| EFFACER, verbe trans. I.− Emploi trans. A.− Faire disparaître. 1. a) Faire disparaître totalement (ce qui est tracé ou marqué sur une surface). Effacer une phrase, un chiffre (sur un tableau). À une époque où le parchemin devint rare, on effaça des dessins pour écrire à leur place (Lenoir, Archit. monast.,1852, p. 31).Il suffirait que j'eusse effacé un mot de ce qui s'y trouve écrit (Bernanos, M. Ouine,1943, p. 1556): 1. ... la vie n'est plus qu'une ardoise où j'efface tout ce qui s'y inscrit, au jour le jour, de l'histoire des hommes.
Mauriac, Mémoires intérieurs,1959, p. 39. SYNT. Effacer une tache; effacer le prix (d'un cadeau); effacer avec un chiffon; effacer entièrement, complètement, avec soin; gomme à effacer. − P. anal. Effacer un pli (de vêtement). Ils n'avaient qu'un seul jour pour effacer leurs rides (Sartre, Nausée,1938, p. 66).Dans le monde hors de la maison, la neige efface les pas, brouille les chemins, étouffe les bruits (Bachelard, Poét. espace,1957, p. 53). − Spéc. Rendre peu ou moins visible. Effacer les vestiges (de qqc.), les traces (de qqn, qqc.); effacer ses pas; effacer une empreinte, un indice, une inscription, une signature. Un cadran solaire dont le soleil et la pluie avaient effacé les chiffres (France, Livre ami,1885, p. 39). − P. ext. Annuler (un signe) sans le faire disparaître (en barrant, biffant, raturant, etc.). Effacer un nom d'une liste; (p. ell.) effacer qqn d'une liste. Synon. radier. − P. métaph. Effacer (qqn ou qqc.) de sa mémoire. La nature qui efface de notre mémoire tant de souvenirs inutiles ou nuisibles (Green, Journal,1936, p. 62). b) P. ext. Éliminer, faire disparaître (quelque chose). Eustache s'avisa de lui appliquer un soufflet à lui effacer la figure (Nerval, Nouv. et fantais.,1855, p. 225).Une petite odeur à quoi s'ajoutaient, sans l'effacer, des traces de parfum (Romains, Hommes bonne vol.,1939, p. 119): 2. Paisible, Yvonne efface son fard, le remplace par une touche de rose, un nuage de poudre...
Colette, Paysages et portraits,1954, p. 134. c) Argot − Faire disparaître en absorbant : boire ou manger (quelque chose). Effacer un morceau de fromage (Delvau 1867, p. 150). Effacer un plat, une bouteille (cf. L. Rigaud, Dict. du jargon parisien, 1878, p. 127; France 1907; Esn. 1866). − Recevoir (une balle, un mauvais coup, etc.) (d'apr. Le Breton Argot 1975). Synon. encaisser.Ils ont effacé quelques bastos entre le faux-filet et la bavette (A. Simonin, Le Pt Simonin ill.,1957, p. 48). 2. Au fig. a) Faire disparaître, supprimer (une chose abstraite). Effacer une (bonne, mauvaise) impression; effacer des inégalités, des différences; effacer les conséquences (d'une action, d'un événement). Le temps effacera la douleur (G. Bataille, Exp. int.,1943, p. 89).Il faut effacer toute distinction entre ouvriers et intellectuels (Camus, Homme rév.,1951, p. 183). − [Compl. abstr. ou concr.] Effacer de la terre. Éliminer radicalement. Elle [une danseuse] semble d'abord, de ses pas pleins d'esprit, effacer de la terre toute fatigue, et toute sottise (Valéry, Eupalinos,1923, p. 25).Effacer (un pays) de la surface du globe. L'anéantir. b) Faire oublier. Effacer le souvenir (de qqc., qqn); effacer le passé. Ce que je fais, (...) effacerait un crime, et je n'ai commis qu'une faiblesse (A. Dumas père, Chev. Maison-Rouge,1847, IV, 3, p. 136).Notre œil de Parisien regarde mal une ville dont l'habitude nous efface les charmes (Cocteau, Foyer artistes,1957, p. 111). c) Pardonner. Effacer une faute, un péché, un affront, des torts; effacer par la contrition, par la pénitence, par des larmes. « Agneau de Dieu qui effacez les péchés du monde, ... » (Billy, Introïbo,1939, p. 6). B.− Empêcher de paraître 1. [Le compl. désigne une chose] a) Affaiblir ou supprimer ce qui se manifeste normalement. Laurent regardait le ciel splendide où la lune effaçait la clarté des étoiles (Sand, Elle et lui,1859, p. 104).Chez la femme, la graisse efface plus ou moins les saillies osseuses (Richer, Nouv. anat. artist.,t. 2, 1920, p. 71): 3. ... de longs peupliers effeuillés, tellement blancs que la lumière les effaçait et mettait à leur place des faisceaux de scintillements.
