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FOU1(ou FOL), FOLLE, adj. et subst.
[Rem. Fol. V. infra la rubrique Prononc. et Orth. La forme fol est employée, sans raison d'euphonie, dans le style archaïsant ou p. plaisanterie.]
I.− Adjectif
A.− Qui présente des troubles du comportement ou de l'esprit dénotant ou semblant dénoter une altération pathologique des facultés mentales. Synon. aliéné, dément, déséquilibré; anton. sain, normal.J'ai commencé par vous dire que le capitaine était fou, et que ses actes nous paraissaient nuls en bonne justice. − Qui vous le prouve, Mathieu? repris-je avec force (Nodier, Fée Miettes,1831, p. 97).Il n'était venu à la pensée de personne que la fille de Kermelle fût folle. Extérieurement elle était comme tout le monde, sauf son mutisme presque absolu (Renan, Souv. enf.,1883, p. 50).Les médecins constatèrent qu'il était fou (Maupass., Contes et nouv.,t. 2, Auberge, 1886, p. 1086):
1. Il ne me reconnaissait pas, il écumait, il avait des yeux de fou. « Il est bien réellement devenu fou », pensai-je avec terreur. Dans cet instant de désarroi, d'un effort prodigieux, il réussit à faire basculer l'échelle et à me précipiter sur le sol. Abellio, Pacifiques,1946, p. 391.
Loc. adj.
Fou à lier, à enfermer. Cet excellent homme tenait M. Ribert pour fou, fou à lier. Entre nous, il croyait, avec M. Duvergier de Hauranne, que le romantisme est une maladie comme le somnambulisme ou l'épilepsie (France, Vie fleur,1922, p. 375).
Fou furieux. Il est devenu fou furieux et actuellement, s'il n'est pas mort, il est enchaîné dans un cachot sur la paille (Constant,Cahier rouge, 1830, p. 12).
Fou perdu. Il est fou! gémit la mairesse, fou perdu! Il ne vit plus que pour son nez, pis qu'un chien, le malheureux (Bernanos, M. Ouine,1943, p. 1437).
P. anal. Chien fou. Chien enragé. Il suffit d'un farceur criant : « Au chien fou!... » ou bien : « Un bœuf échappé!... » et l'on court, on se bouscule, on s'effare (A. Daudet, Tartarin Alpes,1885, p. 261).
Rem. Constr. vieillie : fou de + subst. désignant une partie du corps, siège du trouble. Elle riait par éclats nerveux, elle rêvait avec mollesse, en femme folle du cœur et de la tête (Zola, Fortune Rougon, 1871, p. 47). Fou de corps, fou d'esprit, fou d'âme, De cœur, si l'on veut de cerveau (Nouveau, Valentines, 1896, p. 200).
B.−
1. [En parlant de pers.] Qui est dans un état psychologique de trouble intense ou d'exaltation causé par une forte émotion ou un sentiment poussé au paroxysme. Synon. bouleversé, égaré, enthousiaste, hors de soi; anton. calme, de sang-froid, tranquille.
a) Absol. L'imagination agite si cruellement que la mort même est un meilleur état que de telles craintes. Mais non, je suis folle : c'est la poste, votre négligence. Je souffre bien (Staël, Lettres L. de Narbonne,1793, p. 131).Il (...) fouilla dans tous les coins, tous les meubles, tous les tiroirs, derrière les murs, sanglotant, hurlant, éperdu, fou (Flaub., MmeBovary,t. 2, 1857, p. 206):
2. Cette musique de boîte de nuit me fait toujours tant d'effet que c'est une honte, je ne peux pas du tout en juger raisonnablement (...) les gens étaient fous, applaudissaient, hurlaient! Dans la pièce où je me cachais, un couple s'embrassait éperdument, et je me laissais, pour la première et dernière fois, embrasser par mon patron. Triolet, Prem. accroc,1945, p. 316.
[En parlant d'une partie du corps (siège d'une expression), d'un comportement] Rire fou. Delphine le serra par une étreinte folle et l'embrassa vivement, mais sans passion. « Vous m'avez sauvée! » Des larmes de joie coulèrent en abondance sur ses joues (Balzac, Goriot,1835, p. 164).Il eut un sursaut terrible, regardant Daru sans le reconnaître avec des yeux fous et une expression si apeurée que l'instituteur fit un pas en arrière (Camus, Exil et Roy.,1957, p. 1619):
3. Un tremblement agitait Ragu, ses yeux devenaient fous, tandis qu'il avançait toujours davantage sa mâchoire convulsée. Et, rageusement, il grogna, perdant tout respect, car il n'y avait plus là qu'une femelle et qu'un mâle. Zola, Travail,t. 2, 1901, p. 34.
Locutions
Être comme fou. J'étais comme fou; j'avais envie de rire et de pleurer. Les Parisiens criaient : − Ah! Michel! Il est revenu, Michel! (Erckm.-Chatr., Hist. paysan,t. 2, 1870, p. 210).
Fou furieux. Extrêmement violent sous l'effet d'un accès de colère. C'est un brutal, que ses mauvaises habitudes peuvent rendre fou furieux quand on le contrarie (Aymé, Quatre vérités,1954, p. 207).V. aussi bleuir ex. 5.
Rendre (qqn) fou. Faire perdre à (quelqu'un) tout sang-froid ou toute patience. Ce sang-froid rendait Leuwen fou; s'il n'eût été retenu par l'idée de sa mère, il eût déserté actuellement sur la grande route (Stendhal, L. Leuwen,t. 3, 1836, p. 56).Ce que je ne peux pas supporter, ce sont les imbéciles, les gens qui m'ennuient, ça me rend folle (Proust, Sodome,1922, p. 870).
b) [Avec un compl. de désignant la cause du trouble]
α) [Le compl. désigne un affect] Fou de terreur, Morel, revenant de sa stupeur première, ne doutant pas que ce ne fût un guet-apens (...) dégringola quatre à quatre les quelques marches de la villa (Proust, Sodome,1922p. 1082).Il est fou de joie... Il est content... Il grimpe sur son fauteuil à seize francs... Il acclame l'escadrille des catholiques trafiquants il sent monter en lui l'espoir (Prévert, Paroles,1936, p. 138):
4. Grand capitaine à vingt ans [Condé], fou d'orgueil après ses quatre victoires, fou de colère après seize mois de prison, ivre de haine jusqu'au crime et à la trahison, il revient, lion maté par le renard Mazarin, s'effondrer aux pieds du roi le plus roi qu'on ait jamais vu. Lemaitre, Contemp.,1885, p. 190.
SYNT. Fou de douleur, de jalousie; fou d'amour, de bonheur.
