| FILLE, subst. fém. I.− Personne du sexe féminin, considérée du point de vue de son ascendance, de son origine (le subst. masc. correspondant est fils). A.− [Rapport d'ascendance naturelle] 1. [Ascendance directe] Personne du sexe féminin considérée par rapport à son père et/ou à sa mère. Fille légitime, naturelle; doter, marier sa fille; avoir une/des fille(s). Lord Nelvil doit épouser, dimanche prochain, miss Lucile Edgermond, fille cadette de lord Edgermond, et fille unique de lady Edgermond, sa veuve (Staël, Corinne,t. 3, 1807, p. 259).Il avait déjà une fille de huit ans, Renée, lorsque sa femme expira en donnant le jour à une seconde fille (Zola, Curée,1872, p. 379).Oh!... Tu n'es pas la fille de ton père? Elle rit, point scandalisée d'une liberté de langage qu'elle encourageait : − Mon Dieu, si! moi comme les autres (Colette, Mais. Cl.,1922, p. 98).V. aussi aîné ex. 1. a) Emplois partic. Fille adoptive*. Fille du logis, de la maison. Fille du maître de maison. Nous vous donnerons de la pierre et du bois, mais vous n'aurez pas la fille de la maison! (Claudel, Annonce,1948, prol., p. 140). − Expr. injurieuse. Fille de garce, de putain. Tiens, fille de putain!... Tiens, vois si ça va te le boucher! (Zola, Terre,1887, p. 225). b) P. ext. − Personne que l'on considère comme sa fille. Il aurait eu pitié de ses propres mensonges s'il lui avait parlé de sa mère, heureuse de l'accueillir en fille chérie, en épouse de son fils (Gozlan, Notaire,1836, p. 76). − Spéc. Belle-fille*. c) P. anal., rare. Petit (femelle) d'un animal. Au fond de la pièce, contre le radiateur, les deux chattes, mère et fille, dormaient dans les pattes l'une de l'autre (Montherl., Lépreuses,1939, p. 1464).Une chienne entrait sur ses talons, une petite bête sans race, fille de corniot (Genevoix, Raboliot,1949, p. 36). 2. [Ascendance éloignée, voire très lointaine] a) Arrière-petite-fille*; petite-fille*. b) Fille de + subst. Descendante de. Fille des Césars. C'était la fille des rois des vieilles souches, la fille des rois légitimes (Mussetds Revue des Deux-Mondes,1832, p. 240).La fille des nababs (Ponson du Terr., Rocambole, t. 2, 1859, p. 427). − Vx. Fille de France. Fille ou descendante légitime du roi de France. Merci, Marguerite, merci!... vous êtes une vraie fille de France (Dumas père, Reine Margot,1847, I, 4, p. 34). − Fam. Fille d'Ève*. B.− P. anal. 1. [Rapport d'ascendance, de tutelle morale] a) [Par rapport à une entité mythique ou symbolique] Aux filles de Baal (Balzac, Physiol. mar.,1826, p. 74).L'ardente fille de la terre noire (Leroux, Roul. tsar,1912, p. 97). − Poétique. Filles du ciel, de Mnémosyne. Les Muses. Autrefois j'eusse été plus entraîné par les Muses; ces filles du ciel jadis étaient mes belles maîtresses (Chateaubr., Mém.,t. 4, 1848, p. 461). − Loc. verb., pop. Jouer la fille de l'air. S'évader, déguerpir. « Dépêchez-vous et jouez-moi la Fille de l'air avec accompagnement de guibolles » (Larch.1861, p. 3). b) [Par rapport à une institution religieuse ou à son fondateur] Religieuse. Filles du Carmel, de St Vincent de Paul. Cette attitude humiliée devant un supérieur, qui, après tout, n'était qu'un homme, choquait l'esprit plus libre des filles de Port-Royal (Sainte-Beuve, Port-Royal,t. 4, 1859, p. 110): 1. La mère Sainte-Cécile est une stratégiste remarquable d'âme, fit le prieur, mais... mais... cette œuvre qu'elle a rédigée pour les filles de son abbaye contient, je crois, quelques propositions téméraires qui n'ont pas été lues sans déplaisir à Rome.