Giono, Le Hussard sur le toit,1951, p. 291. − Spéc. Rendre moins apparent (une partie du corps) par un mouvement de retrait (en particulier en escrime). Effacer le corps, une épaule. Les assistants (...) cambraient les reins, effaçaient le ventre (Arnoux, Roi,1956, p. 278). b) [Abstr.] Mettre en retrait, éclipser. Effacer sa personnalité. On sait qu'il [Vinci] peignit dans un tableau de son professeur une tête d'ange si belle, d'un goût si rare et si neuf, qu'elle effaçait tout le reste de l'œuvre (Gautier, Guide Louvre,1872, p. 200): 4. La conclusion de tout ceci est qu'il faut effacer son opinion aussi bien que celle des autres devant les décisions de l'expérience.
Bernard, Introd. à l'étude de la méd. expérimentale,1865, p. 63. 2. [Le compl. désigne une pers.] a) Surpasser, éclipser, empêcher de briller. Aujourd'hui, leur grand contemporain [Rubens] semble les effacer sous sa gloire (Taine, Philos. art,t. 1, 1865, p. 4): 5. Un autre jour, vous me dites que vous avez une autre route que la mienne (...) que je m'y prendrais mal, que j'effaroucherais l'abonné (...) que je vous effacerais.
Sand, Corresp.,t. 2, 1812-76, p. 308. b) Arg. Tuer. Il y avait sur moi un mauvais sort (...) pour que toujours ceux que j'aimais bien se fassent effacer (Simonin, Touchez pas au grisbi,1953, p. 221). II.− Emploi pronom. A.− À sens passif. [Le suj. désigne un nom de chose] 1. [Le suj. désigne une chose tracée ou marquée sur une surface (cf. supra I A 1)] Disparaître progressivement. S'altérer et s'effacer. Je n'ai certes pas composé mon portrait, mais je l'ai dessiné trop vite, et les traits s'effacent (Green, Journal,1940-43, p. 158): 6. ... un antique écrin de velours blanc, où le nom du bijoutier s'effaçait en lettres dorées vieilles de 30 ans.
A. Daudet, Fromont jeune et Risler aîné,1874, p. 17. ♦ P. anal. Elle [Sœurette] vit sortir doucement une femme, un ombre légère de femme, qui s'effaça presque aussitôt dans le brouillard rose du matin (Zola, Travail, t. 1, 1901, p. 314).Un vallon (...) où un ancien chemin (...) s'effaçait peu à peu (Larbaud, Enfantines,1918, p. 168). − P. ext. Être enlevé, supprimé. Le phare, reculant, pâlit, blêmit, puis s'effaça. Cette extinction fut morne (Hugo, Homme qui rit,t. 1, 1869, p. 111). − P. métaph. S'effacer du souvenir. Peu à peu le souvenir de mon cousin s'effaçait de ma mémoire (Green, Autre sommeil,1931, p. 56). 2. Au fig. (cf. supra I A 2). a) Disparaître, être supprimé. Des divisions qui s'effacent. Soudain, il [l'homme] découvre que le sol n'est pas sûr, que des villes peuvent disparaître, que des civilisations s'effacent (Chardonne, Attach.,1943, p. 114): 7. Entre eux deux, il [le beau-père] sentait s'effacer un chemin de compréhension [avec le gendre], s'évanouir un lien dont la ténuité annonçait la rupture définitive.
