papier plissé, de couleurs tendres, qui flotteront un peu partout au gré de la brise (Colette, Cl. école,1900, p. 266).Les découvertes se produisirent au gré des intuitions des savants et des circonstances plus ou moins fortuites de leur carrière (Carrel, L'Homme,1935, p. 26) : 6. Ainsi donc, à chaque voyage, avant d'atteindre le lieu de mon travail, de mes soucis, de mes pensées, il me fallait, au gré du tramway brimbaleur, traverser toute cette pouillerie, en recevoir les reproches et les avertissements.
Duhamel, Terre promise,1934, p. 37. e) Vieilli. Avoir, prendre, recevoir qqn ou qqc. en gré. Trouver quelqu'un ou quelque chose à sa convenance. Prenez en gré l'avis que je vous donne (Ac.). Un écuyer de l'hôtel, nommé Huguet de Guisay, que le roi avait fort en gré, parce qu'il était grand inventeur de toutes sortes d'amusements (Barante, Hist. ducs Bourg., t. 2, 1821-24, p. 95).Le général commençait à satisfaire son appétit, il fit connaissance avec les enfants, qu'il prit fort en gré et avec lesquels il sortit après le déjeuner (Ségur, Auberge ange gard.,1863, p. 137). − En partic. Prendre en gré qqc. Recevoir quelque chose avec résignation. Il faut prendre en gré les afflictions que Dieu nous envoie (Littré). B. − [Dans des loc. figées] Bonne ou mauvaise volonté avec laquelle on accomplit quelque chose. Obéir de bon gré, de son (plein) gré, contre son gré. M. le professeur donne, de son propre gré, à ses élèves privilégiés des leçons d'algèbre auxquelles il a la bonté de nous inviter (Hugo, Corresp.,1816, p. 296).Les jeunes filles qu'on enlève, à Paris, sont généralement enlevées de leur plein gré (Ponson du Terr., Rocambole, t. 1, 1859, p. 392).Diverses illustrations ont été faites en ce livre, sans m'avoir été soumises et même contre mon gré (Villiers de L'I.-A., Corresp.,1886, p. 123) : 7. Il n'y a pas plus de quatre cents mètres entre les Alibert et le mas Théotime; mais je les franchis de si mauvais gré qu'il m'y fallut plus qu'un quart d'heure.
Bosco, Mas Théot.,1945, p. 91. Rem. On relève à contre-gré, contre-bon-gré. Je vis en face de cet homme et je suis occupée (...) à le faire plier, et à me faire servir de lui contre-bon-gré (Claudel, Otage, 1911, II, 2, p. 265). Les derniers promeneurs, à contre-gré, se dirigeaient vers les sorties, talonnés par les gardes (Gide, Si le grain, 1924, p. 356). − Bon gré, mal gré. De bon cœur ou en se résignant. Les anciennes classes dirigeantes acceptent, bon gré, mal gré, l'expérience socialiste (Mauriac, Bâillon dén.,1945, p. 417).[Mathilde] lui aurait définitivement démontré qu'elle lui était indispensable, que bon gré, mal gré, il ne pouvait pas vivre sans elle (Vailland, Drôle de jeu,1945, p. 215). ♦ Bon gré mal gré qu'il/elle en ait. Qu'il/elle le veuille ou non (cf. malgré) : 8. ... associés ou non, nos trois industriels sont forcés d'agir comme s'ils l'étaient; (...) bon gré mal gré qu'ils en aient, la force des choses, la nécessité mathématique les associe.
Proudhon, Propriété,1840, p. 270. − De gré ou de force. Volontairement ou sous la contrainte. Faire qqc. de gré ou de force. L'action qui se fait au nom de tous étant nécessairement de gré ou de force à la disposition d'un seul ou de quelques-uns (Constant, Princ. pol.,1815, p. 11). − De gré à gré. Par un arrangement qui satisfait les parties en présence. Traiter de gré à gré; un partage fait de gré à gré. La valeur d'un morceau d'argent se règle de gré à gré dans les transactions qui se font entre les particuliers (Say, Écon. pol.,1832, p. 292) : 9. Je ne mérite aucun reproche, je n'en supporterai aucun, monsieur. Que cela soit dit une fois pour toutes : c'est une convention entre nous, un simple accord, de gré à gré!
