| EXTRAVAGANT, ANTE, adj. et subst. I.− Adjectif A.− Dont la raison, l'imagination sont déréglées. (Quasi-)synon. fou, délirant. 1. [En parlant d'une pers.] Aussi ses compositions [de Girodet], ses figures, son dessin, tout cela est-il tendu, exagéré et souvent faux. Il y avait dans cet homme l'étoffe d'un très grand artiste, mais il était fou, extravagant au milieu d'un siècle où l'on ne veut que de la réalité (Delécluze, Journal,1825, p. 171): 1. J'ai repris ma vieille toquade de Saint Antoine. J'ai relu mes notes, je refais un nouveau plan et je dévore les Mémoires ecclésiastiques de Le Nain de Tillemont. J'espère parvenir à trouver un lien logique (...) entre les différentes hallucinations du saint. Ce milieu extravagant me plaît et je m'y plonge, voilà.
Flaub., Corresp.,1869, p. 31. 2. [En parlant d'un comportement] [Les porteurs] se mettent à danser autour de nous une danse échevelée, extravagante, aux cris de « merci gouvernement! » (Gide, Retour Tchad,1928, p. 963). ♦ [Commutant avec fou dans des expr. figées comme gaieté folle, yeux fous] Cette idée m'inspira une gaieté si extravagante (...) que je ne pus retenir mes éclats de rire (Nodier, Fée Miettes,1831, p. 90).Jeanne n'était pas belle ainsi, dans la douleur, sauf ses yeux, ses yeux extravagants et noyés (Aragon, Beaux quart.,1936, p. 465): 2. Les rumeurs les plus extravagantes circulèrent, à peine quelques journaux de Paris venaient-ils augmenter par leurs contradictions les ténèbres anxieuses où l'on se débattait.
Zola, Débâcle,1892, p. 44. − [En parlant d'une activité intellectuelle] Qui va contre la raison. (Quasi-)synon. absurde, déraisonnable, insensé.Si ces écoles avaient été purement absurdes et extravagantes, elles n'auraient pu être (Cousin, Hist. philos. XVIIIes.,t. 2, 1829, p. 553).Puis je formai le projet le plus extravagant et le plus raisonnable en même temps auquel un amant puisse jamais songer (Balzac, Peau chagr.,1831, p. 155).C'est aussi de la même manière que je comprendrai les associations d'idées extravagantes que présentent certains malades (Janet, Obsess. et psychasth.,1903, p. 116): 3. ... je cherchais à me rendre compte de cet engouement du public pour un genre de spectacle extravagant, ridicule, indigne d'une nation civilisée...
Jouy, Hermite,t. 2, 1812, p. 175. B.− Qui dévie par rapport aux normes reçues de la vie sociale. 1. [En parlant d'une pers., de son comportement, de sa mise, etc.] Qui s'écarte des habitudes, qui provoque l'étonnement. Synon. bizarre, excentrique; synon. fam., dingue, farfelu.Une coquette maigre aux airs extravagants (Baudel., Fl. du Mal,1857-61, p. 168).À côté d'elle, la Garcia, avec un chapeau extravagant et des cheveux d'une envergure prodigieuse (Goncourt, Journal,1861, p. 908): 4. ... l'opinion générale était qu'Henriette, malgré son fard extravagant et ses boucles d'oreilles, était plus honnête qu'une MmeCarret, qui avait beau être femme du monde, ne s'en conduisait pas moins d'une façon scandaleuse...
Triolet, Prem. accroc,1945, p. 153. 2. Qui provoque l'étonnement, la surprise à cause de l'excès, de la surabondance. Synon. baroque.C'est pour cette solennité [les courses de taureaux] que sortent de leurs remises poudreuses les calesines et les carrioles les plus baroques et les plus extravagantes (Gautier, Tra los montes,1843, p. 72).On peut voir (...) le règne nouveau de la frivolité et de la mode, les inventions de l'imagination affolée et licencieuse, les costumes extravagants et surchargés (Taine, Philos. art,t. 2, 1865, p. 6): 5. Sa mise trop voyante pour notre milieu terne, trop somptueuse, « extravagante », disait mon père le lendemain matin, fit valoir aussitôt la discrétion modeste de Madame Marchant et de ma mère.
