| * Dans l'article "DÉDOUBLER3,, verbe trans." DÉDOUBLER3, verbe trans. Par une opération variable selon le cas, faire apparaître deux choses là où d'abord il n'y en avait qu'une. A.− [L'opération consiste en un partage, une séparation ou une division] Partager en deux, créer deux choses distinctes à partir d'une seule. 1. [L'obj. dédoublé est une chose ou un ensemble de choses concr.] Dans le fonctionnement collectif du groupe entier [des cordes], on dédouble les premiers violons le plus souvent pour leur faire chanter en octaves un thème placé à l'aigu (Gevaert, Orchestr.,1885, p. 66): 1. C'est une organisation délicate de déséquilibres que l'équilibre tire son charme. Un visage parfait le démontre lorsqu'on le dédouble et qu'on le reforme de ses deux côtés gauches. Il devient grotesque.
Cocteau, La Difficulté d'être,1947, p. 222. a) CHIM., BIOL. Dédoubler une substance. La séparer en deux autres qui sont ses composantes. Des découvertes qui dédoubleraient telles substances réputées simples (Renouvier, Essais crit. gén.,3eessai, 1864, p. 87). − Emploi pronom. à sens passif. Se diviser en deux ou plusieurs éléments. Les polysaccharides (...) se dédoublent sous l'action des acides en plusieurs molécules de sucres réducteurs (Boullanger, Malt., brass.,1934, p. 221). Rem. La docum. atteste un emploi adj. du part. prés. La faculté dédoublante de la levure de bière (C. Bernard, Introd. ét. méd. exp., 1865, p. 320). b) TECHNOL. Dédoubler une pierre. ,,Dans les carrières, séparer les lits des pierres dans toute leur longueur, avec des coins de fer`` (Jossier 1881). 2. P. anal. [L'obj. dédoublé est une entité naturelle, physique ou psychique soumise à une opération d'analyse intellectuelle] a) Distinguer par une opération de la pensée deux éléments d'un tout. L'analyse (...) a dédoublé la nature en couleur et ligne (Baudelaire, Salon,1846, p. 146).La négation (...) dédouble l'être en reflété et reflétant (Sartre, Être et Néant,1943, p. 360): 2. Ce n'est que depuis le quinzième siècle qu'on a fixé la tonalisation, réglé la marche des accords, et qu'on s'en est aidé pour soutenir la voix et renforcer l'expression des sentiments. Cette découverte, si tardive et cependant si naturelle, a dédoublé l'ouïe, elle y a montré deux facultés en quelque sorte indépendantes, dont l'une reçoit les sons et l'autre en apprécie la résonance.
Brillat-Savarin, Physiol. du goût,1825, p. 33. − Emploi pronom. à sens passif. Mon âme se dédoublait pour ainsi dire, − distinctement partagée entre la vision et la réalité (Nerval, Aurélia,1855, p. 256): 3. L'homme tel que le concevait la chrétienté médiévale s'est dédoublé; d'une part, on a un homme de la pure nature, qui n'a besoin que de la raison pour être parfait, sage et bon, et pour gagner la terre. Et d'autre part, on a une enveloppe céleste, un double croyant, assidu au culte et priant le dieu des chrétiens, qui entoure et capitonne des duvets de la grâce cet homme de la pure nature...
Maritain, Humanisme intégral,1936, p. 30. b) P. ext. − Diviser, subdiviser en deux ou plusieurs parties distinctes. Désespérant de connaître l'inconnaissable, on le dédouble, on le subdivise; on le multiplie, on relègue dans l'inaccessible infini l'inconcevable cause première (Maeterl., Gd secret,1921, p. 308).Comme la terminologie de parenté semble ne pouvoir être systématisée qu'en fonction de trois lignées théoriques ultérieurement dédoublées en six (Lévi-Strauss, Anthropol. struct.,1958, p. 141). − Spécialiser une partie séparée d'un ensemble. L'art des despotes, c'est de dédoubler le peuple en armée (Hugo, Actes et par.,2, 1875, p. 465). 3. [L'obj. dédoublé est une pers. ou un ensemble de pers. (l'opération étant physique)] a) ADMIN. MILIT. Dédoubler un régiment, une compagnie. ,,Partager un régiment en deux régiments, une compagnie en deux compagnies`` (Ac. 1878). b) UNIV. Dédoubler une classe. Les travailleurs étaient si nombreux qu'il fallait dédoubler les cours (Cacérès, Hist. éduc. pop.,1964, p. 158). 4. [L'obj. dédoublé est une pers. (l'opération étant psychique)] Je me demandais comment on peut se résigner à vivre dédoublée; je n'aurais plus été, me semblait-il, qu'une demi-personne (Beauvoir, Mém. j. fille,1958, p. 61). − P. ext. Diviser. Lise se sent toujours l'esprit dédoublé en plusieurs personnes (Janet, Obsess. et psychasth.,1903, p. 313). − Emploi pronom. réfl. : 4. ... la personne qui se posait la question et la personne qui pouvait offrir le souvenir n'étaient hélas, qu'une seule et même personne, moi, qui se dédoublait momentanément, ...