Aymé, Travelingue,1941, p. 8. b) S'oublier, disparaître de la mémoire. Déjà le souvenir de la vivante s'efface et la mémoire ne gardera, je le sais, que l'image de la morte (Bernanos, Journal curé camp.,1936, p. 1168).Rien ne s'efface plus vite qu'un visage illustre s'il ne rafraîchit pas (...) la mémoire et les regards de ses adorateurs (Arnoux, Roi,1956, p. 320): 8. Mes souvenirs de Stamboul, (...) sont morts à présent. Avec frayeur, je les ai vus s'effacer peu à peu et disparaître; ...
Loti, Journal intime,t. 1, 1878-81, p. 138. B.− Pronom. réfl. [Le suj. désigne une partie du corps] Faire en sorte de paraître le moins possible. 1. Domaine concr. a) Offrir le moins de prise possible. S'effacer sous les coups; s'effacer contre un mur. Les épaules s'effaçaient; le buste était tendu comme si Michaud se trouvait encore sous les armes (Balzac, Paysans,1844, p. 96).Dans les grands salons du rez-de-chaussée où des panneaux s'effaçaient tout le long de la boiserie blanche, il ne restait plus un meuble (A. Daudet, R. Helmont,1874, p. 108). b) Occuper le moins d'espace possible, se mettre de côté, à l'écart. Lorsque Manette était entrée dans la maison, Anatole s'était effacé devant elle (Goncourt, Man. Salomon,1867, p. 336). − [Avec un compl. de lieu] Il se leva lestement, et s'effaça derrière le pilier (Balzac, Maître Cornélius,1831, p. 205).Il s'effaça dans un coin (Tharaud, Dingley,1906, p. 17). − Absol. S'effacer pour laisser passer, entrer (qqn); s'effacer poliment, discrètement. Elle [Luce] ouvre une autre porte, s'efface, la referme sur nous (Colette, Cl. Paris,1901, p. 163): 9. Il [un monsieur] arrive toujours le premier à la porte du restaurant, s'efface, laisse passer sa femme, (...) et entre alors...
Camus, La Peste,1947, p. 1237. − Arg. Mourir. Il s'est effacé en trois jours d'une mauvaise angine (Riv.-Car.1969). 2. Domaine abstr. a) S'effacer devant qqc.Se faire oublier au profit de. Les bâtisseurs qui avaient eu la modestie de s'effacer devant leurs cathédrales (Sartre, Mots,1964, p. 48). − S'effacer devant qqn.Lui laisser la première place, reconnaître sa supériorité. Il faut (...) que le virtuose s'efface devant le compositeur (Berlioz, À travers chants,1862, p. 65).Il m'avait dit tout de suite en arrivant qu'il était prêt à s'effacer devant quelqu'un ayant connu Philippe (Léautaud, Journal littér.,2, 1907-09, p. 215). b) Absol. Éviter de se faire remarquer. S'effacer par modestie. Elle s'efforçait de disparaître, très modeste, s'effaçant, s'éteignant, toujours en noir et sans un bijou (Zola, Lourdes,1894, p. 56).C'est une personne taciturne et courtoise qui s'efface toujours quand il le faut (Green, Malfaiteur,1955, p. 8): 10. Le romancier, pensais-je, doit s'effacer, disparaître derrière ses personnages, leur abandonner la place, ...