β) Rare. [Le compl. (subst. ou inf.) désigne une circonstance] Elle est quasi folle de sa mort (Balzac, Méd. camp.,1833, p. 272).Elle [la passion nihiliste] tue, folle de sentir que ce monde est livré à la mort (Camus, Homme rév.,1951, p. 352).
Rem. On relève qq. ex. de fou de peur + de + inf. La sueur au front, les pieds plus lourds, Courant toujours et fous de peur de voir toujours La lune en sang courir derrière eux dans les branches! (Samain, Chariot, 1900, p. 198). Je rentrais, fou de joie de vous voir, de retrouver la roulotte, d'embrasser maman (Cocteau, Par. terr., 1938, I, 3, p. 201).
2. [En parlant d'un trait psychol., d'un affect]
a) [Avec, selon les cont., une valeur morale dépréc.] Qui dépasse la mesure considérée comme convenable, par sa violence, son intensité ou le désordre qu'il peut causer. Fol orgueil; désir fou; ambition folle. Le système démocratique favorise ses trois défauts essentiels [de l'Arabe] : une prétention folle, un goût effréné du bavardage, et un penchant inné aux affaires louches, au tripotage (Tharaud, Alerte en Syrie!1937, p. 168).Ils substituent à l'humble et simple désir humain leurs imaginations folles et terribles (Mauriac, Journal,1940, p. 212):
5. Il connaissait l'entêtement des vieillards, les folles passions des jeunes, les contraintes et les relâchements de la misère. Les crimes, les débauches, les dévouements, il les connaissait. Queffélec, Recteur,1944, p. 227.
b) Qui ne peut être contenu, maîtrisé. Gaieté folle. Synon. irrépressible, irrésistible.Elle attendit cinq minutes, dix minutes, un quart d'heure. Une terreur folle l'envahissait. Ils l'avaient tué sans doute, saisi, garrotté, étranglé (Maupass., Contes et nouv.,t. 1, Serre, 1883, p. 677).La prisonnière, en proie à un vertige fou, comme si l'espace tout entier eût chaviré sur elle (Pergaud, De Goupil,1910, p. 195).Tant que j'avais cheminé, j'avais une soif folle; à présent ma soif était disparue (Arland, Ordre,1929, p. 535).Amour fou :
6. La tentation fut plus forte que ses hésitations. − « Écoute », fit-il brusquement, et il rougit comme un gamin. « C'est idiot, mais j'ai une envie folle de prendre un bain... tout de suite, avant dîner... Est-ce possible? » − « Parbleu! » s'écria Antoine, amusé. (Il eut l'absurde impression d'une petite revanche.) « Bain, douche, tout ce que tu voudras! ... Viens. » Martin du G., Thib.,Été 14, 1936, p. 145.
Fou(-) rire*.
3. [En parlant de pers.] Fou de qqc./qqn
a) [Le compl. prép. désigne une chose] Qui a une passion, un goût excessif ou exclusif pour (quelque chose). Synon. féru, mordu, passionné de (qqc.).Les Ibères (...) sont fous du chant et surtout de la danse. C'est, après le penchant fou à l'amour, le trait le plus frappant de leur caractère (Stendhal, Mém. touriste,t. 2, 1838, p. 34).Il était amateur fou de la pêche (Miomandre, Écrit sur eau,1908, p. 114).Un vieux magistrat ami des miens, traducteur de comédies espagnoles, fou de l'Espagne (Blanche, Modèles,1928, p. 66):
7. ... [Nietzsche] aristocrate qui a su dire que l'aristocratie consiste à pratiquer la vertu sans se demander pourquoi, et qu'il faut douter d'un homme qui aurait besoin de raisons pour rester honnête, fou de droiture (« cette droiture devenue un instinct, une passion »), serviteur obstiné de cette « équité suprême de la suprême intelligence qui a pour ennemi mortel le fanatisme », son propre pays, trente-trois ans après sa mort, l'a érigé en instituteur de mensonge et de violence... Camus, Homme rév.,1951, p. 100.
b) [Le compl. prép. désigne une pers.] Qui éprouve de la passion pour (quelqu'un). Être amoureux fou de (qqn). Ce qui contribua surtout à rendre Rodolphe amoureux fou de Mademoiselle Mimi, ce furent ses mains (Murger, Scènes vie boh.,1851, p. 157).Elle est folle de sa patronne. Elle la chouchoute, elle la dorlote, elle coucherait sur sa carpette si on le lui permettait (Simenon, Vac. Maigret,1948, p. 99):
8. − Gaillard du Gougier! vraiment! Joli parti, parlons-en! − Le plus beau garçon de la région! Toutes les filles à marier sont folles de lui. − Pourquoi « de lui »? tu n'avais qu'à dire : « Toutes les filles à marier sont folles. » Enfin... c'est pour quand? − Ah! voilà! ... − Je pensais bien qu'il y avait un « Ah! voilà! » Colette, Mais. Cl.,1922, p. 192.
c) Loc., vieilli
Folle de son corps. Qui se livre à la débauche. Les Fillettes de Paimpol, comme dit la vieille chanson islandaise, sont un peu folles de leur corps, et ne résistent guère à un garçon aussi beau (Loti, Pêch. Isl.,1886, p. 92).Cf. (faire) folie de son corps (v. folie1B 1).
Fou de la croix. Qui est en proie à une exaltation mystique chrétienne. Il y a deux siècles, Mademoiselle de Plémeur, avec un cilice et folle de la Croix, eût marché sanglante sur les routes (Montherl., Olymp.,1924, p. 286).
C.−
1. [Avec, selon les cont., une valeur dépréc. de condamnation ou de rejet]
a) Qui est dénué de bon sens, de prudence, qui va à l'encontre de ce qui serait raisonnable. (Quasi-)anton. raisonnable, sensé.
α) Absol. Involontairement, contre la logique et la nécessité des choses, notre pensée se laisse aller à ce beau projet fou, d'une vie que l'on passerait à voyager ainsi, avec des personnes sympathiques, allant toujours et n'arrivant nulle part (Goncourt, Journal,1864, p. 68).De tels avantages doivent donc engager les viticulteurs, non à se lancer dans de folles et chimériques entreprises mais à étudier le problème posément avant de passer aux réalisations qui s'imposent (Levadoux, Vigne,1961, p. 113).Proverbe. Souvent femme varie, Bien fol est qui s'y fie :
9. Ce jour même, dans une réunion publique de Belleville, où il était entré, Maurice entendit réclamer de nouveau l'attaque en masse. L'idée était folle, il le savait, et son cœur battit pourtant, devant cette obstination à vaincre. Quand tout est fini, ne reste-t-il pas à tenter le miracle? La nuit entière, il rêva de prodiges. Zola, Débâcle,1892, p. 578.
