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GÊNER, verbe trans.
A. − Emploi trans.
1. Vx, inus. Mettre à la gêne, au supplice (cf. gêne A). (Dict. xixeet xxes.).
Au fig., littér. Soumettre à des vexations. Toutes les législations antiques méprisent les femmes, les dégradent, les gênent, les maltraitent plus ou moins (J. de Maistre, Éclairciss. sur sacrif.,1821, p. 292).
2. Usuel
a) Causer une gêne physique ou matérielle à quelqu'un. Gêner qqn dans ses mouvements; être gêné par la fumée du tabac. L'habit rouge était juste; il me gênait sous les bras (About, Roi mont.,1857, p. 288).L'émotion douce et lourde continuait de gonfler et de gêner sa poitrine (Malègue, Augustin, t. 2, 1933, p. 63) :
1. Sa main, encore toute empaquetée de blanc, avec ses deux doigts amputés, le gênait bien un peu, et il ne parlait pas sans fatigue... Dorgelès, Croix de bois,1919, p. 302.
Emploi abs. Je ne me rappelle pas avoir vu une fleur à la maison. Maman dit que ça gêne, et qu'au bout de deux jours ça sent mauvais (Vallès, J. Vingtras, Enf., 1879, p. 5).
Être gêné aux entournures*.
b) Constituer un obstacle, une entrave à l'activité de quelqu'un ou au fonctionnement de quelque chose. Gêner la circulation, la navigation, une manœuvre. L'inspecteur, par discrétion et pour ne pas gêner l'élève de l'abbé Faria dans ses recherches, s'était éloigné (Dumas père, Monte-Cristo,1846, p. 343).Les romanciers, par la description trop exacte de leurs personnages, gênent plutôt l'imagination qu'ils ne la servent (Gide, Faux-monn.,1925, p. 989) :
2. Le vent changea. Il était d'humeur incertaine. Aussi les troupes de nuages tournaient-elles en s'effilochant sur le pays, où elles lançaient de brusques averses. Les moissons en furent gênées. Il n'y eut pas de feux de Saint-Jean. Bosco, Mas Théot.,1945, p. 137.
En partic. Être gêné. Être à court d'argent. Madame Jules devait se trouver souvent gênée. Les vingt mille francs que lui accordait son mari (...) ne pouvaient pas (...) suffire à ses dépenses (Balzac, Ferragus,1833, p. 32).Pourtant j'avais entendu dire que l'État était gêné, qu'il n'arrivait pas à boucler son budget (Aymé, Nain,1934, p. 160).
c) Provoquer (chez quelqu'un) un sentiment de confusion, une contenance embarrassée, (le) mettre mal à l'aise. Se sentir extrêmement, horriblement gêné. Des regards qui gênent une femme comme si on lui enlevait sa robe (Balzac, Goriot,1835, p. 207).Mon silence devait le gêner, car il a cessé de parler, m'a jeté un coup d'œil en dessous (Duhamel, Maîtres,1937, p. 239) :
3. ... il détournait les yeux : il était un peu troublé d'être seul avec elle. Elle le gênait; il n'écoutait pas ce qu'elle disait; il ne lui répondait pas, ou bien tout de travers... Rolland, J.-Chr., Adolesc., 1905, p. 358.
B. − Emploi pronom.
1. Emploi pronom. réfl.
a) S'imposer une contrainte, au physique ou au moral. Se gêner pour les autres, pour faire de la place. Il décida de ne pas se gêner et d'agir comme ça lui chanterait (Beauvoir, Mandarins,1954, p. 391) :
4. Le Docteur. − Enfin, si les gens en ont assez d'être bien portants, et s'ils veulent s'offrir le luxe d'être malades, ils auraient tort de se gêner. C'est, d'ailleurs, tout bénéfice pour le médecin. Romains, Knock,1923, III, 3, p. 16.
Ne pas se gêner pour + inf.Dire ou faire quelque chose carrément, avec fermeté, sans hésiter. Je ne me gênerai pas pour lui dire qu'il met trop de pommade (Becque, Corbeaux,1882, I, 1, p. 59).
