| GÉMISSEMENT, subst. masc. A. − [Correspond à gémir I A] 1. Son vocal, inarticulé et plaintif, exprimant une douleur ou un malaise physique. Pousser, avoir un gémissement; laisser échapper un gémissement. Il tomba mort, sans qu'aucun gémissement lui échappât (Constant, Wallstein,1809, p. 189).Elle va et vient, tenant son ventre comme une femme qui souffre les premières douleurs, et poussant, par intervalles, un gémissement sifflé : « Hui... Hui... » (Martin du G., Gonfle,1928, II, 1, p. 1196) : 1. De l'un des lits du centre partaient sans arrêt ces gémissements où la douleur devient plus forte que toute expression humaine, où la voix n'est plus que l'universel aboiement de la souffrance, le même chez les hommes et les animaux : des jappements qui suivent le rythme de la respiration, et dont celui qui écoute sent qu'ils vont s'arrêter avec le souffle.
Malraux, Espoir,1937, p. 509. SYNT. Gémissement faible, long; gémissement aigu, étouffé, profond, sourd, rauque; gémissement douloureux, lamentable. PARAD. Cri, plainte, pleur, râle, sanglot, soupir. − P. anal. [Gén. avec un compl. prép. de spécifiant la source du son] a) Cri (de certains oiseaux). Les gémissements du ramier, de la tourterelle. Tout aurait été silence et repos, sans la chute de quelques feuilles, le passage d'un vent subit, le gémissement de la hulotte (Chateaubr., Mém., t. 1, 1848, p. 302). b) Son assourdi rappelant une plainte humaine. Le gémissement des essieux, des gonds d'une porte. Le grincement des scies, le gémissement des chèvres et des grues, le tapage assourdissant des marteaux sur les planches (Hugo, Rhin,1842, p. 86).[Les] gémissements du vent dans la cheminée (Gautier, Fracasse,1863, p. 34).Il y avait le gémissement du trombone, le pleur du violon, le pchhh des cymbales (Vallès, J. Vingtras, Enf., 1879, p. 303) : 2. Ce n'est pas la ville de pierres que je chéris, ni les conférences, ni les musées, c'est la forêt vivante qui s'y agite, et que creusent les passions plus forcenées qu'aucune tempête. Le gémissement des pins d'Argelouse, la nuit, n'était émouvant que parce qu'on l'eût dit humain.
Mauriac, T. Desqueyroux,1927, p. 284. 2. [Construit avec un compl. prép. de désignant un affect] Son vocal inarticulé exprimant un affect très intense. Un gémissement de plaisir. Sténio fit un gémissement de souffrance et se laissa tomber sur le tapis (Sand, Lélia,1833, p. 216).Elle eut un petit gémissement de dégoût, et reprit sur un ton de prière enfantin : − Non, Monsieur, je ne veux pas qu'on le trouve là, c'est impossible, pensez donc! (Bernanos, Joie,1929, p. 722) : 3. Mais toi, sentinelle, si tu veilles, tu es en rapport avec la ville livrée aux étoiles. Ni cette maison, ni cette autre, ni cet hôpital, ni ce palais. Mais la ville. Ni cette plainte de mourant, ni ce cri de femme en gésine, ni ce gémissement d'amour, ni cet appel de nouveau-né, mais ce souffle divers d'un corps unique. Mais la ville.