Locutions
[P. réf. à la (aux) Vierge(s) folle(s). Personnage(s) d'une parabole de l'Évangile (Matthieu xxv, 1-13)] L'une était une vierge sage et l'autre était une vierge folle. J'ai vu l'une mesurer l'huile de sa lampe, au déclin du jour, pour éclairer sa tâche austère. J'ai vu l'autre, en proie au fou rire, laisser sa torche s'éteindre, et elle ne la remplaçait pas dans la nuit (Jammes, Mém.,t. 2, 1922, p. 225).
P. ext. Femme légère. Au Quartier Latin, vers une heure cela devenait splendide; les courtisanes défaites, vautrées sur des genoux inconnus, les jupes relevées (...). Des vierges folles chantaient; on dansait le cancan sur les places (Gide, Corresp.[avec Valéry], 1891, p. 112).
Folle femme (vieilli). Courtisane. C'étaient les folles femmes surtout qui avaient la réputation de se farder (Sainte-Beuve, Nouv. lundis,t. 7, 1863-69, p. 189).
Les années folles. Les années suivant l'armistice de 1918. Ces « Années folles », que l'on appelait naïvement l'après-guerre et qui n'étaient qu'un « entracte » aux couleurs de Paul Morand, de Van Dongen et de René Clair (G. Guilleminault, Les Années folles,Paris, Denoël, 1956, p. 11).
P. anal. Période d'euphorie économique et/ou culturelle. Il suffisait qu'une grande société industrielle annonçât la création d'un département nucléaire, pour que le cours de ses actions fît un bond en avant. Peu après « ces années folles » de l'énergie atomique, les bénéfices se sont transformés le plus souvent en pertes (Goldschmidt, Avent. atom.,1962, p. 109).
Tête folle (vieilli). Elle était tête folle, et totalement ignorante des convenances et des usages. Et ses caprices reflétaient ce déséquilibre (Van der Meersch, Invas. 14,1935, p. 82).
En partic., DR., vieilli. Folle enchère*.
Spécialement
[Qualifiant une proposition] Il est évidemment fou d'entreprendre si l'on ne se fie d'abord à soi (Alain, Propos,1921, p. 327).Le tragique de la vie, c'est d'aimer ce qui est éphémère. Il ne serait pas plus fou de s'attacher d'un cœur désespéré à ce beau jour finissant qu'à une créature (Mauriac, Journal,1937, p. 112).
Emploi interjectif. − Folle! s'écria-t-elle tout à coup sans dire à qui elle destinait cette insulte (Green, Moïra,1950, p. 37).V. rem. 1 in fine.
β) [Constr. avec un compl. prép. de désignant une action] C'est bon, espèce de petite vierge (...) tu réciteras un speech à mon ministre d'ami, il ne s'embêtera pas à te regarder, sais-tu? (Il est complètement fou de lâcher ici de pareilles choses! MlleSergent me tuera!) (Colette, Cl. école,1900, p. 260).Il se répétait qu'un Jean Cazenave n'est pas mariable. Les Cazenave étaient fous de prendre au tragique cette farce (Mauriac, Baiser Lépreux,1922, p. 160).
b) Qui s'écarte de ce qui est considéré comme convenable dans les normes sociales dominantes. Anton. bon, convenable.La fuite de Mary et de Jane avait donné mauvaise réputation aux demoiselles de Skinner Street, et les directrices d'école se méfiaient de cet élevage. De loin elle admirait, avec un peu d'envie et de tristesse, la vie folle et romanesque, dangereuse aussi, mais variée, de ses sœurs (Maurois, Ariel,1923, p. 220).Il arrivait même que des visites maladroites lui donnassent des réflexes fous. Ainsi gifla-t-il la vicomtesse. Ainsi s'éloigna-t-il des codes (Cocteau, Fin Potomak,1940, p. 53).
En partic., dans le domaine de la philos. morale.Anton. sage.Les premiers poëtes ou les premiers auteurs rendaient sages les hommes fous. Les auteurs modernes cherchent à rendre fous les hommes sages (Joubert, Pensées, t. 1, 1824, p. 437).
P. ext. Bizarre, extravagant. (Quasi-)synon. dingue (fam.).Il est fou et loufoque, déclare Marthereau, qui a coutume de renforcer l'expression de sa pensée par l'emploi simultané de deux synonymes (Barbusse, Feu,1916, p. 16).
2. [Sans valeur dépréc. de rejet ou de condamnation]
a) Qui, affranchi des convenances ou des normes de comportement habituel, se laisse aller à la gaieté, à l'insouciance, à l'exubérance. Synon. fantasque, folâtre; anton. sérieux.Ces moments de joie et d'amitié vive et folle que l'on trouve (...) chez les jeunes filles d'ailleurs les plus retenues (Stendhal, Prom. ds Rome,t. 1, 1829, pp. 175-176).Dieu me garde de parler seulement le langage du bon sens : en bien comme en mal, il convient d'être un peu fou (Bernanos, Soleil Satan,1926, p. 132).
Cœur fou. On se laisse griser. La sève est du champagne et vous monte à la tête... On divague; on se sent aux lèvres un baiser Qui palpite là, comme une petite bête... Le cœur fou robinsonne à travers les romans (Rimbaud, Poés.,1871, p. 72).
[En parlant d'un (moment de) jeu, d'une mus.] Synon. déchaîné.Je me précipite au dehors au milieu d'une folle partie de loup en criant : « Je joue! » comme je crierais « Au feu! » (Colette, Cl. école,1900, p. 52).Je laisse le rondeau final [du quatuor en ré] d'un entrain fou, qui exploite indéfiniment une ritournelle de quelques notes (Ghéon, Prom. Mozart,1932, p. 122).
P. anal. Les roulades des oiseaux, la nage folle des poissons sortant de leur léthargie de l'hiver (Goncourt, Journal,1889, p. 962).
b) Littér. [En parlant d'une chose] Qui porte à la gaieté, à l'insouciance. Les longues nuits demain remplaceront, lugubres, Les limpides matins, les matins frais et fous, Pleins de papillons blancs chavirant dans les choux (Samain, Chariot,1900, p. 126).Ce lilas, derrière les grilles D'un petit jardin triste et doux, Donne un parfum plus fort, plus fou Que ne font toutes les vanilles (Noailles, Éblouiss.,1907, p. 338).
