| FAIRE2(SE), verbe pronom. [Emplois pronom. spécifiques de faire; pour les emplois cour. cf. faire1et faire3] I.− Emploi réfl. indir. [Le suj. désigne une pers.] A.− [L'obj. dir. désigne gén. un inanimé abstr.] Se former (à son avantage ou à son détriment). 1. Se faire un(e)/du/de la + subst.Se faire une idée*, des idées*, des illusions*. − Se faire du souci, du mauvais sang, de la bile, du mouron (fam.), du tintoin (pop.), etc. Se tracasser, s'inquiéter vivement. Tu les as guettés, tu t'es fait de la bile. Il ne répondait pas, il avait l'air d'une bête abattue (Zola, Nana,1880, p. 1284).C'était plus fort qu'elle, elle se faisait des cheveux sans raison (Sartre, Âge de raison,1945, p. 29). 2. Se faire un(e) + subst. + de.Se faire une idée* de, un devoir* de, un plaisir* de. Elle devait se faire une idée assez savoureuse de notre situation (Sagan, Bonjour tristesse,1954, p. 115): 1. sœur constance. − Pourquoi pas? Que voulez-vous, Sœur Blanche, chacun se fait de Dieu l'image qu'il peut, à quoi bon discuter là-dessus? Il y a même des gens qui ont le malheur de ne pas croire en Lui, je les plains de tout mon cœur, mais... J'ose à peine vous dire...
Bernanos, Dialog. Carm.,1948, 3etabl., 1, p. 1612. 3. Loc. verb. Se faire fort de, illusion sur, ne pas se faire faute de, etc. Dans la vue de lui aplanir cette étude réputée si ardue, et se faisant fort de la lui apprendre en quatre ou cinq jours (Sainte-Beuve, Port-Royal,t. 2, 1842, p. 420).Se faisant illusion sur lui-même, comme tous les phthisiques (Sand, Hist. vie,t. 4, 1855, p. 219). B.− [L'obj. dir. désigne une pers. ou un inanimé] 1. Se ménager, se créer. Se faire des amis, des relations; se faire un nom, une situation. Il faut, en outre, se faire un nom dans le monde, se créer une position (Zola, Contes à Ninon,1864, p. 195).Il avait eu une jeunesse difficile et avait dû traîner ses grolles un peu partout pour apprendre son métier et se faire une situation (Cendrars, Bourlinguer,1948, p. 276). 2. Spéc., vulg. Posséder sexuellement. Se faire un homme, une femme; se la faire. Synon. s'envoyer, se payer, se taper.Est-ce que, du moment où deux femmes se trouvaient ensemble avec leurs amants, la première idée n'était pas de se les faire? (Zola, Nana,1880, p. 1186). C.− Loc. verb. spéc. au fig. 1. Se faire + subst. désignant une partie du corps. ♦ Se faire la main. S'exercer, s'entraîner. ♦ Se faire les poings, les griffes, les ongles. Elle est (...) orgueil et force, avec (...) quelque chose de public qui la jette parmi la foule pour se faire les poings (H. Bazin, Vipère,1948, p. 275). ♦ Se faire les yeux (à/sur). Les accommoder* : 2. Des observations qui précèdent il résulte immédiatement que, pour bien apercevoir l'Arbre de la Vie, il faut commencer « par se faire les yeux » sur cette portion de sa ramure où ne se soit exercée que modérément l'action corrosive du Temps.
Teilhard de Ch., Phénom. hum.,1955, p. 132. 2. Fam. (Il) faut se le/la faire! Il faut supporter cette personne! Synon. pop. se le/la farcir. 3. Ne pas s'en faire − Ne pas s'inquiéter, être sans crainte. Ne vous en faites pas. T'en fais pas pour si peu (fam.). Tu n'as pas besoin de t'en faire : nous, nous allons à gauche, toujours à gauche : sur Bar-Le-Duc et Châlons (Sartre, Mort ds âme,1949, p. 281).Faut pas s'en faire pourvu qu'on ait la santé, le boire et le manger (Sartre, Mort ds âme,1949p. 69).Ne t'en fais donc pas pour Nadine (...) en tout cas, elle se consolera vite (Beauvoir, Mandarins,1954, p. 65). − P. ext. Se montrer sans-gêne ou insouciant, négligent. Il ne s'en fait pas, celui-là! Vous n'avez pas l'air de vous en faire, madame, lui dis-je un jour. Que lisez-vous là? (Cendrars, Bourlinguer,1948, p. 388).On ne s'en fait pas! (p. iron.). Il ne faut pas vous gêner! Eh bien mon vieux! on ne s'en fait pas (Queneau, Loin Rueil,1944, p. 99). II.− Emploi à sens passif. [Emploi abs.; le suj. désigne une chose] A.− [En parlant d'une réalisation unique] Être produit ou accompli. 1. [En parlant d'une réalisation hum.] C'est ce qui s'est fait de mieux jusqu'ici. C'est une vieille Marseillaise. Ici, vieille signifie expérimentée. Elle a vu se faire Marseille pour une bonne part (Giono, Chron.,Noé, 1947, p. 170).Ton gosse ne s'est pas fait par l'opération du Saint-Esprit, hein? (Druon, Gdes fam.,t. 2, 1948, p. 140): 3. Il [Alfred] la connaissait trop bien, cette chambre; il l'avait vue se faire année par année, et les meubles s'ajouter aux meubles.