Huysmans, En route,t. 2, 1895, p. 283. ♦ Fille en Jésus-Christ. Celle qui a un père ou une mère spirituel(le). Être la fille de qqn en Jésus-Christ. Très chère fille en Jésus-Christ, nous avons voulu mettre devant toi l'exemple de sainte Élisabeth (Montalembert, Ste Élisabeth,1836, p. 310). c) [En parlant d'une collectivité par rapport à une institution religieuse ou profane] − Fille aînée* de l'Église. Fille des rois de France. Celle qui est placée sous leur protection. Encore qu'on appelle l'Université la fille du roi (...) (Barante, Hist. ducs Bourg.,t. 2, 1821-24, p. 386). − Fille aînée de + autre subst.Celle qui joue un rôle essentiel dans l'évolution d'un mouvement intellectuel, spirituel, etc. : 2. M. de Voltaire, passant par Soissons, reçut la visite des députés de l'académie de Soissons, qui disaient que cette académie était la fille aînée de l'Académie Française, « Oui, messieurs, répondit-il, la fille aînée, fille sage. fille honnête, qui n'a jamais fait parler d'elle ».
Chamfort, Caract. et anecd.,1794, p. 179. d) Au fig.
Œuvre abstraite ou concrète par rapport à son créateur. La philosophie moderne, fille de Descartes et mère de Hume (Cousin, Hist. philos. mod.,1847, p. 8).Les différentes œuvres d'un artiste sont toutes parentes comme filles d'un même père, c'est-à-dire qu'elles ont entre elles des ressemblances marquées (Taine, Philos. art,t. 1, 1865, p. 2). 2. [Rapport d'origine, de provenance] a) Personne issue, native de. − Domaine sociol.Ses membres gros et courts en faisaient une fille des champs (Zola, M. Férat,1868, p. 168).À la blonde fille de l'aristocratie s'oppose, bonne ou méchante, la fille de la bourgeoisie riche (Lemaitre, Contemp.,1885, p. 346).Elles sont presque toutes jolies, madame. Je parle des filles du peuple (France, Lys rouge,1894, p. 75). − Domaine géogr.Fille du Nord, du Midi. b) P. anal. [En parlant d'une chose concr. par rapport à son lieu d'origine] Je ne pourrois nombrer ces races innombrables [des plantes] Filles des monts, des bois, de la terre et de l'onde (Delille, Trois règnes nature,1808, p. 61).Les anguilles ne se reproduisent pas en eau douce. L'antiquité, Aristote le premier, les croyait filles du limon (Pesquidoux, Chez nous,1923, p. 71). c) Au fig. Chose qui résulte d'une autre, est engendrée par elle. Synon. conséquence, résultat.Cette religion, fille du Bas-Empire (About, Grèce,1854, p. 282).C'est une idée assez commune que révolution et guerre sont filles de pauvreté (Alain, Propos,1926, p. 675).La loi, cette fille intelligente de la mort, qui règle le caractère (Jouve, Scène capit.,1935, p. 96). 3. Appellatif, vieilli. Ma fille. Appellation affectueuse ou condescendante employée à l'égard d'une personne de sexe féminin (notamment dans les rapports de maître à domestique) (cf. Ac.). II.− Être humain de sexe féminin (le subst. masc. correspondant est garçon). École de(s) filles; vêtements de filles : 3. Pendant les vacances, il racolait impérieusement les enfants des fermiers et leur faisait la classe : une photo le représente, dans la cour de Meyrignac, entouré d'une dizaine d'élèves, filles et garçons.
Beauvoir, Mém. j. fille,1958, p. 35. A.− [Du point de vue de son âge ou de son état-civil] 1. [Du point de vue de son âge, p. oppos. à la femme adulte] a) Enfant de sexe féminin (synon. fillette); adolescente, jeune fille. Lycée de jeunes filles. C'est une jolie petite fille, dit le docteur, une jolie petite fille avec une framboise sous la mamelle gauche (France, Orme,1897, p. 135).Grande fille. Celle qui est nubile ou pubère. b) [Avec une valeur caractérisante] − Subst. + de fille.Qui a les caractéristiques d'une fille. Cheveux, joues, manières de fille. Beau cavalier, Monmond, et qu'on s'arrache! Clerc de notaire, une figure de fille et des cheveux noirs bouclés, comment voulez-vous qu'on résiste? (Colette, Cl. école,1900, p. 307): 4. En effet, le jeune homme était d'un tempérament si nerveux qu'il avait, à la moindre imprudence, des indispositions de fille, des bobos qui le retenaient dans sa chambre pendant deux ou trois jours.