3. En partic., dans le domaine artistique ou de la mode.Qui s'écarte, s'affranchit des règles esthétiques (en particulier, classiques) ou de bon goût dominantes. Anton. classique.C'est très joli : des chapeaux fous, des cheveux trop dorés, des bagues (Colette, Cl. Paris,1901, p. 238).L'église de San Francisco, avec (...) son portail fou, ses moulures extravagantes (Morand, Air indien,1932, p. 189).Qui les aime plus que moi, ces façades convulsionnaires de Borromini, et la folle chapelle de la Sapienzia? (Green, Journal,1935, p. 17):
10. La Fontaine est un auteur à conseiller, en ces temps d'alittérature, plus fou et plus libre qu'aucun de vous, brisant le vers et en jouant avec tant de grâce dans sa folie qu'il n'y paraît pas. Mauriac, Mém. intér.,1959, p. 218.
D.− Qui échappe à la raison. Synon. absurde, irrationnel; anton. raisonnable, rationnel.Des historiens distingués lui doivent [à Jeanne d'Arc] d'avoir fait des chapitres bien systématiques ou un peu fous (Sainte-Beuve, Nouv. lundis,t. 2, 1863-69, p. 418).L'idée qu'il y a quelque mystère caché à l'intérieur des choses est une idée folle, mais naturelle (Alain, Propos,1933, p. 1117).Dans un monde aussi incohérent, l'existence de Dieu ne serait pas une chose plus folle que la non-existence de Dieu (Duhamel, Désert Bièvres,1937, p. 250):
11. C'est là [à Marseille] que je mesurai la distance entre le jeune homme fou de poésie qui me rendait visite (...) et le fou chantant qui chantait seul et n'avait de fou que la folle sagesse des poètes. Cocteau, Foyer artistes,1947, p. 150.
En partic., MYSTIQUE CHRÉT. V. folie E 2.Dieu n'a-t-il pas rendu folle la sagesse de ce monde? car puisque le monde n'a pas su, par la sagesse, connaître Dieu dans la sagesse de Dieu, il a plu à Dieu de sauver ceux qui croient par la folie de la prédication (Gilson, Espr. philos. médiév.,1931, p. 23).Si la croix est la vérité, la vérité est folle (Mauriac, Journal,1940, p. 274).
E.− P. anal. [Gén. en fonction d'épithète postnominal; qualifiant un subst. désignant une réalité concr.]
1. [Qualifiant un subst. désignant un objet naturel] Qui va en tout sens en donnant l'apparence du désordre. Cheveux fous. Les belles flammes folles dans la cheminée avaient l'air de se mourir (Loti, Rom. enf.,1890, p. 9).Je regardais aller et venir les doigts de Marguerite et aussi l'ombre que projetait, sur sa joue, une mèche folle qui boucle devant son oreille (Duhamel, Confess. min.,1920, p. 154).Cf. aussi arbrisseau ex. 2.
Spécialement
Folle-avoine (cf. avoine A 1 synt.).
Folle-farine. Partie la plus fine de la farine qui s'envole au moindre souffle. Il est bon de ne laisser entre le faux fond et le fond véritable [de la cuve à filtrer] qu'une distance très faible (...) sinon on risque d'y accumuler une grande quantité de boue et de folle farine (Boullanger, Malt., brass.,1934, p. 259).
Herbe(s) folle(s). Herbe qui croît en abondance et au hasard. Les betteraves aux hautes fanes et l'herbe folle des champs incultes trempaient les jambes jusqu'aux genoux (Dorgelès, Croix de bois,1919, p. 41).
Brise folle, vent fou. Brise, vent qui change sans cesse de direction. Il y avait encore trop de vent, surtout des vents fous, tantôt d'un côté, tantôt de l'autre (Giono, Que ma joie demeure,1935, p. 275).
2. [Qualifiant un subst. désignant un objet artificiel] Dont le mouvement n'est plus contrôlé. Voiture folle. (Quasi-)synon. déréglé.Débrayé par le sommeil, il le sentait, ce cerveau, pareil à un moteur fou, tourner, tourner dans sa tête (Martin du G., Thib.,Mort père, 1929, p. 1307).Sur une route, pour éviter un camion « fou », un jeune médecin se voit obligé de freiner brutalement. Sa voiture dérape, fait plusieurs tonneaux et s'écrase (J. Gauthier, Çà s'est passé un dimancheds Le Canard enchaîné, 27 sept., 1967, p. 4).
P. anal. Patte folle. Jambe dont on ne domine pas tous les mouvements. Avec ma patte folle, dis-je, je ne suis pas suspect. Je partirai en avant, en éclaireur (Abellio, Pacifiques,1946, p. 369).
Spécialement
[Qualifiant un élément mobile d'un dispositif technique] Qui est indépendant de l'arbre qui le porte et sur lequel il tourne. Toute accélération du mouvement [d'un câble] a (...) pour conséquence une modification simultanée de la vitesse de rotation de la molette, poulie folle (...) sur laquelle passe le câble avant de s'engager dans le puits (Haton de La Goupillière, Exploitation mines,1905, p. 1023).Le principe du « damper » [amortisseur placé au bout du vilbrequin] est simple : un ou deux plateaux sont montés fous sur le vilebrequin et arrêtés par des épaulements (Chapelain, Techn. automob.,1956, p. 52).
Balance folle. Balance dont le fléau ne se stabilise pas au point d'équilibre. Dira-t-on que l'introduction d'une quantité infiniment petite peut quelquefois suffire à rompre l'équilibre comme il arrive dans le cas de la balance folle? (Boutroux, Contingence,1874, p. 55).
Aiguille, boussole folle.
F.− [Fou sert à indiquer une grande quantité ou le haut degré] (Quasi-)synon. considérable, extraordinaire.
1. [En position d'épithète postnominal d'un subst. précédé d'un art. indéf.] Avoir un travail, un succès fou; gagner un argent fou; des prix fous; une vitesse folle. Il (...) lance, du bout de son pied, un ballon à des hauteurs folles (Gyp, Souv. pte fille,1927, p. 64).Il dit (...) que c'est d'une gravité folle... qu'il faut prendre des mesures, toute affaire cessante... qu'il faut peut-être envisager d'urgence le déplacement de son quartier général (Romains, Verdun,1938, p. 193).Ils sont couchés depuis longtemps (...). « Depuis un temps fou, depuis des heures » (Butor, Passage Milan,1954, p. 223):
12. ... il fait soleil. Il fait même un soleil fou. Il vient de tous les coins du ciel à la fois à travers les déchirures des nuées. Il balaie tout le paysage comme un faisceau de phare, comme un phare tournant à cent faisceaux. Giono, Noé,1947, p. 58.