Saint-Exup., Citad.,1944, p. 741. 3. Ton, accent de la voix exprimant un affect très intense. « Alors », cria-t-elle, dans un gémissement de désespoir, « qu'est-ce que vous êtes venu faire dans ma vie? » (Bourget, Actes suivent,1926, p. 159) : 4. ... M. Verdurin répliqua d'un ton pressé et avec un gémissement suraigu, non de chagrin, mais d'impatience irritée : « Hé bien oui, mais qu'est-ce que vous voulez, nous n'y pouvons rien, ce ne sont pas nos paroles qui le ressusciteront, n'est-ce pas? »
Proust, Sodome,1922, p. 899. B. − [Correspond à gémir I B; avec une valeur de dénigrement] Plainte sans fin qui importune. Synon. jérémiade.La conversation dans le plus beau moment de la journée, en prenant le café, consistait toujours en gémissements. On gémissait de tout (Stendhal, H. Brulard, t. 1, 1836, p. 193).Lorsque sa santé, le marché, la température ne lui apportait pas assez de désolation, elle s'en prenait à la Fabrique. Capet écoutait les gémissements de sa femme avec bonté, mais sans véritable compassion (Chardonne, Dest. sent., I, 1934, p. 143). − [Gémissement est employé pour introduire un discours rapporté avec une valeur de dénigrement de la part du locuteur] Il n'avait pas descendu un étage, que la mère Fétu reprenait ses gémissements. − Ah! quel brave médecin!... Pourvu que son remède me fasse quelque chose! J'aurais dû écraser de la chandelle avec des pissenlits, ça ôte l'eau qui est dans le corps (Zola, Page amour,1878, p. 826) : 5. Fauvet retrouvait le souffle pour lâcher des gémissements : « On m'a pris mon rasoir... Qu'a-t-on pu faire de ma pâte dentifrice? Hier encore, j'avais un petit miroir très commode. Qui donc a bien pu me le briser? »
Duhamel, Cécile,1938, p. 124. C. − Vieilli, littér. [Correspond à gémir I C; sans valeur dépréc.] Expression d'une douleur morale (présentée comme intense). Les gémissements et les pleurs. Sa pensée poétique [de Byron] n'est qu'un gémissement, une plainte, une imprécation (Chateaubr., Mém., t. 1, 1848, p. 517).Le cantique de Wagner devenait un gémissement d'une douceur surnaturelle (Bloy, Femme pauvre,1897, p. 162) : 6. Qu'il [Pascal] gémisse, cela va bien; ses gémissements sont fort beaux; mais qu'il nous veuille forcer à gémir; qu'il aille jusqu'à écrire : « Je ne puis approuver que ceux qui cherchent en gémissant », n'y a-t-il pas de quoi s'écrier qu'on n'approuve que ceux qui trouvent; qui trouvent avec des cris de joie?
Gide, Journal,1937, p. 1269. − Intense douleur morale. Gémissement de l'âme, du cœur. C'est la voix de l'humanité pensant et sentant, résumée et modulée par certains hommes plus hommes que le vulgaire (...) qui rend témoignage à la postérité de leurs gémisements ou de leurs joies (Lamart., Destinées poés.,1834, p. 389).St Paul, le grand poète, le grand théologien, a résumé d'un mot cette douleur universelle de la nature, quand il a dit : Omnis creatura ingemiscit. Et la théologie chrétienne n'est pas la seule qui ait constaté ce gémissement de toute créature (P. Leroux, Humanité, t. 1, 1840, p. 17). ♦ Dans le domaine de la spiritualité.Contrition. M. de Saint-Cyran (...) s'était également voué, par pensée de soumission, à ce silence de gémissement (Sainte-Beuve, Port-Royal, t. 1, 1840, p. 277). Rem. L'acception C p. hyperb. ne se rencontre que dans la langue littéraire soutenue. Rem. gén. On a relevé ds la docum. a) Qq. attest. du sens classique : bruit sonore. [Le] sourd gémissement des vagues courroucées (M. de Guérin, Poésies, 1839, p. 31). b) Qq. attest. de la constr. gémissement sur. Plainte, regret à propos de. J'ai eu mes faiblesses, mes abattements de cœur; un gémissement sur moi suffira pour faire comprendre au monde ces misères communes, faites pour être laissées derrière le voile (Chateaubr., Mém., t. 2, 1848, p. 122). Des gémissements sur les infidélités de Musette (Veuillot, Odeurs de Paris, 1866, p. 91). Prononc. et Orth. : [ʒemismɑ
̃]. Ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. Ca 1120 (Psautier d'Oxford, 78, 11 ds T.-L.). Dér. du part. prés. de gémir*; suff. -(e)ment1*. Fréq. abs. littér. : 1 070. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 1 679, b) 1 174; xxes. : a) 1 682, b) 1 476. Bbg. Bruneau (C.) N. créés au moy. du suff. -ment. In : [Mél. Orr (J.)]. Manchester, 1953, p. 30. |