Martin du Gard, Souvenirs autobiographiques,1955, p. LX. Rem. On rencontre ds la docum. le subst. fém. effaçade. Action d'effacer. Synon. effacement. Les intimes de son entourage [du duc de Bordeaux] demandent la liste des personnes engagées et effacent toujours cinq ou six noms... Cette effaçade (...) fait juger fort sévèrement ce pauvre jeune homme (Stendhal, Corresp., t. 3, 1800-42, p. 242). Prononc. et Orth. : [efase]. Warn. 1968 note qu'on entend parfois [εfase]. Cette prononc. est donnée ds Barbeau-Rodhe 1930 et Littré. Elle s'explique par l'influence graph. des lettres redoublées sur le timbre de la voyelle précédente. Le verbe est admis ds Ac. 1694-1932. Il prend une cédille devant a et o : j'effaçai(s), nous effaçons. Étymol. et Hist. 1remoitié xiies. seit esfaced li nuns de lui « faire disparaître » (Psautier d'Oxford, éd. F. Michel, CVII, 12); ca 1223 [de son escrit] m'esface (Gautier de Coincy, éd. F. Kœnig, II Prière 37, 37); 1remoitié xiiies. Et son chief blont qui le fin or efface (Thibaut de Champagne, Chansons, éd. A. Wallensköld, XXXVIII, 43); 1640 la pompe la plus vaine s'efface au seul aspect de la grandeur romaine (Corneille, Sertorius, II, 2, v. 502); 1721 escrime (Trév.). Dér. de face*; préf. é-*; dés. -er. Fréq. abs. littér. : 3 314. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 5 088, b) 3 969; xxes. : a) 4 530, b) 4 900. DÉR. 1. Effaçable, adj.Qui peut être effacé. Tache effaçable. Anton. ineffaçable, indélébile.Cette écriture est effaçable avec de l'eau-forte (Ac.1932).Au fig. Impression (difficilement) effaçable. Ma vipère de lettre aux bien effaçables crachats (Laforgue, Complaintes,1885, p. 119).− [efasabl̥]. Pour [ε] ouvert à l'initiale, cf. effacer. Ds Ac. 1718-1932. − 1reattest. 1549 effassable (Le Maire, Illustr., I, 31, p. 102 ds Gdf. Compl.); du rad. de effacer, suff. -able*. − Fréq. abs. littér. : 2. 2. Effaçage, subst. masc.[Correspond à effacer I A 1 a] Action d'effacer, de faire disparaître ce qui est tracé ou marqué. Synon. effacement.Spéc., technol. Travail consistant à effacer. On ne saurait trop recommander à l'ouvrier chargé de l'effaçage des pierres [lithographiques] d'apporter à son travail tout le soin désirable (Chelet, Lithogr.,1933, p. 18).− [efasa:ʒ]. Pour [ε] ouvert à l'initiale, cf. effacer. − 1reattest. 1866 (Ordonn. de police ds Littré); du rad. de effacer, suff. -age*. 3. Effaceur, euse, adj.Qui efface. La main effaceuse du temps (Péladan, Vice supr.,1884, p. 188).Emploi subst. Personne qui efface. Un effaceur, une effaceuse. − [efasœ:ʀ]. Pour [ε] ouvert à l'initiale, cf. effacer. − 1reattest. xives. [ms.] qui les péchés ies effaicer e (Canticum Mariae, 18 ds Psautier d'Oxford, éd. F. Michel, p. 360); du rad. de effacer, suff. -eur2*. − Fréq. abs. littér. : 1. 4. Effaçure, subst. fém.[Correspond à effacer I A 1 a] a) Action d'effacer. Une vraie peine, disparue sous l'effaçure du temps (A. Daudet, Pte paroisse,1895, p. 112).b) Ce qui résulte de l'effaçage. Persuadé que (...) mon nom se lirait au milieu de toutes ces effaçures (Chateaubr., Mém.,t. 3, 1848, p. 10).− [efasy:ʀ]. Pour [ε] ouvert à l'initiale, cf. effacer. Ds Ac. 1694-1932. − 1reattest. 1238 sans nule effaceure (Acte Hôtel-Dieu de Soissons, vo, Drachy ds Gdf.); du rad. de effacer, suff. -ure*. − Fréq. abs. littér. : 3. |