2.
a) C'est fou + prop. exclam.C'est fou ce que nous avons pu boire, Modigliani et moi, et quand j'y pense, j'en suis épouvanté (Cendrars, Bourlinguer,1948, p. 199).« C'est fou comme vous pouvez prendre les choses au sérieux! On dirait que vous jouez votre tête! » (Beauvoir, Mandarins,1954, p. 521).
b) C'est fou + subst. suivi d'une relative.C'est fou tout le bien qu'ils pensent de vous (Beauvoir, Mandarins,1954p. 324).Tout le monde disait du bien de son livre, c'était fou le courrier qu'il avait reçu (Beauvoir, Mandarins,1954p. 99).
Rem. Lorsque le subst. est au plur. ou est un subst. collectif, la constr. ci-dessus implique une idée de grande quantité.
Rem. gén. 1. Fou est fréq. employé dans des énoncés ayant une valeur insultante; cet emploi amalgame les diverses accept. distinguées ci-dessus : le dérèglement pathologique, le manque de bon sens, la transgression des normes habituelles de comportement. Dans cet emploi, fou a de nombreux quasi-synon. pop. ou fam. : dérangé, détraqué, fatigué, malade; braque, cinglé, dingo, dingue, fada, louf, loufoque, louftingue, maboul, marteau, piqué, siphonné, sonné, tordu. 2. La docum. atteste les loc. adj. figées. a) (Fam.) pas fou, pas si fou. [Gén. employé en appos. qualificative du suj.] (Quasi-)synon. pas con, pas si con, plus malin. Ils ne se mouillaient pas eux-mêmes. Pas si fous. [Ils chargeaient leurs femmes de saigner au rasoir les filles rebelles] (Le Breton, Rififi, 1953, p. 129). Quelques mômes du coin, pas fous, commençaient déjà à démonter les petites pièces (Simonin, Touchez pas au grisbi, 1953, p. 175). Pas folle, la guêpe (v. ce mot B). b) Tout fou. Très exubérant et/ou étourdi (cf. Clément ds rem. 2 in fine). P. anal. [Le garde] « Entrez donc, Monsieur, le temps est tout fou » (La Varende, Contes fervents, Gde Chue, 1948, p. 106).
II.− Substantif
A.−
1. Personne qui présente des troubles du comportement ou de l'esprit dénotant ou semblant dénoter une altération pathologique de ses facultés mentales. Un fou dangereux, méchant, inoffensif. Le jeter à Bicêtre. Le plonger dans des bains d'eau de glace, des bains mortels; le tenir là enfermé avec des fous, pour le rendre fou (Goncourt, Journal,1864, p. 82).Ne perdez pas de vue ce fou, la tête surmontée d'un vase de nuit, qui pousse, devant lui, la main armée d'un bâton, celui que vous auriez de la peine à reconnaître (Lautréam., Chants Maldoror,1869, p. 355).Va-t'en de toi-même chez les fous, mon garçon, que je me dis. Chez les fous, chacun joue son guignol, ni vu ni connu, je t'embrouille, tu auras tes aises... Un fou, à mon avis, c'est un homme qui sort de sa maison, ferme la porte derrière lui et jette la clé dans la citerne (Bernanos, M. Ouine,1943, p. 1521):
13. ... il y a, au fond de l'impasse, (...) une masure habitée par une folle, et toutes les nuits elle crie, elle crie terriblement. Si vous avez jamais subi une scène, si vous en avez jamais fait une, alors peut-être connaissez-vous ce paroxysme de colère, de rage qui fait hurler, casser les objets, peut-être avez-vous même senti le crime voltiger autour de vous... C'est ainsi que se comporte à longueur de jours et de nuits ma voisine, la folle (...). La légende veut qu'elle soit devenue folle parce qu'il lui a plongé la tête dans un seau d'eau glacée pendant qu'elle était enceinte. Triolet, Prem. accroc,1945, p. 277.
Au fou! [Cri pour avertir du danger que peut représenter un fou] Attaqués, qu'il dit... Au fou... Lâchez les chiens! (Dorgelès, Croix de bois,1919, p. 10).
Locutions
Fou furieux. Il s'élança avec une rage de fou furieux, étreignit sa servante à la gorge et la jeta contre le mur (Maupass., Contes et nouv.,t. 2, Petit, 1883, p. 391).
Fou perdu. Devant moi, une folle perdue, avec trois plumes droites au chapeau comme sur les armes du prince de Galles, titube toute seule (Morand, Londres,1933, p. 92).
2. En partic. [Le concept de fou correspond à une déf. scientifique et/ou institutionnelle de la folie]
a) PSYCH., MÉD. Asile, loges, maisons de fous. Il regardait les vastes bâtiments de l'asile, les ailes des différents quartiers, séparés par des jardins, celui des hommes et celui des femmes, ceux des fous tranquilles et des fous furieux (Zola, Dr Pascal,1893, p. 69).Le besoin de la preuve, de l'assentiment collectif sont des composantes élémentaires de la pensée : ils manquent totalement chez certains fous, et sont oblitérés chez toutes les pensées de nature schizoïde (Mounier, Traité caract.,1946, p. 663):
14. Dans les familles qui ont produit des névrosés, des individus étranges, trop sensibles, on voit apparaître des fous et des faibles d'esprit. Cependant les maladies mentales se montrent aussi dans des familles qui en étaient jusqu'alors indemnes. Il y a certainement dans la production de la folie d'autres facteurs que les facteurs héréditaires. Carrel, L'Homme,1935, p. 186.
Rem. L'emploi de fou tend à disparaître dans le domaine psych. et jur. contemporain à cause du caractère trop gén. et des connotations péj. de ce terme. Fou est remplacé par aliéné, malade mental.
b) [Dans les approches contemporaines remettant en cause les déf. méd. de la folie] L'étiquette de « fou » dont l'enfant psychotique se sait affublé, lui ôte son identité et frappe en quelque sorte d'irresponsabilité ses gestes et sa parole (M. Mannoni, Le Psychiatre, son« fou », et la psychanalyse, Paris, Éd. du Seuil, 1970, p. 40):
15. Le fou nous rappelle que quelque chose ne va pas dans la rationalité dominante, que derrière la façade se cache une autre réalité; implicitement, il conteste nos certitudes et dit des choses inopportunes et scandaleuses que nous ne voulons pas écouter. « De tout temps, écrit Freud, ceux qui avaient quelque chose à dire et ne pouvaient le dire sans danger aimèrent à prendre l'habitude de se coiffer du bonnet de fou. » R. Jaccard, La Folie,Paris, P.U.F., 1979, p. 7.
3. Spéc. [En fonction de déterm.]
a) Subst. (désignant une partie du corps, un comportement) + de fou.Alice avait des yeux de folle, où se lisait la mortelle douleur de son dernier orgueil, sa virginité violentée (Zola, Argent,1891, p. 401).Avec un grand geste de fou, il m'envoie une bourrade sur l'épaule (Barbusse, Feu,1916, p. 58).
