| FÉLICITÉ, subst. fém. Littér. Jouissance extrême, bonheur parfait. A.− Félicité parfaite, suprême, sans bornes; ère, état, vie de félicité. Synon. allégresse, béatitude, extase.Je n'ai point encore rencontré d'homme qui n'eût été trompé dans ses rêves de félicité (Chateaubr., Génie,t. 2, 1803, p. 265).Ils s'avançaient, la tête haute, droits et souriants, au milieu d'un tel rayonnement de félicité, qu'ils semblaient marcher dans la gloire (Zola, Dr Pascal,1893, p. 184): 1. socrate. − Eh bien, ne te semble-t-il pas, Eryximaque, et à toi, mon cher Phèdre, que cette créature qui vibre là-bas [la danseuse] (...) a l'air de vivre, tout à fait à l'aise, dans un élément comparable au feu, − dans une essence très subtile de musique et de mouvement, où elle respire une énergie inépuisable, cependant qu'elle participe de tout son être, à la pure et immédiate violence de l'extrême félicité?
Valéry, Eupalinos,1923, p. 39. − En partic., RELIG. CHRÉT. Bonheur parfait promis aux élus après leur mort. Synon. béatitude.Cet amour nous entraînant dans l'abîme de charité où respire Dieu lui-même, nous y puisons le besoin d'associer toutes les créatures à la perfection et à la félicité dont nous goûtons les prémices, dont nous attendons l'ultérieure révélation (Lacord., Conf. N.-D.,1848, p. 187).Il les entretient du néant du monde et de la félicité des élus (Flaub., Tentation,1874, p. 78): 2. Je me la représentais [cette porte étroite], dans le rêve où je plongeais, comme une sorte de laminoir, où je m'introduisais avec effort, avec une douleur extraordinaire où se mêlait pourtant un avant-goût de la félicité du ciel.
Gide, Porte étr.,1909, p. 505. ♦ P. méton., au plur. Jouissances célestes. En même temps que les âmes s'y purifient [au Purgatoire] des souillures de la terre, elles sont initiées aux félicités du ciel (Ozanam, Philos. Dante,1838, p. 154).Ce n'est pas en vain que notre grande éducatrice, l'Église, prêche aux pauvres d'intelligence, les félicités de son paradis (Clemenceau, Vers réparation,1899, p. 429). B.− P. ext. 1. Bonheur domestique, tranquille et simple, bien-être matériel. Félicité domestique. Cette félicité bourgeoise qui se repaît d'un bouilli périodique, d'une douce bassinoire en hiver, d'une lampe pour la nuit et de pantoufles neuves à chaque trimestre (Balzac, Élixir,1830, p. 382).Vauvenargues le raille [Mirabeau] avec une légère ironie sur ce plan un peu trop doux de vie heureuse et toute privée, sur cette félicité tempérée et dans le goût d'Horace, qu'il se promet trop complaisamment (Sainte-Beuve, Caus. lundi, t. 14, 1851-62, p. 43).Dix ans, je vécus dans l'aisance et la félicité, sur notre domaine dotal, dans la douce Provence (Adam, Enf. Aust.,1902, p. 349): 3. Le soleil ayant reparu, des journées adorables se suivirent, des mois coulèrent dans une félicité monotone. Jamais ils ne savaient la date, et ils confondaient tous les jours de la semaine. Le matin, ils s'oubliaient très tard au lit, malgré les rayons qui ensanglantaient les murs blanchis de la chambre, à travers les fentes des volets. Puis, après le déjeuner, c'étaient des flâneries sans fin...
Zola,
Œuvre,1886, p. 158. 2. P. méton., au plur. Ce qui contribue au bonheur, le plus souvent matériel, d'une personne. Le comble des félicités humaines, pour un habitant du Maroc, c'est d'avoir des chevaux, des fusils et de la poudre; beaucoup de poudre (Stendhal, Mém. touriste,t. 2, 1838, p. 158).MlleElmire, était une somnambule extra-lucide qui me promit une vie interminable et des félicités sans nombre (Maupass., Contes et nouv.,t. 1, Père, 1887, p. 745).Type innocent de servilité heureuse, d'une calme vie en complaisances et en félicités matérielles (Bourget, Disciple,1889, p. 107). − En partic. Plaisirs de l'amour. Synon. voluptés.Un quart d'heure passé près de vous le soir, vaut mieux que toutes les félicités d'une nuit près de cette belle (Balzac, Corresp.,1832, p. 177).Il est certaines félicités de la chair que poursuit, et toujours plus vainement, le corps vieillissant, s'il n'en a pas été soûlé dans sa jeunesse (Gide, Journal,1929, p. 909): 4. Oh! Si je t'ai pu paraître froid, si mes satires sont rudes et te blessent, je veux, quand je te reverrai, te couvrir d'amour, de voluptés, d'ivresse. Je veux te gorger de toutes les félicités de la chair, t'en rendre lasse, t'en faire mourir. Je veux que tu sois étonnée de moi et que tu t'avoues dans l'âme que tu n'avais même pas rêvé des transports pareils.
Flaub., Corresp.,1846, p. 253. Prononc. et Orth. : [felisite]. Ds Ac. 1694-1932. Étymol. et Hist. 1. Ca 1265 felicité « état de contentement intense » (Brunet Latin, Trésor, éd. F. J. Carmody, p. 180, 50); 2. 1640 au plur. « bonheur causé par une circonstance particulière » (Corneille, Polyeucte, IV, 5, 1324 ds
Œuvres, éd. Ad. Régnier, t. 3, p. 549). Empr. au lat. class. felicitas « bonheur, chance ». Fréq. abs. littér. : 1 281. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 3 463, b) 1 667; xxes. : a) 1 243, b) 855. Bbg. Vardar (B.). Struct. fondamentale du vocab. soc. et pol. en France, de 1815 à 1830. Istanbul, 1973, p. 240. |