| ESSORER, verbe trans. A.− Emploi trans. 1. Vieilli. Exposer à l'air (une chose) en vue de la faire sécher. Il fallait bien cependant poser la planche à repasser sur son bureau et sur une autre table, faire essorer le linge sur des traverses dans l'entrée (Huysmans, Marthe,1876, p. 62). − En partic. ,,Essorer une plate-bande. La retourner pour en faire sécher la terre trop humide`` (Ac. 1932). 2. P. ext., mod. Égoutter, exprimer l'eau ou le surplus de liquide qui imbibe (quelque chose), cette opération se pratiquant manuellement ou mécaniquement. Essorer le linge; essorer des fromages. Après égouttage, la feuille était détachée de la forme puis essorée sous pression entre des feutres (Civilis. écr.,1939, pp. 6-5).Pour essorer les draps qu'on savonnait à la main, nous les tordions, cravatés au col d'un gros robinet de cuivre (Colette, Fanal,1949, p. 177).Le rouleau sera imprégné de peinture dans le bac, puis essoré sur la grille afin d'être peu chargé (Bonnel, Tassan, Trav. amén. mais.,1966, p. 138). ♦ [P. ell. du compl.] Après cette opération [le trempage], essorez soigneusement avant de remettre le linge dans la machine pour le « lessivage ou barbotage » (Lar. mén.1926, p. 199). ♦ Emploi pronom. réfl., rare. Lorsqu'il vit ses chers alpinistes (...) en train de s'étriller, de s'essorer autour d'un énorme poêle en faïence (...) le président s'écouta frissonner (A. Daudet, Tartarin Alpes,1885, p. 172). − Au fig. ou p. métaph. ♦ Vider (quelqu'un) ou (quelque chose) de sa substance, de sa vitalité. Jamais la pauvre guenille humaine n'a été pressée, battue, tordue, essorée, avec plus de force, de verve, de bonne humeur (A. Daudet, Crit. dram.,1897, p. 266).Soixante navires, à Brest, au printemps de l'année, qui furent alimentés en matelots par une pression générale sur la Bretagne, très riche en naissances, mais qu'on essore (La Varende, Tourville,1943, p. 128). ♦ Rare. Débarrasser de ce qui gêne, épurer. Crier un ordre empoisonnant qui va réveiller dans les guitounes une indignation tonique, ça vous remet d'équerre, ça vous essore le cerveau! (Vercel, Cap. Conan,1934, p. 13). ♦ Arg. Extorquer (à quelqu'un) tout son argent, tous ses biens (cf. mettre à sec*). Toute la petite épargne [= tous les petits épargnants] que notre pote avait essorée défilait [chez le juge d'instruction] (Simonin, Pt Simonin ill.,1957, p. 249). B.− Emploi pronom. 1. Vieilli, rare. [Le suj. désigne un oiseau] Prendre son élan, s'élever dans l'air. Parfois un aigle s'essorait du côté de la grande dune (Gide, Journal,1895-96, p. 76). Rem. On rencontre ds la docum. l'emploi trans. (avec un compl. d'obj. interne) : un coq faisan partit avec fracas, essora son vol en fusée vers les cimes (Genevoix, Raboliot, 1925, p. 206) et l'emploi abs. Oiseaux qui essorent en cercles agrandis (Morand, Air indien, 1932, p. 14). P. anal. Les avions prêts à essorer, sont rangés sur l'aire de ciment (Id., ibid., p. 85). Attesté uniquement chez l'aut. cité. − P. anal. Les balles des mitrailleuses s'essorent par-dessus la vallée, filent et filent par le col de Combres, avec une allégresse chantante d'oiseau (Genevoix, Éparges,1923, p. 36). 2. P. métaph. ou au fig., poét. [Le suj. désigne une pers., des sentiments humains] S'élever. Ainsi le poète, guéri De la torpeur qui l'étiole, Tout à coup s'essore et s'envole Vers le bosquet toujours chéri (Verlaine, Poèmes divers,Intermittences, 1896, p. 227): On a besoin de symboles, de monuments, de statues, de drapeaux, pour fournir au sentiment quelque prise; des perchoirs pour permettre à ce qui s'essore de nos cœurs mais ne pourrait longtemps soutenir son vol, de se poser.
Gide, Journal,1940, p. 39. − Au part. passé. Villes, au bord des mers, cités, au pied des monts, Leur tumulte essoré remplit vos horizons (Verhaeren, Mult. splendeur,1906, p. 56). Prononc. et Orth. : [esɔ
ʀe], (j')essore [esɔ:ʀ]. Prononc. [εs(s)-] ds Fér. 1768, Fér. Crit. t. 2 1787, Land. 1834 Littré [ss] et, à titre de var., ds Barbeau-Rodhe 1930 et ds Warn. 1968. Le verbe est ds Ac. 1694-1932. Étymol. et Hist. 1. 1174-77 « aérer » emploi abs. (Renart, éd. M. Roques, 7011); ca 1200 « faire sécher » (R. de Montauban, 85, 24 ds T.-L. : Ne de fain qui ja fust au soleil essorés); 2. ca 1176 pronom. (d'un oiseau) « s'élever dans l'air, prendre son essor » (Cligès, A. Micha, 6352). Du lat. *exaurare « exposer à l'air », composé du préf. lat. ex- et du subst. aura, ae « souffle, brise ». Fréq. abs. littér. : 20. Bbg. Pamart (P.). Les Créations langagières d'André Gide. Vie Lang. 1973, p. 577. − Sain. Arg. 1972 [1907], p. 194. |