Vieilli. [Déterminant un subst. abstr.; avec une idée de haut degré] Victorin (...) descendit l'escalier avec une rapidité de fou (Balzac, Cous. Bette,1846, p. 367).
Rem. Dans cet emploi, le syntagme de fou est gén. équivalent à l'adj. fou. V. fou A, B ou F selon les contextes.
Loc., fam.
Maison de fous. Maison, lieu où règne un grand désordre, où les personnes se comportent bizarrement. Mais oui, mon bon monsieur, je quitte votre maison de fous... vos haricots rouges commençaient à m'écœurer... et le parfum des chaussettes de vos enfants, ces petites bêtes puantes (H. Bazin, Vipère,1948, p. 75).
P. anal. Nous donnons au monde le spectacle d'une nation de fous. Ceux qui réclament l'égale justice pour tous sont couramment traités de vendus et de traîtres. Des insurgés en retraite s'agenouillent devant les conseils de guerre (Clemenceau, Iniquité,1899, p. 70).
Histoire de fous. Histoire drôle, dont le comique est produit par l'absurdité des propos ou des actes de fous.
P. anal. Toute l'histoire du monde, dans ces dernières années, est une histoire de fous. La grande guerre est une histoire de fous (Romains, Hommes bonne vol.,1939, p. 152).
b) Verbe (désignant un comportement, une activité) + comme un fou.Je m'enfuis. Je m'échappai dans le parc. J'allais comme une folle; ma dernière chance de salut venait de m'être ravie (Soulié, Mém. diable,t. 1, 1837, p. 350).Il est arrivé comme un fou, en roulant des yeux terribles, il m'a dit que j'étais un traître et puis ils ont commencé à parler en espagnol (Bourdet, Sexe faible,1931, 1, p. 298).
[Avec une idée de haut degré] Synon. extrêmement, intensément.Travailler comme un fou. Aimer comme un fou. Synon. à la folie.Moi je vous aime comme un fou. − Eh bien, mon ami, il fallait m'aimer un peu moins ou me comprendre un peu mieux (Dumas fils, Dame Cam.,1848, p. 164).
Rem. Dans cet emploi, le syntagme comme un fou est gén. équivalent à l'adv. follement.
Rare, vieilli. En fou.Je ne sais rien de vos crimes, sinon que vous mettez votre cravate en fou, ce qui m'est bien égal (Sand, Corresp.,t. 4, 1861, p. 249).
B.−
1. Personne dont la conduite ou le comportement s'écarte de ce qui serait raisonnable aux regards des normes sociales (dominantes ou propres à l'idéologie du locuteur), ce qui est considéré comme l'expression d'un dérèglement de l'esprit et/ou d'un manque de sens moral, de bon sens ou de prudence. Car s'il [un spéculateur] n'en était pas informé [de certaines circonstances], s'il ne les appréciait pas, il ne serait point un spéculateur, mais un fou semant au hasard son crédit et ses capitaux (Boyard, Bourse et spécul.,1853, p. 166).Les Leroy ne sont pas des fous. S'ils vendent à perte depuis plusieurs séances, ils ont leurs raisons (Druon, Gdes fam.,t. 2, 1948, p. 106):
16. Je radote... C'est toi qui radotes (...); pour tout le reste tu parais avoir assez de bon sens, mais sur le chapitre du mariage tu es un véritable fou. − Bon, maintenant c'est moi qui suis le fou et David Sichel l'homme raisonnable. Quelle diable d'idée possède le vieux rebbe de vouloir marier tout le monde? − N'est-ce pas la destination de l'homme et de la femme? Est-ce que Dieu n'a pas dit dès le commencement : « Allez, croissez et multipliez »? Est-ce que ce n'est pas une folie que de vouloir aller contre Dieu, de vouloir vivre... Erckm.-Chatr., Ami Fritz,1864, p. 32.
Locutions
Jeune fou. Jeune homme turbulent ou téméraire. Avec quelques jeunes fous de sa sorte, riches et casse-cou, il rivalisa de témérité dans des courses en auto, absurdes et forcenées, de vraies courses à la mort (Rolland, J.-Chr., Nouv. journée, 1912, p. 1531).Il n'est jamais venu à l'esprit du vieil histrion qu'il faut (...) beaucoup de jeunes fous pour faire un peuple héroïque (Bernanos, Enf. humil.,1948, p. 77).
Vieux fou. Homme âgé excentrique, au comportement bizarre. Les vieilles folles du cercle, apeurées et sanglotantes. Une grosse, bien fardée, blafarde, qui se grattait les cuisses, avait voulu gentiment lier conversation avec elle (Aragon, Beaux quart.,1936, p. 469).Tout à coup, un tonnerre de ferraille le faisait sursauter : c'était un vieux fou du voisinage, un hobereau ruiné qui caracolait sur une haridelle et pointait sa lance rouillée contre un moulin (Sartre, Mots,1964, p. 169).
P. exagér. Affranchie des fous furieux du Parlement, la marine retombe sous le particularisme de ses bureaux (Maurras, Kiel et Tanger,1914, p. 70).Madame Thomajean est une harpie, une mauvaise mère, une vieille horreur, une folle dangereuse, une simulatrice, une criminelle (Colette, Pays connu,1949, p. 54).
Spécialement
a) [Empl. comme appellatif ou interj.] De loin, des hommes à l'âme basse injuriaient le Républicain : − Eh! le fou... Anarchiste! (Hamp, Champagne,1909, p. 128).La folle! la cochonne! répétait-il en se déshabillant, si haut que ses injures traversaient la cloison (H. Bazin, Vipère,1948, p. 64).
b) [Emploi qualificatif antéposé] Ce fou de Descartes s'imaginait que la philosophie avait besoin d'une base inébranlable, d'un aliquid inconcussum sur lequel on pût asseoir l'édifice de la science, et il avait la bonhomie de le chercher (Proudhon, Propriété,1840, p. 230).Elle attendait le retour de sa vieille folle de mère, qui s'attardait à Monte-Carlo, naturellement. − Cette toquée de comtesse Lourieff? (Vogüé, Morts,1899, p. 65).
En partic., arg. Folle. Travesti au comportement tapageur, homosexuel très efféminé. Jamais elle n'eût osé dire sans rougir : « Ma bite était braquée. » L'argot, pas plus que les autres Folles ses copines, Divine ne le parlait (J. Genet, Notre-Dame-des-fleurs,L'Arbalète, 1966, p. 23).