Gide, Geneviève,1936, p. 1362. − Sans valeur dépréc. Le contraste du luxe extravagant qui se déployait au ras du sol dans une lumière tamisée, et du plafond grossier où se répandait la seule magie du jour dans sa vigueur entière (Gracq, Argol,1938, p. 28).Cette femme, d'une si rare, d'une si extravagante beauté (Gracq, Beau tén.,1945, p. 60). − [En parlant d'une plante] Synon. de exubérant.Des végétations extravagantes s'enchevêtraient à l'ombre, ruisselantes, trempées par un déluge perpétuel (Loti, Mariage,1882, p. 141). C.− En emploi hyperbolique. Synon. fou, insensé, dingue (fam.).C'est extravagant! Le succès extravagant de cette comédie trahit tristement le niveau du public (Goncourt, Journal,1894, p. 654).L'extravagante difficulté de l'entreprise (Gide, Caves,1914, p. 789). ♦ Très rapide (cf. vitesse folle). Le dernier mouvement du « concerto » présentait un extraordinaire fouillis de sons, dans un extravagant tempo (Schaeffer, Rech. mus. concr.,1952, p. 81). − [Postposé à un subst. quantifiable] Payer ces denrées à un prix extravagant (Say, Écon. pol.,1832, p. 202): 6. − Mon ami, écoutez-moi... Songez que nos trois mille titres ont produit plus de sept millions et demi. N'est-ce point un gain inespéré, extravagant? Moi, tout cet argent m'épouvante, je ne puis pas croire qu'il m'appartienne...
Zola, Argent,1891, p. 315. II.− Substantif A.− Personne dont le comportement échappe aux normes habituelles. À sa liberté d'allures, de mots, d'idées, on crut à une extravagante qui ferait des heureux (Péladan, Vice supr.,1884, p. 52).Kyo l'avait tenu [Clappique] d'abord pour un extravagant assez pittoresque (Malraux, Cond. hum.,1933, p. 365): 7. Les filles ne sont supportables qu'à la condition d'être de folles créatures, des toquées, des extravagantes, des êtres qui vous étonnent un peu par l'entrain de leur verve ou l'inattendu de leurs caprices.
Goncourt, Journal,1875, p. 1070. B.− Subst. masc. Ce qui est extravagant : 8. Je consens à la bucolique et aussi à la féerie de marbre et d'or. Le bonheur sec ressemble au pain sec. On mange, mais on ne dîne pas. Je veux du superflu, de l'inutile, de l'extravagant, du trop, de ce qui ne sert à rien.
Hugo, Misér.,t. 2, 1862, p. 614. Prononc. et Orth. : [εkstʀavagɑ
̃], fém. [-ɑ
̃:t]. Cf. extra-. Ds Ac. 1694-1932. Étymol. et Hist. 1374 extravacant « qui n'est pas inséré dans les recueils canoniques » (J. Goulain, Ration., Richel. 437, fo27b ds Gdf.); 1379-89 « excessif » despense extravagant (Compt. de la fabrique, Arch. Aube, b 1559, fo56 vo, ibid.); xvies. « déraisonnable, bizarre, hors du sens commun » (Amyot,
Œuvres de Plutarque, Cat. d'Ut., 33 ds Littré). Empr. au lat. scolastique extravagans qualifiant d'abord les constitutions pontificales ne faisant pas partie des décrétales (cf. Du Cange et Nierm.), composé du lat. extra (v. extra-) et du part. prés. vagans de vagari « errer ». Fréq. abs. littér. : 630. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 782, b) 770; xxes. : a) 1 010, b) 991. DÉR. Extravagamment, adv.a) D'une manière extravagante. Matamore se campait dans une pose extravagamment anguleuse, dont sa maigreur excessive faisait encore ressortir le ridicule (Gautier, Fracasse,1863, p. 116).Une armée de valets, de laquais, de cochers, de majordomes, extravagamment parés de livrées centenaires (Goncourt, MmeGervaisais,1869, p. 94).Nous discourions extravagamment (Maupass., Contes et nouv.,t. 2, Voleur, 1882, p. 1225).b) [Employé superlativement] Imaginez quelque chose d'exquis et d'extravagamment beau (Flaub., Corresp.,1862, p. 3).− [εkstʀavagamɑ
̃]. Cf. é-1. Ds Ac. 1694-1878. − 1reattest. 1571 (Belleforest, Secr. de l'agr., p. 253 ds Gdf. Compl.); de extravagant, suff. -ment2*. − Fréq. abs. littér. : 7. BBG. − Gohin 1903, p. 231. − Quem. DDL t. 6 (s.v. extravagamment). |