Proust, La Prisonnière,1922, p. 85. ♦ Spéc., PSYCHOL. Perdre l'unité de sa personne psychique. À côté des gens qui se dédoublent en plusieurs personnes, il y en a d'autres qui se dissocient seulement de façon partielle (Carrel, L'Homme,1935, p. 295).Un délire, où la personnalité se dédouble et où l'on secrète pour ainsi dire un autre être (Arnoux, Rêv. policier amat.,1945, p. 177). B.− [L'opération consiste dans l'addition d'une réplique (identique ou équivalente) à l'objet primitif unique] 1. Donner une réplique à un premier être, objet. Afin de mieux loger son ami, il [Frédéric] acheta une couchette de fer, un second fauteuil, dédoubla sa literie (Flaub., Éduc. sent., t. 1, 1869, p. 56).La direction avait dédoublé le rayon des robes et costumes, en créant (...) un rayon de costumes pour enfants (Zola, Bonh. dames,1883, p. 725): 5. Envie de dédoubler ce journal, c'est-à-dire d'en tenir un autre où je mettrais tout ce que je ne puis ou ne veux pas mettre dans celui-ci.
Green, Journal,1940, p. 22. − Emploi pronom. à sens passif. [Dans la danse javanaise] Les gestes se dédoublent : faits à gauche ils sont répétés à droite (Levinson, Visages danse,1933, p. 234). −
ŒNOLOGIE. Dédoubler des vins. Couper d'eau des vins préalablement vinés (d'apr. Littré, Lar. Lang. fr.). − CH. DE FER. Dédoubler un train. Pour assurer le transport des voyageurs qui, par suite d'affluence n'ont pu trouver place dans un train, on dédouble celui-ci, et on met en marche un train supplémentaire (Bricka, Cours de ch. de fer,t. 2, 1894, p. 130). Rem. L'ex. cité sous dédoubler une classe (cf. supra A 3) pourrait également figurer ici. 2. P. anal., littér. Longue file de noirs et vieux logis (...) avec quelle précision (...) le Rhin les dédouble et les reflète dans le glauque moiré de ses eaux! (Lorrain, Sens. et souv.,1895, p. 271).Une fusée monta, d'abord dédoublant les étoiles, puis dédoublant la nuit (Giraudoux, Suzanne,1921, p. 143). − Emploi pronom. à sens passif. Il visitait Saint-Sulpice, à ces heures où, sous la morne clarté des lampes, les piliers se dédoublent et couchent sur le sol de longs pans de nuit (Huysmans, En route,t. 1, 1895, p. 148). 3. P. ext. a) Augmenter du simple au double, multiplier. Dédoubler la mesure pour retrouver le véritable rythme (D'Indy, Compos. mus.,t. 1, 1897-1900, p. 38).Je passais la bande pour moi, et pour moi seul, en chantonnant, acteur, public, opérateur, orchestre, lancé à l'écran, recueilli en moi-même, dédoublé et uni (Arnoux, Suite var.,1925, p. 24). b) Domaine de l'action − Emploi pronom. réfl., SP. Se dédoubler (dans une épreuve). Augmenter son investissement d'énergie, donner son maximum : 6. ... ils [les athlètes] s'épargnaient avarement pour se dépenser d'un coup brusque, dédoublés, ils se pencheraient vers la barre, fermeraient lentement leurs doigts d'automates, d'hallucinés et jetteraient toutes leurs réserves dans l'abîme de l'acte...