2. Personne qui, affranchie des convenances ou des normes de comportement habituel, se laisse aller à la gaieté, à l'insouciance. Lord Seymour donnait le branle; d'aimables fous avec lui menaient la danse (Sainte-Beuve, Nouv. lundis,t. 6, 1863-69, p. 146).Ne nous lassons pas de le répéter : directeurs, acteurs, auteurs, c'est un monde d'aimables fous (Renard, Journal,1905, p. 996).
Expressions
S'amuser, rire comme des fous. Les enfants s'amusaient comme des fous; sauf moi (Sartre, Mots,1964, p. 86).
Faire le fou. Il bouffonna avec plus d'extravagance encore que de coutume : « Tu n'as pas fini de faire le fou! » lui disait sa mère en riant. Il paraissait si insouciant, et à mon égard si indifférent (Beauvoir, Mém. j. fille,1958, p. 211):
17. Je n'ai jamais su m'habiller, choisir une cravate, la nouer. Je n'ai jamais su m'abandonner, ni rire, ni faire le fou. Il était inimaginable que je pusse m'agréger à aucune bande joyeuse : j'appartenais à la race de ceux dont la présence fait tout rater. Mauriac, Nœud vip.,1932, p. 32.
Petit fou, petite folle. [En parlant d'un enfant] Espiègle. Grande folle! soupira Madame Gobelin. Philippine fit encore quelques bouffonneries, mais on voyait qu'elle avait envie de pleurer (France, Vie fleur,1922, p. 522).
Proverbe. Plus on est de fous, plus on rit. Plus on est nombreux, plus on s'amuse. Amenez aussi ce cher seigneur Ivan Pétrovitch et tous vos amis. Plus on est de fous, plus on rit (G. Leroux, Roul. tsar,1912, p. 86).
Rem. La forme fol est d'emploi rare, littér. ou recherché. Le charmant fol [Gérard de Nerval] conçut le sonnet d'Artémis, le poème insensé que nous aimons (Barrès, Pays Lev., t. 1, 1923, p. 298).
C.− En partic.
1. Dans le domaine de la philos. morale
a) Personne qui, vivant dans le monde, ne peut atteindre à la sagesse. (Quasi-)anton. sage.Philosopher, c'est réfléchir, faire usage de sa raison, en tout et partout, dans quelque position qu'on se trouve, au milieu des fous comme parmi les sages, dans le tourbillon du monde comme dans la solitude et le silence du cabinet (Maine de Biran, Journal,1816, p. 154).
b) Personne qui ne se conduit pas selon les lumières de la raison. Anton. sage.Repousser cette science animale, qui ramènerait le règne des fous et des méchants. Ne pas entendre les sommations de la crainte et de l'espérance. Un croyant est un homme pour qui sa propre humeur vaut preuve. Et contre cette mauvaise science, de Tibère, de Néron, d'Héliogabale, il faut de la volonté seulement (Alain, Propos,1914, p. 182):
18. Les restrictions gouvernementales sont en raison inverse de la perfection des individus. Or tous seraient comme nous, si tous avaient notre culture, si tous possédaient comme nous l'idée complète de l'humanité. Pourquoi toute liberté est-elle accompagnée d'un danger parallèle et a-t-elle besoin d'un correctif? C'est que la liberté est pour les sages comme pour les fous. Mais quand tous seront sages, ou quand la raison publique sera assez forte pour faire justice des insensés, nulle restriction ne sera nécessaire. Renan, Avenir sc.,1890, p. 354.
La folle du logis. L'imagination. Racine n'avait pas, comme Mmede Sévigné, de l'imagination à revendre et à tout propos (...) sa folle du logis ne lui échappait pas bon gré, mal gré, à tort et à travers (Sainte-Beuve, Nouv. lundis,t. 3, 1863-69, p. 59).
2. Dans le domaine de la critique artistique ou de la spiritualité.Personne qui atteint à une vérité spirituelle en refusant de s'assujettir aux lois de la raison et/ou aux normes sociales. Fou sublime (vieilli), fou de génie. Il est vrai que les grandes œuvres de ce monde ont toujours été accomplies par des fous. Croyez-vous, Madame Martin, que si saint François d'Assise avait été raisonnable, il aurait versé sur la terre, pour le rafraîchissement des peuples, les eaux vives de la charité et tous les parfums de l'amour? (France, Lys rouge,1894, p. 125):
19. ... le mental préfabriqué, par sa surabondance, étouffe les voix intérieures. De là, par réaction, notre intérêt pour le poète et l'artiste, l'enfant et le fou, communauté hétéroclite, parfois choquante, où sont groupés ceux qui, activement ou passivement, vivent encore en prise directe sur leurs mobiles intimes, hors du communisme des activités rationnelles. Huyghe, Dialog. avec visible,1955, p. 53.
Fou de Dieu. Par devant l'Esprit Saint l'ascète se présente en mendiant, en aveugle, en estropié, en malade, en fou d'amour, et son élan de fou de Dieu l'emporte (Cendrars, Lotiss. ciel,1949, p. 147).
D.− HISTOIRE
1. Fou de cour, de qqn, p. ell. fou. Bouffon attaché à la personne de certains hauts personnages (roi, prince...). Un de ces fous artificiels, un de ces bouffons volontaires chargés de faire rire les rois (Baudel., Poèmes prose,1867, p. 33).Un fou, bizarrement coiffé du bonnet à grelots (Gautier, Guide Louvre,1872, p. 42).Feste, le fou de la comtesse Olivia (Duhamel, Suzanne,1941, p. 269).
P. anal. Le bourgeois adopta Murger parce qu'il trouvait en lui (...) ce mélange du maniaque, du bouffon, de l'affamé et de l'inspiré qu'il appelle l'artiste, et qui constitue le véritable fou de la démocratie (Veuillot, Odeurs de Paris,1866, p. 88).L'atelier avait en lui son amuseur et son fou, un fou dont il n'aurait pu se passer (Goncourt, Man. Salomon,1867, p. 26).
2. Fête des fous. Fête bouffonne, au Moyen Âge, qui consiste en une parodie des offices religieux. Il y eut aussi la fête des fous (...) les acteurs élisaient un évêque qu'ils intrônisaient en des cérémonies ridicules; et ce bouffon bénissait dans la basilique, le peuple et présidait à des offices dérisoires, tandis que les paysans, barbouillés de moût et déguisés en bateleurs ou en ribaudes, l'enfumaient avec du cuir de vieille savate, brûlé dans l'encensoir (Huysmans, Oblat,t. 1, 1903, p. 266).Il n'est pas de composition sociale qui n'ait la contestation de ses fondements comme contrepartie, les rites le montrent : les saturnales ou la fête des fous renversaient les rôles (G. Bataille, Exp. int.,1943, p. 141).