Bourget, Crime am.,1886, p. 167. − Loc. proverbiale. Paris ne s'est pas fait en un jour. Certaines œuvres demandent beaucoup de temps et de patience pour être réalisées. 2. [En parlant d'un événement; en constr. impers. ou à suj. neutre] Arriver, avoir lieu, se produire. Il pourrait bien se faire que; comment se fait-il que...? Je crois même que s'ils avaient tiré un peu mieux, il aurait pu se faire que tu m'attendes ici très longtemps (Gracq, Syrtes,1951, p. 263): 4. Il me regarda : « Vous croyez que ça ne peut pas se faire? »
− Je n'ai pas d'idée, dis-je.
− En tout cas on essaiera, dit-il avec décision. Il faut essayer de faire des choses! C'est pas une raison parce qu'on est un intellectuel pour vivre en pantoufles.
Beauvoir, Mandarins,1954, p. 215. − En partic., en constr. attributive avec un subst. désignant le suj. réel. Il se fait, il se fit. Il y a, il y eut. Il se fit un grand silence. Un jour, il se fit un déclic dans ma tête (Beauvoir, Mém. j. fille,1958, p. 24). B.− [En parlant d'un fait répété, d'un comportement habituel] 1. Être couramment pratiqué, être en usage. Cela se faisait au Moyen Âge; cela se fait souvent ici; ce sont des choses qui se font. Synon. se pratiquer.À parler franchement, je ne suis pas folle de ces exhibitions. De mon temps, cela ne se faisait pas (Feuillet, Mar. monde,1875, pp. 121-122).Elle affectait d'être préoccupée, distraite; cela ne se fait point en province, je m'en inquiétai (Giraudoux, Simon,1926, p. 69): 5. mme ratinois. − (...) j'ai dîné dernièrement dans une maison où l'on changeait de couteau et de fourchette à chaque plat.
le maître d'hôtel. − Cela se fait partout, maintenant.
Labiche, Poudre aux yeux,1861, II, 8, p. 376. − En partic. Être à la mode. Les ponchos se font beaucoup cette année. 2. [Surtout à la forme négative, avec une idée de convenance mor. ou soc., de politesse, d'usages] Convenir, être séant, convenable, raisonnable. Cela ne se fait pas. Cela n'est pas correct, de bon ton. Je vous choque, parce que je me promène l'âme toute nue, dans cette maison, et que cela ne se fait pas (Cocteau, Monstres sacrés,1940, II, 2, p. 51): 6. Sa conduite était uniquement guidée par l'intérêt et le respect des convenances. « Oh! Monsieur, ça ne se fait pas », me disait-il lorsque je voulais faire monter, dans la carriole (...) un estropié cheminant péniblement sur la route...
Gide, Feuillets d'automne,1949, p. 1088. III.− Emploi à valeur subjective ou réfl. dir. A.− Se transformer, changer d'état. Anton. se défaire. 1. Emploi abs. à valeur subjective a) [En parlant d'une pers.] Se transformer naturellement ou volontairement dans le sens de l'accomplissement de son être (au physique ou au moral). Il se fera; il s'est fait tout seul; une jeune fille qui se fait. (Quasi-) synon. se former, évoluer, s'épanouir.Il faut que l'enfant se fasse lui-même, il faut le laisser se faire au milieu du vaste monde, si l'on veut qu'il soit plus tard un homme, une énergie agissante (Zola, Travail,t. 1, 1901, p. 227).Mais si l'homme en train de se faire, de devenir, ne pouvait être sans mensonge immobilisé dans son grouillement? C'est toute la question (Mauriac, Mém. intér.,1959, p. 217): 7. Jusqu'à un certain point le fidèle qui, ayant compris le sens chrétien du développement, aura travaillé à se faire et à faire le Monde pour Dieu, n'aura presque pas besoin d'entendre ce deuxième commandement pour commencer à lui obéir. Ne s'est-il pas déjà quitté, en même temps qu'il prenait possession de lui-même...?