Arnoux, Paris-sur-Seine,1939, p. 207. − Emploi abs. Augmenter l'expérience de quelqu'un, l'enrichir (moralement). L'architecte me dit qu'il aime beaucoup les voyages parce que ça dédouble (Renard, Journal,1908, p. 1179). Rem. 1. Comme le montrent quelques ex. sous A 4 et B 3, dédoubler peut, dans certains contextes, signifier tantôt renforcer, tantôt affaiblir, et cela en liaison avec une évolution parallèle dans le sens de multiplier (en renforçant le tout) et de (sub-)diviser (en diminuant la part de chaque élément). Dans le premier sens, dédoubler est voisin de doubler ou redoubler. Ils croient doubler ou dédoubler Buonaparte avec un jupon (Lamart., Corresp., 1832, p. 274). Les innombrables vouloir-vouloir dédoublés ou redoublés par une dialectique analytique (Jankél., Je-ne-sais-quoi, 1957, p. 237). Dans le second sens, dédoubler est voisin de séparer, dont il peut prendre la constr. Un homme couleur de pierre qui a été caché derrière un bloc, puis est venu sur le côté du bloc, se dédoublant de lui (Ramuz, Gde peur mont., 1926, p. 101). Une intelligence infiniment dédoublée d'avec soi, seule capable de prévenir les mécomptes qui naissent des méprises (Jankél., op. cit., p. 188). 2. Sur le modèle de dédoubler a été créé le verbe détripler (« partager, diviser en trois ») généralement couplé avec dédoubler. Dédoubler ou détripler ce ministère (Gide, Journal, 1914, p. 478). Elle [Sabine] se dédoublait ou se détriplait (Aymé, Passe-mur., 1943, p. 23). De la [voix] dédoubler, de la détripler (Arnoux, Zulma, 1960, p. 145). 3. La docum. atteste dédoublante, subst. fém. Système d'horlogerie appliqué à un chronomètre grâce auquel une aiguille peut être arrêtée à tout moment et remise en marche pour rattraper instantanément l'aiguille principale; et p. méton. 2eaiguille trotteuse d'un chronomètre permettant en particulier de déterminer un temps intermédiaire réalisé par un compétiteur sur une distance donnée inférieure à la distance totale de la course, l'aiguille principale continuant d'indiquer le temps total (la 2eaiguille pouvant après arrêt rattraper immédiatement l'aiguille principale) (d'apr. C.R.E.P.S. Nancy). Synon. rattrapante. Le grand cri de victoire de l'homme (...) quand il a volé un dixième de seconde à la dédoublante (Arnoux, Suite var., 1925, p. 40). 4. La docum. atteste dédoublable, adj. Qui peut être dédoublé. Un couple non dédoublable optiquement (Hist. gén. sc., t. 3, vol. 1, 1961, p. 141). Prononc. et Orth. : [deduble], (je) dédouble [dedubl̥]. Ds Ac. 1798-1932. Étymol. et Hist. A. 1. 1429 sangle [« singulier »] et desdoublée (Cité d'apr. Roserot, Registre des délibérations du Conseil de la ville de Troyes, 44 ds Delb. Notes); 2. 1752 « rendre simple ce qui était double » (Trév.); 3. 1752 « couper en deux (une pierre) » (ibid.); 4. 1843 psychol. « se dédoubler » part. prés. (Balzac Illus. perdues, p. 583); 5. 1872 « couper un vin » (Journal officiel, 2 août, p. 5310, 2ecol. ds Littré Suppl.). B. 1611 desdoubler « dégarnir un vêtement de sa doublure » (Cotgr.). Dér. de doubler*; préf. dé-*. STAT. − Dédoubler1, 2 et 3. Fréq. abs. littér. : 113. DÉR. Dédoublage, subst. masc.a) Rare. Fait de dédoubler, de se dédoubler. Synon. dédoublement.Dédoublage de la voix (cf. Schaeffer, Rech. mus. concr.,1952, p. 58).b) Technol. Action de dédoubler un métal, une pierre. Une scie à ruban (...) pourvue (...) d'un rouleau presseur pour les dédoublages (Champly, Nouv. Encyclop. prat.,t. 11, 1927, p. 30).Dédoublage est en outre attesté ds des dict., pour la plupart des autres emplois techn. de dédoubler. Rem. Le résultat du dédoublage est appelé dédoublure, quand il s'agit de tôles (d'apr. Duval 1959).− [dedubla:ʒ]. − 1resattest. a) 1845 « action d'enlever le doublage d'un bateau » (Besch.); b) 1863 « action d'atténuer le degré de l'alcool » (Littré); c) 1890 « action de dégarnir un objet de sa doublure » (DG); de dédoubler*; suff. -age*. − Fréq. abs. littér. : 1. BBG. − Krenn (H.). Zum sprachlichen Umgang mit ubiquitären Wesen am Beispiel des Französischen. Z. fr. Spr. Lit. 1974, t. 84, no4, pp. 327-330. |