E.− JEUX
1. Pièce du jeu d'échecs qui se trouve au début de la partie à côté du roi et de la reine et qui doit être déplacée en diagonale. Sur l'échiquier, vous déplacez les fous, les reines, les pions (Daniel-Rops, Mort,1934, p. 335).
2. Une des cartes des tarots suisses. Uranus est le fou du tarot (Divin.1964, p. 224).
Rem. Nombreux emplois subst. à valeur de neutre : Nous avions avec nous une jeune Espagnole (...) Des pieds mignons à rendre une reine jalouse; Et puis sur tout cela je ne sais quoi de fou (Gautier, Poés., 1872, p. 266). Ce camarade maintenant silencieux rêvassant à ses familières visions d'épouvante avait quelque chose de fou, mais aussi quelque chose de sacré − ce qu'a toujours de sacré la présence de l'inhumain (Malraux, Cond. hum., 1933, p. 290).
REM. 1.
Folle-blanche, subst. fém.Cépage blanc des Charentes donnant un vin, qui, distillé, fournit le cognac (d'apr. Mont. 1967). C'était l'époque où le gamay dans le Nord-Est, la folle blanche dans l'Ouest et le terret dans le Midi voyaient leur ère de culture s'emparer chaque année de surfaces nouvelles (Levadoux, Vigne,1961, p. 115).P. méton. On arrosa le tout de folle-blanche, nommée ici « piquepoult » (...) et de jurançon (Pesquidoux, Chez nous,1923, p. 98).
2.
Fou-fou, fofolle, adj. et subst.,fam. Espiègle, écervelé. Quelqu'un de tout fou, le jeune comte Octavian, assez foufou, assez lancé sous les jupes des dames pour être connu sous le tendre nom de « Quinquin » (C. Clément, L'Opéra ou La Défaite des femmes,Paris, Grasset, 1979, p. 208).
3.
Fol(l)ingue,(Folingue, Follingue) adj. et subst.,pop. et arg. Ils sont des quantités comme ça, des follingues qui veulent du vice; on devrait les foutre en cabane, j'te le dis (J.-P. Clébert, Paris insoliteds Le Breton Argot1975).
4.
Foutraque, adj. et subst.Région. Personne un peu folle, excentrique. Toi, tu as seulement besoin qu'on te rafraîchisse les idées, pauvre foutraque. Il l'empoigne par le fond des brayes et va le plaquer dans l'abreuvoir (Pourrat, Gaspard,1922, p. 144).
Prononc. et Orth. : [fɔl], [fu]. La forme fol au masc. sing. est considérée comme vieillie dès le xviies. (cf. Fur. 1701 : ,,On disait, autrefois, fol``; cf. Ac. 1694-1740, s.v. fol : ,,on prononce fou et plusieurs l'escrivent ainsi``). On l'emploie uniquement devant voyelle ou h muet par raison d'euphonie. Parallèlement à l'usure de l'adj. sous sa forme fol, on assiste, surtout au cours du xixes., à un changement de place de l'adj. qui d'antéposé devient postposé au subst. et, par conséquent, se prononce toujours et s'écrit : [fu] fou. La forme fol subsiste devant voyelle et h muet dans des unités syntagm. du type : fol amour, fol hommage; on l'emploie encore dans des domaines archaïsants tels que le droit, la poésie; on la conserve dans les proverbes : bien fol est qui s'y fie, bien que Littré recommande d'écrire fou dès que le mot qui suit l'adj. n'est pas le subst. de cet adj. : bien fou est qui s'y fie. L'ensemble des dictionnaires, dont Ac. 1762-1932, commentent l'emploi de fol sous fou, fol ne faisant l'obj. que d'une vedette de renvoi à fou. Les rem. sur fol sont valables pour d'autres adj. masc. du type : mol/mou, bel/beau, vieil/vieux à cette réserve près que l'anc. forme de ces derniers adj. est moins usée que dans le cas de fol/fou, ex. : un vieil homme, un bel enfant. Étymol. et Hist. I. 1. Ca 1100 fol subst. et adj. « déraisonnable (d'une personne) » (Roland, éd. J. Bédier, 229, 1207); début xiies. « id. (d'une chose) » (St Brendan, éd. E. G. R. Waters, 925 : fole pöur); 2. 1580 (Montaigne, Essais, I, 36, éd. A. Thibaudet, p. 264 : (le) fol du Duc de Florence). II. 1275-80 jeux fol (J. de Meun, Rose, éd. F. Lecoy, 6634 : et ros et fols et paonez; ibid., 6647 et 6684 : fos); 1347 (Jean Ferron, trad. de la Moralisatio super ludum scaccorum de Jacques de Cessoles, ms. Dijon, BM 525, fo191 ds Romania t. 77, p. 56 : Des alphins et de leurs offices que aucuns appellent fols); 1611 fol (Cotgr.); 1613 fou (M. Régnier, Satire XIV, éd. J. Plattard, p. 128). I du lat. class. follis « soufflet pour le feu; outre gonflée; ballon; bourse de cuir » qui a pris à basse époque en emploi adj. le sens de « idiot, sot » (v. TLL s.v., 1018, 12). II fou a remplacé l'a. fr. et m. fr. alfin, aufin (xie-xves. d'apr. FEW t. 19, p. 48a, s.v. fil), empr., prob. par l'intermédiaire de l'esp. alfil, à l'ar. al fil « l'éléphant », cette pièce ayant été à l'orig. représentée par un éléphant. Le nom de fou vient peut-être d'une comparaison de la position des pièces du jeu d'échec avec celle du fou de cour auprès du roi. (Cf. a. prov. fol, peu après 1276, Tenson de Peire et de Guilhem, vers 45 ds P. Meyer, Les derniers troubadours de la Provence ds Bibl. Éc. Chartes, 6esérie, t. 5, p. 297). V. Devic, Lok., no605, FEW, loc. cit. Fréq. abs. littér. : 12 289. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 12 941, b) 19 179; xxes. : a) 21 465, b) 18 034. Bbg. Bowman (Fr. P.). Mod. Lang. Notes. 1976, t. 91, pp. 756-757. − Felman (Sh.). La Folie ds l'œuvre romanesque de Stendhal. Paris, 1971, 253 p. − Grundt (L.-O.). Ét. sur l'adj. invarié en fr. Bergen, 1972, p. 238. − Sain. Sources t. 2 1972 [1925], p. 398. − Vrbková (V.). La Méthode ds l'ét. du ch. conceptuel de l'amour. Sborník Prací Filos. Fak. brn. Univ. 1971, t. 20, p. 26.