Ne vous gênez pas! Mettez-vous à l'aise. Si vous avez envie de rire, ne vous gênez pas (Flers, Caillavet, M. Brotonneau,1923, I, 15, p. 9) :
5. MmeVerdurin (...) pour les mettre à l'aise, disait : « Si vous avez envie de faire de la musique, ne vous gênez pas, les murs sont comme ceux d'une forteresse, vous n'avez personne à votre étage, et mon mari a un sommeil de plomb. » Proust, Sodome,1922, p. 1043.
P. iron. fam. Ne vous gênez pas/plus! Faut pas vous gêner! Vous avez du toupet, vous dépassez les bornes (de la politesse, de la bienséance, etc.), vous agissez avec une liberté excessive. Comment! Ils arrivent ensemble! murmura Trublot. Eh bien! ne vous gênez plus! (Zola, Pot-Bouille,1882, p. 85).Panisse, outré : Eh bien, dis donc, ne vous gênez plus! Montre-lui ton jeu puisque tu y es! (Pagnol, Marius,1931, III, 1ertabl., 1, p. 155) :
6. Penché sur les registres d'ordre, un homme était accoudé à ma table. Il me tournait le dos. Il ne m'avait pas entendu venir. − Eh bien, Gourrut, mon garçon, je vous en prie, ne vous gênez pas. Faites comme chez vous. L'homme s'était levé, je le vis, assez grand, svelte et pâle. Benoit, Atlant.,1919, p. 29.
b) En partic. S'imposer une restriction financière ou matérielle. Elle força Denise à accepter les six francs qui lui manquaient, en la suppliant de ne pas se gêner, de ne les rendre que lorsqu'elle gagnerait davantage (Zola, Bonh. Dames,1883, p. 513).Je me gênais. Je me suis même gêné jusqu'à mendier (Bloy, Journal,1892, p. 41).
2. Emploi pronom. réciproque. Se contrarier, s'apporter mutuellement de la gêne (physique ou matérielle). La Prusse ni l'Autriche n'y sont pas non plus chez elles; elles se gênent et se coudoient (Hugo, Rhin,1842, p. 250).Une grande table ronde autour de laquelle dix-huit personnes peuvent s'asseoir sans se gêner (Green, Journal,1941, p. 80)
Prononc. et Orth. : [ʒ εne] ou, p. harmonis. vocalique, [ʒene]; (il) gêne [ʒ εn]. Ds Ac. dep. 1694. Cf. gêne subst. Étymol. et Hist. A. 1. 2emoitié 14es. jehisner « avouer sous la torture » (Dialogues fr.-flam. E l b ds T.-L.); 2. 1363 gehenner « soumettre à la torture » (Collection de Bourgogne, t. CVII, fo185 vods B. Prost, Inventaires mobiliers des Ducs de Bourgogne, t. 1, no205, p. 21). B. 1. 1515 gehainer « torturer moralement, tourmenter » (Epistre du Chevalier transfiguré ds Recueil de poésies fr. des 15eet 16es., éd. A. de Montaiglon, t. 4, p. 191); 2. 1569 genner « causer une gêne physique, mettre à l'étroit » (Ronsard, Sixième livre des poèmes, Discours, vers 17 ds Œuvres complètes, éd. P. Laumonier, t. 15, p. 86). C. 1. 1549 gehinner « entraver, empêtrer, contraindre » (Du Bellay, Deffence et illustration de la langue françoyse, I, 9, éd. H. Chamard, 1948, p. 51); 2. 1565 genner « imposer une contrainte morale » (Ronsard, Elégies, mascarades et bergerie, vers 156, ibid., t. 13, p. 138); 3. av. 1703 gêner « intimider, embarrasser » (Saint-Évremond, s. réf. ds Trév. 1704); 4. 1768 être gêné « être dans une situation financière embarrassante » (A. Robineau De Beaunoir, La Bourbonnoise, p. 26-27 ds Quem. DDL, t. 19). Dér. de gêne*; dés. -er. Fréq abs. littér. : 2 927. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 2 362, b) 4 540; xxes. : a) 5 407, b) 4 747. Bbg. Dumonceaux (P.). Lang. et sensibilité au 17es. Genève, 1975, p. 33; pp. 64-65.