| ESCLAVAGE, subst. masc. A.− État d'esclave (au sens A). L'esclavage antique; l'esclavage des nègres; abolir l'esclavage. L'esclavage aux États-Unis! Y a-t-il un contresens plus monstrueux? (...); la liberté portant une chaîne, (...) c'est inouï (Hugo, Corresp.,1851, p. 20).Quand, après l'effondrement de la société antique et du régime romain fondé sur la conquête, l'esclavage fut amendé en servage, les serfs aussi furent sur la glèbe objets de quelque propriété individuelle (Jaurès, Ét. soc.,1901, p. 152): 1. De là à l'idée que tous avaient une égale valeur en tant qu'hommes, et que la communauté d'essence leur conférait les mêmes droits fondamentaux, il n'y avait qu'un pas. Mais le pas ne fut pas franchi. Il eût fallu condamner l'esclavage, renoncer à l'idée grecque que les étrangers, étant des barbares, ne pouvaient revendiquer aucun droit.
Bergson, Deux sources,1932, p. 77. SYNT. Esclavage civil, domestique; dur, pénible, vil esclavage; les chaînes de l'esclavage; abolition, suppression de l'esclavage; partisans de l'esclavage; tomber en esclavage; réduire, soumettre en esclavage; affranchir de l'esclavage; arracher à l'esclavage. B.− P. ext. État de dépendance totale d'une personne à l'égard de quelqu'un ou de quelque chose. 1. État d'une personne ou d'une collectivité soumise au pouvoir tyrannique d'une autre personne ou d'un groupe de personnes dans l'ordre politique et social. Esclavage politique; esclavage nazi; esclavage d'une nation; esclavage du peuple; esclavage des femmes; réduire les citoyens en esclavage; tenir qqn en esclavage. À cette époque d'esclavage dans l'ordre religieux correspond, dans l'ordre politique, le plein développement de l'absolutisme (Lamennais, L'Avenir,1830-31, p. 214). − Dans l'ordre moral. L'oisiveté de l'homme sans place est auprès des femmes une qualité puisqu'elle le met à leur service. Disraëli se soumit avec joie à ce ravissant esclavage (Maurois, Disraëli,1927, p. 86): 2. À peine l'amour vous est-il accordé que là aussi, comme dans vos fausses amitiés, de ce don libre vous faites une servitude et un esclavage et commencez de la minute où on vous aime, à vous découvrir lésé. Et à infliger, pour mieux asservir, le spectacle de votre souffrance.
Saint-Exup., Citad.,1944, p. 648. 2. État de celui dont la volonté, la liberté personnelle sont dominées par des forces contraignantes intérieures ou extérieures à lui-même. L'esclavage de l'âme, de l'esprit; l'esclavage du péché, de l'habitude. St Paul n'entend la liberté que par opposition à l'esclavage des passions et du monde (Maine de Biran, Journal,1823, p. 388).L'esprit ne dort pas dans le sommeil, mais il semble appartenir tout aux sens et tomber, la nuit, sous l'esclavage des sensations physiques qui le régissent (Goncourt, Journal,1860, p. 740): 3. Le principe des passions réside dans un certain esclavage, que l'âme se donne à elle-même : l'âme se lie elle-même. Cet esclavage n'a rien à voir avec le déterminisme qui n'est que la règle de nécessité qui lie des objets pour une conscience théorique. L'esclavage des passions est quelque chose qui arrive à un sujet, c'est-à-dire à une liberté.
Ricœur, Philos. volonté,1949, pp. 25-26. − P. méton. Ce qui crée un état de dépendance, contrainte intolérable. Au diable tous les esclavages, même celui de la langue! (Barb. d'Aurev., 2eMemor.,1838, p. 280).Voltaire qui déplorait l'esclavage de la rime estimait pourtant que nous devions à cette contrainte bien des chefs-d'œuvre (Jeux et sp.,1968, p. 751). C.− [P. réf. à la chaîne portée par l'esclave (cf. supra A)] Objet de parure féminine, chaîne ou collier orné de diamants ou de pierres précieuses, descendant en demi-cercle sur la poitrine. Je lui ai donné (...) ma jeannette d'or, mon esclavage, mon épinglette (Barb. d'Aurev., Ensorc.,1854, p. 211).Robe brodée en esclavage. Petits médaillons enfermés dans une guirlande de différentes fleurs (d'apr. Obs. modes, 1822, p. 192). Prononc. et Orth. : [εsklava:ʒ]. Ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. 1599 (Vigenère, Vie d'Apollonius Thyanéen, 492, éd. 1611 ds Delb. Notes mss). Dér. de esclave*; suff. -age*. Fréq. abs. littér. : 1 134. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 2 461, b) 1 516; xxes. : a) 728, b) 1 471. DÉR. Esclavager, verbe trans.,rare (et souvent proche de l'emploi fig.). Rendre esclave. La pauvre Antigone esclavagée par la candidature perpétuelle de son père (A. Daudet, Immortel,1888, p. 252).Dans les régions que nous avons traversées ce n'étaient que races piétinées, non tant viles peut-être qu'avilies, esclavagées, n'aspirant qu'au plus grossier bien-être (Gide, Voy. Congo,1927, p. 815).Emploi pronom. réfl. Se rendre esclave. Nous nous sommes enrichis [par des idées étrangères] sans nous esclavager (Mauclair, De Watteau à Whistler,1905, p. 106).− [εsklavaʒe]. − 1reattest. 1876 (A. Daudet, Jack, t. 2, p. 179); de esclavage, dés. -er. BBG. − Darm. 1877, p. 118 (s.v. esclavager). − Thomas (A.). Nouv. Essais 1904, p. 262. |