Bernanos, Imposture,1927, p. 518. ♦ DR. ADMIN. Marché de gré à gré. ,,Marché dans lequel l'administration engage les discussions avec les entreprises de son choix et attribue ce marché à celle qu'elle a retenue`` (Admin. 1972). C. − [Dans une loc. figée] Ce que l'on estime convenable. Synon. avis, goût, sentiment.À mon gré, ce discours est très beau (Ac.). Le jour grandissait lentement à son gré, son inquiétude croissait (Sand, Lélia,1833, p. 300) : 10. ... Renan prétendra alléger, raffiner, épurer les notions de la religion catholique, trop précises, trop lourdes, trop matérielles à son gré.
Massis, Jugements,1923, p. 106. D. − 1. Vx. ,,Satisfaction que quelqu'un témoigne à celui qui a fait quelque chose pour lui`` (DG). 2. Mod. [Dans des loc. figées] − Savoir gré, savoir bon gré, un gré infini à qqn (de qqc.). Être reconnaissant envers quelqu'un. Je vous sais gré d'être là, comme je sais gré à un beau jour de luire sur ma tête, à un air parfumé de courir autour de moi (Soulié, Mém. diable, t. 1, 1837, p. 159).Je suis bien curieux de voir ta rédaction et je te sais bon gré de me demander là-dessus mes avis (Flaub., Corresp.,1846, p. 210) : 11. Elle ne se cabrait pas devant ses questions; peu à peu, elle lui savait même un certain gré de les avoir posées; et elle s'étonnait, la première, d'éprouver une sorte de plaisir à se départir, pour lui, de son habituelle réserve.
Martin du G., Thib., Été 14, 1936, p. 365. ♦ [Dans le style épistolaire] Je vous saurais gré de bien vouloir... Si vous pouviez me fournir ce renseignement, je vous en saurais un gré infini. Adieu, mon cher ami, mille amitiés bien sincères (Tocqueville, Corresp. [avec Reeve], 1839, p. 50). Rem. Au plur., rare. J'aime beaucoup Balzac, et je sais tous les grés du monde à M. Barbey d'Aurevilly de l'excellent chapitre qu'il a consacré à ce maître (Verlaine,
Œuvres posth., t. 2, Crit. et conf., 1896, p. 320). − Savoir mauvais gré, peu de gré à qqn. Être peu satisfait ou mécontent de la conduite, des procédés de quelqu'un. Ne parle pas de cette plaisanterie : on m'en saurait mauvais gré (Staël, Lettres jeun.,1790, p. 406). − Se savoir bon, mauvais gré de qqc. (vieilli). Se féliciter de quelque chose, se reprocher quelque chose. Corinne aussi se savait mauvais gré de n'être pas assez reconnaissante des marques de dévouement que lui donnait le comte d'Erfeuil (Staël, Corinne, t. 3, 1807, p. 263).La maîtresse de la maison (...) se sut bon gré d'avoir engagé l'académicien à dîner. Il amuse M. de La Mole, pensait-elle (Stendhal, Rouge et Noir,1830, p. 245). Prononc. et Orth. : [gʀe]. Ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. 2emoitié xes. « consentement, permission, volonté » estre so gret « contre le gré de quelqu'un » (St Léger, éd. J. Linskill, 62); 1280 au gré de (Clef d'Amour, 1254 ds T.-L.); ca 1330 bon gré, mau gré (G. de Digulleville, Pèlerinage vie hum., 10174 ds T.-L.); 2. ca 1050 « reconnaissance » savoir bon gré « être reconnaissant » (Alexis, éd. Chr. Storey, 28 : un filz lur dunet, si l'en sourent bon gret). Du lat. gratum, neutre subst. de l'adj. gratus « agréable, bienvenu; aimable; accepté avec reconnaissance, reconnaissant ». Fréq. abs. littér. : 3 090. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 5 411, b) 3 691; xxes. : a) 3 625, b) 4 364. Bbg. Dauzat Ling. fr. 1946, p. 304. - Orr (J.). Some ambivalent words and etymology... Mod. Lang. R. 1953, pp. 212-214. |