Zola, Conquête Plassans,1874, p. 1037. − Emploi adj., rare. Et je vais offrir ma tasse de thé, suivie de Marcel, autrement câlin et fille que moi, qui porte les sandwiches (Colette, Cl. Paris,1901, p. 88). 2. [Du point de vue de son état-civil; p. oppos. à la femme mariée] Personne de sexe féminin jeune ou qui n'est pas mariée. Synon. demoiselle1.L'affection d'une fille à marier pour un mari probable (Constant, Journaux,1803, p. 34).V. aussi demoiselle1ex. 3. a) Jeune fille. [P. oppos. à dame, jeune femme (mariée); le masc. correspondant est jeune homme] Elle avait commencé de parler comme elle eût fait avec une de ces femmes, avec, peut-être, une de mes jeunes filles en fleurs (Proust, Prisonn.,1922, p. 340).V. aussi demoiselle1A 2 a, citat. de Renard. ♦ Nom de jeune fille. Patronyme d'une femme avant son mariage. La femme de Bellamy s'appelle Odette et son nom de jeune fille est Godreau (Simenon, Vac. Maigret,1948, p. 32). b) Fille(-)mère. Femme ayant un enfant hors mariage. Elle ne sait pas que l'assistance est assez secourable aux filles-mères (Renard, Journal,1905, p. 1023). Rem. L'expr., considérée comme péj., est actuellement remplacée par le synon. mère(-)célibataire. c) Vieille fille. Femme célibataire d'un certain âge (le masc. correspondant est vieux garçon). Cette demeure (...) habitée par deux vieilles filles dévotes (Flaub., Champs et grèves,1848, p. 199).V. aussi célibataire ex. 2. Rem. 1. On rencontre dans cette acception, vx, fille. Vous êtes fille, vous resterez fille, vous mourrez fille (Balzac, Splend. et mis., 1844, p. 80). 2. Demoiselle est souvent employé de nos jours afin d'éviter le terme désobligeant de vieille fille. − P. compar., péj. Elle ouvrit sa valise et entreprit de s'installer avec des soins méticuleux de vieille fille (Beauvoir, Mandarins,1954, p. 84). B.− P. ext., emplois gén. fam. Femme (généralement jeune), célibataire ou non. Brave, chic, jolie fille; les filles du pays, du village. C'était, ma foi, un beau brin de fille : elle avait cinq pieds et quelques pouces, et une vraie moisson d'appas (Musset, Il ne faut jurer,1840, III, 3, p. 154).Ça l'a vexée. On dit ça comme ça; on dit : pauvre fille. C'est sans intention (Sartre, Nausée,1938, p. 89).C'est une fille épatante (Abellio, Pacifiques,1946, p. 393). 1. La fille + nom patronymique. Parfois péj. Mon nom, c'est Léonie Vincent, mais le commissaire de police, lui, il dit la fille Vincent. Nuance... (Aymé, Cléramb.,1950, p. 46). 2. Loc. verb. Courir* les filles. a) Être (une) bonne fille. Avoir bon caractère, être généreuse. Elle est trop bonne fille pour m'en vouloir (Green, Journal,1946, p. 17). b) Être fille à. Être une fille capable de. Elle était fille à se tirer d'affaire (Van der Meersch, Invas. 14,1935, p. 121). C.− [Du point de vue de son état, de son mode de vie] 1. [Pour indiquer un état] Fille de + subst. indiquant un métier, une charge, un titre. a) Vieilli. Fille de + subst. indiquant gén. le lieu de travail.Fille de cuisine, de ferme, de service. Synon. servante, employée.Elles sont honnêtes, car il n'y a pas de maîtresse lingère ou autre qui ne recommande à ses filles de boutique de parler au monde poliment (Musset, Mimi Pinson,1845, p. 218).Elle entra dans une autre ferme, y devint fille de basse-cour (Flaub., Cœur simple,1877, p. 7). − Spéc. Fille de salle. Employée chargée du ménage, de l'entretien dans les chambres et salles d'un hôpital. Une fille de salle soulevait une poussière qui retombait sur les malades, sous prétexte de balayer (Aragon, Beaux quart.,1936, p. 147). − Région. (Belgique), vieilli. Fille de quartier. Femme de ménage (Baet.1971). b) Fille (d'honneur/de qualité). Personne qui accompagne une femme noble. (Quasi-)synon. dame, demoiselle d'honneur, suivante.Elle s'est amusée, en attendant de plus brillans succès, à mettre la discorde entre les filles d'honneur de la princesse (Genlis, Chev. cygne,t. 2, 1795, p. 298).P. ext. Fille d'honneur. Celle qui accompagne la mariée. 