| ENVISAGER, verbe trans. A.− Vieilli. Regarder, dévisager. 1. Regarder quelqu'un au visage. À cette parole, le champi l'envisagea [Hariette] entre les deux yeux, et il n'eut besoin de lui demander son nom (Sand, F. le Champi,1850, p. 122): 1. J'essayai deux fois de le regarder [l'étranger] à mon tour (...) mais je n'eus pas la force de l'envisager en face, et mes regards retombèrent à terre malgré moi.
Balzac,
Œuvres diverses,t. 1, 1824-30, p. 250. 2. Regarder quelque chose en face : 2. Aux portes des maisons qui envisagent le soleil levant, dans les jardinets, au bord du ruisseau du Bousquet, on en voit de nombreuses files [de ruches]...
Fabre, Mllede Malavieille,1865, p. 2. B.− Considérer. 1. [Avec une froide résolution] Envisager l'avenir, la misère. Van Bergen s'était assis sur une souche et rêvait. Il envisageait la mort et s'inquiétait de ceux qu'il laissait derrière (Van der Meersch, Empreinte dieu,1936, p. 194): 3. Si je faisais cela par lâcheté et pour m'éviter la souffrance du moment, je serais un fou, un sot. Mais non, j'envisage l'avenir fermement, je vois le gouffre et je sens que je dois m'y plonger.
Mallarmé, Corresp.,1863, p. 74. 2. [Sous un certain aspect] Le surréalisme, tel que je l'envisage, déclare assez notre « non-conformisme » absolu pour qu'il ne puisse être question de le traduire, au procès du monde réel, comme témoin à décharge (Breton, Manif. Surréal., 1erManif.,1924, p. 75): 4. On peut dire encore qu'elles se ramènent à deux volontés dont l'une cherche la satisfaction d'un intérêt et l'autre celle d'un orgueil. Ces deux volontés entrent aux passions politiques selon des rapports très différents suivant la passion qu'on envisage.
Benda, La Trahison des clercs,1927, p. 45. − Emploi pronom. ♦ réfl. [Le suj. désigne une pers.] Il est probable que, dès ses premiers pas, il [Jésus] s'envisagea avec Dieu dans la relation d'un fils avec son père (Renan, Vie Jésus,1863, p. 80). ♦ passif [Le suj. désigne une chose] : 5. ... mais la victime, en somme,
C'est celui qui produit et celui qui consomme!
Car, de quelque côté que cette question
S'envisage, on y voit honte et corruption!
Marteau, Satires,1861, p. 227. − Envisager (une chose, plus rarement une pers.) comme : 6. L'Antiquité n'ayant jamais compris le grand objet de la culture lettrée, et l'ayant toujours envisagée comme un exercice pour apprendre à bien dire, il n'est pas étonnant que les âmes fortes de ce temps se soient montrées sévères pour la petite manière des rhéteurs et l'éducation factice et sophistique qu'ils donnaient à la jeunesse.
Renan, L'Avenir de la sc.,1890, p. 71. ♦ Emploi pronom. réfl. Dès lors, elle [ma sœur] s'envisageait comme chargée de mon avenir (Renan, Ma sœur,1862, p. 16). 3. Prendre en considération, prévoir, avoir en vue. Envisager les conséquences, les suites de tel acte, des mesures, des remèdes. Dès la fin de novembre, la 10earmée avait envisagé des possibilités d'attaques menées de part et d'autre d'Arras (Foch, Mém.,t. 1, 1929, p. 260): 7. Le vétérinaire, qui n'avait pas encore envisagé cette redoutable éventualité, sentit la colère lui empourprer les joues; ses yeux pâles brillèrent d'un éclat cruel.
Aymé, La Jument verte,1933, p. 51. − Envisager de + inf. ou sub. introd. par que.Je n'ai jamais envisagé un instant de pouvoir répondre quelque jour à un de vos extravagants billets (Montherl., J. filles,1936, p. 931).On peut envisager qu'un voleur aussi déraisonnable n'a pas convoité l'argent, qu'une passion a guidé son geste, qu'il était épris du gracieux petit personnage (Colette, Pays connu,1949, p. 200). Rem. On rencontre ds la docum. envisagement, subst. masc., rare. Action d'envisager; résultat de cette action. Et Sabine, s'en allant, pensait : − Qu'aurais-je pu dire de moi-même qui n'eut point été stérile? Ses raisons [du docteur] ne sont pas mes raisons (...) la faim, la soif et la fatigue ne se guérissent point par tel envisagement de l'univers, mais par le pain, l'eau ou le lit (Noailles, Nouv. espér., 1903, p. 305). Prononc. et Orth. : [ɑ
̃vizaʒe], (j')envisage [ɑ
̃viza:ʒ]. Ds Ac. 1694-1932. Étymol. et Hist. 1. [xiiies. envisaigié « qui a un visage » (Recueil général des Jeux-Partis, CLXXV, 50 ds T.-L.)]; 2. 1560 envisager « regarder (une personne) au visage » (E. Pasquier, Recherches de la France, V, 8 ds Hug.); 3. 1665 « considérer, examiner une chose en esprit » (La Rochefoucauld, Réflexions ou sentences et maximes morales, éd. M. D. L. Gilbert, t. 1, p. 212); 4. 1709 « avoir en vue (quelque chose qui doit arriver, se réaliser )» (Lesage, Turcaret V, 16 ds Littré). Dér. de visage*; préf. en-*; suff. -é*; dés. -er. Fréq. abs. littér. : 1 907. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 1 593, b) 1 181; xxes. : a) 2 253, b) 4 759. DÉR. Envisageable, adj.Qui peut être envisagé. Dès que l'information de base, dans le domaine de la technologie et de la sociologie, devient suffisamment riche, on aperçoit la multiplicité des options qui, « a priori », paraissent toutes envisageables, à des titres et à des degrés divers (Univers écon. et soc.,1960, p. 2601).− [ɑ
̃vizaʒabl̥]. − 1reattest. 1845 (R. de Radonvilliers, Dictionnaire des mots nouveaux), attest. isolée, de nouv. 1952 (Vialar, Brisées hautes, p. 214); du rad. de envisager, suff. -able*. BBG. − Gohin 1903, p 335. − Quem. 2es. t. 1 1970 (s.v. envisagement), t. 2 1971 (s.v. envisageable). |