Teilhard de Ch., Milieu divin,1955, p. 109. b) [En parlant du vin, du fromage ou plus rarement d'un fruit] Arriver, avec le temps, à un degré de qualité, de maturité propre à la consommation. Vin, fromage qui se fait. (Quasi-)synon. s'améliorer, se bonifier, mûrir.Vous pensez qu'un tremblement de terre en Nouvelle-Guinée n'empêche pas (...) les fromages de se faire et la terre de tourner (Prévert, Paroles,1946, p. 16): 8. Les fromages demi-gras sont plus longs à se faire que les fromages gras et leur affinage complet exige au moins deux mois.
Pouriau, Laiterie,1895, p. 625. 2. Emploi réfl. a) Se faire à.S'habituer, s'adapter à (quelqu'un ou quelque chose). Se faire à une idée; je ne peux pas m'y faire; je ne m'y ferai jamais; on se fait à tout. On se fait à ce pays, et puis on finit par l'aimer (Maupass., Contes et nouv.t. 1, Allouma, 1889, p. 35): 9. blanche. − Ce qui vous paraît contrainte n'est que manque d'habitude et maladresse. Je n'ai pu encore me faire au bonheur de vivre heureuse et délivrée.
Bernanos, Dialog. Carm.,1948, 3etabl., 8, p. 1629. b) Se faire + adj. attribut.Commencer à être et paraître. Se faire vieux; produit qui se fait rare. Synon. devenir.Le baron retrouva quelque force et sortit de son apathie; il devint jeune quand son fils se faisait vieux (Balzac, Béatrix,1839-45, p. 245).Ces tourterelles dont le roucoulement amoureux se fait parfois si âpre (Ambrière, Gdes vac.,1946, p. 367). 3. Emploi impers. Il se fait tard. L'heure commence à être tardive ou la nuit commence à tomber, le jour décline. Il commence à se faire tard; on va l'embarquer dans l'auto (Beauvoir, Mandarins,1954, p. 562). B.− Emploi attributif. Devenir volontairement. Synon. se rendre, devenir. 1. [L'attribut est un adj. qualificatif] Se faire doux, petit. Elle est arrivée piteuse, les mains vides, n'ayant rien à donner, tout à recevoir, se faisant pauvrette (Chateaubr., Mém.,t. 4, 1848, p. 39).La fable de « La Grenouille voulant se faire aussi grosse que le Bœuf » (Gide, Journal,1943, p. 243): 10. ... elle [Lise] se rappela soudain que deux de ces barreaux étaient plus espacés à l'extrémité de la grille et que dans son enfance elle parvenait à se glisser par là. Elle se fit menue, toute menue, rentrant ses omoplates l'une après l'autre...
Lacretelle, Hts ponts,t. 4, 1935, p. 250. − Spéc. Se faire beau, belle. Se parer, s'apprêter (se maquiller). Violaine. − Ai-je eu tort de me faire belle pour une pauvre petite heure? (Claudel, Annonce,1948, II, 3, p. 169): 11. Elle est très heureuse, sauf que sa maman ne la mène jamais à la promenade. Enfin, elle a une joie : sa maman se lève, se fait belle, va sortir. Étonnement de la poupée qu'on ne la prépare pas, elle aussi.
Renard, Journal,1900, p. 608. 2. [L'attribut est un subst. non déterminé désignant un état de vie, une condition, une profession] Se faire avocat, moine, prêtre; cf. le Verbe s'est fait chair*. Les saints ont grand'peine, même en se faisant ermites, à ne pas emporter au fond leur petit démon secret (Sainte-Beuve, Port-Royal,t. 2, 1842, p. 258).Contrairement aux habitudes de ma famille, son frère avait préféré l'épée à la robe, il s'était fait militaire (Kock, Compagn. Truffe,1861, p. 14): 12. On a remarqué que la déficience de l'aptitude est parfois un stimulant de l'intérêt dans le choix du métier : le bègue se fait orateur (Démosthène), l'émotif, médecin.
Mounier, Traité caract.,1946, p. 425. 3. [Le suj. désigne une femme] Se faire une beauté. Se parer, s'apprêter, se maquiller. Ma chère! que je me cache pour me faire une beauté, quand j'aurai trente-cinq ou quarante ans, je ne dis pas (Colette, Entrave,1913, p. 59): 13. Croire que l'on convaincra quelqu'un qu'une pièce est bonne, en l'obligeant à y venir en frac, ressortit à ces mêmes ficelles grossières que c'est, pour une femme, de « se faire une beauté » en public : on truque, et on dévoile le truc.
Montherl., Notes théâtre,1954, p. 1073. Prononc. et Orth. Cf. faire1. Étymol. et Hist. V. faire1. |