2. [Pour indiquer un mode de vie] a) Péjoratif. Fille (de joie, des rues, publique, soumise, etc.). Femme aux mœurs libres, faisant commerce de son corps. Fréquenter les filles. Synon. prostituée, putain (pop.).J'étais très triste en sortant de chez Louason, à cinq heures. Je croyais avoir vu qu'elle était une fille (Stendhal, Journal,t. 1, 1801-18, p. 288).Je ferais mieux de rire de tout cela, et d'aller me soûler à la taverne ou bien de courir chez la fille de joie me vautrer dans quelque ignoble et vénale volupté (Flaub., Smarh,1839, p. 115).Lorette est un mot décent inventé pour exprimer l'état d'une fille ou la fille d'un état difficile à nommer (Balzac, Homme d'affaires,1845, p. 401).Cf. La fille Élisa (Goncourt). ♦ Fille de Baal. V. baal ex. 4. − Emploi adj., rare. Qui caractérise une femme de mauvaise vie. Synon. provocant, vulgaire.Cette dégradation [des âmes avant la Révolution] se montrait jusque dans les habits (...) et la femme de haut parage disait à sa chiffonneuse : « Ce bonnet n'a pas l'air assez fille » (J. de Maistre,
Œuvres compl.,t. 1, Frag. sur Fr., 1821, p. 200).Elle [Sidonie] avait justement la grâce frelatée, un peu fille, qui devait plaire à cette nature de gandin [Georges Fromont] (A. Daudet, Fromont jeune,1874, p. 66). − P. métaph. Les Anglais (...) payaient quarante millions par an à l'Europe monarchique et diplomatique, sorte de fille publique que le peuple anglais a toujours entretenue (Hugo, Homme qui rit,t. 2, 1869, p. 12). b) Fille repentie. Femme qui renonce à la prostitution. Elle y choisit pour séjour un couvent de filles repenties (Montalembert, Ste Elisabeth,1836, p. 180). REM. Fifille, subst. fém.,fam. Terme affectueux, d'amitié vis-à-vis d'une fille. C'est une bonne affaire, fifille! Tu es ma fille, je te reconnais (Balzac, E. Grandet,1834, p. 214). Prononc. et Orth. : [fij]. Ds Ac. 1694-1932. Étymol. et Hist. 1. a) fin xes. fillie « personne du sexe féminin considérée par rapport à son lieu d'origine » (Passion, éd. D'A. S. Avalle, 261 : fillies Jerusalem); b) ca 1050 filie « personne du sexe féminin considérée par rapport à ceux dont elle est née »(La Vie de Saint Alexis, éd. Chr. Storey, 40); 2. 2emoitié du xiiies. Filles-Dieu « nom donné à certaines religieuses » (Rutebeuf, Le Frère Denise ds
Œuvres, éd. E. Faral, et J. Bastin, t. II, p. 291 vers 231); 3. 1389 « femme qui mène une vie de débauche » (Ordonnances des rois de France de la troisième race, t. 7, p. 309 : fille de joye); 4. a) 1606 « femme attachée à la reine » (Du Vair, Actions et traités oratoires, éd. R. Radouant, I, 679); b) 1655 fille d'honneur « suivante » (Molière, Étourdi, III, 3); 5. 1528 « jeune fille nubile ou femme non mariée », (Cl. Marot, Epithalame, I, 57 ds
Œuvres lyriques, éd. C. A. Mayer, p. 312); 6. 1601 « chose qui naît d'une autre » (A. de Montchrestien, La Reine d'Escosse, éd. J. D. Crivelli, 618). Du lat. class. filia « enfant du sexe féminin, jeune personne ». Fréq. abs. littér. : 38 195. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 51 757, b) 67 548; xxes. : a) 63 442, b) 43 921. Bbg. Adams (G.C.S.). Words and descriptive terms for woman and girl in French and Provençal and border dialects. Chapell Hill, 1949, 99 p. − Chautard (É.). La Vie étrange de l'arg. Paris, 1931, p. 478. − Hasselrot 1957, p. 218 (s.v. fifille). − Klein (J.-R.). Le Vocab. des mœurs de la Vie Parisienne sous le Second Empire. Louvain, 1976, pp. 94-95. − Mat. Louis-Philippe 1951, p. 70, 184. − Morin (Y.-C.). The Phonology of echo-words in French. Language. Baltimore. 1972, t. 48, p. 105 (s.v. fifille). − Pauli (I.). Enfant, garçon, fille ds les lang. rom. Lund, 1919, 42 p. − Quem. DDL t. 14, 15; t. 1, 5 (s.v. fifille). − Saint-Jacques (B.). Sex, dependency and language. Linguistique. Paris, 1973, t. 9, p. 95. − Ullmann (S.). Words and their meanings. Camberra, 1974, 23 p. |